|
|
Jean-Marie Le Clezio
L'Africain
Nous avons lu ce livre en septembre 2004.
Sandrine
Le Clézio est pour moi l'auteur de Désert, cet homme à l'incroyable
écriture gonflée d'émotions, suintant de sensibilité à fleur de peau.
L'expression d'un apatride, étranger aux lois et aux conventions sociales,
aux préoccupations trop sérieuses ou trop futiles pour intéresser ses
contemporains. J'ai adoré les deux premiers chapitres de L'Africain :
"le corps" et " termites, fourmis, etc. " car j'ai retrouvé
avec une vive émotion cette simplicité, cette sensibilité primitive qui
m'avait tant émue dans Désert, à un tel point que j'ai du m'arrêter
toutes les deux pages pour reprendre souffle : cette écriture m'émeut
aux larmes, tant elle est précise et juste dans la description d'une émotion.
Par contre, j'ai lu le reste du livre en diagonale : j'avais l'impression
de lire le compte rendu d'un travail analytique sur son père : Le
Clézio justifie la vie et les attitudes de son père et trouve par là même
sa filiation et une justification à ses propres attitudes et choix de
vie ! J'avais envie de lui crier : "J.M.G : on
s'en fout de ton père et de ta psychanalyse : on veut seulement ton
écriture !" Vous l'aurez deviné, j'ai avec l'écriture de Le Clézio
un rapport passionnel et passionné : j'adore ou je hais, elle m'attire
et me fait fuir. J'adore cette écriture sans message ni but précis qui
s'écoule dans une symbiose de sensibilité avec le lecteur : écrire
c'est créer une uvre d'art… et je hais ce style militant qui veut
délivrer un message, une réponse, une justification et qui ressemble à
un slogan de régime autoritaire, cette psychorigidité intellectuelle qui
emprisonne le lecteur et rend certains passages détestables et chi…. comme
la pluie. Aucune autre écriture ne m'a jamais autant touchée que celle-ci…
Si proche par les émotions et pourtant si éloignée pour tout le reste.
Monique
J'ai été touchée par le livre de Le Clézio, sa tentative d'écrire "son
père". C'est une écriture qui "frôle" sans approfondir. On sent chez l'auteur
une grande réserve, une grande douleur. Mais il n'y a ni évitement, ni
complaisance. Tout ce qui est dur, fermé du côté du père fait, par opposition,
éclater la liberté offerte par les grands espaces, la vivacité de la population
africaine. Ce livre est un peu le négatif des autres livres de Le Clézio.
Je comprends mieux sa nécessité de poétiser l'Afrique, de créer des personnages
semblant sortir tout droit du paradis terrestre. Trop beau pour être vrai,
comme dans Le
Chercheur d'or, Onitsha...
Les photos par contre ne m'ont pas convaincue. Je les trouve sans rapport
avec le texte.
Sabine
Quelques mots que je vous envoie sur L'Africain, que j'ai apprécié ;
alors que d'ordinaire, le ton nian-nian de Le Clézio me gonfle, je le
trouve ici approprié à la langueur de L'Afrique. Le personnage du père
a de l'ampleur, une stature qui fait peur d'ailleurs. On aimerait en savoir
davantage sur cette vie en deux parties (Nice et l'Afrique), mais le ton
reste pudique, comme à pas feutrés. Je cours commander demain les prochains
livres pour le groupe. J'ai un emploi du temps de ministre + les enfants
+ la cuisine et le ménage!!! Pouf, pouf.
Françoise
Enfin un livre reposant ! Grâce à son écriture, fluide, claire, sereine.
Tout à fait ce qu'il me fallait après la touffeur de Vanity Fair,
et les contorsions de Féroces
Infirmes (Tom Robbins). L'auteur certes évoque son enfance et
ses parents, mais il ne règle pas ses comptes, il a atteint une sorte
de plénitude, on ressent bien les griefs qu'il a pu avoir, mais qui ont
disparu. Cette distance se retrouve dans l'écriture. Il reste une reconnaissance
envers le père. Il nous épargne tout ce qu'il a pu vivre avant, le chemin
qu'il a parcouru pour remettre le passé dans le passé, tout en nous le
faisant entrevoir : "Mais
si j'entre en moi-même, si je retourne mes yeux vers l'intérieur, c'est
cette force que je perçois, ce bouillonnement d'énergie… Non pas une mémoire
diffuse, idéale : l'image des hauts plateaux, … les visages des vieillards,
les yeux agrandis des enfants rongés par la dysenterie, … le murmure des
plaintes. Malgré tout cela, à cause de tout cela, ces images sont celles
du bonheur, de la plénitude qui m'a fait naître" (p. 77).
C'est un livre d'apaisement, apaisant. Je l'ouvre en grand parce que c'est
exactement ce dont j'avais besoin en ce moment, un livre qui m'emporte
loin de l'agitation et du bruit ; un dépaysement distancié.
Jacqueline
J'aime beaucoup. Il soulève tellement d'émotion, j'ai envie de partager
son regard sur l'Afrique. Je ne peux pas juger de la qualité littéraire.
Il m'apporte quelque chose, un repère, une manière de décrire les choses.
Il n'est pas du tout psy. Il évoque des souvenirs, mais avec beaucoup
de retenue. Ca me plaît, la renonciation du père, ce regard sur le passé,
cette manière de considérer la guerre comme une rupture dans la vie de
son père. Le regard sur l'Angleterre colonialiste - ou n'importe
autre pays européen - est tout à fait juste. Il raconte sans désespoir
cet engagement comme médecin, ce père qui voit l'Angleterre l'abandonner,
ce père qui vieillit. J'aimerais bien en parler pour ses qualités littéraires,
mais j'ai d'abord envie de partager les émotions. C'est un livre que j'ouvre
en grand, pour des raisons personnelles.
Rozenn
J'ouvre en grand mais je n'ai pas grand chose à en dire. C'est un peu
"light", mais ça tient bien la route et pas sur du "rien". C'est un vrai
plaisir de lecture et pourtant je n'avais pas envie de lire JMG Le Clézio.
Liliane
Je partage certaines choses. Je l'ai lu cet été. J'ai toujours eu du mal
avec Le Clézio, ce mystère qu'il cultive et qui m'agace : le déracinement,
le nomadisme, cela ne m'enchantait pas du tout. Je pensais, avec une œuvre
autobiographique, il y aura plus de consistance. Mais cela ne m'a pas
assez bousculée. J'ai été déçue : c'est un peu light… Qui peut aimer
ce roman ? Des gens qui adorent Le Clézio ? Ou des personnes
qui ont une expérience de l'Afrique ? Je l'ai repris une deuxième
fois, pensant que mon impression serait renforcée. Miracle, j'ai été enchantée.
Je n'avais plus cette attente et j'étais plus réceptive à tout ce qu'il
disait. A la rentrée, j'avais envie d'être en Afrique. Je connais le Nord
Cameroun, j'ai rejoint un ami médecin dans un dispensaire de brousse.
Cela ne me laisse pas indifférente, les corps, l'écriture sensorielle,
cette interrogation entre l'histoire individuelle et l'histoire du monde,
comment les deux interfèrent. Il écrit pour que la petite histoire de
son père ne se perde pas. Ce père qui a donné sa vie à l'Afrique et ce
désastre… L'histoire du père reprend le dessus. C'est intéressant la composition,
la confrontation entre le destin particulier et l'Histoire. Il renouvelle
d'une certaine façon le genre autobiographique.
Annick
Ce fut une lecture bénéfique, des ondes positives. Le Clézio est un de
mes écrivains préférés. J'ai lu et relu Désert.
Si je devais emmener un livre sur une île déserte, ce serait celui-là…
Même Onitsha.
J'aime beaucoup son écriture magnifique. Ce qui m'a frappée, c'est cette
luxuriance, ces sensations fortes, ces images, avec une écriture toute
en retenue. J'ai été très intéressée par cette autobiographie, j'ai trouvé
les personnages touchants, pudiques, réservés… mais pas du tout à faire
"genre mystère"… J'aime beaucoup le personnage de son père : il a
une espèce de quête, une recherche intéressante. Je l'ai lu pendant un
voyage en Afrique, en Guinée. C'était génial... C'est violent comme
choc, courir pieds nus, ces sensations sur le corps… J'ai retrouvé cet
hymne à l'Afrique, l'Afrique sensorielle. En lisant le soir, j'avais en
stéréo les bruits, ceux du dehors et ceux du livre. C'est un très beau
livre par rapport à son père. Il n'est pas psy, genre "je gratte mes plaies".
Il a trouvé une sérénité, la distance est restée face à cet homme qui
s'est muré. Il a un profond respect pour ce qu'a été et a fait son père.
C'est un bel hommage à l'Afrique et à son père. C'est un livre très abouti.
On a l'impression qu'il a trouvé une sérénité, on sent que l'Afrique pulse
en lui. Il montre des choses impudiques et intimes sans effets larmoyants
et pathétiques. C'est un bonheur de lecture.
Brigitte
Je l'ai lu avant les vacances. De Le Clézio, j'avais juste lu Le
Procès-verbal. J'avais trouvé cela intéressant mais un peu difficile.
Cela m'était assez étranger. Alors que L'Africain, j'ai trouvé
cela facile à lire. C'est comme la pièce de puzzle qui me manquait. Avec
ce livre, j'ai mieux compris pourquoi Le Procès-verbal est si difficile.
Il faut souligner qu'il n'est resté qu'un an avec son père en Afrique.
Cette année-là, c'était la pièce qui manquait, il a pu construire les
relations avec son père. Cela permet de tout remettre en place, dans le
triangle avec ses parents. Cette année avec son père a pris une dimension
formidable. Il a su transmettre cela. Il y a des tas de gens qui ont vécu
40 ans avec leur père et qui n'en retiennent rien. Dans ce livre, il ne
se passe pas grand chose. Tout est dans la manière d'écrire. C'est un
grand écrivain car il fait entrer dans l'intimité des choses. J'ai été
enrichie. La scène des termites, j'avais l'impression d'y être. Le Clézio
est à moitié breton, à moitié mauricien. Il a passé une partie de sa vie
à Nice (où se passe Le Procès-verbal), on ne peut pas avoir une
vie sérieuse à Nice… de même à l'Ile Maurice. À partir de
toute une série de mélanges, il construit une cohérence. Le couple parental…
ses parents qui s'aiment vraiment. Il a assemblé tous ces fils pour en
tisser une cohérence et nous faire entrer dedans.
Christine
J'ai beaucoup aimé. J'ai lu Désert, Le Procès-Verbal. J'avais
eu du mal à les lire. Je ne suis jamais allée en Afrique. J'ai beaucoup
apprécié. C'est fort, toutes ces impressions du narrateur, ce que ressent
un enfant de huit ans. J'ai été touchée par les odeurs, la violence, la
scène des corps sans visage. J'ai trouvé qu'il rendait bien les sensations
des enfants. Cette année l'a beaucoup marqué, avec ce respect par rapport
à l'Afrique, sans jugement. J'ai eu une impression de plaisir et de légèreté.
Je l'ai lu d'une seule traite. Quand je l'ai refermé, j'ai eu un sentiment
d'accomplissement. C'est ni trop court, ni léger, c'est plein de richesse,
avec les personnages, on apprend plein de choses sur la brousse, les médecins,
la société coloniale britannique. Comment cet homme rigide était si anti-conventionnel.
Il était content d'être seul, de fuir la médiocrité, il avait le goût
de l'aventure. Ce n'est pas un personnage sympathique mais il a été jusqu'au
bout. Comme l'histoire d'amour des parents : Le Clézio a pu l'imaginer.
Ce n'est pas un auteur facile, léger. Il nous offre une quête du bonheur,
des relations difficiles - il parle même de haine. Il a eu besoin
de se construire un père, un héros. D'où vient ce besoin ? Le besoin
de transformer son père en héros ? Ce n'est pas une analyse de l'Afrique,
mais il en parle si simplement, même du désastre. Quand à la phrase sur
le vétérinaire, je ne sais pas en quoi c'est bien de supporter sa souffrance…
Béatrice
Quand j'ai ouvert ce livre, j'étais pleine d'appréhension. Le Clézio est
un bel homme, son écriture est mystérieuse. C'est un livre de souvenirs.
Je l'ai savouré. J'ai été sensible aux contrastes : la chaleur / la
souffrance, la faim / la vie, la guerre / la solitude.
J'ai trouvé aussi quelques mots rares, comme exhilarante…
Katell
C'est un très beau livre dans lequel on se plonge sur la ligne de métro
et l'on oublie tout. Le seul livre que j'ai lu de Le Clézio, c'est Lullaby
(Dans le recueil Mondo
et autres histoires) : mais à l'époque, il était publié avec
les illustrations de Georges Lemoine, au tracé très classique et pur.
Bref, Lullaby, je l'ai lu au moins dix fois. C'est un roman formateur.
Et du coup, je l'ai relu et vingt ans plus tard, j'ai retrouvé intacts
tous les éléments qui m'ont formée, comme "boire le soleil". Donc curieusement,
je n'avais rien lu d'autre de Le Clézio et avec L'Africain, j'ai
retrouvé cette écriture sensorielle qui évoque peu d'événements, mais
où il passe pleins de choses à travers la peau, les oreilles, les yeux,
le corps. Je pense que l'évocation de son père est assez romancée, imaginée.
Il invente son roman familial. N'oublions pas que son père le bat comme
plâtre ainsi que son frère. Il n'empêche, c'est le propre des écrivains
que d'imaginer le meilleur, dans le sens le plus intéressant - ou
le pire ! - des personnages.
Claire
De Le Clezio, j'avais lu Le Procès-verbal pour le groupe, un souvenir
de livre fort mais sans adhésion forte. J'ai visité la belle maison coloniale
de sa famille à l'Île Maurice. Il y a longtemps, j'ai écouté une série
d'émissions à la radio avec Le Clézio et me suis faite l'image
d'une sorte de scout, et en plus poète. Je trouve ce zest d'affectation
qui correspond à mon souvenir dans cette phrase p. 97 : "Il
devait ressentir le passage du temps comme un flot qui se retire, abandonnant
les laisses du souvenir". Pas emballée donc par le choix de
ce livre. Mais je suis tombée sous le charme. Je trouve ce livre subtil
pour diverses :
- le statut de ce texte : si on ne connaît pas cette collection
"Traits et portraits" (bof), on peut penser que le texte est un texte
de fiction : or les photos sont " vraies ", discrètement,
avec leur légende à la fin, cela donne un vacillement quand on ne sait
rien sur le texte
- l'écriture : "le
bouton du nombril pareil à un galet cousu sous la peau", j'adore…
- l'histoire : elle est passionnante, avec des personnages incroyables
("romanesques" : la mère, le père, le fils), un couple étonnant,
des pays exotiques, l'Histoire (avec la remontée dramatique du père de
l'Afrique pendant la guerre)
- la fantaisie de certaines scènes : la mère qui de la foudre
fait un jeu, le père découpant le poulet au scalpel
- des moments très touchants : les lettres annuelles qui n'arrivent
plus (p.79), dernier lien avec l'Afrique ou forts : à propos de sa
grand-mère : "Est-ce
qu'elle est malade" ? "Non,
elle n'est pas malade, elle est vieille, c'est tout" :
cet échange est suivi de commentaires, mais qui n'amoindrissent pas ces
paroles, qui les approfondissent, les font résonner
- la composition du livre : au début du récit on est en Afrique,
l'enfant a 8 ans, on reviendra avant en France, on va à la fin de la vie
du père (p. 56), on repart à ses débuts en Guyane, etc., mais ces
aller et retour se font très en douceur ; il y a aussi une part d'imagination
toujours légère (quand ses parents font l'amour par exemple)
- le jeu du présent mêle différents temps, c'est formidable :
"l'entrée dans Obudu, je
m'en souviens bien (présent de l'écriture) : la route sort de l'ombre
de la forêt et entre tout droit dans le village, en plein soleil. Mon
père a arrêté son auto, avec ma mère il doit parler aux officiels (présent
du passé)" (p. 11) "D'où
vient - p. 32 - que j'en garde la marque (présent de l'écriture)
(…), comme si tout cela s'était passé hier ? (…) Avant ma naissance,
raconte ma mère (présent du passé), elle voyage à cheval dans l'ouest
du Cameroun, où mon père est médecin itinérant." (présent
passé antérieur) et à ces décalages s'ajoute l'enlacement texte-photo,
j'adore…
- le récit donne une autre vision des colonies ;
- la non nostalgie p. 103 "Je
ne parle pas de nostalgie. Cette peine dérélictueuse ne m'a jamais causé
aucun plaisir. Je parle de substance, de sensations, de la part la plus
logique de ma vie." J'aime beaucoup, beaucoup ce livre.
Dawn
Je lai lu en ayant limpression que le groupe était
derrière mon épaule. Jai aimé la nostalgie
fantasmée, les descriptions des jeux denfance.
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens
|