Elisabeth Badinter
Fausse route

Odile Jacob

Katell
Plaisir avec ce livre qui se lit tout seul, de l'écriture fine d'Elisabeth Badinter, de sa réflexion simple mais jamais simpliste et du thème - naturellement ! - qui m'est cher. Cependant, fait-elle une simple analyse ou dénonce-t-elle ? Ce n'est pas toujours très clair. Si elle dénonce, je trouve son propos un peu tiède. Elle s'attarde beaucoup sur ce que je juge être - de mon point de vue - des problèmes mineurs (pornographie, victimisation, harcèlement sexuel), même si les mots et les messages véhiculés ont un sens et une portée... Pour moi, le véritable enjeu du féminisme, la lutte qu'il est urgent de mener et qui touche TOUTES les femmes, c'est l'égalité professionnelle. Même si c'est remarquablement abordé dans le livre, c'est dommage que si peu de pages lui soient consacrées. Lorsque l'égalité professionnelle sera acquise, il ne sera plus question de « salaire maternel », de « concilier vie professionnelle et vie familiale », de « harcèlement et victimisation des femmes » ou encore de « parité »... Parce que les petits ruisseaux font les grandes rivières, nous venons d'obtenir dans mon entreprise la mise en place d'une commission paritaire (syndicats/direction) sur l'égalité homme/femme. Actuellement, l'examen des chiffres est accablant : rémunérations, nombre de femmes aux postes d'encadrement et accession à la formation professionnelle...

Monique
« Les femmes », « Les hommes », « Les handicapés », « Les noirs », « Les débiles »... Il n'y a que des êtres humains, tous différents et uniques. Tous les discours généralisateurs, qu'ils soient traditionnels ou féministes sont oppressants. Certaines personnes, certains groupes croient savoir pour les autres, s'érigent en défenseurs de « victimes » sans se rendre compte qu'ils en font eux aussi leurs objets, comme des rapaces qui s'arrachent leurs proies. Exemples : ceux qui militent contre le port du voile parce que les femmes musulmanes sont manipulées... Les pauvres !!! (Leur a-t-on demandé ? à toutes ? Sommes-nous prêts à entendre leurs paroles ? Ou pensons-nous comme certains islamistes purs et durs qu'elles ne peuvent pas penser par elles-mêmes ?). A la maternité, ma voisine de chambre était une jeune femme portugaise de 21ans mère pour la troisième fois. Malgré le défilé incessant de blouses blanches, roses, vertes à son chevet pour l'« informer », elle a toujours refusé les ordonnances de contraception qu'on lui proposait. Alors, à bout d'arguments, on est venu poser sur sa table de nuit une boîte de pilules, sans ordonnance. En fait, elle n'avait rien contre la contraception (et même...), mais elle était radieuse de la naissance de ses enfants et se voyait bien en avoir d'autres. Il y a aussi ceux qui savent si une femme doit allaiter ou pas, s'arrêter de travailler pour les élever ou pas, avoir un amoureux, ou plein, ou pas. Chaque être, homme ou femme, jeune ou vieux... suit son chemin, construit sa vie selon son histoire, ses possibilités, ses désirs, ses goûts, ses empêchements aussi... Les discours que rapporte le livre m'effraient tous plus les uns que les autres. Je les trouve tous dangereux. Quand un homme parle pour les femmes, c'est horripilant. Mais quand une femme parle pour les autres, toutes les autres, ce n'est pas mieux. L’égalité des sexes, je ne sais pas ce que cela veut dire. La seule chose pour laquelle on peut se battre, c'est l'égalité des droits devant les lois (travail, salaire, famille, retraite...). Le reste, c'est affaire de personnalités. Tous les hommes et toutes les femmes ne sont pas bâtis sur le même patron : les forts de caractère, les faibles, les drôles, les entreprenants, les contemplatifs... Et quel bonheur !!!

Claire
Quel dommage que Monique nous ait envoyé son avis et ne soit pas présente, car elle ne parle pas du livre. Elle donne son avis personnel sur le sujet, mais sans rien dire du livre !

Loana
Je n’avais pas envie de lire ce livre car je n’aime pas Badinter.

Claire
Pourquoi ?!

Loana
Elle n’est pas claire. J’ai eu l’impression de lire Marie-Claire, sans les images et sans horoscope. C’est de ce niveau. Les sources elles-mêmes sont uniquement journalistiques.

Françoise
C’est faux, elle cite des enquêtes, des essais !

Loana
Son avis n’est pas clair du tout. Qu’est-ce qu’elle dit dans ce livre ?

Françoise
On va t’expliquer si tu n’as pas compris…

Loana
Je suis très choquée par ce qu’elle dit sur la prostitution. Je ne vois pas ce que ce livre fait avancer. C’est bien qu’elle parle de la violence des femmes, j'ai eu l'occasion de discuter avec un homme battu. Mais elle juxtapose ce qu’elle a lu dans les journaux.

Françoise
Quelle mauvaise foi !

Loana
Elle n’articule rien. Elle est même contradictoire !

Claire

Où ?! Où ?!

Loana
Les problèmes économiques ne sont pas abordés. Si c’était un mémoire d’étudiant, je le refuserais. Bref, ce livre m’a fâchée….

Brigitte
Mais ce n’est pas un mémoire d’étudiant. C’est un essai « grand public ».

Claire
Mon avis est complètement contraire. Là où Loana voit un livre journalistique, je vois un essai facile à lire, car la pensée est claire et bien articulée, on suit aisément la logique de la démonstration. A quelques réserves (qui sont plutôt des questions) près, j’adhère à tout ce qu’elle dit. C’est vrai qu’on a envie de lui poser la question : pratiquement, on fait quoi ? Comment ça se passe avec votre mec (je suis prête à admirer son couple…). Mais son propos est de dénoncer. Elle montre, elle démontre même, comment se décline de façon effrayante le politiquement correct par exemple, elle a raison de désigner l’impasse, la fausse route que prennent les féministes : les outrances concernant le harcèlement, le dressage pour faire pipi comme les filles, c’est hallucinant ! Quant à la pédiatre E.Antier…, on craque ! Elle démonte les idées reçues : la douceur des femmes, leur sexualité gnangnan, l’instinct maternel. Je trouve que tout est juste. Ce qu’elle dit sur le foulard est, vu l’actualité, pertinent : on se dit qu’on a vraiment raté le coche. Sur la prostitution, je la suis complètement, je suis tout à fait contre les positions de Gisèle Halimi.

Loana
Quand à diplôme égal et opportunités égales, je verrai quelqu’un choisir la prostitution comme orientation professionnelle, je changerai d’avis !

Claire
Je trouve aussi intéressante son affirmation : « il y a bien moins de différences entre un homme et une femme de même statut social et culturel qu’entre deux hommes et deux femmes de milieux différents. » Les liens qu’elle fait avec la tolérance dangereuse aux coutumes des immigrés (excision, etc.) sont éclairants. Elle mouche Luce Irigaray qui déconne, Antoinette Fouque qui déraille, et la Sylviane, elle ne la loupe pas ! Quand j’entends la femme de Jospin sur les femmes, l’homoparentalité, etc., je pousse des cris. Sur l’essentialisme qu’elle dénonce, je la suis entièrement, et depuis longtemps : j’avais consacré ma maîtrise (en 1978, il y a 26 ans…), à l’existence supposée d’une écriture féminine : l’impasse et la fausse route étaient déjà en place ! Quant à l’écriture, elle est parfois relâchée, avec des phrases infinitives un peu paresseuses, mais dans l’ensemble elle est efficace, ferme, avec des formules fortes : « La femme prisonnière de sa nature, les hommes sommés de changer de culture. » ou parfois drôles, au sujet de l’éradication de l’hormone de l’instinct maternel chez les souris qui les rend indifférentes à leurs mignons souriceaux : « Avec un peu d’imagination, on finira par penser que la femme est une souris comme les autres. » Et j’apprécie son point de vue équilibré, et du côté des femmes et du côté des hommes.

Loana
Mais qu’est-ce que ce livre apporte ?! Rien !

Claire
Ce livre me fait réfléchir, il me rend attentive, il déjoue mes propres stéréotypes et idées reçues.

Brigitte
C’est parce que je vous aime bien que j’ai lu ce livre, car j’ai des choses plus intéressantes à lire… J’ai détesté les féministes, toujours excitées et perpétuellement hystériques.

Claire
Tu ne parles que de la caricature.

Loana
C’est quand même grâce grâce aux féministes et aux francs-maçons qu’on a la contraception et la liberté d’avortement.

Brigitte
C’est surtout la science qui a permis la contraception qui existait d’ailleurs sous d’autres formes.

Loana
Mon médecin donnait à ma mère un cocktail de médicaments alors que la pilule n’existait pas et qui était équivalent.

Claire
On parle pas du livre.

Brigitte
Ce livre n’est pas de la littérature…

Françoise
C’est un essai…

Brigitte
… et c’est un peu chiant. J’ai lu un policier américain Échec et mat de Stephen Carter qui parle d’Andrea Dworkin. Faire faire pipi assis aux garçons atteint les sommets de la connerie. Le voile, ça a commencé à m’intéresser. Le livre m’a remise à jour concernant le mouvement féministe, en cela il m’a intéressée et je suis contente de l’avoir lu. La France, seul pays laïc, ça ça me frappe…

Françoise et Loana
… y a aussi la Turquie !

Brigitte
L’analyse d’Elisabeth Badinter m’intéresse sur l’instinct maternel : j'avais écouté plusieurs débats sur ce sujet, où elle participait. La mise en évidence du fait que le sentiment maternel n'est pas une donnée universelle m'avait paru très intéressante et nouvelle. Sur l’allaitement, je vois bien dans ma famille au long des générations, les mouvements de balanciers : on y revient, avec ce retour à la nature ; en fait, on retrouve le même désir de pureté à l’extrême droite ou dans l’écologie, on délire, c’est une illusion.

Loana
Éplucher des haricots, pour moi c’est complètement exotique. J’ai découvert les purées de toutes les couleurs.

Claire
Pour moi les haricots surgelés, ce sont des haricots…

Loana
…frais.

Claire
Tout à fait.

Françoise
Chacun(e) a retenu ce qui l’intéressait le plus. Elisabeth Badinter aborde beaucoup de sujets. Peut-on lui reprocher de ne pas avoir approfondi chacun ? ça ferait un livre de 600 pages totalement indigeste... Pour ma part, j’ai surtout retenu la tendance actuelle à victimiser les femmes, mais tout m’a intéressée, et je lui suis reconnaissante d’avoir écrit un essai facile à lire, pas chiant, que j’ai reçu comme un appel à la vigilance, qui m’a rafraîchi la mémoire, et m’a aidée à me repositionner : vis-à-vis du voile, de la prostitution, du politiquement correct, qui parfois me posent question… Donc, je la suis. Certes, elle analyse, démontre, démonte, mais ne donne pas de « solution », l’eût-elle fait qu’on l’aurait trouvée bien présomptueuse, non ? Je suis d’accord pour défendre avec elle Simone de Beauvoir, éviter de faire de l’anti-mecs (même si c’est parfois tentant), lutter contre la victimisation générale, ne pas tomber dans la « catégorisation » et le manichéisme (Monique, je te signale qu’elle dit la même chose que toi..), dire que la différence sociale est bien plus importante que la différence sexuelle et que le critère biologique est une régression. Elle a raison de parler de lutte des classes, ça fait ringard, mais pourtant... Oui elle a raison (avec Katell), la première et fondamentale condition à l’égalité, c’est l’indépendance économique, même si elle n’est pas forcément suffisante. Et y a du boulot ! Mais je conclurai sur une note moins pessimiste ; je connais beaucoup de jeunes couples dont l’homme s’occupe autant que la femme de la maison et des enfants : une petite lueur d’espoir ? Enfin, je suis surprise des réactions très négatives - de la part de femmes, n’ayant pas eu d’avis d’hommes - que suscite ce livre (ou plutôt son auteure peut-être ?). J’aurais bien aimé avoir l’avis de Geneviève, Annabel, Maryline…

Claire
… et de Christine, de Martine, de Sandrine, de Jacqueline, de Sabine, Marie-Christine (que de …ine), de Liliane, de Renée, de Marie-Jo, de Lil, de Nicole, de Muriel... et bien sûr de Manuel et de notre Fernando national.

Loana
Je me souviens de l'inconscience d'une étudiante qui, il y a quelques années, après un parcours scolaire sans fautes s'est retrouvée en sortant d'une grande école d'ingénieur confrontée au fait que les recruteurs lui préféraient des hommes. Je ne nie pas la nécessité de parler des violences faites aux femmes, ni des dérives de la lutte des femmes occidentales, mais la conception parisianiste du féminisme (critique du féminisme états-unien) de Badinter me parait ridicule mais surtout minuscule par rapport à la situation des femmes dans le monde, y compris en France, et je parle aussi du livre puisque je maintiens que son livre n'est ni fait ni à faire : mal documenté, mal structuré et mal argumenté. Parler de la façon dont le sujet d'un ouvrage de soi disant réflexion est posé, c'est aussi parler du livre.
J'ajoute donc encore que je tiens à la disposition de tou(te)s un documentaire sur « les petites mariées d'Abyssinie : témoignages et images, parfois insoutenables, sur le mariage précoce de fillettes en Éthiopie » (Le Monde) qui est passé sur la 5 cette semaine. On peut lire aussi Bas les voiles de Chahdortt Djavann chez Gallimard ou Une si longue lettre de Mariama Bâ et tant d'autres livres et tant d'autres films qui eux dénoncent réellement, qu'ils s'agissent d'essais et de documentaires ou de romans et de fiction. Je citais l'autre soir Maternité esclave par des signataires du manifeste des 343 en 10/18, je précise que ce livre date de 1975 ! sur l'instinct maternel : voir les pages 74 à 102. Ce sujet et ce livre suscitent décidément des réactions violentes de ma part !


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« Les stéréotypes d'antan, pudiquement appelés "nos repères", nous enfermaient mais nous rassuraient. Aujourd'hui, leur éclatement en trouble plus d'un. Bien des hommes y voient la raison de la chute de leur empire et le font payer aux femmes. Nombre d'entre elles sont tentées de répliquer par l'instauration d'un nouvel ordre moral qui suppose le rétablissement des frontières. C'est le piège où ne pas tomber sous peine d'y perdre notre liberté, de freiner la marche vers l'égalité et de renouer avec le séparatisme.
Cette tentation est celle du discours dominant qui se fait entendre depuis dix ou quinze ans. Contrairement à ses espérances, il est peu probable qu'il fasse progresser la condition des femmes. Il est même à craindre que leurs relations avec les hommes se détériorent. C'est ce qu'on appelle faire fausse route. »
E.B.