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Svetlana Alexievitch
La Supplication
Nous avons lu ce livre en octobre 2006.
Nous lirons La
Fin de l'homme rouge en 2016.
Françoise O.
(Françoise commence par nous faire un cours de physique sur
la radioactivité... nous prenons des notes).
J'ai a été sensible au fait que la radioactivité
est invisible, au contraste entre la campagne paisible et la radioactivité
meurtrière qu'on ne voit pas, qu'on ne sent pas ; c'est un
paradis terrestre dans une tourmente mortelle. J'ai été
terriblement touchée par ce livre, et épouvantée
par le premier chapitre. Pourquoi on envoie des "liquidateurs"
sans protection ? J'ai été frappée par ce culte
du héros, la carte du parti qu'il ne faut surtout pas perdre, comme
tous ont été frappés par la guerre. Les scientifiques
savent mais ne peuvent pas parler. On apprend beaucoup sur l'homo sovieticus.
En tant que prof, que dire à mes élèves ? Qu'il
ne faut plus faire d'usine nucléaire ? Qu'est-ce qu'on propose
à la place ? On rêve de la fusion au lieu de la fission...
Je pense que tout sautera
dans 2000 ans.
Danièle
Je n'étais pas sûre d'arriver au bout de ce livre tant il
suscite de souffrance. C'est une lecture hallucinante. Un livre sur la
vacherie humaine, le cynisme et la décomposition du pouvoir. Il
faut se rappeler qu'en France au moment de Tchernobyl, on nous a expliqué
que le nuage avait fait un détour. En Allemagne, on a prévenu
la population, on lui a dit de ne pas boire de lait, de ne pas s'asseoir
dans l'herbe. Incompétence des gouvernants, ignorance, fatalisme,
impuissance des gouvernés. On parle de nous dans ce livre, Tchernobyl
on l'aura ou on l'a eu à des degrés divers. Au niveau littéraire,
je me suis sentie gênée d'évaluer la qualité
de ce livre ; l'amour de la femme du pompier est pour moi un amour
littéraire. C'est une expérience extrême concoctée
d'habitude par la littérature. Comme si on assistait à la
naissance d'un mythe, les gens essaient de se représenter la radioactivité.
Les liquidateurs sont comme des Rambos, mais on les envoie faire des choses
inutiles pour lesquelles ils vont mourir.
Claude
J'ai été très touchée par tous ces témoignages,
la vieille femme qui reste seule avec ses chats, le prisonnier trop irradié
pour qu'on le remette en prison. Les liquidateurs n'ont pas de protection ;
quand ils rentraient chez eux ils jetaient leurs vêtements dans
une poubelle, c'est dérisoire, et l'un d'eux donne son calot à
son fils, qui meurt quelque temps après d'une tumeur au cerveau.
Il y a aussi cette femme tadjik qui arrive avec sa famille et qui préfère
s'installer là (c'est la paix !) plutôt que de subir
la guerre dans son pays. Et encore cette femme à Pripiat qui regarde
l'incendie du réacteur de son balcon, émerveillée
tant c'est beau. Et la tuerie des chiens et des chats, aucun respect de
l'humain. Comment vivre après ? C'est un livre important à
lire.
Christine
Vous avez déjà tout dit. J'ai été très
intéressée, et surtout parce que l'auteure se place du côté
de l'humain. Après tout ce qu'ils ont subi, les gens qui parlent
idéalisent leur vie d'avant, comme si c'était le paradis.
On comprend cette réaction. Quand j'ai appris le meurtre de la
journaliste Anna Politkovskaia, j'ai cru qu'il s'agissait de l'auteure.
Elle a un immense courage, d'ailleurs elle aussi a écrit sur la
Tchétchénie.
La construction du livre est intéressante, on commence par une
voix, l'amour de cette femme pour son mari, puis les churs, et on
termine par un autre monologue de femme. Il y a un travail de l'écriture,
un montage. Question : les témoignages sont-ils retravaillés,
réécrits, ou non ? On apprend beaucoup sur le système,
le rappel constant de la guerre, le culte du héros. J'ai remarqué
que les hommes étaient moins critiques que les femmes. Ils ne savent
rien de cette catastrophe, tout est arbitraire, il y a un côté
irrationnel. J'avais lu des articles de Libé, mais là c'est
un livre, qui se lit facilement, qui va rester. J'ai eu un petit moment
de lassitude, j'ai culpabilisé, mais ensuite j'ai continué
sans problème. Je l'ouvre aux 3/4 parce que ce n'est pas une grande
uvre littéraire, mais je suis très contente de l'avoir
lu.
Jacqueline
J'ai d'abord cru qu'il s'agissait des Cercueils de zinc que j'avais
lu, du même auteur, sur la guerre en Afghanistan, et je me suis
dit que je ne viendrai pas, puis m'apercevant que ce n'était pas
le même livre, je l'ai lu. C'est un livre dérangeant, qui
suscite une impression d'horreur, et en même temps les témoignages
c'est précieux, mais il y a des moments où ces gens m'ont
agacée, comme ceux qui vont voir le pope, ou cette petite dans
le prologue qui se précipite auprès de son mari complètement
irradié, alors qu'elle est enceinte. Tout au long du livre, il
y a ce genre de choix. Quel choix faire dans tout cet irrationnel ?
Il y a des points de vue contradictoires. L'histoire de la porte me touche
beaucoup, j'y suis à fond, alors qu'à d'autres moments j'ai
été dérangée. Comme j'avais besoin de mettre
un peu d'ordre dans tout ça, et d'avoir des avis de scientifiques,
j'ai lu L'Affaire Tchernobyl de Lecerf & Parker,
ça c'est de l'histoire, car l'histoire c'est des faits, et La
Supplication ce ne sont pas des faits. J'ai donc appris qu'il n'y
avait eu "que" 64 morts
Françoise D
Le début est très dur, puis un rythme s'installe. Ce sont
des histoires individuelles, mais il se dégage aussi une histoire
collective, révélée par les répétitions.
Presque tous font référence à la guerre, à
la figure du héros. Mais ce n'est pas la guerre, ils ont tous conscience
que c'est plus terrible parce qu'on touche ici à la fin de l'humanité,
l'horreur et la mort se perpétuent à travers les générations
suivantes, ou alors les femmes ne veulent plus enfanter. Et c'est la première
fois qu'une telle chose arrive. Quand saura-t-on combien de morts directs
ou indirects cette catastrophe aura provoqués, et le saura-t-on
jamais, étant donné le culte du secret de l'URSS et maintenant
de la Russie (qu'on se souvienne aussi du sous-marin Koursk). Ce n'est
pas un livre historique, mais il nous renseigne très bien sur l'homo
sovieticus et sur l'incurie du régime. On y voit les héros,
et aussi les salauds, comme ce chef de Kolkhoze qui mobilise plusieurs
véhicules pour déménager ses meubles, alors que les
enfants ne sont pas évacués faute de moyens. On y voit comment
les gens sont tenus dans l'ignorance absolue, et comment cette ignorance
produit toutes sortes de phantasmes. (Rappelons-nous que nous aussi en
France on nous a longtemps dit que l'amiante n'était pas dangereuse,
et aussi que le nuage radioactif avait contourné nos frontières !)
J'avais vu un documentaire à la télé, absolument
sublime et pathétique, où une équipe britannique
accompagne des scientifiques jusque dans le réacteur et ces pauvres
types n'ont pas de protection adéquate, on les voit s'entourer
les pieds et les jambes de film plastique ! C'était poignant.
Il faut dire aussi que l'Ukraine a reçu des fonds de l'étranger
parce que Tchernobyl est en Ukraine, alors qu'en réalité
c'est la Biélorussie qui a le plus souffert à cause de la
direction du vent et elle n'a rien reçu. J'ai été
frappée aussi par ce phénomène culturel qu'est l'importance
de la vodka ! Je le savais, mais à ce point, je n'imaginais
pas, c'est la potion magique, le remède miracle, maintenant je
comprends pourquoi les Russes se baladent avec leur boisson à la
main 24h/24.
Ce livre m'a beaucoup frappée, ce n'est évidemment pas une
émotion littéraire, ça touche au vital, c'est pourquoi
je ne l'ouvre pas en grand, mais je le recommande à tous.
Eve
Il m'est difficile d'exprimer ce que j'ai ressenti à la lecture
de ce livre, l'émotion était trop forte. Ce fut une lecture
difficile, douloureuse. De savoir que ce que j'y ai lu était issu
de la réalité m'a glacé le sang, prise aux tripes
et troublé le raisonnement. Le prologue, n'en parlons pas... Le
récit des victimes sacrifiées, les régions ravagées
pour plusieurs générations, la mort lente, la description
des enfants qui se meurent... Insoutenable. Je n'ai jamais pu lire plus
de 3 ou 4 pages d'affilée. L'intérêt littéraire ?
Secondaire... J'ose espérer que, si réécriture il
y a - et pas simplement retranscription -, elle n'a fait qu'ébarber,
remettre en forme et organiser les propos. A l'évidence, il a fallu
sélectionner les récits pour aboutir à ce concentré.
Je l'accepte. Pour conclure, je suis restée tout de même
perplexe devant la facilité avec laquelle ce peuple - pour
lequel j'éprouve empathie et compassion - se laisse endoctriner,
manipuler alors que, dans sa grande majorité, il n'est pas dupe
des médailles en chocolat et autres couleuvres que lui font avaler
les autorités. Il reste pourtant confiant, résigné.
Même les savants (physiciens, ingénieurs, chimistes...) La
carte du parti... ? Était-ce un tel moyen de pression ?
Claire
Ce fut une lecture de cet été pour moi
Je me souviens
d'une gêne parce que ce n'est pas présenté comme un
document et la volonté littéraire s'affiche, comme dans
la table des matières "solennello-poétique" et
les titres de chapitres affectés. Pourquoi n'avoir pas précisé
avant chaque témoignage qui en était l'auteur ? Je
suis allée voir à la fin qui signait chaque récit.
Ce livre se veut un recueil de témoignages, on ne sait pas comment
les témoignages sont recueillis : entretiens, lettres ?
Il est évident que c'est réécrit, et je suis gênée
par la présence de la narratrice en tant qu'écrivaine, et
son absence en tant qu'intervieweuse. La narratrice a des homologues comme
ce journaliste anglais interrogeant des hommes qui restent cois, puis
parle avec des serveuses qui racontent ce qui se passe dans les lits.
L'auteure n'est-elle pas une professionnelle de la catastrophe, y cherchant
la "charge énergétique puissante" comme les journalistes
qui se rendent à Tchernobyl ? Parfois le livre ressemble à
un conte fantastique avec des animaux errants, une nature devenue étrange,
des phénomènes (horriblement) magiques... Le témoignage
de cette enseignante qui dit combien les enfants ont changé, trop
calmes, incapables de retenir une phrase ; enseigner à ces
enfants dit-elle "c'est comme dessiner avec de l'eau sur une vitre",
c'est bouleversant.
Monique
J'ai hésité à proposer ce livre. Pourquoi le lire ?
Parce qu'on est humains et qu'on doit partager. L'été dernier
j'étais en voiture et j'ai entendu sur France Culture une comédienne
qui disait le monologue de la vieille femme qui reste seule. C'était
un moment bouleversant. Les gens se retrouvent devant quelque chose que
personne n'a encore vécu. Enterrer les maisons, les arbres, les
villages, et la terre ! Enterrer la terre ! Pour moi c'est un
texte littéraire, il y a un re-travail énorme, indispensable
pour que cela passe. L'auteure n'a pas écouté une femme
de pompier, mais une dizaine, et elle en a fait un récit unique
(celui qui ouvre le livre). La littérature permet d'approcher l'humain ;
on fait un bout de chemin avec ces gens. Leur vécu entrera dans
le mythe. On aurait dû être présents pour aider ces
gens, les soigner, pour les suivre, trouver ce qu'il faudrait faire pour
se prémunir au mieux. Est-ce qu'on peut arrêter tout le nucléaire ?
Est-ce qu'on peut trouver des méthodes pour soigner les gens irradiés ?
La seule solution pour arrêter l'incendie était d'envoyer
des hommes, si on ne l'avait pas fait, peut-on imaginer ce qui se serait
passé ?
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