Carole Martinez
Cœur cousu

En présence de l'auteur

Nous avons lu ce livre en janvier 2008. Nous lirons ultérieurement le livre suivant Du Domaine des murmures en 2011, et le troisième roman La Terre qui penche en 2018.

Annick
C’est un roman magnifique, lyrique, avec un véritable souffle qui nous entraîne sur les routes d’Espagne puis du Maghreb sur les pas de cette improbable tribu, Frasquita et des cinq enfants. A la fois roman familial fort sur ce qui lie une mère a ses filles autour de cette belle image de la transmission de la cassette, offrant un don à chaque fois différent, mais aussi sur l’humanité : roman de chair, de sexe, de sang, de vie, de mort. C’est l’histoire d’une généalogie particulière, presque maudite, mais de portée plus large à travers des figures et des scènes symboliques :
- la figure de l’ogre dévorateur d’enfants, du grand pervers trop aimé par sa mère, du révolutionnaire prêt à mourir pour ses idéaux, torturé à mort puis recousu par la couturière magicienne ; figure du père, José, réduit à sa fonction de géniteur, puis, à partir de la naissance de son fils, engagé dans une affirmation guerrière de lui-même à travers son coq ;
- scènes de combats de coq, d’insurrection sanglante du peuple ; mais aussi une fois installées en Afrique du nord, fabrique magique de robes de mariées qui transfigurent les jeunes femmes qui les portent.
Et Frasquita comme emblème de la femme qui se donne et donne la vie, la beauté... avec son aiguille et ses fils.
L’écriture ? Sensuelle, imagée, qu’on déguste et qui nous permet de passer sans cesse d’un monde réel brutal et oppressant au rêve, au désir et aussi de traverser les apparences pour percevoir voir et entendre un au-delà invisible, côtoyer un meunier mort depuis longtemps. L’écriture donne une proximité avec les mots très frappante dans ce livre, avec cette culture de l’Espagne du sud très superstitieuse.
On garde des images en tête une fois le livre refermé.
Geneviève
Je viens de finir ce livre dans le métro. Je n’ai pas eu de problème pour lire le livre, mais j’ai été dans une ambivalence, à cause d’une écriture un peu trop riche, trop fleurie, tout en voulant savoir ce qui allait se passer : c’est un conte qui fonctionne très bien. J’ai apprécié la force des images et j’ai été très touchée par la force de la sensualité dans les rapports des femmes.
Françoise G
C’est un livre extrêmement physique, très violent, très fort. J’ai aimé la construction du livre.
La première partie est ma préférée. Les autres sont très rocambolesques et m’ont moins plu, l’auteure a voulu trop y mettre, c’est trop. Il y a deux écritures distinctes, l’une narrative et simple, l’autre poétique, qui donne du sens (de l’épaisseur) aux personnages. La bonne place est pour les femmes. Il y a de belles descriptions des pratiques religieuses en Andalousie. J’ai adhéré à l’épisode du cœur brodé. Pour moi ce cœur c’est l’arrivée de l’écriture, on y retrouve quelque chose de Garcia Marquez, c’est une gigantesque métaphore de l’écriture : broderie, parachèvement de la parole, rupture. J’ai ressenti le côté physique des voix. Soledad est le symbole même de la métaphore de l’écriture. L’écriture est pour elle une façon d’être reconnue par sa mère. Elle reçoit le colis, mais ne remet pas la boîte : elle arrête la transmission. J’ai aussi beaucoup aimé le portrait de l’homme de l’oliveraie.

Rozenn
Je ne peux pas parler de ce livre. Je l’ai lu en deux jours dans le train et le métro. J’ai donné le livre à des gens que j’aime bien. J’aime la façon dont vous en avez parlé. J’ai aimé mais je n’arrive pas à en parler. C’est haletant, c’est plein de métaphores, je n’arrive pas à prendre de distance.
Christine
J’ai lu ce livre quand il a été publié et ça m’a beaucoup plu. Pourtant, ce n’est pas un sujet qui m’attire a priori, la couture, la magie... Mais j’ai été prise. Cette écriture a une qualité qui tient le livre, de même que l’imaginaire, la transmission du don qui est en même temps une malédiction. J’ai aimé les scènes d’initiation, cette boîte qui est vide au départ, qui se remplit ensuite pour la personne à qui elle est destinée, le rôle des prières, ce qui est autour de la couture, des tissus et de la chair. J’ai beaucoup aimé la violence et les couleurs (dont les gens ont peur). L’histoire du coq est fabuleuse, ainsi que la rousseur du garçon. Et la belle relation de Frasquita et sa belle-mère ! J’ai aussi beaucoup aimé le passage de l’insurrection, une très belle description. Les personnages sont très vivants Le mélange réel/irréel est fabuleux. J’ai admiré le passage où José devient coq.

Carole Martinez
C’est une image de la dépression.

Christine
J’encourage vivement Carole Martinez à continuer à écrire.

Jacqueline
J’ai du mal à parler du livre. Je l’ai beaucoup aimé. J’adore les contes, les vrais contes. Je n’ai pas décroché car je voulais savoir ce qui allait se passer, donc je n’ai pas le recul nécessaire pour en parler. J’aimerais savoir comment ça a été construit. Après la mort de la mère, on est un peu abandonné, et la narratrice ne se décide jamais à naître. Anita prend le relais à ce moment-là, je n’ai pas pu voir si cette perte se traduit dans l’écriture.

Carole Martinez
Anita prend le relais, elle raconte ce qui arrive à ses sœurs.

Jacqueline
J’ai aimé la révolte et le personnage de Salvador. J’aimerais savoir où l’auteure a trouvé tout ça, comment elle l’a écrit. Tout change à la mort de la mère. Je suis contente de savoir ce qui arrive après sa mort.

Carole Martinez
Le père ne peut prendre sa place qu’après la mort de la mère.
Monique
J’ai lu le livre quand il est sorti. J’en avais entendu parler avant de le lire, Carole m’avait dit qu’il y avait un rapport avec son histoire personnelle. Donc, ça m’a donné envie de le lire. On ne peut pas rester insensible à tout cela, c’était vibrant. L’histoire même du livre, accepté par Gallimard avant d’être fini, c’est un conte de fée en soi. D’habitude, j’aime les textes sobres, mais j’ai quand même été transportée, surtout par la première partie. Je ne suis pas d’accord avec la comparaison avec Garcia Marquez. On ne peut mettre ce livre dans aucune filiation. L’écriture est éprouvante, elle est toujours dans le "climax" c’est-à-dire dans le paroxysme. C’est un tour de force. On est toujours dans le feu d’artifice et à certains moments c’est trop. Je n’aurais pas pu le lire en deux jours ; c’est trop étouffant, mais en soi c’est très original. Quand il s’agit de la broderie, tout devient magique. C’est écrit de façon très métaphorique, la réparation de l’homme de l’oliveraie et le fil qui répare, c’est de l’ordre de la création de quelque chose par l’écriture. L’auteure se donne la liberté de n’avancer ni par chronologie, ni par la véracité des personnages, et ça passe.

Carole Martinez
Je ne suis pas d’accord pour le personnage du père mais pour le personnage d’Angela, oui, et Martirio devient Angela.

Monique
J’ai beaucoup aimé le symbolisme, Clara, Martirio, on est toujours dans la sensation et dans la pulsion. C’est très original. On a un peu plus de mal avec la troisième partie où quand on est sur un personnage on oublie les autres. J’ai beaucoup aimé.
Elodie
Je suis d’accord avec Monique. J’en avais beaucoup entendu parler et au début j’ai été gênée par la richesse de l’écriture. Il y a beaucoup d’emphase, de vocabulaire, de phrases longues. C’est très violent et très physique, à la limite entre le rêve et le cauchemar. Tout est rapide, tout est dans l’instant. On est très proches des personnages, il y a alternance de présent et d’imparfait ; quand c’est le présent, on est dedans. On a du mal à séparer rêve et réalité. Est-on dans la magie ? J’ai aimé la poésie de l’écriture, c’est un tourbillon, on est happé. On est entre paradis et enfer, chair, sang, poussière, terre, soleil. Comment peut-on lire ce livre en deux jours ?...

Carole Martinez
Je l’ai écrit en 10 ans !

Elodie
Pour moi, c’est un livre très féminin, toutes les facettes sont mises en relief ; les hommes ont une place beaucoup moins belle. C’est dommage qu’il n’y ait pas d’homme ici ce soir. J’ai beaucoup aimé.

Carole Martinez
Soit les hommes adorent, soit ils ne disent rien. J’ai surtout des lectrices.
Françoise O
Je l'ai lu et un peu relu. A la première lecture je l’ai lu d’une seule traite jusqu'à la troisième partie qui m’a stoppée. J’aurais préféré que le livre s’arrête là. Je ne suis pas entrée dans cette troisième partie. Certains moments étaient extraordinaires, je m’arrêtais exprès pour ne pas me gâcher la suite. Quand j’ai relu le livre, c’est la transmission mère-fille au moment des règles qui m’a surtout retenue. Frasquita est un enfant tardif, une "attrapette"...

Le chœur des vierges
... c’est mignon, une attrapette !

Françoise
... c’est pourquoi elle a ouvert la boîte. J’ai essayé de voir comment on entrait dans le pouvoir magique de Frasquita : c’est du merveilleux complètement impliqué dans le réel.
Brigitte
Je suis un esprit horriblement matérialiste, je n’aime pas du tout l’onirique, je n’ai pas réussi à m’identifier ; les chapitres sont courts, c’est bien pour le bus. Quel genre littéraire c’est ? Ni un roman, ni un conte. J’admire l’écriture, j’ai tout lu, tout compris. L’écriture est un en-soi. Je n’ai pas besoin d’une histoire. Les événements sont parfois annoncés, comme si on nous prévenait parce que c’est trop violent. La couture entre réel et imaginaire est parfois comme des points de suture. J’imaginais l’auteure dans un autre monde. C’est une performance, c’est tassé, riche, luxuriant, en images nombreuses. J’aime coudre, surtout la broderie ; j’ai été sensible à ce plaisir du tissu qui a de l’épaisseur. J’admire. Pourquoi elle a ajouté un ogre, ça m’a distraite. La troisième partie manque de souffle.
Claire
J’aurais aimé plus de détails horribles sur l’ogre... C’est un gros livre, et je n’aime pas les gros livres. J’ai eu des problèmes avec les noms. Je les mélange, mais toutes ces sœurs sont un peu interchangeables. Mais je rejoins l’enthousiasme général car on est tenu. Je n’ai pas ressenti d’impression d’étouffement, pas non plus d’impression de violence. Les chapitres sont courts, c’est très agréable, cela donne du rythme. Le volume même du livre m’a convenu, tout juste si je n’en aurais pas voulu davantage. J'ai quelques réserves mais qui n'empêchent pas l'admiration. Les titres des chapitres, pourquoi les mettre au début, pourquoi pas à la fin ? Le titre ne prend sens qu’à la fin du chapitre. J’ai ressenti la question de l’écriture et du cahier comme un artifice. Et puis la narratrice me gêne, il y a comme une invraisemblance, elle est comme un narrateur omniscient.

Carole Martinez
Sa mère l’a brodée. Dans quelle mesure est-on les mots qui nous ont fait ?

Claire
Il y a des « péchés » dans cette écriture, une tendance à employer parfois des termes affectés, précieux. Exemple : accoucher = ouvrir les portes du monde ; sang = pluie vermeille.

Carole Martinez
Il faut bien parfois tout simplement éviter les répétitions.

Claire
J’ai beaucoup aimé ce qui a trait à la folie, au trop ! J’en redemande. Notamment le poulailler, extraordinaire, les scènes dans la grotte ; j’aimerais voir au cinéma ça. Ça ne m’intéresse pas de savoir si c’est autobiographique. C’est une chance que Monique nous ait fait connaître Carole.
Françoise D
Difficile de passer là-dernière. Vous avez déjà tout dit et je suis d’accord sur presque tout. Moi aussi je préfère les écritures minimalistes et malgré ça je me suis laissé embarquer. J’ai aussi pensé à Garcia Marquez. Les images fortes, la poésie, les phrases longues (mais avec des chapitres courts), le rythme, les couleur ; tout ça j’ai aimé. Il y a un foisonnement d’idées, de trouvailles, mais tout de même un fil conducteur. Je dois dire aussi que je suis toujours sensible aux rapports mère-fille, et à la transmission, moi qui n’ai plus la mienne et qui ai un fils. Les personnages féminins sont évidemment beaucoup plus forts que les masculins. J’ai préféré la première partie. En fait ce livre aurait pu en constituer trois, mais comme on a envie de savoir ce que sont devenus les enfants, comme le dit Jacqueline, je dirais deux : la première et la troisième partie ça fait un livre, et la deuxième, celle que j’ai le moins aimé, un autre livre. Cette deuxième partie est trop fantastique pour moi, l’histoire du meunier, de la farine qui est du plâtre, quelle imagination ! La seule chose que j’ai aimée, c’est la rébellion et comment elle est racontée : j’y ai vu évidemment une référence à la guerre civile espagnole, et très réaliste pour le coup. En revanche, je n’ai pas aimé l’histoire de l’ogre, j’ai trouvé ça too much et j’ai même pensé que l’auteure sacrifiait à la mode (oui, la pédophilie est à la mode...). Ayant maintenant rencontré Carole Martinez, je ne le pense plus, mais tout de même...

Sandrine
C’est avec un immense regret que je n’ai pas pu assister à la discussion autour de Cœur cousu en présence de son auteur (j’espère vivement que l’occasion se représentera !) et ainsi rencontrer cette femme à la plume accoucheuse d’une telle prolifération de mots, d’images, de senteurs et d’imaginaire. J’ai aussi mis du temps à pouvoir écrire un commentaire – 3 mois après avoir lu le livre – car il m’a fallu "ruminer" cette lecture que je ne pouvais pas commenter à chaud tant cette œuvre m’avais littéralement envoûtée. Ce n’est pas une lecture intellectuelle ou fashion. C’est une écriture qui prend littéralement aux tripes et fait écho aux instincts les plus enfouis que chaque femme porte en elle. C’est pourquoi, ce n’est qu’à travers une comparaison que j’arrive à parler de ce livre en disant que Carole Martinez est à notre littérature contemporaine, ce que Christian Lacroix est à la Haute Couture. Une place à part, l’Espagne, le rouge, le noir, les broderies et les dentelles, la force, la violence, la profondeur, la surprise, l’originalité dans le classicisme, nous offrant des moments vibrants qui font battre un peu plus vite notre cœur. Cœur cousu de Carole Martinez, c’est un peu tout cela à la fois. Toute la force de l’âme hispanique, sa sensualité, sa brutalité, la vie, la mort, la sueur, la chaleur et les terres arides et ensanglantées, la famille, la dignité et la fierté aussi.
Je ne peux recommander ce livre à un homme, tant il va dans les recoins de l’intimité de l’identité des femmes, mais j’espère que beaucoup de femmes le liront avec autant de bonheur que moi et que Carole Martinez nous offrira la joie de lire un prochain livre.

Les avis des Bretons qui avaient rencontré Carole Martinez l'année dernière.

 

 

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Frasquita Carasco a dans son village du sud de l'Espagne une réputation de magicienne, ou de sorcière. Ses dons se transmettent aux vêtements qu'elle coud, aux objets qu'elle brode : les fleurs de tissu créées pour une robe de mariée sont tellement vivantes qu'elles faneront sous le regard jaloux des villageoises ; un éventail reproduit avec une telle perfection les ailes d'un papillon qu'il s'envolera par la fenêtre : le cœur de soie qu'elle cache sous le vêtement de la Madone menée en procession semble palpiter miraculeusement...