À la fin de l'année 1974, le journaliste Orlando Barone eut l'idée de réunir autour d'une table les deux " lions " de la littérature argentine, Borges et Sabato. Les deux auteurs vont alors de livrer avec passion et non sans malice à une joute amicale dans laquelle ils mettent au clair leurs divergences d'opinions et de tempérament. Des thèmes aussi variés que la réalité et les rêves, l'idée de Dieu, l'amour, l'art de traduire, le tango, le théâtre et le cinéma s'entremêlent constamment à une multitude de disgressions qui composent une vaste mosaïque de l'intellect et de l'imagination.
Jorge Luis Borges
Ernesto Sabato
Conversations à Buenos Aires

Nous avons lu ce livre en juin 2005. Nous avions lu :
-
de Sabato Le Tunnel le mois précédent
- de Borges Le Livre de sable le mois précédent ; et nous lirons ultérieurement
Fictions en 1989.

Françoise O
Je n'ai pas beaucoup aimé le livre : un peu prétentieux, la démarche artificielle, parfois presque des banalités. Par contre, certains passages m'ont permis d' " entrer " dans les contes de Borges : "La nouvelle est un songe bref, une courte hallucination", "Sans rêve, on ne pourrait pas vivre, sans imaginaire non plus". Et pour Sabato : "La folie m'a toujours fasciné".
Manuel
Ces auteurs sont de telles institutions que je ne voudrais pas en dire du mal… : deux figures majeures de la littérature latino-américaine ! La couverture force le respect : Borges assis, une canne à la main, le regard vide, photographié par un groupie derrière une vitrine… Bref. Je commence donc ma lecture. Le prologue est à l'avenant : vraiment, on s'y croirait. Malheureusement, j'ai très vite déchanté. J'ai eu l'impression d'être en présence de deux puits de cultures qui étalent des références à n'en plus finir pour soutenir leur propos. Ça me dépasse et le propos devient malheureusement flou. Ma lecture est plombée. Je pense aux filles de la séance dernière du Le Livre de sable qui avait un QI de géranium… Moi, j'ai une culture de pensée. À de rares moments, ils nous font quand même revenir à leur réalité : la mère mourante, l'Argentine de l'époque. C'est touchant. Barone est parfois d'une emphase qui frise le ridicule… cf. page 143 !! Dommage ! Pour ma part, un livre sûrement intéressant pour qui connaît la littérature espagnole et toutes les références citées… Pour les autres rendez-vous côté jardin… ou balconnière.

Sabine
Le Livre des sables m'avait profondément ennuyée (il y a 25 ans !) et une seconde lecture n'a rien arrangé ; en revanche, ces conversations m'ont enchantée, même si quelques propos me sont passés au-dessous de la tête (et de mes références littéraires !). J'aime ces échanges érudits où l'on fait des liens entre les livres et les hommes. La " joute " est fort bien menée par Orlando Barone. J'ai, bien sûr, adoré le passage (page 40) concernant l'opinion de Borges sur Dieu : " C'est la plus grande création de la littérature fantastique. Ce qu'ont pu imaginer Wells, Kafka ou Poe n'est rien comparé à ce qu'a imaginé la théologie. L'idée d'un être parfait, omniprésent et tout-puissant est réellement fantastique. " Cette citation est un excellent prélude au Traité d'athéologie de Michel Onfray, qui, je l'espère, sera retenu pour l'an prochain. Une lecture passionnante, donc.
Christine
Je suis d'accord avec Manu. C'est rigolo au début, le duel entre ces hommes, le choix des armes. Mais je ne suis pas rentrée dans ces conversations. Je n'aurais pas pu converser avec eux : il y a trop de références culturelles qui ne me disent rien. J'aurais aimé en savoir plus sur la mère mourante. Mon imagination a été mise en éveil par l'ambiance de ce café de Buenos Aires. Mais je n'ai pas trouvé qu'il y avait un réel dialogue entre ces hommes. Ils se connaissaient, puis se sont perdus de vue. Il n'y a jamais eu de complicité entre eux, pas d'échanges. Je n'y ai pas trouvé un réel intérêt, mis à part le passage sur Dieu. Cela se lit facilement, il n'y a pas de mots compliqués, mais j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce monde. Leurs sujets de préoccupation avaient tout pour me concerner, mais je n'y suis pas arrivée. Je ne conseille pas ce livre, même à quelqu'un qui connaît l'œuvre de Borges. Et puis les intrusions de Barone sont d'une lourdeur… On le sent content d'avoir réussi ce coup-là, mais il n'arrive pas à nous le faire partager.
Liliane
Dans cette programmation, ma déception continue… J'en attendais beaucoup plus. Je l'ai lu sans ennui, les conversations sont bien retranscrites, les sujets variés. J'en attendais des révélations… Et puis rien ! On glisse. Ils font référence à des écrivains sud-américains que je ne connais pas et j'étais contente si par hasard j'en connaissais un ! J'ai l'impression d'une joute verbale, d'une élégance convenue mais qui ne creuse pas le thème abordé. Et même, j'ai été étonnée : par exemple le passage sur le rêve (p.139), cela m'a fait sourire… J'ai été étonnée de voir que des personnes si érudites, si sensées, disent des choses vagues et approximatives. J'ai bien aimé le processus de création chez Borges, la métaphore de l'île quand Sabato aborde son propre processus de création. (p.155). C'était un bon écho à la lecture du Tunnel. J'ai également relevé l'enflure de Barone au fur et à mesure que les dialogues progressent. Il est confit d'admiration. Il y a quelques banalités sur l'enseignement, le cinéma et la littérature… J'y ai glané fort peu de choses. J'attendais leur avis sur le tango : ils considèrent la danse comme un art mineur…

(Liliane prend des cours de tango 4 fois par semaine en ce moment.)
Jacqueline (à cause du passage sur Dieu)
Je l'ai lu à moitié, j'en suis page 100. Je n'accroche pas vraiment, vraiment… Le projet de Barone me semble parachuté : deux écrivains célèbres, ça va donner quelque chose ! Il coupe la parole ou a des idées préconçues sur les thèmes abordés. Une conversation ? Je ne suis pas douée pour la conversation, je préfère écouter les autres… Et là, ils ne disent que des choses superficielles, sur les romans, les nouvelles… Il n'y a rien de frais. De temps en temps, on se laisse prendre : le passage sur Dieu, sur le cinéma. Mais je me demande si j'ai été séduite parce qu'ils abordaient des choses que je ne connaissais pas ou si réellement ils disent des choses intéressantes. Il y a eu des petits passages, des citations intéressantes, mais cela donne à peine envie de connaître les auteurs. Je ne vois pas la nécessité de faire un livre de ces conversations et je me demande si eux, ils y ont pris du plaisir. Sabato est plus sympa, j'ai eu tendance à être assez d'accord avec lui. Je me laisse éblouir par tous ces écrivains sud-américains… Mais quand sont évoqués des écrivains que je connais - Flaubert, par exemple -, il n'y a rien d'intéressant.
Brigitte
D'emblée, le titre ne me disait rien, mais j'avais envie de vous voir. Cela se lit facilement et s'oublie tout aussi facilement. C'est bien, il y a beaucoup de pages blanches, ils prennent du café et les vraies pages à lire sont peu nombreuses. J'ai fantasmé, je me suis imaginée qu'ils étaient dans l'hacienda (une des scènes du Tunnel) et qu'après toutes ces conversations, il se passait quelque chose : qu'on enlève Borges par exemple. Mais non, ils sont très sages. Toutes ces références que je ne connais pas… Ce genre de discussion ne va pas au fond des choses, ils ne sont pas capables de dire grand chose. Cela me fait penser à une amie spécialiste de la littérature française du XVIIe et du XVIIIe siècle et qui étudie le rôle de la biographie dans la littérature, par exemple dans Les Contemplations, de Victor Hugo ou Les Fleurs du mal. Elle essaye de construire une théorie sur le rôle de la biographie dans l'œuvre de l'auteur. Dommage que Sabato, dans son exposé sur la création littéraire, n'aille pas plus loin. Une dernière anecdote : le libraire à qui j'ai commandé ce livre ne le connaissait pas et s'est exclamé : "Oh ! c'est dommage !". Selon moi, c'est snob de connaître ce livre.
Françoise
Je ne l'ai pas terminé et je ne le terminerai pas. Ça m'a tellement barbée que je n'ai pas grand chose à en dire. Je rejoins Christine et Manu. Il n'y a pas grand chose. Ils parlent de gens que je ne connais pas ou peu.

Brigitte 
Cervantes, tu en as entendu parler ?...

Françoise 
Oui, mais je ne connais pas vraiment. Je suis incapable d'apprécier (Françoise lit un passage p.90) Je ne comprends rien, je n'ai lu ni Le Juif Errant, ni Schopenhauer. Tiens, il y a un passage un peu plus intéressant (p.121). Sabato commence une idée, mais c'est tout, ensuite il passe à autre chose. Enfin, je trouve Borges misogyne et il n'aime pas les enfants (p.121).

Liliane 
Mais c'est du cabotinage !
Geneviève(à titre de curiosité)
Cela ne m'a rien apporté de très nouveau. Je l'ai parcouru. Que dire de différent ? Rien… J'aime beaucoup Borges et j'aime beaucoup moins Sabato. Effectivement, j'ai trouvé que l'exercice avait quelque chose de contraint et d'artificiel. Ils font assaut d'érudition. Borges " se la joue ". Pour autant, ils sortent des formules, mais il n'y a pas une originalité folle dans leurs pensées. C'est juste l'atmosphère bizarre, cette érudition, ce côté contraint, forcé, et ce jeune gars - Barone -, niais et grandiloquent. La situation est même un peu glauque, avec la mère qui meurt à côté. C'est le moment le plus authentique, le plus sincère. En poussant un peu, on imagine ces deux érudits, la mère mourante à côté, le jeune con et le géranium qui s'insère… Borges est un type imbu de lui-même et chose plus effrayante encore, il a continué à mener tranquillement sa vie quand la dictature s'est installée et ça me paraît énorme.

- Le sujet n'est pas abordé.

- Non, Borges demande dès le début à bannir la politique de leurs conversations.
Florence
Je n'en ai lu que la moitié pour l'instant, mais je trouve vraiment intéressante cette confrontation de deux monstres sacrés. Il s'agit d'une sorte de joute oratoire où il me semble que Sábato essaie constamment de percer à jour Borges sans trop y parvenir. Borges a des défenses terribles, il esquive toute tentative d'intrusion. On ne saura rien de ses opinions (il exclut d'emblée le thème politique p. 12), ni de ses sentiments. Il a réponse à toutes les questions, mais toujours en s'abritant derrière des citations. On voit bien à quel point l'érudition lui sert de carapace et la mémoire fait écran à ses propres sensations. Mais bizarrement, alors qu'il intellectualise tout, l'évocation des œuvres littéraires le rend souvent gai (voir les rires fréquents) ou triste (il avoue que la mort de don Quichotte le fait pleurer !). Au fond sa seule jouissance est la littérature mais il en jouit véritablement, visiblement : p. 95, " Que c'est beau la littérature ! ". Et j'avoue que je ne suis pas loin de partager l'émotion de Barone lorsqu'il décrit ces moments-là. Bien sûr, ces conversations restent assez superficielles. Elles ne sont que des conversations…
Bien sûr, Borges reste un personnage antipathique, élitiste, plutôt satisfait, au fond, d'être " un écrivain pour écrivains ". Mais je trouve vraiment plaisant " d'entendre " les deux hommes se saisir de n'importe quel thème avec autant d'enthousiasme et nous livrer d'un ton badin leurs réflexions tout de même assez brillantes…
Claire
Je n'ai pas grand chose à en dire moi qui suis l'auteure de la proposition de cette lecture. Je n'aurais pas proposé ce livre si nous n'avions pas lu les deux autres précédemment, un livre de Borges et un livre de Sabato : je continue de trouver l'idée bonne…. Je l'ai lu il y a plusieurs mois et je n'en ai aucun souvenir : je pensais en vous écoutant pouvoir vous restituer mes impressions. Je me souviens de l'avoir lu sans difficulté mais de m'être aussi dit : " A qui bon lire ça ? ". Par exemple p.73, le passage sur la musique : c'est un peu atterrant. Ça me rappelle le genre du journal, qui ne m'attire pas du tout, car on y retrouve jusqu'au menu du jour. Mais la grande différence ici, c'est que c'est vivant. Il y a une sorte de ping-pong, on avance avec eux. Et cela me pousse à continuer. C'est le côté Gala qui me plaît : on va chez eux, j'ai envie de savoir comment c'est. Mais ce projet de Barone est mal foutu.

- Ses questions sont nulles…

Claire 
Du coup, ils sont avec leur petite personne plus ou moins grandiose, c'est du spectacle avec les citations et les références. On regarde ça par le petit bout de la lorgnette. C'est tout le contraire du livre d'Alberto Manguel qui nous emmène également chez Borges où l'on découvre sa bibliothèque. Dans ce duel, on ressent des sympathies et des antipathies. Pour ma part, j'ai plus de sympathie pour Sabato, qui apparaît comme le personnage mineur.

Katell
Je n'ai rien à dire sur ce livre qui m'a barbée et que j'ai à peine parcouru. Je suis là pour prendre les notes et pour vous voir. C'est mon plaisir.

Annick
Moi aussi j'avais trouvé que c'était une très bonne idée. Même si je n'ai pas assisté aux précédentes séances, j'ai adoré Le Tunnel, j'ai trouvé que c'était un livre génial. J'aime Borges, comme on regarde un bel objet. C'est littérairement bien fait. Ce n'est pas une langue pompeuse, la forme est épurée et glaciale. C'est un plaisir intellectuel. Je me suis donc plongée dans ces Conversations, naïvement, en me disant que j'allais comprendre un peu mieux le côté glacé de Borges et que cela allait me donner les clés. Et j'ai été extrêmement déçue. Borges joue, cabotine et ne se livre pas lui-même. Et le peu qu'il laisse transparaître est très antipathique, voire désagréable. Sa vie n'a aucun intérêt et il pense que la vraie vie est dans les livres. Cet espèce d'enfermement dans un monde d'idées et d'abstraction, mise à part la présence de sa mère, cela m'a fait comprendre pourquoi Borges écrit une littérature aussi abstraite : Annick lit des passages p. 53 et p.78. C'est d'une totale abstraction. Sabato est plus incarné. Ce livre en dit plus sur Sabato que sur Borges. Si Barone avait su poser des questions plus pertinentes, il aurait réussi à percer l'armure.

Françoise 
On comprend également la froideur de Borges quand on connaît son enfance très austère. Il n'allait pas à l'école et son père voulait qu'il devienne écrivain.

Annick 
Il y a un très beau passage sur Homère et sa cécité. Borges aussi était aveugle. Il n'était pas attaché à ses propres mots.

Claire 
Ce n'est pas du tout narcissique, c'est plutôt sympathique. Serge d'Avignon
4 immenses étoiles contenant 4 cœurs clignotants. Livre immense (4 mètres sur 3). Merci pour cette stimulante lecture.

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
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beaucoup
¾ ouvert
moyennement
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un peu
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