Présentation
d'Arthur Koestler
Inspiré des grands procès de Moscou,
le zéro et l'infini imagine l'itinéraire
d'un responsable communiste, Roubachof, jeté en prison et jugé
après avoir été lui-même un "épurateur".
Par-delà ce thème, lécrivain
dresse un réquisitoire contre les dictatures et le système
totalitaire pour lesquels lhomme nest rien, un zéro
face à la collectivité, alors que lhumanisme voit
en lui, au contraire, un infini.
|
|
Arthur Koestler
Le zéro et l'infini
Nous avons lu ce livre en avril 2007.
Liliane
C'est moi qui avais proposé cet écrivain, ayant eu un coup
de foudre pour lui. J'ai été fascinée. J'ai lu La
Lie de la terre, Arpaia y fait référence dans Dernière
Frontière. J'aime l'univers sur lequel il ouvre, avec une
grande résonance personnelle. J'aime sa vie, j'adore son côté
radical : il ne veut pas être traduit, donc il apprend la langue
dans laquelle il veut écrire. Si j'avais été un homme,
j'aurais aimé être Arthur Koestler !
J'ai lu Le Zéro et l'infini il y a trois mois ; ce
livre a un pouvoir de suggestion surprenant grâce à son écriture.
J'ai vu le film La Vie des autres, l'interrogatoire est un peu
le même que dans Le Zéro et l'infini. J'apprécie
aussi l'immense faculté d'Arthur Koestler pour recréer le
contexte historique. Je suis donc enthousiasmée par l'écrivain
et l'uvre (Liliane a avec elle le premier tome d'une biographie
d'Arthur Koestler).
Brigitte
Je l'ai lu dans les années 50, le livre m'est passé au-dessus
de la tête à 15 ans. La 25ème heure en revanche
m'avais semblé plus accessible, bien que mal écrit. J'ai
relu Le Zéro et l'infini et je me suis rendu compte que
j'avais gardé des épisodes en mémoire. A présent,
je pense avoir tout compris : le livre n'a pas vieilli. C'était
publié ou écrit en 38-41, à l'époque des grandes
purges : Koestler est d'une lucidité extraordinaire, d'une
maturité politique, intellectuelle, personnelle... encore aujourd'hui,
il reste d'actualité.
Claude
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Je suis impressionnée
par la lampe allumée pendant les interrogatoires, le manque de
sommeil, la vie en prison. Les extraits du journal du narrateur m'ont
intéressée. Je suis aussi impressionnée par le chapitre
où le gardien écoute la lecture du journal par sa fille.
J'ai aimé le livre surtout pour les petits détails. J'aimerais
lire la biographie d'Arthur Koestler.
Geneviève
Je suis contente de l'avoir lu car, pour anticiper sur le livre de Pierre
Bayard, voici un livre pour lequel je faisais comme si je l'avais lu ou
que je finissais par croire avoir lu. Il est très intéressant.
Il y a d'emblée beaucoup de longs monologues complexes, mais j'ai
été de plus en plus passionnée en voyant comment
le narrateur reste toujours conforme à sa propre logique. C'est
d'une intelligence prodigieuse que d'avoir pu écrire cela à
cette époque-là. Ce genre de bouquin modifie la façon
de penser : qu'est-ce qu'un principe, un programme, la démocratie ?
Le héros est honnête et continue à ne jamais douter.
Il ne déroge pas. J'ai beaucoup aimé la scène dans
le musée avec le jeune homme, puis la Belgique. La méthode
narrative est extrêmement forte et réussie. Ce livre soulève
des questions qui sont encore totalement actuelles.
Claire
Je suis ébaubie par la date de publication. J'aurais voulu en savoir
davantage sur le scandale qui a accompagné la sortie du livre en
France, notamment concernant Sartre et Simone de Beauvoir qui l'ont descendu,
mais je n'ai rien trouvé sur Internet à leur sujet.
Liliane
Ça ne m'étonne pas d'eux !
Claire
Les communistes parlèrent de "mensonge à l'état
pur"(Roger Garaudy), de "supercherie encore, cette façon
de revenir sur les procès de Moscou maintenant que l'histoire a
confirmé les verdicts des tribunaux prolétariens" (Laurent
Casanova) ; L'Humanité Dimanche désignait la
villa de Koestler à Fontaine-le-Port comme QG de la guerre froide,
"où des bandes de voyous fascistes se constituent en milices
terroristes" (http://authologies.free.fr/koestler.html).
D'une part sa clairvoyance et son courage méritent un coup de chapeau
mais aussi son art de construire une fiction à partir de l'Histoire,
toute fraîche. J'ai vu aussi La Vie des autres après
avoir lu le livre et il a complètement pris la place des images
que le livre suscite. Quand même, je voudrais bien savoir comment
les détenus apprenaient le code pour communiquer d'une cellule
à l'autre (fascinant !) et comment, à travers le judas,
le narrateur a pu voir le visage du corps que l'on traîne le visage
contre le sol... Comme d'habitude mon QI de géranium m'a apporté
quelques soucis, cette fois quant à la "fiction grammaticale"
dont j'ai eu du mal à saisir le sens (Geneviève et Brigitte
se plient d'une explication).
Mon intérêt s'est relâché à chaque fois
qu'on avait droit au journal du narrateur. L'épisode des paysans
qui passent en 10 ans au monde industriel et dont la référence
au temps ne suit pas est incroyable. Mais c'est difficile de lire ce livre
totalement actuel en se disant que lorsqu'il est paru, c'était
une bombe, d'imaginer le contexte de la publication. Il y a des phrases
terribles de logique aveugle : "Quiconque s'oppose à
la dictature doit accepter la guerre civile comme moyen. Quiconque recule
devant la guerre civile doit abandonner l'opposition et accepter la dictature"
(p. 222)
Françoise D
J'en avais entendu parler dans ma jeunesse, mais je croyais que c'était
un livre de philosophie à cause du titre. Je suis contente de l'avoir
lu cette année. Je suis épatée par le livre quand
on voit à quelle époque il a été écrit
et est paru en France. C'était impensable. C'est un récit
magistral. J'admire la façon dont le narrateur raconte son cheminement
et comment la machine broie tout le monde quel qu'il soit où qu'il
soit. Koestler est un grand écrivain, notamment parce ce livre
est toujours actuel : c'est un novateur. Cependant il me manque parfois
des précisions, quelques détails : où était
le narrateur ? Que faisait-il effectivement ?
Geneviève
Au contraire c'est bien, ça donne un aspect intemporel ; la
scène au musée, c'est comme dans un rêve...
Claire (réduisant l'histoire politique à un potin après
voir feuilleté la biographie de Liliane)
Tout s'explique pour Simone de Beauvoir : elle avait couché
avec Koestler !...
Lil(du groupe
breton dont les avis suivent)
Je suis entrée dans le bouquin, je devrais dire dans la cellule
et dans la vie de Roubachof, et ne l'ai pas lâché avant la
dernière page !
J'ai admiré la construction du livre qui nous dévoile page
après page, la vie et le destin des dirigeants et militants du
Parti soviétique sous Staline, et démonte, habilement, la
mécanique de cette dictature (et, simultanément de toutes
les autres, ce qui donne un côté intemporel à louvrage).
Au fil du récit, toutes les questions essentielles sont posées :
- L'histoire est-elle amorale ?
- Existe-t-il une éthique en politique ?
- La fin justifie-t-elle les moyens ?
- Quelle est la place de l'homme ?
Nous y avons réfléchi, dans le groupe, et le débat
fut passionnant.
Merci à la personne qui l'a proposé au programme :
ce livre sommeillait depuis fort longtemps dans ma bibliothèque
et je ne l'en aurais pas sorti spontanément !
Jean-Luc
J'ai beaucoup apprécié ce roman qui démonte le mécanisme
implacable de la dictature stalinienne. C'est un tableau du régime
policier établi par les Soviets au nom de la dictature du prolétariat,
au nom du sens de l'histoire conçu comme une vérité
scientifique, objective, qui justifie les moyens utilisés au nom
d'une fin "idéale" : la société sans
classes.
L'individu est moins que rien, sa vérité étant forcément
subjective, alors que le Parti, guidé par son chef (le n°1),
agissant dans le sens de l'histoire, révèlera la vérité
objective (ce qu'il faut croire). Il est appelé "fiction grammaticale"
par l'auteur. Rien ne doit gêner la marche du Parti, du peuple vers
l'avenir radieux : cest une marche sacrée, il faut donc
la foi. Ceux qui ne croient plus dans le Parti, ceux qui doutent de la
route choisie, sont des contre-révolutionnaires et méritent
d'être éliminés. Les militants égarés
doivent, auparavant, témoigner de leurs crimes devant un tribunal
du peuple, afin que leur traîtrise serve de leçon aux autres.
Le Parti est présenté, ici, comme une machine qui, pour
bien fonctionner, a besoin de détruire une partie de ses membres,
car pour progresser vers une société communiste idéale,
il ne faut ni doute, ni opposition, ni relâchement, ni critique :
ce sont des crimes, le social-traître mérite la mort.
Lona
Jai eu de la peine à entrer (ou ré-entrer ?)
dans ce livre. Est-ce que je lavais lu ? Cest bien écrit,
bien rapporté. Il faut replacer ce récit dans lHistoire
de lURSS et du Parti, et se souvenir de tous ces gens qui ont cru
à cet idéal communautaire
Liberté/Anarchie/Dictature/Utopie ?
Individualité/Collectif ?
That is the question
Lenfermement, la communication entre les prisonniers, les méthodes
musclées dinterrogatoires, le cri des victimes : cest
dur, mais bien écrit. Les rencontres Roubachof/Ivanof vont donner
un peu plus dhumanité à Roubachof : le pouvoir
aurait-il tort de temps en temps ? La fin justifierait-elle toujours
les moyens ? Existerait-il une éthique en politique ?
Ce livre a bien vieilli. Aujourdhui, plus dun demi-siècle
après la première publication, les interrogations restent
actuelles.
Marie-Thé
Cest éloquent, et tout y est dit. Devant un livre d'une telle
force, j'ai du mal à faire le moindre commentaire. Le système
impitoyable, l'atmosphère oppressante, le parcours de Roubachof,
cest inoubliable.
Ce livre ma fait penser, entre autres, à deux films que jai
beaucoup aimés : La vie des autres, vu récemment,
et, plus ancien, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov.
Nicole
J'avais lu ce roman il y a très longtemps et en avais gardé
le souvenir d'un livre « important » avec en particulier
le passage sur la balançoire...
Je ne l'aurais très certainement pas relu et j'aurais eu tort.
Dès la première page, j'ai été à nouveau,
à la fois fascinée et angoissée par l'implacable
déroulement de ces mises à mort successives via la prison
et l'interrogatoire.
Ce livre n'a pas pris une ride et en ces temps de troubles politiques
mondiaux, sa lecture n'est pas très rassurante.
P.S. Le tout dernier paragraphe, sur la mort de Roubachof, est très
beau.
Jean-Pierre
Quand on pense que ce livre a été écrit au début
des années quarante, c'est-à-dire à une époque
où le nazisme broyait l'Europe, massacrait les peuples, menaçait
la terre entière, on reste confondu du courage ou de l'insouciance
de l'auteur. Dans les périodes historiques où les droits
de l'Homme passent au second plan, plus exactement ne forment plus qu'une
trame de fond floue sur laquelle s'impriment les soubresauts du monde,
comme un vague idéal perdu dans un avenir incertain, et où
les masses passent à la moulinette des furies guerrières,
où les drames des particuliers comptent assurément moins
que les souffrances des masses, il faut une bonne dose de clairvoyance
ou de désinvolture pour se pencher sur cette horrible histoire
des épurations staliniennes. Alors que l'effort de guerre de l'URSS,
avec son cortège de massacres, va conduire à la défaite
nazie à Stalingrad, qui marque le tournant de la guerre et enclenche
le processus allié pour l'écrasement de l'hitlérisme,
l'auteur fait preuve d'une bravoure un peu bizarre. Evidemment, vu d'aujourd'hui,
le saucissonnage des problèmes, leur désintégration,
rend aisé un jugement d'autant plus péremptoire, même
s'il est justifié, qu'il ignore le contexte dans lequel ils sont
apparus.
Selon l'expression désormais consacrée, il ne faut pas jeter
l'enfant avec l'eau sale du bain. C'est ma crainte en lisant ce livre.
Je sais trop quels hypocrites peuvent s'en saisir, non pas pour dénoncer
et condamner ce qu'il décrit, ce qui ne serait que pure justice,
mais pour mener l'éternel combat idéologique contre les
tentatives d'émancipation des peuples et classes opprimés
et exploités, avec ce qu'elles comportent d'outrances, d'erreurs,
d'exactions et même de crimes.
Faut-il noyer l'individuel dans le collectif ou au contraire éparpiller
le collectif dans l'individuel ? La fin justifie-t-elle les moyens ?
L'Histoire de l'Humanité est pleine de crimes abominables. Du génocide
des peuples amérindiens aux tortures et bûchers de l'Inquisition,
de la traite des Noirs aux massacres napoléoniens, des millions
de travailleurs tombés au champ du Profit aux innombrables victimes
du colonialisme, de la Shoah au mépris de l'industrie pharmaceutique
pour les victimes du Sida (la liste est longue et non close), où
est la mise au rencard, à l'index, au ban de l'Histoire de l'Eglise,
des dictateurs, des trusts, des généraux... ? Ces crimes-là
n'excusent rien, et encore moins ceux commis au nom du progrès
et de la libération de l'Humanité. Copiant ces abominables
pratiques, et qui plus est au nom d'un idéal de justice, les révolutionnaires
russes ont adopté la même horrible politique, tablant sur
le fait incontrôlable et d'ailleurs démenti par la suite,
que seul le résultat comptait, et que ce résultat ne pouvait
être que bénéfique. Bénéfique ou pas,
on ne le saura jamais puisque la tentative a échoué. Il
en reste un immense gâchis, jalonné de morts innombrables,
ni plus ni moins dommageable que les réalités historiques
que je viens de citer en exemple.
Il est vrai que ces questions sont posées en toute clarté
dans le livre. Les débats entre Roubachof et Ivanov notamment,
abordent ces sujets. L'auteur se garde d'ailleurs de trancher. Il expose
les thèses de l'un et de l'autre, laissant le soin au lecteur de
se faire une opinion, pour peu que ce dernier soit tenté ou capable
de s'extraire de l'horreur carcérale, de l'atmosphère glauque
et insupportable des prisons, de l'insoutenable horreur des interrogatoires
et de la froideur effrayante de Gletkin. J'ai trouvé le livre passionnant
de bout en bout, bien écrit et convaincant. Un seul petit bémol :
le système de communication entre les prisonniers, tellement peu
crédible que ça en devient gênant. Il n'empêche,
j'ouvre ce livre entièrement.
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens
|