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Rachilde
La Tour d'amour
Nous avons lu ce livre en novembre 2007.
Monique
J'ai lu La Tour d'amour. Pour des raisons personnelles, le thème
m'a absolument rebutée. Je l'ai senti venir, j'ai serré
les dents, j'ai lu le livre jusqu'au bout ; mais je ne veux pas m'y
replonger ni trop y réfléchir.
Cela ne remet pas du tout en cause la qualité de l'écriture.
Elle est intéressante, il y a un univers... Ce qui retient mon
intérêt dans cette histoire, c'est le jeune, sa relation
à la terre ferme, et surtout sa façon d'"accueillir"
la perversité du vieux, sans prendre le large, sans y adhérer
non plus...
Je suis en train de lire des choses sur les peintures noires de Goya qu'il
avait peint pour lui-même sur les murs de sa maison où plus
personne ne venait le voir : "la maison du sourd". Par
certains côtés, ce livre renvoie à la même démarche.
Je ne note pas ce livre.
Jacqueline
Ce livre était précédé dune aura sulfureuse.
Mon libraire mavait présenté Rachilde comme une compagne
de Sade. Rozenn et Monique sans en parler vraiment ont piqué ma
curiosité. Donc, jattendais quelque chose de sulfureux et
en cela jai été déçue. Jai limpression
dune suite de morceaux de bravoure qui ne collent pas vraiment ensemble.
Jai été étonnée du langage du jeune
homme, un parler populaire. Est-ce authentique, ou est-ce pour "faire
bien"ou "accrocher le lecteur" ? Ça ne tient
pas et dailleurs lauteur laisse tomber ce genre de formules.
Lécriture est assez forte, jai été prise
par les descriptions, mais je ne marche pas, sans pouvoir dire pourquoi.
Jai eu tort de lire la préface, qui est cette dame ?
Je ne suis pas du tout daccord ; le romantisme de la pauvre
enfant, sauvée par la lecture de Sade me fait sourire. Le passage
avec la Mauresque, je ne sais pas, cest une question dépoque.
Rachilde, je ne vais pas la blâmer de navoir pas édité
Proust, Valette son mari était directeur du Mercure (dabord
revue, puis édition). Cest passionnant de retrouver les noms
décrivains de cette époque ; elle a découvert
Carco. Cette promenade de ce côté là était
intéressante. Jaurais aimé lire Pourquoi je ne
suis pas féministe. Cest un roman que je nai pas
pris au sérieux, je suis embarrassée pour le "noter".
Françoise O
Je louvre en grand avec un astérisque : je ne le conseille
à personne. Je savais ce que jallais voir. Jai été
aspirée par le bouquin : oh la la !
Je nai pas de jugement sur les fantasmes, ce nest pas un livre,
cest la description dune situation dans laquelle un être
se coupe du réel, senferme en lui-même, retiré
de la réalité. Cest une forme de folie, de dépression
et cela est très bien. Le reste (le phare, etc.) ne mimporte
pas. Enfermés dans la tour, elle-même enfermée dans
la mer, cest très fort. Ceux qui sont bien dans leur tête
vont dire que cest du Grand Guignol, ceux qui sont mal vont être
bien dans la tour. Je louvre en grand car cest très
fort. Cest un enfermement choisi et subi. Ce nest pas un livre
sur la solitude, avec la fille Jean Maleux est aussi décalé
par rapport à la réalité, avec la Mauresque aussi,
et il tue. Jadhère à la préface.
Jacqueline
La préfacière a écrit un livre sur Léautaud,
elle se situe autour du Mercure.
Claire
Je ne connaissais rien du tout, jai pas lu la préface. Jai
été frappée par ce langage qui ma renvoyée
aux Mémoires
dun paysan bas-breton, que javais aaaaadoooré,
puis jai oublié, et Jacqueline a raison, le langage est ensuite
modifié, mais assez régulièrement il y a des expressions
savoureuses. Je me suis concentrée sur lhistoire qui ma
retenue, malgré certains moments répétitifs qui alourdissent
le récit. Le côté malsain, pervers, ma laissée
en dehors. Je nai jamais dit oh la la.
Je nai pas compris que cétait un journal professionnel
et nai dailleurs pas tout compris puisque ça se veut
allusif : je navais pas repéré les cheveux dont
se «coiffait» le vieux et dont parle la préface. Jai
été admirative des descriptions (comme celles de la mer
en folie), cest fort de réalisme.
Liliane
Ce qui est réussi est de lordre du symbolisme.
Claire
Non du réalisme. Jai suivi le héros qui se projette
avec la jeunette, la fascination du vieux. Bon. Jai trouvé
le livre comme un petit rocher, on ne sait pas où le mettre. Jai
trouvé sur le site recommandé par Sandrine un lien avec
un article formidable de Benoît Pivert (voir ci-dessous), pas comme
la préface absolument pâlichonne et affligeante, il dresse
un panorama de cette auteure, de sa vie, de son côté intello-sado-maso-gigolo-homo-rococco-etc.
Chacun de ses livres décrit une perversion. Pivert montre comment
cela peut relever du Grand Guignol où a été adapté
un de ses livres. Jaimerais bien savoir aussi ce quelle dit
dans Pourquoi je ne suis pas féministe. Je suis très
contente de lavoir lu comme une découverte touristique.
Françoise D
Bête et disciplinée, jai commencé par la préface
qui ne donne pas du tout envie de lire le livre ; je me suis dit
que je navais pas envie de folie déprimante, et ma première
réflexion a été «finalement, ce nest
pas si terrible que ça» peut-être parce que je ny
ai pas cru vraiment. Je suis restée à la marge tout en admirant
lécriture, riche, très évocatrice, elle rend
parfaitement latmosphère, lenfermement, lambiance
du phare. Il y a des descriptions superbes de la mer, de la relation de
ces deux personnages à elle, à la tour. Le vieux cest
la folie, le jeune, jai presque envie de dire cest lhumain,
trop humain, jusquau déséquilibre. Ce livre a un côté
exceptionnel, et aussi un petit goût de désuétude,
la Mauresque de Maleux ma fait pensé de loin -
à lAziyadé de Loti. Je suis contente davoir
découvert cette auteure, mais la perspective de me colleter à
une autre perversion ne me donne pas envie (en tout cas pour linstant)
den lire dautres.
Ève
Je suis désolée, je nai pas terminé, jai
été intéressée par lécriture.
Moi aussi jai fait lerreur de lire la préface où
tout est défloré. Le langage est très travaillé,
compact, ce nest pas de lécriture minimaliste.
Jacqueline
Les métaphores sont originales.
Ève
Je vois 4 personnages : les deux hommes, le phare, la mer. Il y a
des éléments macabres (les lambeaux de cheveux) : je
lai pris comme un conte dEdgar Poe. Je nen suis quà
la page 72 mais japprécie la lecture.
Liliane
J'ai proposé ce livre parce qu'il bouscule la fadeur de bien des
écritures, écritures qu'on oublie vite alors que celle-ci
s'inscrit dans notre imaginaire, réveille des représentations
archaïques, elle s'incruste en soi comme une mythologie.
On lit partout "roman fin de siècle", avec une vague
connotation de décadence. Je trouve au contraire que le roman,
à contre courant du réalisme (même si Rachilde s'est
documentée sur la vie dans un phare) a la résonance du symbolisme.
Il me fait penser, entre autres, à Gustave Moreau, dont je n'aime
pas toute la peinture, mais qui est passionnant par sa recherche et son
influence, comme Rachilde l'a été par son rayonnement intellectuel,
tous deux dans la quête de l'expression allégorique.
Il est vrai que j'aime les livres qui, en plus de leur intérêt
littéraire, me font découvrir un auteur passionnant, un
pan d'histoire littéraire, ou d'histoire tout court, peu connus.
Le phare, la tour d'amour, la mer, le naufrage... voilà de sacrés
symboles dont peuvent se régaler les psys, mais sans eux, on comprend
que la situation exceptionnelle de solitude dans l'instable "pied
à mer" nous ramène à l'ordinaire de la vie et
à ses interrogations sur l'amour, l'abandon, la survie, le corps,
les forces extérieures, les dérives (au sens propre et figuré)...
Je ne crois pas qu'on puisse réduire Rachilde à une hystérique
de Charcot : si le contenu est tumultueux, passionnel, l'écriture,
elle, est très maîtrisée. Elle sait décrire
le paroxysme mental des personnages à travers les éléments,
sans que les dits personnage ne manifestent un geste ni un mot. Le point
de vue de Maleux, par sa jeunesse, son inexpérience, sa perception
sensorielle, son intuition craintive, endigue tout ce qui le dépasse
et l'accentue par contraste. Au début du roman, son langage est
brut, bretonnant, puis l'artifice de la narration installé, la
langue se fluidifie, s'enrichit, le lecteur oublie de s'étonner
de lire le journal d'un gardien de phare, même s'il le remarque
après. C'est la force de l'écriture et j'applaudis à
ces audaces qui nous changent du sempiternel Oceano nox.
Lil
Cette deuxième lecture m'a ôté la surprise de la première
découverte ! Dommage !
Beaucoup de plaisir, cependant, à relire l'écriture de Rachilde
écriture forte, datée, suggestive, savoureuse,
expressive et lyrique. Cependant, et c'est là la raison de ce ¼
manquant, les passages lyriques ne s'ajustent plus à la langue
du Maleux, narrateur de cette terrible histoire : il y a rupture
de niveaux de langage et donc une entaille dans la crédibilité
du récit (ce que je n'avais absolument pas remarqué à
la première lecture tant j'étais prisonnière d'Ar
Men et du secret de ses gardiens !).
A lire ce livre, on ne peut que se féliciter de l'existence des
phares autonomes !! ce qui est le cas pour Ar Men, aujourd'hui !
J'ai éprouvé répugnance (il est si sale !) et
compassion (il manque tellement d'amour !) mêlées pour
le vieux Mathurin, un étrange individu à la fois homme,
femme, animal, qui sombre dans la folie : un être "décapé",
face à lui-même, sans image sociale, sans rôle à
tenir, qui ne tient que dans l'accomplissement de son devoir professionnel
(un vrai rituel : "l'idée fixe du devoir est le commencement
de la folie") et dans la satisfaction de ses besoins vitaux.
Il a perdu la parole, la lecture, les repères temporels... La seule
tendresse, l'unique affection qu'il reçoit, lui viennent de ses
noyées : preuve qu'il a atteint le fond du désespoir !
Il retrouve son humanité dans la scène finale, très
touchante, où près de sa fin, il s'adresse à son
compagnon d'infortune comme à son propre fils.
J'ai trouvé intéressant de voir que Le Maleux allait suivre
un destin similaire, totalement calqué sur celui du vieux :
abandon sentimental, meurtre et enfermement à Ar Men : la
malédiction du phare !
La mer, fascinante, cruelle, redoutable (et sexuée !) reste
le personnage principal du récit : rien ne serait sans elle !
Des passages descriptifs somptueux !
Une "sacrée" bonne femme, cette Rachilde !
Questions : L'homme peut-il vivre en totale solitude ? Le regard
d'autrui lui est-il indispensable pour se construire ? Ou, si l'on
pense aux ermites, doit-il être habité par un projet spirituel
pour y parvenir ?
Jean-Pierre
Dans la tour d'amour, l'amour fait ses tours, ses minuscules et tragiques
tours, et il laisse ses fêlures, ses fractures dans les corps et
les âmes. C'est un roman gore où l'horreur est le personnage
principal, le deus ex machina qui anime et agite les pantins au bout de
ses fils. Entre le vieux sans avenir ni espoir, déjà mort
et d'ailleurs compagnon horrible des morts, et le plus jeune qui sombre
peu à peu dans le glauque et suivra le même chemin, on navigue
sur une mer omniprésente, trame et lame de fond, attentive et avide.
On ne sort pas indemne de l'histoire : on voudrait bien du printemps
et des roses, des prairies et des jeunes filles en fleurs. Et la solitude
qui tue les êtres dans le tréfonds de leur âme, le
silence empli des clameurs de l'océan qui peuplent le désert
des sentiments humains, prennent le pas sur les péripéties
de cette histoire morbide que nous raconte l'auteur, simple prétexte
à une uvre noire et désespérée. L'écriture,
plus langage populaire que syntaxe de salon, participe grandement au climat
de fin de monde qui baigne l'uvre.
Nicole
J'ai lu ce livre il y a plus de 10 ans et j'en avais gardé le souvenir
d'une histoire un peu gore, avec des images de mer déchaînée
superbement écrites.
Je l'ai relu avec beaucoup de plaisir et mon intérêt ne s'est
pas affadi, au contraire.
Tout est symbole dans ce livre, certes, mais mon intérêt
s'est porté en priorité sur l'écriture.
Quel talent pour rendre réelle cette mer toujours présente
et hostile, pour donner corps à ces hommes fiers, mais complètement
détruits par la solitude, la furie environnante.
C'est vrai, par moment il y a des sauts d'écriture : parler
local et envolée lyrique, mais l'atmosphère est telle que
l'on n'y prête plus attention.
Emportée par mon plaisir de lecture, je me suis demandé :
et si les carnets de bord des gardiens de phare... oubliant que c'était
une histoire.
Marie Thé
Juste un petit mot, je n'ai pas lu ce livre : univers trop glauque,
morbide, sinistre, pour moi...
Je ne peux m'empêcher de vous conseiller Armen, de Jean-Pierre
Abraham. J'aime beaucoup cet écrivain.
Ce livre est le journal d'un hiver à Ar Men, où il a été
gardien de phare au début des années soixante. C'est plein
de poésie.
Nathalie
Livre troublant. La peur, la violence des éléments et des
sentiments, le dégoût et... l'amour s'entremêlent tout
au long du récit.
L'écriture m'a néanmoins "dérangée",
le langage de Maleux ne m'a pas paru "naturel".
Un regret... avoir lu la préface...
Lona
Je lai lu après notre réunion. A entendre les avis
des uns et des autres, jhésitais, car je navais aucune
envie de me plonger dans cet univers glauque et la folie des deux gardiens
de phare. Mais je me suis laissée attrapée et dévorer
par la mer, le phare, le vieux et le jeune. Ce livre laisse des traces...
La qualité de lécriture est exceptionnelle. Cest
comme si on y était ! Le personnage principal reste la mer.
Elle est décrite dune façon captivante : belle,
cruelle, redoutable à la fois, maîtresse caressante, traîtresse
violente, dévoreuse et assassine. Lenfermement des deux gardiens,
leurs manques de contacts, déchanges, de paroles, la répugnance
du vieux Mathurin qui puait le cimetière, la folie de lun
et de lautre ; leur quête damour car
cest aussi un livre damour. Les jours coulent, coulent, tous
pareils, tombent dans la mer comme des gouttes deau, comme des larmes,
comme le meilleur de mon sang... Lhomme peut-il vivre dans un huit
clos total, univers à haut risque, sans une forte capacité
dadaptation ? Peut-on se passer du regard de lAutre ?
NB : un autre livre qui parle de lenfermement des marins au
long cours : Ni
morts, ni vivants : marins !
Pour une ethnologie du huit clos, par Maurice Duval (PUF,1998).
Françoise G
J'ai commencé La Tour d'amour, et me suis, dès les
premières pages, trouvé une sorte d'antipathie pour cette
sinistre ambiance. Est-ce parce que je fais partie des Bretonnes qui font
mauvais ménage avec la mer, ou parce que l'écriture elle-même
ne m'incitait pas à rentrer plus avant dans l'histoire ? J'ai
rapidement fermé le livre.
Sur Rachilde, on peut consulter : "Madame
Rachilde, homme de lettres et reine des décadents", un
article de fond de Benoît Pivert sur luvre de Rachilde
dans Les Cahiers de la RALM (Revue d'art et de littérature,
musique), janvier 2006.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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