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Hubert Mingarelli
Dernière neige
Nous avons lu ce livre en décembre 2005.
Florence
Au début j'ai trouvé ça bien. Ça m'a fait
penser à un livre d'Erri de Luca que j'aime beaucoup : Montedidio.
Même simplicité de la langue et du milieu décrit.
Des moments de grande poésie aussi pour parler des rêves
ou décrire les sensations au plus près.
Je ne sais pas à quel moment j'ai commencé à ne plus
marcher et à trouver ça fabriqué et répétitif.
À la première portée de chatons peut-être,
ou à la deuxième... Quand est venu le coup de la chienne
de la dame aux écureuils, j'en ai vraiment eu assez de tous ces
animaux à tuer. J'ai pensé que ça allait continuer
comme ça jusqu'à ce qu'il tue père et mère !
Donc j'ai laissé tomber p. 66. Trop désespérant pour
moi.
Françoise
J'ai lu ce livre jusqu'au bout et je lui reproche de n'apporter aucune
surprise. Tout est annoncé : le chien, le père, le
milan. Beaucoup de redites, beaucoup de répétitions. Il
n'y a que l'histoire de la mère qui m'a intriguée. Je ne
comprends pas ce qui se passe dans la tête de ce garçon qui
veut acheter ce milan pour qu'il puisse lui ouvrir les ailes mais dont
on ne sait pas s'il lui a ouvert la cage. J'ai trouvé la mort de
la chienne et la façon de la tuer assez lâches : pauvre
bête. Pour un conte de noël, c'est assez bof.
Jacqueline
Je n'avais pas proposé ce livre mais j'avais soutenu Mingarelli
pour qu'on lise d'autres livres de lui comme Les Quatre soldats ou
La Beauté des Loutres mais la dernière neige m'a
beaucoup plu aussi. J'aime la simplicité de cette langue. Cet auteur
aime avant tout les histoires. Il raconte le présent et il n'y
a pas de rappel du passé ni beaucoup de projection dans l'avenir.
Ce n'est pas un livre désespéré. C'est ce qui peut
se passer dans la vie : l'acceptation de la réalité,
sans résignation dans la lutte. On fait avec ce qu'on a :
c'est un peu le principe de réalité de Freud. Le rapport
avec le père apparaît encore plus important à la deuxième
lecture et c'est très émouvant.
Claude
J'ai beaucoup aimé ce livre. Ma première réaction
était le rejet par rapport aux tueries. Mais j'ai été
fascinée par la marche dans la neige : le fait qu'il parte
avec cette chienne pour l'abandonner dans la neige avec des moments heureux
de partage et des moments tristes quand la journée avance. Le désir
de ce garçon de posséder ce milan m'a étonnée.
Le lien entre le père et le fils est très touchant. C'est
attendrissant de voir ce fils qui partage quelque chose avec son père
et le récit de la capture. Je ne l'ouvre pas en entier car c'est
quand même très triste.
Dervila
J'ai aimé la franchise de ce garçon. Il y a du suspense
au sujet du milan. Est-ce que la chienne suit toujours ou pas pendant
la marche dans la neige ? Pourquoi il ne libère pas cette
chienne ? J'ai été convaincue par cette atmosphère
et sensible à l'idée d'un milan capturé dans une
cage (l'envergure d'un milan est de plus d'un mètre cinquante !).
L'image de l'eau fumante est terrible quand les chatons sont noyés.
Je n'ai pas bien compris l'histoire de l'eau qui le tracasse... ou le
calme. Mais il y a une trop grande simplicité dans la langue et
je ne l'aurais pas lu jusqu'au bout si je n'étais pas venue ce
soir...
Brigitte
Je suis perplexe : il y a plein de choses bien mais je ne suis jamais
rentrée dedans. Je ne suis pas l'amie des animaux et je n'ai rien
contre les personnes âgées. L'histoire du milan m'a intéressée.
J'ai beaucoup aimé le passage de la promenade dans la neige. Le
récit rend bien la longueur de ce type de promenade où on
se perd un peu. J'ai beaucoup aimé l'eau qui coule. Le garçon
raconte l'histoire de la capture du milan à son père :
il doit la raconter toujours de la même façon comme quand
on raconte des histoires à des enfants, sans changer un mot...
Le garçon est en attitude de parent vis-à-vis des adultes,
seule la mère a une attitude d'adulte lorsqu'elle lui touche les
cheveux. Je n'ouvre qu'à moitié car les histoires des animaux
m'ont empêchée de rentrer dans le livre.
Françoise O
J'ai eu du mal à rentrer dans le livre mais je l'ai quand même
lu deux fois. Deux sentiments très forts me sont restés :
le silence et la solitude. Le silence parce que le livre est plein de
bruits : la minuterie, l'eau qui tombe. La solitude écrasante
qui n'est pas une vraie solitude car le garçon est entouré
de monde mais il a du mal à communiquer. Il a une impossibilité
de dialogue réel avec sa mère et il ne peut pas dire la
vérité à son père non plus. Il est enfermé
sur lui-même. Le récit est allégorique. Par exemples :
l'enfermement est représenté par le milan en cage, la liberté
par l'écureuil et le rêve par le désir de posséder
un oiseau bien que cet oiseau soit en cage. Le livre est fait de toutes
ces contradictions. Le garçon promène les personnes âgées
pour gagner de l'argent mais également pour qu'elles sortent de
leur enfermement. Le garçon sort son père de son enfermement
grâce à son récit de la capture. La mère sort
tous les soirs, elle cherche également à sortir d'un enfermement.
J'ai aimé toutes les images de courbes : la courbe du chemin
de fer (la père avait peut-être travaillé sur ces
traverses), la courbe de la laisse, la courbe des traces dans la neige :
toutes ces petites choses qui font de récit comme un conte.
Manu
J'ai refermé le livre et je l'ai trouvé remarquable. C'est
pour moi un livre de sensations, de bruits : la minuterie, les gouttes
d'eau qui tombent : j'entendais tout cela. Je revois ce garçon
raconter ce récit à son père comme disait très
justement Brigitte comme un parent le raconterait à un enfant.
Je ressens le livre et toutes ces solitudes comme le dit Françoise.
Ce livre est magnifique mais beaucoup trop triste. J'aimerais voir les
ébauches pour découvrir le travail qui a amené à
une telle épure, à une telle simplicité. J'ai aimé
la notion du temps dans ce livre : il s'y passe beaucoup de choses,
sur plusieurs saisons mais le temps est ressenti en quelques pages. L'exemple
le plus significatif est cette longue marche dans la neige qui est comme
un point d'orgue, une espèce de non retour. J'ai apprécié
cette grande liberté donné à l'interprétation :
la chienne va-t-elle dans le wagon, meurt-elle ? Je n'ai pas pu m'identifier
au personnage principal. Malheureusement j'ai trouvé le livre " fabriqué ".
Page 19 je me suis demandé si c'était un récit rétrospectif,
ce qui m'a dérangé. Et puis l'auteur en a beaucoup mis :
la promenade des vieux, les noyades des chatons, ce gamin à qui
il ne reste que des bottes : quittera-t-il son village ? C'est
un livre désespérant !
Geneviève
D'accord et pas d'accord avec Manu. C'est un livre en noir et blanc. C'est
comme un rêve. Ce qui est essentiel c'est qu'on ne sait pas ce qui
arrive par la suite, on ne sait pas si le chien est mort. Qu'est-ce que
c'est qu'être vivant, qu'est-ce que c'est qu'être mort ?
C'est très bien qu'on ignore ce que la mère fait. Ce qui
est fort c'est l'histoire de la minuterie et le fils qui veut en parler
à sa mère. La relation est très fine entre le père
et le fils. Ce que le père veut transmettre au fils, et le fils
qui crée des liens, c'est magnifique ! Personnellement les
animaux je m'en fous mais on sort très vite de ces histoires de
bêtes. C'est un livre qui passe comme un souffle, comme une impression
fugitive. L'écriture est très forte, faite d'aplats. L'histoire
n'est pas hilarante mais ce n'est pas noir : c'est onirique.
Liliane
J'ai apprécié la recherche d'une écriture minimaliste.
C'est une écriture où le sens jaillit du prosaïsme.
Plus on est près de l'objet, plus ça donne du sens, mais
le projet est raté. Justement, il y a trop de sens et on se disperse
dans les interprétations possibles et c'est dommage : on s'égare.
Ce qui colle au projet c'est cette relation qu'a le garçon avec
le gardien du parc et non, pour moi, celle avec le père. Cette
relation avec le gardien est parfaite : il n'y a pas de multiple
sens. Ils boivent le café, ils sont gênés par le fait
d'avoir tué les chats. C'est un vrai roman avec un projet d'écriture
mais qui n'est pas abouti ; Il y a trop de symbolisme dans ce projet
minimaliste.
Monique
Ce n'est pas facile pour moi de parler de ce livre. On s'est rendu compte
dans le groupe que nous étions trois avoir lu cet auteur et on
a hésité à le proposer puis on s'est décidé
à inscrire ce livre dans la liste. J'ai lu toute l'uvre de
Mingarelli. C'est une écriture très étrange :
est-ce que c'est extraordinaire ou est-ce que c'est raté ?
On se pose la question à chacun de ses livres. Je suis très
intriguée par les livres de Mingarelli qui sont édités
en édition jeunesse, alors que ce n'est pas du tout pour la jeunesse.
Peut-être à cause de cette écriture facile. Le travail
de l'auteur est de retransmettre la vision de la vie d'un enfant, la vie
vue par un enfant. Les morts des chatons et de la chienne sont une préparation
à la perte d'un être cher. L'enfant ne théorise jamais,
il a des sensations. Malgré la douleur de la mort... ce qui sauve
les êtres c'est la fiction : raconter quelque chose qui emporte
le narrateur et celui qui l'écoute. La personne âgée
que l'enfant préfère est celle qui raconte la plus belle
histoire d'écureuil. Pour moi, c'est un grand écrivain,
un grand artiste. Quand on tombe sur un livre comme celui-là c'est
comme si on voyait un seul Giacometti, il faut voir tous les autres !
Annabelle
Je suis juste venue pour manger du foie gras et fêter Noël
avec vous, mais j'ai horreur des contes ! Et ce livre est bien un
conte, un conte oppressant : l'abandon de la chienne dans la neige,
quelle horreur ! J'en ai eu la nausée. A part cette apogée
plus rien ne touche même la mort du père. J'ai aimé
la relation père-fils, l'histoire mystérieuse de la mère.
Pour moi, le garçon n'est plus un enfant. Je n'offrirai jamais
ce livre à personne et heureusement je l'ai emprunté à
la bibliothèque car je n'en veux pas chez moi ! Pourtant j'aime
l'écriture.
Christine
Je suis triste d'avoir fini ce livre ! L'histoire de la marche dans
la neige est triste mais pas pour la chienne, pas pour la personne humaine.
C'est un milieu modeste. Ils ont une façon de vivre sans se poser
de questions. Le garçon promène des personnes âgées
qui payent si elles veulent. Il n'y a pas de demande. L'histoire bascule
avec la noyade des chatons : le garçon commet un acte qui
le fait passer à autre chose. Il est obligé de faire ça
pour acheter le milan. J'aime beaucoup l'écriture car chaque page
apporte quelque chose : la façon dont sont traités
les bruits, les pensées stridentes. C'est comme un film dont la
musique est très réussie ! Il n'y a rien de gratuit.
La mère va rejoindre un homme et le fils est très gêné
par rapport au père. Le personnage de la mère m'a beaucoup
touchée et la relation qu'elle a avec ce fils et son père
est très peu racontée justement. Je pensais qu'il n'achèterait
jamais ce milan mais qu'il allait abandonner le milan pour rejoindre son
père. J'ai beaucoup aimé les sons dans ce livre : la
tempête, le bruit de l'eau, la souffrance sous-entendue telle que
les gouttes d'eau le rassurent. Quand le père se meurt, il entend
de moins en moins bien, le fils rapproche le milan du père. L'auteur
a une façon très sobre de faire passer les sentiments. J'ai
moins aimé la fin.
Loana
J'ai très vite lu ce livre et j'ai voulu l'oublier très
vite. C'est un livre très fort sur l'euthanasie et la décision
à prendre face au choix de la vie et de la mort.
Annick
J'ai adoré ce livre mais je ne l'aurais pas proposé toute
seule au groupe. C'est un livre magnifique avec une écriture qui
est comme une petite musique, très légère, à
laquelle il faut prêter l'oreille. C'est un livre que j'ai offert
à des jeunes car ça parle de choses qui touchent tout le
monde. C'est un livre bouleversant. C'est comme si les choses étaient
suspendues, esquissées. C'est un livre avec des silences assourdissants
et musicalement magnifique. L'écriture donne une impression d'évidence
des choses, comme si on butait sur des choses qu'on n'avait pas vues jusque
là. C'est une écriture de sensations, rien n'est intellectualisé.
C'est l'évidence de la vie avec son horreur parfois : la mort
du père, le manque d'argent. C'est une existence têtue ;
à la fin le garçon cire les bottes : la vie est là.
C'est un livre qui ouvre des portes et qui a un respect du lecteur :
l'histoire n'est pas tracée au cordeau.
Claire
Si je n'avais pas lu ce livre et si je vous avais tout simplement écouté
parler, je me dirais que c'est vraiment un très grand livre, qui
suscite une telle richesse de lectures, de facettes. Je l'ai lu entièrement
au premier degré, en me demandant, comme disait Monique :
"est-ce que c'est réussi ou est-ce que c'est banal ?".
J'ai cru jusqu'à la fin que c'était la traduction d'un livre
italien, ce qui donnait une part de l'étrangeté. Je suis
une amie des bêtes mais je n'ai pas ressenti l'horreur par rapport
au sort qu'on leur fait subir. En me remémorant ma lecture (qui
date de la Toussaint), j'étais incapable de me souvenir de quoi
que ce soit : tout est revenu en ouvrant le livre, puis en vous écoutant.
Si je le relisais, j'aimerais être attentive à ce qui m'a
tenue sans comprendre le charme. Sur une vidéo visible sur le net
l'auteur dit : "pas d'effet, la caméra à l'épaule" ;
ça m'a tout de suite éclairée. J'ai été
tenue par le suspense, par l'intensité du récit. On accompagne
le personnage, pour ma part, je m'y projette. En revanche, apprendre qu'on
retrouve souvent dans l'uvre de Mingarelli la relation père-fils
ne m'a pas paru emballant...
Marie-Laure
La simplicité d'écriture de Mingarelli est un peu déroutante.
Il règne une atmosphère de mystères, de non dits
qui donnent envie de savoir. Ce livre se lit bien, on avance dans la lecture
sans même sans rendre compte. Une chose m'intrigue : l'absence
de la mère toutes les nuits... ? Se prostitue-t-elle pour
gagner un peu d'argent ?... et ce gamin pas scolarisé, drôle
de travail pour un enfant ou même un adolescent. J'ai aimé
les images de la capture du milan, inventée pour créer un
lien avec le père. La longue marche dans la colline est-elle initiatique ?
J'ai eu l'impression de marcher dans la neige à ses côtés,
de découvrir la route. On ne connaît pas non plus ce lien
étrange entre la mère et son fils, une écriture pleine
de pudeur qui laisse notre propre imagination vagabonder..."lorsqu'elle
a commencé à dire ces choses à propos d'elle et moi
et dont je n'ai pas envie de me souvenir, j'ai déroulé devant
mes yeux ce long et majestueux plané du milan". Je suppose
que l'essentiel du texte repose sur la force de l'amour père-fils
et la mort inéluctable du père.
Je reste un peu sur ma faim, mais agréablement surprise par les
images déclenchées au travers de cette écriture pleine
de sensibilité. Un conte superbe, bien qu'un peu triste.
Mone
J'ai envie d'ouvrir en entier le livre, car il me laisse une impression
très "forte", mais il me laisse une telle angoisse, une
telle désespérance dans son apparente banalité. C'est
justement ce qui fait sa force. Ce qui frappe tout d'abord, c'est la simplicité
du ton et des sentiments, la gentillesse naïve et la sensibilité
aiguë du garçon. La minutie des détails de la vie quotidienne
et banale rend plus angoissante et horrible les "faits", une
peur sous-jacente monte à travers la quotidienneté du récit.
En arrière plan, il y a la pauvreté, la maladie, la vieillesse,
la mort, l'incompréhension des adultes.
Claude
La parole est donnée à un enfant. J'ai cru qu'il s'agissait
d'un enfant italien : le nom de l'auteur ? La fontaine Di Gasio ?
rue de Brescia ?... la neige même que j'ai imaginée
sur les Dolomites. C'est peut être ça qui m'a fait faire
des images en noir et blanc, en lumière et ombre. Des images fortes
et précises données par un vocabulaire simple et évocateur.
J'ai été sensible à la force des sensations qu'elles
distillent : la silhouette du chasseur de milan, les arbres au fond
du parc, le foulard de la vieille dame, la fenêtre dans la chambre,
la longue marche dans la neige, l'enfant et sa mère dans le noir
de l'escalier... On perçoit aussi des bruits tellement importants
pour leur ressenti sur les personnes : l'oiseau qui mange - moment
de plénitude, de complicité, de satisfaction -, la
minuterie, désespoir du père perçu par l'enfant,
les sanglots étouffés de la mère que l'enfant fuit
en " déroulant devant ses yeux le long et majestueux
vol plané " moment de calme et d'apaisement.
J'ai été émue par l'expression pudique de l'amour
entre le père et le fils, de leur écoute mutuelle, de leur
complicité. Tous deux vivent l'intensité du moment présent :
qu'il soit beau (la fenêtre et la neige), qu'il soit chaud (faire
plaisir à l'autre, le récit de la capture, dire du mal des
autres, rituel des phrases autour du repas du milan), qu'il soit riche
de menus événements (la cage rapprochée imperceptiblement
du lit, la lumière douce). Que rien ne vienne perturber cette relation :
le bruit de la minuterie n'existera plus. Ce sont des moments de compréhension
de partage et d'amour.
J'ai trouvé dans ce livre l'expression d'un enfant sensible qui,
s'il ne comprend pas entièrement, ressent avec intensité.
Pour moi un livre sobre, pudique et dense.
Germaine
J'ai lu le livre très rapidement car l'histoire est courte, écrite
en phrases sobres, dans un style coulant. On accroche dès le début,
avec intérêt et émotion. Le livre fermé, on
y revient car, passionnant, émouvant, ce récit dégage
un intérêt constant pour son déroulement, les rapports
des personnages évoluant dans une atmosphère floue, à
mon avis plus mélancolique que triste.
Livre refermé, me restent en tête des images, des lumières,
des teintes qui jouent un grand rôle et que, si j'avais ce talent
(hélas !) j'aimerais transposer sur une toile évocatrice :
- les personnages, leurs gestes, leurs attitudes en traits esquissés ;
- les couleurs suggérant les sensations : le froid de
la neige, la tiédeur du soleil, le confort chaud des bottes, les
mares glacées trouant de divers bleus le blanc de la neige ou voilées
d'une vapeur gris laiteux, le blanc de la neige fraîche s'opposant
au triste gris de la neige souillée, le brun d'un tronc d'arbre
rappelant le roux de l'écureuil et la luisance du bois du lit ou
repose le père (qui en fut artisan), la douce lumière orangée
diffusée par l'abat-jour sur laquelle se détachent les barreaux
noirs de la cage de l'oiseau au bec crochu, au plumage noir et luisant,
avide de sa viande rouge (et chère) présenté dans
un bol jaune,
- les bruits qui ne pourraient figurer dans mon évocation
pastellisée : la lecture évoque avec les sensations
qu'elle engendre la minuterie dénonçant la sortie de la
mère qui trouble ainsi le sommeil de son mari et par là
même celle du fils soucieux du bien être physique et moral
de son très cher malade. La réaction que ce petit bruit
provoque chez les trois membres de la famille nous permet d'imaginer la
complexité de leurs rapports. Le milan se lissant les ailes ou
piquant du bec sa viande provoque des bruits agréables en même
temps au père et au fils. Si les gouttes d'eau du robinet aident
le sommeil du fils en lui rappelant son odyssée et ses pantalons
glacés, rien ne lui est plus cher que la santé de son père,
page 93 "sa respiration lente et régulière, me calmait
comme des pantalons qui s'égouttent sur un plancher".
Lil
J'ai aimé ce récit intimiste pour sa justesse de ton, l'analyse
très fine des personnages (psychologie, comportement) et de leurs
relations. J'y ai trouvé tous les thèmes essentiels de la
condition humaine : la vie (la survie !), l'amour, la maladie,
la vieillesse, la mort, la solitude, les choix à faire et les stratagèmes
que nous utilisons pour survivre à certains choix, étouffer
nos culpabilités, nos remords... J'ai été bouleversée
par le destin tragique des animaux, toujours soumis au pouvoir, souvent
cruel, des humains :
- le milan captif cristallise tous les rêves, autour de lui,
se resserrent les liens entre le père et le fils, se noue leur
complicité. Grâce à lui, père et fils éloignent
une réalité insupportable, retrouvent une certaine dignité.
De très beaux passages sur cette échappée vers un
ailleurs meilleur, tout de beauté, lorsque les deux protagonistes
regardent le milan manger, dans le contre-jour de la fenêtre sur
fond de flocons virevoltant
- les chatons et la chienne sacrifiés pour l'achat du milan.
Barbarie qui repose la question tragique des choix que nous devons faire
parfois et des conséquences, ou : "comment on se débrouille
ensuite avec sa conscience"...
Les relations père-fils et mère-fils sont superbement décrites
(rituels complices, attentions, protection mutuelle, pudeur, complicité,
amour...). J'ai aimé la façon dont les choses sont souvent
suggérées, à peine évoquées (par exemple
l'absence de la mère et l'explication de cette absence). Je ne
connaissais pas Mingarelli et ce livre a, pour moi, un goût de "revenez-y".
Mais, même si ce récit bouleversant, très émouvant
nous laisse entrevoir finalement des lueurs d'espérance, comme
un vrai conte de Noël, même si la mort du père délivre
le garçon de son passé, même si l'espoir d'une vie
nouvelle luit, enfin, dans les bottes ardemment cirées, les membres
parisiens, à l'initiative de ce choix sinistre, pour cette période
de l'année où nous avons tous besoin de soleil et de rires,
porteront une lourde responsabilité : nous allons devoir noyer
notre chagrin dans le chouchenn... Bonne, belle, tendre et chaleureuse
année à toutes et tous !
NICOLE
¾ ouvert
Lona
L'histoire se passe dans un milieu pauvre, entre un fils tout jeune et
ses parents : un père malade, alité, grabataire, mourant ;
une mère plutôt absente, qui sort de chez elle pratiquement
toutes les nuits (pour aller où ? pour faire quoi ?).
C'est une relation très particulière entre un fils et son
père malade, on pourrait parler de relation inversée :
l'enfant prend en charge son père ; l'enfant lui raconte une
histoire, et le père est toujours demandeur de cette même
histoire, et chacun y trouve son bonheur. C'est l'histoire d'un milan :
un oiseau en cage qui suscite tellement de désirs de la part de
l'enfant, tellement de rêves, tellement d'envie de possession...
Et l'enfant va tout faire pour pouvoir le posséder ! Il travaille
dans un hospice de personnes âgées et sera confronté
à la valeur de l'argent, à la gratuité des services
rendus, à la mort de ses généreux donateurs !
Dans cet hospice et sous l'influence du concierge-protecteur-ami, il deviendra
criminel d'animaux pour satisfaire ses désirs : celui d'acheter,
de posséder cet oiseau en cage, ce milan ! Le dernier crime
se fera sur un chemin interminable de neige, à travers beaucoup
d'écueils et de difficultés, il sera également interminable
dans la durée (et dans la lecture !). Mais ce ne sera pas
un " vrai crime ", car il laisse tout de même
une chance de survie au chien (les chatons n'en avaient aucune) puisqu'il
ne le tue pas, mais l'abandonne dans la campagne enneigée. Mort,
remords, culpabilité : analyse toute freudienne " tuer
son père et sa mère pour grandir... ". Le tout
tissé sur fond de neige, de blancheur, de virginité, neige
qui efface les traces, les traces du crime aussi, pour se retrouver seul,
sans le père, chausser ses bottes, se mettre debout dans une pointure
d'adulte, devenir adulte enfin ; peut-être pour prendre sa
place auprès de cette mère absente et sacrifiée ?
L'histoire termine avec cette image de bottes cirées (qui n'a pas
plu à tout le monde !) : il est chaussé de bottes
d'adultes et qui plus est, de bottes super astiquées, donc presque
neuves, ses jeunes pieds prêts à marcher sur une nouvelle
route, pour un nouveau départ. Donc je reviens à l'analyse
psy d'avant : la mort du père = une re naissance pour
le fils ! Je n'ai pas lu ce livre comme étant un conte. La
narration est simple, peu de dialogues (une répétition,
parfois un peu lassante), peu de détails sur les lieues de la scène,
ni sur l'âge de l'enfant, ni sur la vie des parents. C'est comme
si tous les personnages étaient figés dans le temps. Chacun
peut imaginer le cadre, les personnages, le milan coincé dans sa
cage. J'ai apprécié la description de cette filiation inversée,
fils/père, pleine d'émotion, d'amour non dit oralement,
mais exprimé avec des rituels. C'est un livre plein d'émotion,
malgré une toile de fond tissée d'angoisse, de mort(s),
de culpabilité.
Martine : partir de bon matin sur la route de ma vie, chaussée
avec les bottes bien cirées de mon père, celles qui connaissent
le (bon) chemin : que peut-il m'arriver de mal ?
(Parole d'une de mes filles, à six ans : "maman, aujourd'hui,
je veux mettre mes chaussures qui courent vite !")
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