Ryû Murakami
Ecstasy

Nous avons lu ce livre en juin 2004.

Katell
Des obligations familiales m'obligent à ne pas être des vôtres ce soir... Je le regrette d'autant plus profondément que c'est la séance d'un de mes livres-cultes. Et que j'avais envie de frissonner si le livre est étrillé et soulagée si le livre est apprécié...
J'ai découvert ce livre - et en même temps son auteur - à sa sortie. C'est le titre qui m'avait attirée, ayant eu quelques expériences... Je me souviens avoir fait la réflexion : " Ce livre est cher, j'espère qu'il est bien... ". Et je ne l'ai pas regretté. Je viens de le relire, et je ne sais pas pourquoi il me fascine autant. D'abord, il y a la langue. Ce langage parlé qui coule, j'ai l'impression de parler moi-même... C'est encore plus frappant dans le second tome Melancholia, qui n'est qu'une grande confession de Reiko...
Les thèmes aussi : je pense que j'aurai littéralement ADORE vivre ainsi, l'argent qui coule à flot, le luxe, la drogue, les plaisirs extrêmes... J'ai parfois l'impression que ma vie est aux antipodes. Je m'y crois ! Enfin, la description de cette sexualité. Jamais je n'ai trouvé ce mélange de vraie perversité avec ce respect constant des autres (peut-être mis à part Mie). Le masochisme est abordé de manière radicalement différente des occidentaux, pour qui cela s'apparente à de la cruauté et non pas cette honte, si remarquablement décrite.
Pour celles et ceux qui ont aimé, je recommande surtout :
- Bleu presque transparent
- Les Bébés de la consigne automatique
Claire
J'ai lu ce livre dans l'avion Paris-Tokyo, dans des conditions donc rêvées, il y a bientôt deux mois : heureusement que j'avais pris quelques notes, car j'ai tout oublié sauf ma déception, accrues par les louanges de Katell qui nous avait proposé ce livre avec force superlatifs pour nous changer un peu de nos lectures pépères… Je me suis dit qu'il fallait peut-être essayer d'autres livres : j'ai regardé en librairie, la grosseur des livres m'a un peu repoussée, j'ai insisté, les couvertures m'ont semblé racoleuses, avec un côté marge systématique et stéréotypée ; j'ai feuilleté, rien ne m'a accrochée. Pourtant, j'ai rigolé plusieurs fois dans Ecstasy, par exemple : " c'était un compositeur qui écrivait de la musique assez originale. Tu ajoutes Mozart à Bach et tu divises pas deux, tu vois le genre ", ou " j'ai eu des orgasmes, de gros orgasmes et de petits orgasmes, des orgasmes de souris blanche et des orgasmes de baleine, pour vous donner un point de comparaison ". Mais bon, c'est assez facile et d'une façon générale, j'ai trouvé l'écriture inintéressante. Les changements de locuteur fréquents (on ne sait plus qui parle tout à coup) sont énervants (une sorte de négligé qui voudrait faire mode ?). Les personnages ne sont pas vraiment intéressants ; j'ai suivi le récit pour savoir ce qui allait se passer, en espérant que ça finirait par me plaire ; la fin est vraiment ratée avec l'artifice qu'on ne pardonnerait pas à un débutant (je meurs mais j'écris en mourant…). Les valeurs trimbalées par les personnages (et l'auteur ?) sont fatigantes (le fric, les marques, le pouvoir) ; on a parlé d'univers " cocaïne chic " à la Beigbeder, je trouve ça assez juste ; pourtant on pourrait rencontrer des personnages minables ou pourris dans un univers glauque et que tout soit passionnant, mais la vision stéréotypée qui nous en est donnée se retrouve dans l'écriture qui ne sauve donc rien : on ne dit pas une cigarette mais une Marlboro, on ne dit pas un pull mais un cachemire, les doigts sont " d'une blancheur à vous crever les yeux ", les ongles " fragiles comme du cristal " ; et quand l'auteur essaie de se dépasser ça donne " ses doigts étaient abstraits, comme un parfum peint sur une toile ", ce qui est dénué de sens. Les références sont très nombreuses, de Santana à Fellini en passant par Sartre et m'apparaissent superficielles, comme des marques. Quant aux passages de " réflexion ", c'est assez blablateux, plat.
Au mieux, c'est pour moi un documentaire sur la drogue.
Françoise
Je me suis accrochée, car bien que ça se lise facilement, je n'ai pas trouvé un intérêt qui me tienne en haleine, hormis de savoir peut-être comment l'histoire allait se terminer.
Je ne suis pas entrée dans ce récit de drogue et de SM. L'auteur a l'air de nous dire qu'il y a une relation, mais je ne le crois pas. D'après ce que je sais, l'ecstasy en effet développe l'appétit sexuel, mais ne le créé pas. J'ai trouvé tout cela triste, et c'est sans doute ce que l'auteur a voulu nous montrer : le côté trash, la noirceur d'un certain aspect de la société (japonaise ?), déjantée, ayant perdu tout repère, le plaisir avant tout, etc. Mais dans ce cas je trouve que l'écriture n'est pas à la hauteur (pour cela il faut s'appeler Hubert Selby), elle est très cafouillis, de même que la construction, on ne voit pas très bien où l'auteur veut en venir, tout cela est très artificiel. Il n'y a aucun humour, aucun recul, le narrateur est nul.
Katell voulait nous remuer en nous proposant ce livre, parce qu'il " déménage " disait-elle ; mais personnellement, je trouve par exemple Coetzee autrement plus "déménageant".
Jacqueline
J'avais beaucoup aimé Les Bébés de la consigne automatique. J'avais un préjugé favorable. Je l'avais lu en entier il y a plusieurs mois mais n'en gardais aucun souvenir. Je ne peux pas entrer dans cet univers. Ça ne m'intéresse pas.

Claire
Mais est-ce vraiment en raison de l'univers ? Tu as aimé Jauffret et l'univers est sordide.

Jacqueline
On ne peut pas s'identifier aux personnages. C'est un rejet. J'ai lu d'autres livres de l'auteur qui a écrit des choses très différentes : Lignes, avec des histoires séparées, une par chapitre, et à la fin de chaque chapitre un personnage apparaît qui fait le relais avec l'histoire suivante. J'ai lu aussi Kyoko. Mais Ecstasy ne m'a pas intéressée.
Brigitte
Je n'aurais pas conseillé Ecstasy au groupe lecture. Je n'ai pas aimé. Je ne trouve pas l'écriture si mauvaise que vous dites, puisqu'elle m'a tenue : une certaine structure crée le suspense ; l'auteur sait écrire, retenir l'attention. Je manque peut-être d'expérience d'ecstasy et de sado-masochisme, mais ça ne m'intéresse pas. Je trouve écœurants ces gens qui vivent pour dépenser de l'argent et sont malheureux, qui recherchent un plaisir qu'ils ne sont même pas sûrs de trouver. Le SDF riche à millions, ça me choque d'en faire le héros. J'ai été voir un film coréen, La Femme est l'avenir de l'homme : le héros a une aventure avec une jeune femme qu'il partage avec ses copains, dans une atmosphère plus d'alcool que de drogue, et de désespoir. Je préfère le film au livre qui ne m'a pas plu.
Je rapporte l'avis de Monique qui trouve qu'il manque à ce livre une écriture de drogue.
Peut-être Katell a raison à propos d'une approche différente de la honte par les Japonais.

Françoise
Qu'est-ce qu'elle nous écrit Katell ? " Jamais je n'ai trouvé ce mélange de vraie perversité avec ce respect constant des autres (peut-être mis à part Mie). Le masochisme est abordé de manière radicalement différente des occidentaux, pour qui cela s'apparente à de la cruauté et non pas cette honte, si remarquablement décrite. "

Claire
Katell ne connaît rien au sado-masochisme… Le SM consiste à faire souffrir mais aussi à humilier et à faire ressentir de la honte, c'est international, comme dit l'auteur, en comparant ça aux bagages Vuitton.

Françoise
Et quel respect ? Les personnages n'en ont pas.

Brigitte
On lui fait transporter de la drogue au risque de mourir, c'est ça le respect ?

Claire
Est-ce que les autres livres sont à la première personne comme celui-là ?

Jacqueline
Non, pas ceux que j'ai lus.

Claire
Je me demande si cette première personne ne lui joue pas des tours, car le narrateur est inintéressant et on n'a que son regard, terne.

Brigitte
Il n'a pas de recul sur les personnages et leur manière de vivre inintéressante.

Françoise
Je persiste à penser que la traduction y est pour quelque chose.

Claire
En tout cas, Katell doit s'expliquer davantage, car elle ne nous en pas assez dit pour qu'on comprenne son amour de ce livre.

Katell
Voilà, voilà…
C'est vrai, j'en dis peu sur mon attirance pour ce livre. J'ai, en fait, assez peu de " raisons objectives ". C'est un tout. Ma part obscure peut-être. Comme avec la peinture de Francis Bacon...
Je peux citer (ce que j'ai fait dans mon avis) deux ou trois trucs qui me paraissent évidents. Cela procède d'une vraie fascination. C'est même une référence. Peut-être par les expériences qu'il raconte : c'est tellement ÇA ! L'amour sous X avec sa copine (au début), la sensation de la coke dans les narines et dans la gorge, le goût de la Corona... Mais ça va encore plus loin. J'ai vraiment l'impression de parler quand je lis. Le rythme, les références, le coq-à-l'âne, les envies, les remarques, les sensations... Je suis littéralement en train de les vivre ! Je sniffe, je suis écartelée, je fouette, je dégobille, j'ai ma bite qui me démange, je suis tour à tour un pervers plein de fric, une maîtresse froide et calculatrice et un petit mec soumis... C'est la puissance de la littérature.
Pour répondre à quelques remarques :
Lignes et Kyoko sont bien, mais Kyoko déménage moins. C'était d'ailleurs ma première idée de titre pour mettre Murakami au programme du groupe lecture. Un bouquin plus pépère (y a pas de sexe, ni de drogue). Les bébés... c'est mieux.
Comparer Coetzee et Murakami : j'adore les deux. Ils me "parlent" mais sur des registres différents (quoique... dans Michaël K...).
- Le narrateur "terne" : il n'est pas terne, il est soumis...
- Euh, c'est de la provoc Claire quand tu affirmes que je ne connais rien au sadomasochisme ?…


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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