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Nadine Gordimer
Un amant de fortune
Nous avons lu ce livre en juin 2004.
Loana
Désolée de ne pas venir encore à cette séance,
mais la fin de l'année est trop difficile ! Quant au livre
de ce soir, qu'en dire ? Pendant que je l'ai lu, il m'a plu, je l'ai
lu rapidement en ayant plutôt envie de connaître la suite,
mais la fin me paraît tout à fait improbable, peut-être
parce que je ne connais pas le désert : j'aurais préféré
suivre le bel amant
Les deux personnages ne se rencontrent vraiment
jamais - même si elle semble plutôt de bonne volonté -
sauf au lit
ça c'est plausible
Chacun suit sa route, lui son projet d'émigration, et elle ses
impulsions de petite fille riche.
Béatrice
Quel dommage ! L'affaire s'annonçait pourtant bien :
une histoire d'amour avec arrière-plan culturel à découvrir,
l'écrivaine irréprochable dans ses engagements et en plus
un début qui promettait des angles de narration originaux... Tout
y était... Suffisamment pour continuer, mais trop bancal pour ne
pas se sentir frustrée. Les originalités d'angles de vue,
de vocabulaire, d'expression tombent à mes yeux très souvent
un poil à côté (est-ce pareil en anglais ?), juste
ce qu'il faut pour se dire que cela aurait pu être bien. Mais cela
sonne maladroit ou alambiqué ou bizarre...
Pour voir si..., j'ai complété par la lecture d'un livre
très antérieur, Feu le monde bourgeois : agréable
à lire celui-ci, plus classique et riche de l'histoire politique
concrète du pays, mais peut-être y manque-t-il aussi le souffle
ou l'étincelle qui me donneraient envie de continuer avec elle,
Nadine G.
Katell
L'histoire aurait eu tout pour me plaire. Même si les débuts
sont assez convenus, le fait que l'héroïne parte dans ce pays
(qui a deviné lequel ? j'avoue ma paresse à essayer
de creuser pour trouver) constituait un joli tournant narratif. Hélas !
J'ai été profondément rebutée par le style.
Je n'arrive pas à rentrer dans ces tournures de phrases hachées,
heurtées... Parfois, je ne savais même plus de quoi il était
sujet. Et aussi, surtout, cette manière d'effleurer les choses,
les êtres... Sans consistance, on devine à peine qui ils
sont vraiment. D'ailleurs, l'auteur en fait l'aveu après le premier
tiers du livre, en écrivant qu'elle avait à peine décrit
son héroïne qui se révèle fadasse...
Enfin et surtout, ce pourquoi je ne rentre pas dans cette histoire, c'est
le statut de cet homme, de leur amour. Le titre est révélateur :
un AMANT de fortune... (en anglais, The Pickup mais je ne manie
pas la langue de Shakespeare pour comprendre la subtilité de la
traduction). Bref, pour moi, qui ai mes petites cases bien confortables
pour comprendre le monde, un amant n'est pas un compagnon, ni même
un mari (un compagnon ou un mari peuvent cependant être des amants
bien sûr...). Je n'ai absolument pas saisi de quel ordre était
leur attachement : amour ? Je me pose la question car rien dans
la narration n'indique une connivence, une complicité, un attachement
profond, mis à part qu'ils font bien l'amour ensemble (et en plus,
y a même pas d'érotisme, ni de sexe). Alors, là d'accord,
c'est un amant. Mais est-ce que pour un amant on part, on lâche
tout pour aller se plonger dans une culture différente ? Même
quand on est une enfant gâtée de l'Occident ? Enfin,
les pages dans cette famille, qui auraient pu être admirables (je
pense à ma propre expérience très brève de
vie commune dans une famille marocaine très modeste), sont complètement
ratées. Les scènes sont convenues, le choc des cultures
esquissé. Seules l'acceptation et l'ouverture de cette famille
face à cette étrangère m'ont paru assez intéressantes.
Je suis déçue par ce livre et cette auteur dont on m'avait
dit le plus grand bien. Pour la peine, j'ai enchaîné avec
Elisabeth Costello de Coetzee qui m'a profondément déroutée.
Si quelqu'un l'a lu, merci de m'envoyer un message, car j'ai très
très envie d'échanger sur ce livre.
Geneviève
The Pickup en anglais ? Une rencontre de hasard, qu'on a "ramassée".
Brigitte
C'est aussi un truc pour la musique.
Dominique
Ça renvoie aussi aux voitures.
J'aurais aimé lire le livre en anglais.
Jacqueline
J'ai aimé ce livre. J'avais lu ce roman il y a deux ans. Il se
lit très vite. J'avais été émue, mais il m'est
resté le sentiment de "l'eau de rose". J'aime le prologue :
imaginer une histoire à partir du geste d'une femme vue dans la
rue. Le style est direct, avec peu de dialogue, efficace. Il y a cet espèce
de merveilleux qui intervient : tout est coincé pour cet homme
et soudain, l'avenir s'ouvre. Je ne peux pas juger de la justesse des
descriptions, mais les milieux dépeints sont crédibles.
Je suis séduite, tout en restant en retrait par rapport à
cette "belle histoire" : le livre me paraît un projet
sympathique, cette jeune femme en rupture qui fait des choix qui ne sont
pas faciles. A la relecture, ma perception n'a pas changé, avec
un peu moins d'émotion.
Brigitte
Je n'avais jamais rien lu de Nadine Gordimer. C'est très facile
à lire. J'ai aimé le contrepoint : cette jeune femme
occidentale qui se retrouve immigrée dans un monde défavorisé.
Julie a une famille éclatée, s'est liée avec son
oncle qui a choisi de se marier avec une femme qui n'est pas de son milieu :
elle comprend plus tard la raison de son affection. Elle n'est pas préparée
à l'étrangeté, mais n'est-ce pas cela qu'elle recherche ?
Le négatif de sa famille d'origine ? N'avait-elle pas besoin
de se retrouver dans ce milieu très structuré ? Je
ne suis pas choquée par les interventions de la narratrice ;
cependant parfois je trouve le style confus quand l'auteur explique les
contradictions d'Abdou. Le couple a des ambitions qui se croisent. Si
le livre est intéressant, je n'arrive cependant pas à m'identifier
à un des personnages.
Dominique
Je n'ai pas aimé ce livre, même si le sujet est intéressant ;
j'ai ressenti de la colère. Pour moi, ce n'est pas un roman à
l'eau de rose. Il raconte la rencontre de deux illusions : illusion
d'Abdou quant à l'immigration aux USA, illusion de Julie quant
à l'authenticité du village d'Abdou. La problématique
est tout à fait contemporaine. La solidarité entre femmes
est elle-même une illusion. Que va-t-elle faire au long cours dans
cette famille, avec le désert au bout de la rue ? Comment
peut-elle se tromper à ce point, dans cette démarche new
age ! Julie serait ma copine, je la tancerais de façon virulente,
en lui disant qu'elle est folle
Les projets d'irrigation appartiennent
à la mafia, on le découvre. Lui aussi court à sa
perte quand elle va se perdre dans le désert. Ce n'est pas un roman
d'amour, c'est le croisement de deux êtres. J'ai été
agacée par des propos peu féministes sur les femmes "jacassantes"
L'auteur veut-elle provoquer des réactions ? Est-elle antiféministe ?
Par contre, il n'y a aucun racisme. Il y a peu de femmes qui se perdent
comme elles en s'installant dans une famille musulmane, alors qu'il y
a beaucoup d'hommes comme Abdou qui se perdent en Occident.
Liliane
Je parlerai tout à l'heure des glissements de points de vue, à
mon avis ce n'est pas l'auteur qui dit "jacassantes".
Claire
C'est quelle page ?
Dominique
Page 273.
Claire
Mais oui, on est dans la conscience d'Abdou : "il veut la
voir seule, sans l'appui jacassant des femmes". J'ai un copain
fana de Gordimer qui me dit qu'elle est loin d'être conservatrice,
et qu'il y a toujours dans ses livres des comportements au-dessus des
classes (ici un immigré clandestin/une bourgeoise) et hors normes
sexuelles (souvent l'homosexualité). Donc pas féministe,
m'étonnerait
Annick
Je n'ai pas aimé du tout. L'écriture m'a gênée,
m'empêchant de rentrer dans le livre. L'écriture me semble
informe. Peut-être est-ce mal traduit ? Le livre m'a donc laissée
totalement de marbre
La partie dans la famille d'Abdou m'a plus
intéressée de par l'aspect exotique et la description pleine
de respect, de tolérance : un beau tableau. Mais je n'ai pas
réussi à "approcher de près" les protagonistes.
Pourtant le propos - deux êtres qui ont perdu leurs repères,
leur rencontre impossible - est a priori intéressant. La fin
est aberrante ! Abdou est plus cohérent, mais Julie est floue.
Geneviève
Je n'ai pas eu le temps de le relire, c'est dommage. J'ai aimé
d'autres livres de Nadine Gordimer, plus forts. Elle a, comme d'autres
écrivains d'Afrique du Sud, un talent dans le domaine de l'ambiguïté.
Ce livre est bourré d'idées intéressantes, mais c'est
affadi. Beaucoup de bourgeois sudafricains sont comme Julie. L'auteur
respecte l'ambiguïté des personnages. La fin montre une assimilation
ou une mort à petit feu : on ne sait pas. On ne peut pas s'identifier
aux personnages, ce sont des marionnettes. J'avais le souvenir d'une écriture
forte, sombre, mais en feuilletant je vois des phrases alambiquées.
Claire
Je l'ai lu il y a deux mois et ai donc quasiment tout oublié :
avant de vous entendre je n'aurais pas su quoi penser. Après vous
avoir entendues, je suis d'accord avec tout le monde
D'après
mon copain qui adooore Gordimer, on n'a pas choisi le meilleur hélas.
Le sujet est original : elle sort de la question du post-apartheid,
elle est - vous l'avez souligné ("sympathique",
"pas raciste"), politiquement correcte, irréprochable
Chacune de vous dit des choses élogieuses, mais sans enthousiasme.
On est déçu. Je me demande alors qu'avec un tel sujet, je
suis sans élan, si je pourrais être passionnée par
un de ses grands livres, je ne sais pas si j'ai le courage d'essayer.
En tout cas, on ne laisse pas tomber le livre : elle sait mener son
affaire, sa narration, il y a un suspense.
Liliane
Je ne serai pas aussi sévère que vous, mais je reconnais
quand même que c'est un peu raté. Je suis d'accord avec Claire :
j'avais lu la quatrième de couverture où l'on dit que la
fin ne sera pas celle qu'on croit et comme dans un polar j'essayais de
deviner la fin ; ce fut le ressort de la lecture. Contrairement à
vous, la " tentative " d'écriture m'a touchée :
les glissements de points de vue ne sont pas faciles à suivre (celui
de la narratrice, celui de différents personnages), de même
que le passage du dialogue à la narration, il faut être très
attentif. Cela traduit bien la difficulté de donner un sens au
destin des personnages. Les descriptions sont les plus réussies,
nous donnent quelque chose à voir, la mère sur son sofa,
la réception : on VOIT. Bien qu'il y ait des investigations
psychologiques sous forme de monologues intérieurs à la
troisième personne, on ne peut pas s'identifier aux personnages,
car il y a peu de psychologie, un peu chez Abdou qui veut arriver
Françoise
partir surtout...
Liliane
et Julie qui en est revenue
L'auteur n'a pas de réponse
à nous donner. Elle décrit bien, donne des ressentis ponctuels.
On pourrait croire que l'auteur est omniscient, eh bien non, elle ne sait
rien. Quant à la fin, on peut en donner diverses interprétations :
elle court à sa perte, elle a trouvé la structure qui lui
convient, le désert représente une valeur éternelle,
stable. On peut faire des hypothèses à l'infini, c'est déroutant,
étrange. C'est un livre très honnête : elle n'a
pas la réponse, on a des bribes.
Je ne me suis pas ennuyée. J'aurais voulu relire en regardant comme
c'est fabriqué. J'ai détesté la première page
contrairement à Jacqueline. Et des italiques page 19, pourquoi ?
Françoise
Mes sentiments sont mitigés. Au départ j'ai été
agacée par les clichés. J'ai un peu ramé au début,
l'envie de connaître la fin m'a tenue. Les héros posent un
problème : on ne sait pas ce qu'ils pensent, on ne sait pas
s'ils sont amoureux. Abdou est un mystère, tout est ambigu
Geneviève
on a un indice très sûr p. 282 où l'on
parle de "l'amour qu'il lui voue".
Françoise
Quant à elle, elle a la révélation du désert
et fait un autre choix que celui de suivre Abdou. Malgré mes préjugés
défavorables de départ, l'auteur arrive à m'emmener
dans un univers inhabituel. Je l'ai lu donc avec un certain plaisir.
Dominique a apporté une interview de Nadine Gordimer dont voici
quelques extraits :
- A propos de l'héroïne : "Sa
rébellion n'est pas une révolte de classe, elle n'a aucun
caractère social ou économique. Julie est seulement ce que
dans les années soixante on appelait une hippie. Elle ne veut pas
vivre avec l'obligation d'avoir un statut social, elle désire se
sentir libre. (
) Elle s'oppose au matérialisme ambiant, mais
elle ne fait rien pour que des changements se réalisent. Et à
mon avis elle est dénuée de courage !"
- Sur les immigrés : "Pendant
que je rédigeais le livre, il y a trois ans, j'étais frappée
de voir à quel point de plus en plus d'événements
étaient liés à ce que j'étais en train d'écrire.
Vous vous souvenez peut-être de cette affaire de réfugiés
afghans morts dans un conteneur alors qu'ils tentaient de passer d'Italie
en France. Au même moment, d'autres essayaient vainement d'accoster
en Italie. D'autres aujourd'hui tentent de passer de France en Angleterre.
Le monde pauvre afflue vers des pays plus riches. C'est d'ailleurs pour
nous l'ironie de la situation. Pendant l'apartheid, nous vivions absolument
en huis clos. Personne ne pouvait entrer ni sortir. Avec mon passeport
sud-africain, pendant l'embargo, je ne pouvais pas bouger. Et maintenant,
nous sommes grands ouverts. Et viennent chez nous des mafias américaines,
pakistanaises. Les gens viennent de toute l'Afrique. Et même d'Asie,
de Corée du Nord !"
- Sur les hommes et les femmes, on fait cette remarque à Nadine
Gordimer : "Quand Abdou
revient s'installer avec Julie dans son pays d'origine, un état
musulman, vous semblez faire une distinction nette entre les hommes et
les femmes : les premiers paraissent n'aspirer qu'à reproduire
à leur échelle le modèle occidental, alors que les
secondes, très respectueuses de la tradition religieuse, sont porteuses
de valeurs qu'on pourrait qualifier d'humanistes."
- Nadine Gordimer répond : "C'est
parce qu'elles sont frustrées. Mais pour moi, en tant qu'athée,
il est difficile de comprendre comment des gens peuvent être ainsi
soumis par une religion. Que ce soient les musulmans ou les Juifs d'Israël,
que les femmes portent le tchador ou doivent se couvrir d'un foulard comme
chez les extrémistes juifs, je ne peux comprendre ni admettre qu'une
religion puisse conduire à ce genre de comportement. Alors dans
mon livre, au-delà de la religion, les femmes se serrent simplement
les coudes, pour gagner un peu d'espace."
(interview réalisé
par Jean-Claude Lebrun dans L'Humanité du 3 octobre 2002
; la chronique de JC Lebrun sur le livre :
http://www.humanite.fr/node/272433)
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