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Russel Banks
American Darling
Nous avons lu ce livre en mars 2007.
Florence
Je ne lis pas volontiers de littérature nord-américaine.
J'ai du mal avec l'impérialisme. En littérature aussi. Mais
Claire m'avait laissé entendre que ce livre-ci valait vraiment
la peine. Alors je l'ai emporté en vacances et... je l'ai dévoré !
(Merci Claire !) Tout de suite, j'ai été saisie par
la personnalité extraordinaire de la narratrice et intéressée
par son récit : sa construction bien sûr. Tout est dit
dés le début et pourtant, le suspens reste entier. C'est
très fort. L'itinéraire "révolutionnaire"
d'Hannah m'a révélé tout un pan de l'histoire politique
américaine que j'ignorais. Et surtout, l'Histoire véritable
du Libéria, enchâssée dans le roman comme une part
de la fiction, s'est révélée absolument passionnante
pour moi. J'ai eu envie d'en savoir plus et j'ai pu vérifier que
Russel Banks "n'inventait rien" sur l'Histoire du pays. Son
invention, prodigieuse, consiste simplement, si j'ose dire, à mêler
l'Histoire à son histoire. C'est virtuose !
Une seule petite réserve sous forme de question : que vient
faire le 11 septembre là-dedans ? Pourquoi l'auteur laisse-t-il
entendre à la fin du roman que tout ce qui a eu lieu avant devient
dérisoire ? Comme si la tragédie américaine
(quelques centaines de morts) avait infiniment plus d'importance que la
tragédie libérienne (quelques centaines de milliers de morts),
ce qui, pour moi, est loin d'être évident... J'ai tendance
à voir là, encore une fois, un effet de cette vision du
monde "ethnocentrée" qui me déplaît tant
chez les Nord-américains. Mais peut-être est-ce précisément
le sujet d'American Darling...
Manuel
Pour moi, ce livre figure parmi le top 3 des livres que j'ai lus avec
vous. J'ai été, comme on dit communément, emporté.
Pour la forme : les changements de temps, dès le début
créent une tension, une dynamique qui donnent au récit une
grande part de son attrait. Je ne me suis jamais ennuyé et j'ai
toujours été plus curieux encore de la suite des événements
même si leur issue nous est donnée en plein milieu du roman !
J'ai aimé les métaphores, les images, le mode très
direct du récit, ses ruptures narratives et surtout le "je".
L'illusion que le narrateur se confie au lecteur est parfaite.
Ensuite le fond : j'ai appris un tas de choses dans ce roman sur
le Libéria en plus de ce que nous avons lu (je pense surtout à
Ebène)
et de ce que j'ai vu au cinéma (Blood diamond, Lord of
War ou Le dernier Roi d'Ecosse). Je ne sais pas si c'est une
impression, mais les Américains portent un jugement très
critique sur leur politique en Afrique que n'ont pas les Européens
ou qui est différent. Je me trompe sûrement...
J'ai beaucoup aimé le destin de cette femme avec ses rêves,
son combat pour sauver les chimpanzés qui est vain... La crudité
de certains de ses propos qui tapent dans le mille : sur ses rapports
avec son mari, les Africains, ses enfants et ses descriptions en général.
Le retournement de situation également : ses idéaux
révolutionnaires ont servi à libérer un nouveau dictateur.
Chez Russell Banks, tout n'est pas noir, tout n'est pas blanc et c'est
ce qui, pour moi, fait toute la valeur et la force de sa démarche
et de son livre : prendre son lecteur pour un adulte afin de lui
ouvrir les yeux sur un monde qui va toujours plus mal comme il semble
le dire à la fin du roman.
Et en plus, dans une note p. 129, est cité L'Oiseau
moqueur que certains d'entre nous ont beaucoup aimé
Brigitte
Je regrette de ne pouvoir être avec vous ce soir. Sujet très
intéressant, mais je pense que Russel Banks ne l'approfondit pas
suffisamment. Pourtant le drame du Libéria, notamment le problème
des enfants soldats, mérite vraiment qu'on s'y intéresse.
Hannah-Dawn ne comprendra pas ses parents, ne communique pas avec son
mari et ne comprend que très superficiellement ses propres enfants.
Ce qui l'intéresse, ce sont les chimpanzés ! Je n'arrive
pas à partager cette passion. J'ai rencontré ces jours-ci
des gens qui reviennent du Libéria. Pour obtenir des enfants-soldats
qu'ils rendent leurs armes, on leur a donné de l'argent, ce qui
leur a permis de s'acheter des super mobylettes ou petites motos et de
s'habiller en "fighter" pour pouvoir frimer. Dans les villages,
ils ont tué toutes les personnages âgées ainsi que
le bétail, ce qui pose pas mal de problèmes. On arrive difficilement
à les faire rentrer dans leur famille (qui a peur d'eux) et à
ce qu'ils acceptent de respecter les adultes et l'idée de travailler.
Le pays est pris en charge par de nombreuses ONG (américaines surtout)
qui tentent de reconstruire les pistes, les hôpitaux, les habitations,
etc. La présidente actuelle (depuis 2003) jouit d'une bonne réputation,
mais Taylor est toujours au Nigéria, je crois, et présente
encore un danger potentiel.
Françoise O
Il y a 30 ans, j'étais à l'est du Congo et on m'a proposé
d'aller peut-être voir des gorilles. Il fallait s'immobiliser totalement
s'ils approchaient. On a senti qu'on était encerclé et l'un
d'eux a surgi - j'étais la seule femme du groupe - avec
lequel j'ai eu un échange de regard intense, dans un silence total.
Le guide m'a fait signe discrètement au bout d'un moment de reculer
tout doucement. C'est une expérience qui m'a marquée et
que je n'oublierai jamais. Les rêveurs d'Hannah me rappellent cette
expérience. Cette femme dans sa grande solitude a l'impression
d'avoir trahi les chimpanzés. J'ai eu l'impression d'avoir lu un
roman autobiographique et j'ai eu un choc quand je me suis aperçue
que l'auteur était un homme. C'est une prouesse.
Claire
Je n'ai pas eu de coup de foudre avec un chimpanzé, mais ce livre
m'a BEAUCOUP plu malgré son volume. Comme Manu, je retiens l'effet
de la structure : l'anticipation ajoute à l'intérêt,
comme les retours en arrière ou les digressions. L'adresse au lecteur
créé un effet de mystère et de réalité
à la fois. La femme est étonnante : elle est glacée,
et en même temps émouvante (avec son père). A plusieurs
moments, je me suis demandé si j'avalais des invraisemblances (son
mariage). Lors du retour aux USA, avec sa mère, elle me donne l'impression
d'une vraie tête à claques. J'ai une réserve sur la
pacotille religieuse avec les chimpanzés p. 368 : un
parallèle avec la religion et la rencontre avec les rêveurs.
Je me suis demandé en permanence si c'était vrai. Les personnages ?
La guerre civile ? Le gauchisme ? J'ai énormément
aimé ce livre et je reste stupéfiée par la puissance
de la structure narrative. Quel travail que ce livre ! J'aimerais
savoir comment l'auteur l'a bâti.
Liliane
J'ai lu un peu plus des deux tiers. J'avais lu ici Sous le Règne
de Bone. Comme Monique ou Florence, j'ai du mal avec la littérature
américaine. Ce qui m'intéresse surtout c'est le Libéria.
Le personnage féminin pose des questions (on n'est pas toujours
cohérent dans sa vie) mais m'intéresse beaucoup moins. Quand
de retour aux USA, elle retrouve les mêmes (Zak
), ça
fait perdre de l'intérêt à ma lecture. Banks a une
capacité prodigieuse de romancier. La femme me reste étrangère,
je la regarde comme un phénomène, tout en rendant hommage
à l'écrivain qui a suscité le contexte (Liberia,
colonialisme). Je n'ouvre qu'à moitié car il ne me convainc
pas complètement, peut-être à cause du personnage
féminin. D'autres personnages m'ont parlé davantage. Que
cette femme qui ne veut pas être sur des rails soit récupérée
par d'autres rails me reste lointain.
Annick entre
et
J'ai une impression mitigée : depuis le début ce personnage
de femme me dérange, je ne suis pas en empathie, ça aurait
pu arrêter ma lecture. Cette femme est abstraite et elle est incapable
de sentir. Ce qui sauve ce personnage, c'est sa lucidité sur elle-même.
Elle développe une explication de son incapacité maternelle.
J'ai trouvé quand même cela artificiel, elle n'a que des
impressions fugaces. Elle fuit, on a l'impression d'être à
côté en tant que lecteur. Par moments, j'en avais assez.
Quand elle revient dans sa famille, il y a un regard échangé
avec le père mourant, ce passage est fabuleux. Le thème
du regard est récurrent. Celui qui voit ou qui ne voit pas. Elle
ne communique pas avec sa mère car sa mère ne l'a jamais
regardée. Finalement, ce livre me paraît très intéressant,
avec une capacité d'auto-analyse. Le regard est un aveuglement
et une lucidité progressive.
Françoise D
Ce personnage de femme est prodigieux, je ne m'en sens pas proche - ce
n'est pas nécessaire - mais j'y ai cru et je rends hommage
à l'auteur pour cette réussite. Au début je me suis
demandé "comment a-t-elle pu survivre à tout ça ?" ;
et puis l'auteur fait si bien qu'on comprend son parcours. Rien ne me
paraît invraisemblable : cette femme est étrangère
dans ce pays, étrangère à son mari, puis à
ses enfants (et n'était-elle pas déjà étrangère
à sa famille -raison pour laquelle elle a choisi la marginalité ?) ;
pas étonnant qu'elle se "tourne" vers les chimpanzés.
Françoise a raison, Hannah est extrêmement seule, tout le
temps. Comme vous, j'ai été conquise par la construction
et le contexte historique tant américain que libérien. Tout
m'a plu. Ce livre m'a fait penser à Disgrâce de Coetzee,
non par l'écriture beaucoup plus âpre, mais par l'atmosphère.
Je compare aussi ce livre à Mating (traduit par Accouplement)
de Norman Rush, qui raconte également l'histoire d'une femme en
Afrique, au Botswana, mais l'auteur se livre trop souvent à des
généralités sur "les femmes" dans la bouche
de son personnage féminin, ce qui ôte à la vraisemblance
(et ce qui prouve qu'il n'est pas si facile de construire un personnage
féminin). J'avais moins aimé Sous le Règne de
Bone, mais adoré De Beaux Lendemains, mis en scène
au cinéma par Atom Egoyan.
Geneviève
Je suis une inconditionnelle de Banks, j'ai adoré aussi Le Pourfendeur
de nuage. Il y a un souffle dans tous ses livres, cette manière
de traverser tous les continents avec une finesse psychologique. Cette
façon d'allier l'histoire et le roman me fascine. Et l'histoire
qui est la nôtre. J'en ai besoin. Cette étrangeté
avec cette femme me captive. On se demande quelle est son histoire ;
son étrangeté à l'Afrique, avec ses enfants, ses
parents est honnête et reste opaque. Elle a un regard rétrospectif
sur elle-même passionnant. Le rapport à l'humain, ce qui
motive l'amour ou non, cette difficulté à s'approprier sa
propre histoire, cette étrangeté, je la partage complètement.
Rozenn
J'ai peu à en dire. Je l'ai lu en une journée après
un retour d'Afrique, j'en ai peu de souvenirs. C'est l'histoire d'une
manipulatrice, on ne sait pas quelle est la part de vérité
et de mensonge. C'est une femme insupportable d'égocentrisme et
d'autoprotection. Ce livre m'a happée mais je ne sais pas si je
le relirai.
Jacqueline
Je l'ai lu à sa sortie. J'étais scotchée, j'ai soutenu
le choix mais je ne l'ai pas relu. Vos commentaires m'incitent à
le relire ; pour l'horreur de cette histoire, cette froideur, ce
retournement de situation... J'ai du mal à supporter ces personnages
pris dans une utopie et qui sont floués. Je n'apprécie pas
la noirceur des romans de Russel Banks. Le Pourfendeur de nuages ?
C'est génial !
Katell
Avec Françoise D., nous avions insisté pour mettre
ce livre au programme. Je l'ai lu l'an dernier et c'est certainement un
des meilleurs romans que j'aie jamais lus. Contrairement à certaines,
j'adore la littérature américaine. Je pense que c'est une
littérature totale, dans le sens où " elle peut
nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés,
nous conduire vers les autres êtres humains autour de nous, nous
faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre "
pour reprendre les termes de Tzvetan Todorov (La Littérature
en péril, que je viens d'achever). J'ai lu pas mal de romans
de Russel Banks, que je tiens pour l'un des plus grands écrivains
de notre temps (va-t-il être nobélisé ?) :
l'accessible Sous le Règne de Bone, Continents à
la dérive, le difficile Pourfendeur de nuages, le tragique
De beaux lendemains (je recommande également le très
beau film d'Atom Egoyan où Russel Banks fait une courte apparition
à la fin), Affliction...
Dans American Darling, je retiendrai d'abord la performance de
cet auteur homme qui fait vivre une femme avec cette subtilité
et cette sensibilité ; la construction du récit qui
entremêle passé et présent, la diversité des
lieux évoqués (l'Amérique de la fin des années
soixante au Libéria) et la complexité de l'itinéraire
et du destin. Il nous donne à voir que l'on n'est jamais ni tout
noir, ni tout blanc, que chacun porte un soi une part d'ombre. Il m'a
fait aussi penser à ce roman magnifique de Philippe Roth, Pastorale
américaine, où il y a également une héroïne
issu d'un très bon milieu et qui devient terroriste à la
même époque !
Sylviane (du groupe breton dont les avis suivent)
Voici un roman dur, décrivant des scènes et périodes
historiques très difficiles. Mais malgré tout passionnant !
J'avais hâte de poursuivre chaque soir la lecture. Ce qui est un
bon signe !
Il s'agit donc du portrait d'une femme qui s'engage assez tôt, d'abord
en réaction contre ses parents et ses origines sociales. Un engagement
qu'elle va payer en se trouvant forcée à changer d'identité
et à fuir son pays. En Afrique, elle va prendre conscience que
les idéaux ont leur limite, ne sont souvent qu'utopiques, que l'être
humain peut être très contradictoire, avoir un comportement
en opposition radicale avec son discours... Que le seul but d'une grande
majorité d'Hommes est de dominer les autres. On se trouve donc
avec ce roman, face à l'essence de l'humanité et... à
l'inhumanité (en Amérique ou en Afrique).
Voilà pour l'essentiel ce que je retiens de ce roman que je conseillerais
à mes lecteurs !
Nathalie
J'ai beaucoup aimé ce livre. Roman politique, avant tout. Je l'ai
aimé pour plusieurs raisons :
- tout d'abord pour l'écriture, l'écrivain a su mêler
"une histoire" avec l'Histoire
Puis ensuite :
- pour l'héroïne, une femme déterminée
et froide, mais tout au long du roman je me pose la question dit-elle
vraiment la vérité ? A la fin du livre, je n'en suis
toujours pas convaincu ??!!
- et ensuite, parce que ce livre m'a permis de faire des recherches
sur le Libéria, et d'apprendre quels liens pervers unissaient les
États-Unis et le Libéria.
Marie Thé
Jouvre ce livre au 1/4. Juste pour la force qui sen dégage.
Je nai pas aimé du tout, presque détesté ;
cest cauchemardesque. Il y a assez dhorreurs dans les médias,
je nai pas envie den retrouver dans mes lectures. Et puis
je naime pas le style du livre non plus.
Sur le fond, je naime pas lhéroïne, la violence
en elle, quelle semble traîner dans son sillage dun
continent à lautre. Je pense quelle a beaucoup agi
par opposition à ses parents.
La filiation, le sol, ont une place importante dans le livre, mais je
nai pas envie non plus de my attarder. Cela ma un peu
fait penser à Coetzee. Par dautres aspects je retrouve La
Constance du jardinier. Autre chose : quelques clichés
sur lAmérique ou lAfrique mont agacée.
Je préfère marrêter là, je nai
pas aimé, cest tout. Sur lAfrique javais adoré
le livre de Le Clezio LAfricain : rencontre du père
et de lAfrique ; ou encore Karen Blixen décrivant
les splendeurs de lAfrique et de lamour.
Lona
Lecture facile, traduction parfaite, histoire passionnante.
Est-ce une autobiographie ? On pourrait le penser. Pourtant l'auteur
est un homme, mais il raconte tellement bien l'histoire de cette femme
Hannah ! Une américaine, bourgeoise, enfant gâtée,
révolutionnaire, activiste, maoïste et terroriste : son
inconscience, son irresponsabilité, sa recherche constante d'identité,
sa fuite en avant, son instabilité affective et sexuelle, vie de
femme faite d'interrogations, de recherches, de dénis, m'ont profondément
interrogé, parfois agacée, mais j'ai suivi avec intérêt
le parcours de cette femme.
Il faut replacer l'écrit dans l'histoire même du Libéria :
un pays entièrement " fabriqué " par
les Américains. Suite à des soulèvements et pour
des raisons économiques et sociales (ces esclaves abolitionnistes,
dangereux et trop nombreux, devenaient une réelle menace à
court terme). Le gouvernement américain les renvoie en Afrique
et leur " attribue " une terre relativement vide et
inculte, oubliée des colons blancs. Ces nouveaux esclaves affranchis,
dont certains étaient des bagnards et des évadés,
reproduisent le schéma classique : colons/colonisés,
mais il s'agit d'un schéma particulier, colons noirs/colonisés
noirs. La théorie américaine de libération des esclaves,
d'autonomie, de démocratie, de bonne conscience s'écroule
et c'est l'échec : corruption, intérêts privés,
pays en régression économique et sociale, pays de non droit,
scènes de guerre, cupidité, soif de pouvoir, alcoolisme,
analphabétisme, violence, sauvagerie, cannibalisme, folie... En
arrière-fond de lobbyings (hévéas, riz, agrumes,
fer, diamant, bois, cacao, profits pharmacologiques).
Les descriptions sont retransmises avec une précision parfaite :
la ferme aux USA, l'amitié entre les femmes, les scènes
de vie africaine, le village, les rites et les rituels, les odeurs, la
pauvreté, la richesse des nantis du gouvernement, l'illettrisme,
les viols, les dieux, les tabous, les gris-gris, les animaux... C'est
comme si on y était : même dans la sauvagerie et la
violence ! De très belles pages également lors du retour
aux USA et la rencontre du père.
Pourquoi cette Hannah est-elle tombée amoureuse de Woodrow ?
Par intérêt sécuritaire ? Et pourquoi l'épouser,
elle qui a vécu cette alliance comme une " prise de butin " ?
Elle a eu une telle facilité à abandonner mari/fils/chimpanzés/parents/amis :
sa façon de se protéger, de ne pas créer d'attache ?
Etait-elle capable de sentiments ? N'était-elle pas une " invalide "
affective, une perpétuelle révoltée, violente, marginale,
toujours en fuite, une névrosée ? Les seuls moments
où elle a manifesté une semblant d'humanité c'était
avec ses chimpanzés enfermés : contact par le regard.
L'enfermement et le manque de paroles sont importants dans ce récit :
son propre enfermement dans sa bulle sociale, protégée des
problèmes extérieurs à sa villa de nantie, le manque
de paroles des singes, son art de compartimenter sa vie... Ensuite, trop
tardivement elle a redécouvert son père, mourant et la parole
n'a plus passée (p.496). Trop tard aussi elle s'est rapprochée
de sa mère âgée et diminuée. Trop tard, elle
exprime des regrets envers le Libéria (p.287).
Rêves, utopie, culpabilité : en fait, elle a toujours
eu un temps de retard : sa révolution, son mari, ses enfants,
ses chimpanzés, ses parents. Tous morts.
Pour la petite histoire :
Après plusieurs coups d'état, les uns plus atroces que les
autres, aujourd'hui le Libéria a une femme présidente :
Eilen Johnson (elle était en lice aux élections présidentielles
avec un footballeur) ; le chômage est à plus de 60%,
le taux de criminalité est important car les armes n'ont pas toutes
été rendues après la guerre et la situation est dite
" volatile " car beaucoup de Libériens ne souhaitent
pas la paix (pour des raisons de pouvoir, d'intérêts privés
et de corruption). Ce pays est actuellement sous contrôle UN et
(le séduisant !) Charles Taylor doit comparaître prochainement
au TPI de La Haye pour crimes de guerre. (je pense que l'épisode
de la fuite de Taylor de la prison américaine fait partie de la
fiction : à vérifier !)
Il reste un long chemin pour réinsérer les enfants soldats,
panser les blessures et retrouver la confiance à défaut
d'instaurer un semblant de paix. L'Afrique : un pays d'avenir ?
Lire au sujet des enfants-soldats, le livre d'Ahmadou Kourouma Allah
n'est pas obligé.
Jean-Luc
J'ai apprécié l'histoire du cheminement d'Hannah qui essaie
de toutes ses forces de faire coïncider sa vie avec son engagement
révolutionnaire. Malgré ses déconvenues et son choix
paradoxal d'être la femme d'un ministre important d'un gouvernement
pourri, elle reste fidèle à elle-même, luttant jusqu'au
bout pour des valeurs d'égalité, de liberté et de
fraternité. Son combat, souvent ridicule, s'arrête quand
même, lorsque l'homme (Charles Taylor) en qui elle avait mis sa
confiance révolutionnaire se révèle être un
tyran sanguinaire de la pire espèce.
C'est un choc : elle revient à une vie simple d'agricultrice
au pays de son enfance.
Mon'
J'ai été aussi passionnée à cette seconde
lecture que je l'avais été à la première.
Je trouve très fort le personnage d'Hannah, dans sa complexité,
son histoire et celle de tous les êtres qui l'entourent. Ils sont
nombreux et on croit véritablement à leur existence. Ce
livre nous fait vivre l'Afrique et mieux prendre conscience de ce qui
s'y passe dans son incohérence.
Lil
Un grand livre : une construction en boucle, très maligne,
qui entretient le suspens et une superbe écriture qui vous emporte
et, « délicieusement », vous immerge dans
la béatitude et l'horreur. On se prend au jeu, avec passion :
on vit, souffre, pleure, rit (un peu !), espère avec les personnages.
L'Afrique nous entre par tous les sens... L'histoire du Libéria
et de cette pauvre Afrique de l'Ouest malmène nos consciences de
nantis manipulateurs et exploiteurs... Pauvre, pauvre Afrique... Quelle
image de violence, de terreur, de misère, de désespoir,
nous sommes-nous construite au fil de nos nombreuses lectures sur ce continent,
cette année ?! Je ne parlerai pas du problème des enfants
soldats évoqué dans ce livre : un drame bien au-delà
des mots. Et, balayés par le flot de la grande Histoire, les petits
destins personnels : celui d'Hannah, si complexe, si irritante et
touchante à la fois, pur produit de son époque et de son
milieu, mal à l'aise parmi les hommes, profondément heureuse
et intuitive avec les animaux, paumée, emportée par l'Histoire
et qui essaie de s'y caler du mieux qu'elle peut en fonction des circonstances...
Hannah et son problématique instinct maternel, Hannah qui ne se
sent exister que dans le regard de ses chimpanzés ( le thème
du "regard qui construit"récurrent dans ce livre), Hannah
dont je me suis sentie si proche, parfois...
En refermant ce roman, je me suis dit qu'il nous posait les questions
essentielles : Qui sommes-nous réellement ? Quelles sont
nos réelles motivations dans les combats que nous menons ?
Sont-elles aussi pures et nobles que nous le croyons ? Qu'est-ce
qui nous fait agir ? Comment nous arrangeons-nous avec nous-mêmes
pour nous en tirer honorablement (on se met la tête sous le bras,
peut-être, ou bien « on se la joue », comme
Hannah !) ? Pouvons-nous nous analyser en toute objectivité
et sans concessions ? Qu'est-ce qui donne un sens à notre
vie ? Comment appréhender la vieillesse : "la vieillesse
est une lente surprise", dit Banks !
Bref, une réflexion profonde sur l'humilité de notre condition
humaine !
Nicole
Si j'avais dû donner mon avis en refermant ce livre, il aurait été
très proche du négatif, tant le personnage d'Hannah m'avait
exaspéré, peut-être parce qu'il me renvoyait parfois
à moi-même. J'avais toutefois apprécié le côté
historique du roman.
Puis dans les jours qui ont suivi, je n'ai cessé de penser aux
personnages et en particulier à Hannah, et petit à petit
le livre a fait son chemin, J'ai essayé de comprendre les agissements
de chacun au lieu de les juger, j'ai mesuré leur complexité
psychologique et par la-même le talent de l'auteur. Alors comme
Hannah je suis passée d'un extrême à l'autre !
Gilles (internaute inconnu)
Bonjour,
J'ai lu ce livre il y a un an et comme ça immédiatement,
à brûle pourpoint, je m'en souviens à peine, pourtant
je sais qu'il m'avait alors beaucoup plu. Il y a une intrigue, un certain
suspens, on est captivé, c'est puissant et romanesque à
la fois. L'histoire de cette femme, qui n'est pas d'emblée attachante
ni très sympathique, est intéressante avec son amour des
chimpanzés tout à fait anglo-saxon en quelque sorte, et
sa pugnacité, sa personnalité complexe. L'histoire des enfants
soldats est plus qu'instructive, ça prend aux tripes, c'est très
vivant sinon actuel. A propos de Charles Taylor, quel bizarre rapprochement
suis-je tenté de faire avec le titre du dernier livre d'Arnaud
Cathrine La Disparition de Richard Taylor. Je doute qu'il s'agisse
du même homme ! Enfin je n'ai pas lu ce livre plus récent.
Dans American Darling on découvre l'Afrique très
noire, de nuit de surcroît, avec ses côtés vraiment
glauques, et ainsi qu'on l'imagine angoissante, sanglante et monstrueuse,
l'Afrique des ogres, des Amin Dada et autres président Gbagbo,...
poubelle chimique et "compost" des idéaux humanitaires
ou révolutionnaires de l'Occident, terrain réel et symbolique
des folies, des fantasmes de l'horreur... avant que Bagdad ne vienne depuis
deux ans le supplanter dans notre imaginaire, en partie grâce à
ces mêmes Américains "militants" ! C'est un
très bon bouquin, ce pays - le Libéria - est pareil
à l'Angola de Lobo Antunes, un bourbier chaotique et cruel. L'histoire
d'amour entre Hannah et l'Afrique est aux antipodes de celle de la belle
anthropologue américaine d'Accouplement de Norman Rush au
Botswana. Aucun doute après cette lecture "l'Afrique est - toujours
et encore - mal partie", mais c'est fascinant, le combat ambigu
de l'héroïne et son attitude face à la pourriture de
la guerre civile est très prenant.
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