Jean-Marie Déguignet
Mémoires d'un paysan Bas-breton

Nous avons lu ce livre en janvier 2004.

Claire
Merci à Monique d'avoir proposé ce livre. Je suis enthousiasmée. J'ai eu une légère lassitude au début, jusqu'à ce qu'il devienne vacher. C'est une personne extraordinaire avec un défaut : il est misogyne, mais on ne s'en rend compte qu'à la fin. Au début il est ignorant de tout alors qu'il cite Molière, Newton… L'attitude du fils qui le rejette est un peu difficile à comprendre ; ne serait-il pas insupportable ?
Annick
Je l'ai terminé hier soir. Je suis surprise par son regard. Comment ce malheureux fils de paysan a-t-il pu se façonner un tel esprit ? Le récit des guerres et l'analyse qu'il en fait contrastent avec une certaine naïveté. Il croit que l'origine de ses capacités intellectuelles vient de son accident à la tempe. Dans sa relation avec les femmes, il est complètement désarmé. Il y a de la verve dans la narration, les scènes de batailles. J'ai manqué de temps pour lire la fin, cette dégradation…
Geneviève
J'ai eu du mal à m'y mettre. J'étais repoussée par l'ambiance glauque, sinistre. J'ai commencé à être intéressée quand il devient soldat et qu'il part. C'est la période où il a le plus d'esprit, particulièrement au Mexique. Il y a ambivalence : il est touchant, mais il ne se remet jamais en cause, dans ses problèmes avec ses enfants, avec le monde entier, etc. Il est paranoïaque, mais il y a toujours chez lui cette soif d'apprendre. C'est remarquablement écrit ou retranscrit, on voit son rapport au français et au breton et les différences sociales entre ceux qui parlent français et les autres. L'histoire de la publication est un roman dans le roman, avec la relation de l'auteur et son éditeur, qu'il déteste.
Françoise
Je ne regrette pas de l'avoir lu. Cela m'a beaucoup intéressée, surtout le côté sociologique. On a -ce qui est rare- un récit des conditions de vie des pauvres dans cette Bretagne vu de l'intérieur. On voit la mainmise de l'église et des seigneurs (qui décident du mariage de leurs paysans !), on est quand même fin 19ème ! Le personnage n'est pas attachant, si ce n'est par sa soif de savoir et son anticléricalisme, plus son anti-religion, que je trouve admirables et courageux, particulièrement pour l'époque. Il crache sur les Bretons, mais après tout ce qu'il a vécu, il retourne à l'endroit d'où il vient. Ce qui illustre très bien mon intime conviction qu'on n'échappe pas à ses origines. Il se laisse bouffer la laine sur le dos par sa jeune femme, ce qui semble surprenant vu son caractère par ailleurs très fort, mais à l'époque, c'était le matriarcat en Bretagne paraît-il, avec toutes ces femmes de marins qui restaient seules pendant des mois.. J'ai évidemment noté aussi sa misogynie, et sa parano grandissante, assez pénible vers la fin du livre. Je me demande tout de même s'il ne fabule pas un peu, par exemple quand il dit qu'il a écrit au roi Maximilien, au Mexique… ?
Brigitte
J'étais bloquée dans ma voiture, et j'ai entendu sur France-Culture une émission consacrée à Déguignet. J'en ai parlé à Monique car j'ai pensé que ça l'intéresserait et en effet, elle l'a lu. Dans l'émission, on interviewait les descendants de l'auteur, qui n'avaient jamais lu ce livre, car "il a trop de pages" ! Personnellement, j'ai été intéressée par l'aspect historique, ethnographique, par le point de vue d'un troufion qui fait toutes ces campagnes ; et par le point de vue d'un pauvre sur la vie des pauvres. J'ai l'impression qu'il brode un peu : je ne crois pas que Napoléon III et Eugénie se soient fait sacrer à Reims (???). On voit ce qu'est la vie d'un responsable d'un bureau de tabac. Ce type doit être fou depuis le début, c'est vital pour lui de remettre en question le monde qui l'entoure. Il devait être chiant avec tout son entourage, sa femme, ses enfants. Il est dans une grande solitude. Il n'a d'affection pour personne. Que serait-il devenu s'il était né dans une famille qui lui avait fait faire des études ? La mainmise de l'église est incroyable. La Bretagne refuse la séparation de l'église et de l'état. C'est une écriture torrentielle. Ce type ne pouvait pas vivre sans écrire, ça m'a fait penser aux Chants de Maldoror, bien que l'écriture soit très différente.
Loana
Vous avez déjà tout dit. Je l'ouvre complètement pour le donner à une tante bretonne. J'adopte l'auteur comme arrière-grand oncle. On a affaire à un cinglé. C'est davantage un livre d'ethnologie. C'est incroyable que ces écrits nous soient parvenus. Il dit l'injustice sociale, il a une avidité intellectuelle, il est fascinant. C'est un précieux témoignage. Je ne le relirai pas, mais je le donnerai à lire.
Liliane
J'ai beaucoup aimé cette autobiographie, y compris ses excès et ses faiblesses, bien que ces cahiers soient déjà bien élagués. La vie hors du commun de Jean-Marie Déguignet, son caractère entier, tout orienté vers la connaissance et la recherche de vérité, sa ténacité même quand il paie très cher ses engagements et son refus de concessions, m'ont passionnée et émue. Bien sûr, on dit que beaucoup d'hommes ont vécu de semblables aventures humaines : engagement dans l'armée pour sortir de la misère et de l'ignorance, apprentissages difficiles, trahisons familiales et vie maintes fois recommencée... Mais cette fois c'est écrit et parfois étonnamment bien écrit. J'ai regretté de ne pas être d'origine bretonne pour avoir cette jubilation de reconnaître la langue et les traditions du pays natal, j'aime reconnaître le cauchois de mes grands parents chez des écrivains normands. Cependant je connais bien ce coin de Bretagne, des Bas-Bretons cet été m'avaient déjà parlé de ce livre, mais n'ayant pas la mémoire extraordinaire de Déguignet, je l'avais oublié ainsi que les quelques mots qu'ils avaient essayé de m'apprendre. L'auteur a très bien décrit la rupture sociale et familiale d'un manant qui accède à l'éducation : "Un malheureux qui a un savoir est doublement malheureux". La solitude, surtout celle de la fin, est terrible. Ce tiraillement entre les deux mondes, rural et intellectuel, fait toute la richesse de la personnalité et de l'écriture : un penseur bien ancré dans la réalité, qui ne s'en laisse pas conter. J'ai apprécié son esprit caustique et ne suis pas prête à oublier l'anticléricalisme réjouissant, la relecture des Testaments, les 12 bandits galliléens cuvant leur vin, l'allègre voleur de cochons de Génézareth, le doux Jésus devenu mendiant musclé... Les "embrouilleuses de légendes" m'ont aussi beaucoup réjouie, j'ai pensé aux Frères Grimm notant pieusement leurs récits populaires. Je pourrais évoquer aussi l'armée passée au crible, les "machines à couper les bras", le débat sur l'école et la méthode Déguignet, que de sujets encore actuels !
Mais les vérités ne sont pas bonnes à dire et les dernières pages sont pathétiques : la mort du second fils, la noce de l'aîné où il n'est pas convié, sa misère dans le grenier avec comme ultime secours : l'écriture. Le livre refermé, j'avais vraiment l'impression de quitter quelqu'un qui me parlait.
Christine
Moi aussi j'ai été très intéressée. Des Contes de Grimm à cette œuvre, le passage est formidable. Le côté témoignage de la misère, je n'avais jamais lu ça. La misère, la méchanceté m'écrasent. Jamais un moment de répit. Aucune amitié ou amour. J'ai trouvé antipathique le personnage tout en étant admirative. Il méprise tout le monde, les Bretons, les pauvres qui méritent leur sort. Il ne fait aucun effort pour apporter aux autres. Il est incapable de partager, ses amitiés sont superficielles. On ne le voit pas enseigner à ses enfants. Je sens aussi une folie monter dans son existence. A partir de son mariage, j'ai commencé à avoir des doutes (la scène d'amour est émouvante). J'ai aimé sa jeunesse, quand on lui apprend à mendier. Il est courageux de s'opposer au système, son anticléricalisme le met au ban de la société. Quand il travaille dans la ferme modèle, c'est extraordinaire. J'ai beaucoup aimé qu'il s'engage pour voir du pays, avec tous ces cheminements à pied. Il n'a jamais quelqu'un à son niveau. C'est l'histoire d'un enfermement chez quelqu'un qui s'ouvre de plus en plus au monde. Moi aussi, comme Loana, j'ai glissé des histoires de Déguignet au réveillon.
Monique
Ma question de départ était : est-il possible d'apprendre à lire tout seul ? En fait, non. J'ai été emballée, fascinée par ce livre. Ce type est complètement fou, pas très sympathique. On a l'impression qu'une caméra nous ballade dans cette région, à cette époque. Il n'existe pas de livre qui ressemble à celui-là, avec un tel souffle. J'ai besoin pour comprendre l'histoire de la vie d'individus. C'est passionnant sur le plan humain. JMD ne s'autocensure jamais. Il raconte des choses très fortes dans le milieu où il vivait, des choses qu'on ne raconte pas d'habitude, la sexualité, les croyances (le chat noir). JMD n'aurait pas eu tous ces défauts, il n'aurait jamais fait tout cela. C'est passionnant de voir l'Italie, l'Algérie par ses yeux. Mais pourquoi rentre-t-il chez lui après l'armée ? L'histoire du mariage, c'était une aubaine pour lui d'avoir une maison, des terres, une femme. La nuit de noces semble imaginaire. S'il n'avait pas été aussi fou, il aurait pu jouer avec l'humour, par exemple quand il raconte son séjour à Jérusalem. A la fin, cependant, dans les dernières lignes, il s'en réfère à Dieu…

On peut visiter le site du Centre Déguignet qui a "pour objectif de vous faire découvrir des informations inédites sur cet étonnant voyageur du bout du monde, chroniqueur iconoclaste de la dernière moitié du 19e siècle. pour objectif de vous faire découvrir des informations inédites sur cet étonnant voyageur du bout du monde, chroniqueur iconoclaste de la dernière moitié du 19e siècle".

 

Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens

Les "Mémoires" de Jean-marie Deguignet constituent un document social et humain majeur sur la vie rurale au XIXe siècle. Homme parmi les hommes, il connut néanmoins un destin exceptionnel. Le journal qu'il tint toute sa vie reste sans égal dans les annales du temps.