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Paul Nizan
Aden Arabie
Nous avons lu ce livre en janvier 2000.
Claire
J'attendais quelque chose de formidable et finalement, c'est chiant. J'ai
sauté beaucoup de pages. C'est verbeux, bourré de généralisations
abusives d'autant qu'il crache dans la soupe qui le nourrit, puéril
parfois, et pourtant il y a du talent d'écriture (" les
mouettes soustraites au vent planent au-dessus du pont, pendues à
des fils invisibles ") de l'énergie (" vous
pouvez uriner librement dans la mer : nommez-vous ces actes la liberté ? ").
J'ai assez aimé la préface de Sartre et en particulier le
portrait de Nizan. Mais bon ce n'est pas convaincant. Il reste la première
phrase pour mon Lagarde et Michard perso.
Jacqueline
Je n'ai pas réussi à le finir, et je n'ai pas lu la préface
de Sartre. Je suis très sensible au style de Nizan, c'est vraiment
un écrivain original, il fait un portrait intéressant d'Aden.
C'est une histoire d'adolescent, avec une remarquable description d'un
jeune sans perspective.
J'ai eu du mal à le lire, ça demande un effort, ce n'est
pas un roman. Est-ce un essai ? Ça se lit comme de la poésie,
ça fait penser à Rimbaud.
Florence
J'ai lu ce livre à vingt ans et j'en gardais un souvenir ébloui.
En le relisant aujourd'hui, plus de vingt ans après, je comprends
ce qui me plaisait alors : des formules-choc, à commencer
par la première, que je pouvais arborer comme tous les adolescents
révoltés.
Je suis frappée aujourd'hui par le parallélisme avec Rimbaud :
même détestation du monde, mêmes sarcasmes, même
refus radical d'un enfant, au demeurant sage et studieux, et même
fuite en Arabie-Abyssinie. Aden Arabie c'est un peu La Saison en Enfer
de Nizan. D'ailleurs on peut lire Éden Paradis quand on
fonctionne par associations d'idées comme moi
Enfin, est-ce moi ou le livre qui a vieilli ? Les deux je le crains.
Je dois dire que j'ai trouvé cette lecture assez pénible
dans l'ensemble.
Françoise O
Je l'ai lu jusqu'au bout et je l'ai aimé. J'ai beaucoup aimé
tout ce qui est descriptif : les paysages, l'ennui, le style me plaît.
L'histoire est très datée. Je n'ai pas aimé l'homme :
il n'aime personne, il est antisémite. Il était très
jeune en partant à Aden où il trouve un microcosme qu'il
n'aime pas non plus. C'est très daté, mais ça me
plaît. C'est une vision très intéressante sur le monde
d'un jeune intello dans les années 30. Ce livre m'a renvoyée
à un autre sur la révolte du Dophar, Warda, de Souallah
Ibrahim (Actes Sud). La vision de l'avenir selon Nizan, c'est le communisme
contre l'homo economicus.
Brigitte
C'est moi qui l'ai proposé. J'avais lu Antoine Bloyé
qui m'avait plu et j'ai proposé Aden Arabie, qui est moins
long. J'ai commencé par la préface, intéressante
bien que difficile.
Nizan vient d'un milieu modeste. Il déverse tout ce qu'il a sur
le cur, tout en étant sécurisé par ses études.
C'est un essai difficile à lire, il y a des réussites, mais
il ne pense pas beaucoup au lecteur. Le point de vue historique - des
années 30 - est intéressant. Sa mort précoce
donne plus de poids à son écriture. Ce qu'il dit sur l'Europe,
sur l'homo economicus, est actuel.
Liliane
C'est un pamphlet difficile à lire. Je n'ai pas réussi à
me concentrer sur le propos. J'ai occulté la préface de
Sartre qui m'exaspère. J'ai découvert Nizan, son écriture,
j'en attendais davantage. C'est un texte d'apprentissage. Il critique
ceux qui l'ont guidé et il a le même langage qu'eux :
pompeux, emphatique. J'ai lu les 10 premiers chapitres en soulignant les
passages intéressants. C'est une écriture en apprentissage,
avec parfois des raccourcis lumineux, notamment les fins de chapitre,
excellentes. Il y a de l'antisémitisme en filigrane. On se demande
comment tout ce qu'il dit va tourner : " Il ne faut plus
craindre de haïr, il ne faut plus rougir d'être fanatique ",
il est à un carrefour, il a encore des choix à faire. On
sent une envie de rencontre en dehors de la démarche intellectuelle,
ce qui est physique, ce qui est de l'ordre du corps. C'est un jeune homme
qui dénonce très bien les mécanismes sociaux et qui
ne veut pas que ces mécanismes le manipulent. Il y a chez Nizan
quelque chose qui s'annonce. Malheureusement, il n'a pas pu continuer
son itinéraire. Lecture plutôt pénible, mais Nizan
ressemble à un de mes fils
Je me suis ennuyée.
Françoise D
Je me suis ennuyée. Une amie me l'avait offert quand j'ai eu 20
ans, à cause de la première phrase évidemment. Mais
je ne l'avais pas lu. J'ai aimé la préface de Sartre. Je
l'ai lu jusqu'au bout mais en survolant pas moments. Tout en lisant, je
me disais, Monfreid, Greene, au secours !
Certes, ce n'est pas un récit de voyage, mais même la description
du microcosme colonial aurait pu être plus réussie. Le style
est confus. Il y a parfois des passages intéressants, comme l'homo
economicus, et parfois des passages où je ne comprenais strictement
rien. Brigitte a raison, il ne s'occupe absolument pas du lecteur (et
l'éditeur dans tout ça ? Il n'a pas non plus fait son boulot).
Seul point positif : l'ayant enfin lu, je sais de quoi je parle !
Geneviève
J'ai lu la préface d'abord : avec un ami comme Sartre, on
n'a pas besoin d'ennemi ! C'est une démolition par derrière.
C'est intéressant sur le personnage de Sartre. Je l'ai lu en entier
car j'avais du temps en vacances, sinon
. Ce sont des pépites
noyées dans des divagations où il s'englue. Il y a parfois
de très belles descriptions, ça rappelle Rimbaud. Je suis
contente de l'avoir lu, c'est à la fois très daté
et très actuel. J'ai beaucoup aimé le passage sur Djibouti.
C'est vraiment intéressant.
Lona
La couverture et le titre m'ont fait penser à un livre récit
de voyage, dans lequel je m'attendais à trouver des descriptions
de beaux paysages de sables chauds, de sensualité orientale, de
danses lascives... Rien de tout ça !
Il fallait déjà m'accrocher à la préface de
Sartre qui tient le tiers du bouquin. Il présente bien le personnage :
" un trouble fête qui en appelle aux armes (p.8), un écorché
vif, un taciturne, un renfermé (p.17), un enfoncé dans des
aventures de jeunesse, en perpétuel refus de tout, au goût
de scandale, un éternel envahi par les angoisses de la mort, de
la trahison, de la possession unique du corps de la femme... "
On est loin des senteurs du musc et des épices, de la danse du
ventre et de la volupté orientale ! Il me faut faire un réel
effort pour entamer le vrai bouquin !! C'est un vrai dictionnaire
de négations : chaos, désordre, ruine, perte, vraie
fin, débris pourrissants, crainte, souffrances, mutilations, esclave,
sous-produit, suicide, chute, déclin, adieu, mort, néant,
fin du monde... Et j'en passe ! Enfin le fameux départ...
et je rêve encore de dunes et de langueur orientale... mais ne trouve
qu'un révolté qui traîne son ennui dans une ville
célèbre et antique telle Aden. Il souligne bien les situations
du dominant/dominé ; de l'exploiteur/l'exploité ;
du riche/du pauvre ; du propre/du sale ; du cultivé/de
l'ignorant... et je lui trouve un mépris et une xénophobie
pour l'Autre (Juif et Arabe). Son engagement politique/sa déception.
Son départ/son retour.
Je me suis arrêté à la page 136, voulant rester sur
une note un peu plus gaie pour ne pas dire lumineuse, où enfin
j'ai souligné une ou deux phrases positives : " il
n'y a qu'une espèce valide de voyages, qui est la marche vers les
hommes... Le voyage se termine naturellement par le retour. Tout le prix
du voyage est dans son dernier jour... L'homme attend l'homme, c'est même
la seule occupation intelligente "...
Je ne recommanderai pas ce livre. J'ai (un peu seulement !) envie
de lire le livre sur son père Antoine Bloyé. Je voudrais
connaître sa relation et son sentiment envers ce père qui
a " trahi ", trahison qui l'obsède.
C'est un livre trop négatif pour moi. Je l'ouvre à " un
petit " quart ! Il y a eut deux articles sur Nizan dans
Le
Monde diplomatique de décembre 2005 et une réponse
à cette publication dans l'édition de février 2006.
Nicole
Cette relecture du " roman " de Nizan ne m'a pas ennuyée
du tout, à part quelques longueurs et passages nébuleux,
et j'ai trouvé beaucoup d'actualité dans cette critique
féroce de la société, cette analyse de la condition
de l'homme va au-delà de la réalité sociale du moment,
et c'est pourquoi elle m'a touchée autant aujourd'hui. Elle a fait
ressurgir des questionnements mis de côté, elle m'a redonné
du " punch " en me faisant complice d'une révolte
nue d'homme très jeune. Par contre, je n'ai pas apprécié
les relents d'antisémitisme. Dans sa longue préface J.P. Sartre
dit que l'on a parlé du roman de Nizan comme d'une littérature
d'avant-guerre, périmée. Je ne l'ai pas ressenti ainsi,
au contraire. Il pose des interrogations sur la condition de l'homme,
le sens de la vie :
- "Chaque Homme est divisé entre les Hommes qu'il peut
être"
- "Si je pense à ma mort, c'est bien fait. C'est que
ma vie est creuse, ne mérité que la mort"
- "Il faut des loisirs pour être un Homme"...
J'ai bien aimé sa définition de la liberté, p.84.
Et je me suis sentie très concernée, p.102 et 103, à
la fois par la réflexion sur la façon de rendre les employés
conciliants sur le taux de leur salaire et par le Scribe du Louvre auquel
je rendais "visite" lorsque j'étais adolescente.
Quant à la préface de Sartre, je l'ai lue une fois le livre
terminé et elle apporte une explication lumineuse de la situation
psychologique dans laquelle se trouvait Nizan et sa "fuite"
en Arabie.
Claude
Un livre dense, difficile.
Un jeune homme, en mal d'être, fuit son pays. Il fait de la relation
de ce voyage un grand livre d'idées et de révolte. J'ai
pu avoir de la sympathie pour le côté " en colère "
de ce jeune homme entier, qui s'indigne et refuse en bloc les conventions,
les compromissions, la routine, les casernes, la gloire, l'argent, les
petitesses... des puissants, des riches, des bourgeois, des dirigeants...
J'ai été assommée par sa vision amère, noire,
nihiliste, sans espoir. J'aurais aimé mieux comprendre... En fait,
et très souvent, même en relisant, je n'ai pas été
à même de saisir le sens de nombreux paragraphes. Dommage.
Lil de Plum'
Dans un premier temps, j'ai été complètement snobée
par la qualité de l'écriture et de l'analyse de ce " gamin "
de 24 ans... un gamin génial, certes... Passés les
deux tiers de ce livre militant, mon admiration s'est quelque peu essoufflée :
des longueurs, des passages tortueux, des descriptions souvent ennuyeuses
et une exaltation qui range ce livre parmi les uvres de jeunesse.
J'ai apprécié la construction très précise
du livre : le thème développé dans chacun des
chapitres est aisément repérable, ce qui permet de "se
rattraper aux branches" quand le texte se complique... La phrase
finale qui ponctue chaque chapitre en dit long sur le pessimisme de l'auteur
et le regard très sombre qu'il jette sur le monde.
Livre daté, peut-être... quoique... Je n'ai pas eu l'impression
de découvrir une société préhistorique ou
fictive en le lisant ! Le confort érigé en valeur,
la notoriété, les honneurs, l'humain assujetti à
l'économie, les relations dominant-dominé, me semblent toujours
bien présents dans les priorités contemporaines. Tout ce
qui est dit des grandes écoles (de Normale en particulier) de l'élite,
du cloisonnement de la société, des diverses échappatoires :
Dieu, les loisirs, l'ironie convenable, la littérature, l'inscription
dans le sillage des grands hommes, la fuite, le suicide, le voyage....
et tout ce qui cadre les hommes et les béquille, me parle d'aujourd'hui.
J'ai détesté son antisémitisme. J'ai beaucoup aimé :
- son analyse du voyage : les raisons du voyage, le sens du
voyage ("mouvements désordonnés qui n'imitent pas longtemps
les allures de la liberté") pour finalement déboucher
sur l'inanité du voyage : "tout est en nous", page
133.
- ses définitions de la liberté : sur le bateau,
elle est illusoire : "la liberté... absence", la
vraie liberté est "un pouvoir réel et une volonté
réelle de vouloir être soi".
- sa réflexion sur le sens de la vie et sur la condition humaine :
il faut des loisirs pour être un homme, l'homme ne peut être
réduit à un état économique ; si l'on
sent un écoulement du temps, c'est qu'on vit mal, quand on vit
bien, le temps ne s'écoule pas, il est possédé ;
- sa révolte contre sa classe sociale, cette diatribe enflammée,
en fin de livre, m'ont fait sourire.
La préface de Sartre (lue après le livre) est très
éclairante sur le personnage de Nizan et ce qui le façonne.
Le père et la mère se dessinent en arrière plan dans
toutes les voies explorées par le fils. En terminant ce survol,
je m'aperçois que ce livre me fait me poser les questions essentielles :
- Qui suis-je ? Qu'est-ce qui m'a faite ce que je suis ?
- Quel est le sens de ma vie ? Quelles sont mes valeurs ?
- Quel est le sens de mon action ?
- Quelle perception ai-je du fonctionnement de la société
dans laquelle je vis ? Du monde ?
C'est donc un vrai livre de philosophie et je l'ouvre en entier pour cette
raison, malgré les réserves que j'ai formulées.
Jean-Pierre
Voilà une uvre magistralement désespérée,
surtout quand on la lit aujourd'hui que les lendemains ont depuis trop
longtemps déchanté, et tout aussi éclairante devant
l'état du monde qui n'a guère changé depuis Nizan,
et dont les tares se sont même étendues et accentuées.
Mais Aden d'Arabie, quel mauvais titre ! On dirait l'intitulé d'un
dépliant touristique. Pourtant son voyage, dont les (trop) longues
descriptions sacrifient cependant à un exotisme de bazar très
daté, mais qui a connu les développements exécrables
que l'on sait, n'a rien d'une partie de plaisir. Passons sur l'interminable
préface de Jean-Paul Sartre : 1/3 du livre, ça fait quant
un peu beaucoup. Même le strabisme commun bien que contraire des
deux auteurs ne saurait la justifier.
Nizan, atteint, comme beaucoup hier et presque tous aujourd'hui, par la
tentation de la fuite et de la démission, attiré par les
miroirs trompeurs des mirages tropicaux, nous raconte qu'il a fui son
minable et minuscule monde petit bourgeois, l'univers capitaliste, prisonnier
de ses rites et de ses convenances, étroit, borné, soumis
aux lois des jungles économiques et aux impératifs égoïstes
des classes dirigeantes, pour aller à la recherche, à la
rencontre d'un ailleurs, d'un autre-part où l'espoir éclairerait
l'horizon. En fait, au bout de sa fugue, il constate que l'illusion débouche
sur la dérision, que rien ne sert de courir le monde, que la gangrène
est générale, que les maux sont encore plus visibles, plus
à découvert, plus criants sous la dominantes coloniale,
expression extrême de l'exploitation de l'homme par l'homme.
Il y a certes dans le libre des noms de personnes oubliées (M.Barnstaple,
Margaret Bannerman, lord Burghley), évidemment des noms de lieux
évocateurs, des expressions bizarres (carrefours hollandais, l'oiseau
Roc), des phrases incompréhensibles (" La vérité
s'attrape au vol comme un oiseau naïf ", " La bourgeoisie
gave ses intellectuels dans des mues... ", " ..leurs désirs
n'étaient pas nommés, comme un couteau, comme un chien,
comme Dieu ", " Quant à la poésie, que les derniers
éléments minéraux des voyages coulent dans l'oubli
des mers "), des paragraphes et même des chapitres nébuleux
(le douzième particulièrement, presque en totalité),
toutes choses inconnues ou inintelligibles pour le commun, dont je suis
et que Nizan pourtant défend. Ce mélange d'une prose poétique
opaque caractéristique du surréalisme et de textes dénonciateurs
de situations concrètes nuit au propos du livre, à son unité
et à son pouvoir subversif. Sans oublier quelques dérapages
antisémites ("mains doucereuses de marchand juif ", "
comme il y a beau temps qu'ils ont hérité d'Israël,
ils passent la vie à prêter à intérêt
") qui jettent une ombre fugitive mais malsaine sur l'uvre.
Mais il y a aussi et surtout le décorticage de la mécanique
capitaliste, les portraits assassins des pantins de la bourgeoisie, même
si l'ouvrage n'a que peu de rapport avec l'analyse de Marx, dont il ne
parle d'ailleurs pas. Nizan s'attache surtout à la psychologie
des individus, aux ressorts intimes et cependant impersonnels qui les
font agir. Le livre foisonne de maximes décoiffantes. On voudrait
les citer toutes. Je me contenterai de ce court florilège parfaitement
d'actualité: " Nous ne sommes pas satisfaits d'avance des
métiers auxquels on nous dresse avec promesse de maigres salaires.
Nous avons peur de ce qui va nous arriver : la belle jeunesse! ",
" Vous pouvez uriner librement dans la mer : nommerez-vous ces actes
la liberté ? ", " Ces desseins, vous les nommez ici guerre,
commerce et transit : croyez-vous que ces mots excuseront tout jusqu'à
la fin des temps ? ", " Ce n'est pas assez d'avoir saisi l'essence
et les ressorts d'une vie inhumaine pour être protégé
contre les maux qu'elle donne ", " Quel péché
si vous réclamez la liberté et si vous annoncez que vous
voulez faire quelque chose pour elle ! Vous serez rejeté : revendiquer
un acte humain, c'est attaquer les forces maîtresses de tous les
malheurs ", " Il n'y a qu'une espèce valide de voyages,
qui est la marche vers les hommes ", " ...les paysages mélancoliques
sont ceux où les enfants meurent de faim, les paysages tragiques
sont ceux que traversent les fils de gendarmes casqués et des convois
de canons, les paysages exaltants sont ceux où n'importe qui peut
embrasser une femme sans trembler de froid ou de peur ", " Un
homme qui peut en même temps aimer une chute d'eau et monter sur
elle une turbine ne croira pas que toutes choses sont écrites ",
" La grande ruse de la bourgeoisie consiste à rendre les ouvriers
actionnaires ou rentiers ", " C'est le moment de faire la guerre
aux causes de la peur ", " Je ne veux pas mourir dans la dégradation
d'un banquier, ni dans la déchéance d'un manuvre docile
".
Il est stupéfiant que tout cela date de 80 ans. Puisqu'elle est
égarée dans un héritage multi millénaire de
désespoirs, de culs de sac tragiques car inéluctables, de
massacres, d'intolérance, de racisme, de fanatisme, d'obscurantisme,
de richesses intolérables pour une caste mondiale d'hyper privilégiés
écrasant la multitude dépossédée du strict
nécessaire, notre époque aurait-elle aussi besoin de clairvoyance,
d'honnêteté, d'utopie, de chemins vers des ailleurs, des
autrements à créer, de recherche et de poursuite du bonheur,
de monts rendus à leur signification profonde, de raison déraisonnable,
de remise à l'endroit, sur pied, des pyramides humaines, avec leurs
assises sur des sols nourriciers et leurs pointes dans les nuages, oui,
vraiment, notre époque star-académisée, aux arts
sponsorisés, aux produits frelatés et superflus, aux gâchis
publicitaires, aux pollutions de la nature et des esprits aurait bien
besoin de se décanter au filtre des Nizan plus que jamais indispensables.
Mais tout cela est une autre histoire. Aujourd'hui, il s'agit de parler
d'un livre et non pas de refaire le monde.
Toutefois, ne dit-on pas qu'au début était le Verbe ? Je
rends donc à ce verbe son but et sa portée, surtout quand
il emprunte la voix de Nizan, son style et son talent. Notre époque,
qui s'est débarrassée des vérités décrétées
et des carcans idéologiques totalitaires, mais de l'exploitation
capitaliste, pardon, libérale, aurait bien besoin d'un Nizan.
Marie-Thé Castendet
Je l'aurais ouvert davantage, mais j'y trouve trop de tourments, trop
de haine surtout. Si une mort brutale (et violente) ne l'avait pas si
tôt emporté, qu'aurait fait Paul Nizan de cette violence
intérieure, de toute cette colère, de toute cette haine,
plus présentes encore dans les dernières lignes du livre
? " Il ne faut plus craindre de haïr. Il ne faut plus rougir
d'être fanatique. Je leur dois du mal : ils ont failli me perdre.
La haine va s'accroître de la colère de savoir que la haine
est une diminution de l'Être
"
Pour moi, Aden Arabie est un livre sur la trahison. Dès la préface
de Sartre (si riche, si éclairante) on est peut-être à
la source des tourments de Nizan. Faisant allusion à un autre de
ses ouvrages, Sartre dit (p. 43) " Le Marxisme lui découvrit
le secret de son père : la solitude d'Antoine Bloyé venait
de la trahison. Cet ouvrier embourgeoisé
avait passé
la ligne et trahit sa classe pour se retrouver, simple molécule,
dans le monde moléculaire des petits bourgeois
Il connaissait
l'aliénation, le malheur des riches pour s'être fait complice
de ceux qui exploitaient les pauvres
un même coup de faux
avait tranché ses liens humains et sa vie. "
Et l'histoire se répète : p.50, Sartre nous parle de Nizan
et des communistes : " Ce père avait travaillé pour
d'autres, pour des Messieurs qui lui volaient sa force et sa vie ; contre
cela, Nizan s'était fait communiste. Or il apprenait qu'on l'utilisait
comme un instrument, en lui cachant les objectifs véritables, qu'on
lui avait soufflé des mensonges et qu'il les avait répétés
de bonne foi : à lui aussi, des hommes lointains, invisibles avaient
volé la force, la vie... il retrouvait dans le parti ce qu'il redoutait
le plus : l'aliénation du langage. "
Auparavant on voit comment Nizan a du mal à trouver sa place (p.45)
: " Il trahit la bourgeoisie sans rejoindre l'armée ennemie
et dut rester comme le " Pélerin ", un pied de chaque
coté de la frontière. " De l'École normale (p.22)
Sartre dit " La jeune élite est tout, elle n'est rien : cela
veut dire qu'elle est entretenue par l'État, par les familles ;
sous cette vaporeuse indistinction sa vie brûle ; tout à
coup l'esprit pur rencontre ce butoir : la mort. " Puis p. 23 il
y a cette réflexion de Nizan : " chaque homme est divisé
entre les hommes qu'il peut être. "
En lisant Aden Arabie, j'ai été saisie par l'écriture,
le fond et la forme, tout. J'y ai souligné vraiment beaucoup de
passages à lire et à relire, il serait trop long de les
citer. Apparaissent dès le début l'École normale
et ses philosophes
" On y dresse une partie de cette troupe
orgueilleuse de magiciens que ceux qui paient pour la former nomment l'Elite
" (p.57) " Ils font ainsi de la philosophie, qui demande en
somme assez de propreté et de soins pour qu'il soit honorable d'y
consacrer des vies soustraites a la comptabilité et la société
de Jésus. " (p.59). Et toujours : " La bourgeoisie gave
ses intellectuelles dans des mues pour qu'ils ne soient pas tentés
d'aimer le monde. " (p 60). Viennent ensuite les journées
de désespoir des lendemains de guerre. (p.63-64). Et puis : "
Chacun veut assurer son évasion par ses propres moyens. "
(p.66). Le voyage est comme la poursuite d'une quête, dont l'origine
pourrait se situer dans l'enfance de Nizan, qui après s'être
identifié a son père a vu chanceler cet " homme admirable
" (Sartre p.28) " J'avais peur, mon départ était
un enfant de la peur. " (p.81) On pourrait dire mon départ
était une peur de l'enfant
Enfin, p.136 on arrive a la description
de l'arbre qui masqué par la nuit fait peur : il ne ressemble plus
a un arbre. De même, Nizan dit " J'ai fais tous mes détours
pour retomber finalement sur la branche qui m'avait fais si peur. Je veux
dire que je retrouve les ombres redoutables que je fuyais et je vois que
se sont des hommes dont le nombre seul risque d'être dangereux
La nuit qui les rendaient redoutables, cette nuit de légendes,
de savoirs, de mots, et de beaux arts est dissipée par le soleil
qui dessèche jusqu'aux morts. " (les peurs de l'enfant ne
sont pas loin non plus)
" Il n'y a qu'une espèce valide de voyages, qui est la marche
vers les hommes. "
Voici ce que découvre Nizan au bout du voyage. Il faut à
présent combattre les ennemis de l'homme " parmi tous les
ennemis de l'homme il n'y en avait pas qui me fut plus familier que la
France : c'était à la France que, dans la mesure de ma force
je pouvais faire le plus de mal ". Et la haine de Nizan ira grandissante
jusqu'à la fin du livre. Cette phrase avant de terminer : "
Il n'existe que deux espèces humaines qui n'ont que la haine pour
lien. Celle qui écrase et celle qui ne consent pas à être
écrasée. "
Martine
En négatif, il y a le coté malaxage du vécu :
« Lintelligence est une vieille maniaque qui triture
les déchets » p.129. Et puis trop souvent, une impression
décriture datée ou de déjà lu... Agacement
aussi devant les belles âmes nanties qui se posent des questions
Par contre, peu à peu, jai retrouvé mes questions
dautrefois, ici dans celles dun « gauchiste »
des années 30. Il lui reste à accuser lennui de notre
condition humaine, puisquil ne peut accuser pour ce qui le
concerne- les conditions sociales. En tant que communiste et pour dautres
raisons encore, il ne peut avoir léchappée religieuse.
Ca ma fait un peu penser aux romans de Malraux, que jai tant
aimés, pour leur contenu philosophique (paraît quils
ont été amis). Pour moi qui suis en mal didéal,
ça fait du bien cette orientation « intérieure »,
avec un pied dans le réel, un pied dans la réflexion.
Nizan me donne la conscience que chaque génération a son
travail à accomplir pour faire « avancer la bonne cause ».
Esthétique de la dénonciation
(il fallait sembarquer
dans la liquidation de lempire colonial, donc merci à Nizan,
dautant plus quon essaye aujourdhui de réécrire
cette histoire là à coup de lois, avec lordre de présenter
de façon positive la colonisation). Ah, comme jaurais aimé
croire au communisme à cette époque-là ! Ca permet
de voir le chemin parcouru, de relativiser les croyances de chaque époque.
Les ruptures daujourdhui semblent comme aggravées,
durcies, radicalisées, et en même temps que banalisées.
Jai aimé voir son intérêt pour la politique
étrangère, esquissant ainsi une des grandes questions daujourdhui,
celle des équilibres mondiaux.
Je trouve aussi dans ce livre une question personnelle : quel est lintérêt
des voyages ? « Aden est un nud qui boucle bien
des cordes », et pourtant : « Il ne fallait
pas beaucoup de mois pour épuiser le pittoresque de cet Orient ».
Au fil de la lecture ce thème ma semblé devenir plus
secondaire : « Avais-je besoin, écrit-il, daller
déterrer des vérités si ordinaires dans les déserts
tropicaux »
Ce récit - qui est également celui de la construction
dune identité - jai eu envie de le faire lire
à mes fils de 25 ans : Il pourrait leur suggérer dêtre
un peu plus « révolutionnaires » ou seulement
contestataires dans leur façon dappréhender la réalité,
et pas seulement soucieux de leur insertion professionnelle. Il y a ici
de quoi voir comment un jeune homme dans ce milieu-là, cette époque-là
sen sortait
Et puis peut-être que mes fils y gagneraient
une aptitude à dénoncer ce quils sont, doù
ils viennent. Ils verraient peut-être la peinture dune personnalité
réelle, en évolution, telle que la leur, eux qui sont encore
capables de fantasmer sur le Parti socialiste !
Pour ce qui est de la vision pessimiste sur lhomme ( impuissance,
paresse, égoïsme
) elle serait nuancée par le
monde imaginaire que lhomme est capable dinventer pour décorer
la vérité, pour « ignorer notre indigence et
notre écrasement »
Cest déplaisant
pour moi du point de vue militant, mais ça me plait du point de
vue personnel ! Lui-même, quelque part, croit-il en lui ?
(p.71) Ne craint-il pas dêtre un peu ce « bourgeois
mécanisé par lexistence » ? Le thème
de lennui fait partie de ce regard déçu sur lêtre
humain et même laction serait incapable de nous sortir de
ce marasme (p.98). Ça ménerve ! Il faut (devoir !)
croire à quelque chose, ne pas prendre le risque de ne plus croire
à rien en se perdant dans lanalyse et lintellect
je ne vis pas comme un vers en croyant que je plane !
un livre
qui finirait par puer malgré tous ses beaux mots ?! Il a oublié
que la désespérance est un péché, comme le
lui apprenaient ses curés !!! Sans doute lauteur a-t-il
souffert de devoir se poser la terrible question (p..117) : « Lhomme
ne sera-t-il donc jamais quun personnage historique ? »
Lennui serait un beau masque pour une impuissance crainte, un masque
porté en force par lintelligence ?
Cependant,
en fin de lecture, comment ne pas tout pardonner à quelquun
qui écrit :« L homme attend lhomme,
cest même sa seule occupation intelligente »
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