Quatrième de couverture
:

Sitôt passé Kérantec, la route s’élève, par grands lacets, au-dessus du miroir plan de la mer. L’ossature vigoureuse de cette cote mangée de grottes apparaît, avec ses grèves mollement tendues de pointe à pointe comme des hamacs, avec les rides blanches, les festons de ses vagues soudain si lentes et comme engluées sur les fonds transparents.

Julien Gracq
Un beau ténébreux

Nous avons lu ce livre en février 2008.

Claire
Ce qui m’a frappée, un rythme dans la lecture, qui s’impose à moi ; ma lecture est immédiatement ralentie. J’ai le sentiment de la présence d’une langue, d’une sensualité de la langue. A priori je déteste les descriptions, et là j’ai adoré !
Ces mondains hors du temps me rappellent les premiers films de Marguerite Duras. C’est un projet de tragédie, mais qui ne marche pas vraiment. Je mélange les personnages, sauf Allan, le personnage central qui fascine les autres. Le narrateur change, mais ce n’est pas un coup de théâtre très très utile, et il y a des côtés ratés : l’écriture, on peut la pasticher, par exemple les italiques, quel procédé ! On voit l’incapacité à distinguer les voix, un ridicule des discours. L’écriture est saturée de références littéraires. L’affectation l’emporte. Je ne partage pas non plus la fascination pour Allan.
Malgré tous ces défauts, il y a l’écriture.
Annick
J’avais lu ce livre en terminale avec un prof fabuleux. Elle avait mis en relation le livre et le film de Pasolini, Théorème ! Elle avait proposé de participer à un groupe psychanalytico-littéraire ; elle nous avait lu Le bateau ivre de Rimbaud, et ma copine et moi on allait pleurer dans les chiottes ! Donc en relisant ce livre, j’étais dans la nostalgie de cette époque. J’ai retrouvé le charme d’il y a 40 ans, je suis sensible au côté suranné, à l’élégance de l’écriture, j’ai retrouvé la musique avec l’artifice qui peut être agaçant. C’est un écrivain exceptionnel, il y a des coquetteries ; c’était un aristocrate qui n’a jamais voulu être en poche.

Monique
Il a voulu rester fidèle à Corti !

Annick
Corti a une collection de poche. C’est un écrivain qui fait sentir, il est dans la sensation, je ne voudrais pas être « prout, prout », mais je pense à Proust. C’est affecté, je vois bien des effets stylistiques, mais cela me donne des impressions, bruits, vues, ça éveille un imaginaire. Quant aux personnages, ils sont agaçants, avec leurs histoires de cul...

Claire
Y a pas de cul...

Françoise G.
...un peu...

Annick
Leurs mondanités ne sont pas mon monde, mais derrière le mondain, il touche à des trucs (désespoir, idéalisme) comme Proust : ces gens ne sont pas forcément attachants, mais leur quête, les jeux de fascination/répulsion sont intéressants. Ce qu’il dit de ces êtres va au-delà de leurs catégories sociales : Henri et Irène, c’est un couple finement, subtilement analysé. C’est comme un ballet qui fait sortir les personnages de leur milieu ; c’est mondain mais universel. Allan sert de révélateur dans ce groupe, comme dans Théorème. Je vois bien le côté apprêté, mais il n’y a pas que ça. J’ouvre aux ¾ seulement parce que c’est daté.
Françoise G.
J’ai été obligée de relire plusieurs fois pour m’acclimater au rythme de ces phrases. C’était presque physique et – surprise – agréable ! C’est très rare ce travail avec la langue, la beauté de la langue écrite. Ce n’est pas un travail apprêté ; il y a une précision étonnante de la langue, des références culturelles, l’emploi des temps, la ponctuation. C’est efficace.
Mais le sujet m’a beaucoup ennuyée. Les personnages n’ont pas de corps, ce sont des idées qui se promènent. Il y a une forme de mysticisme concernant la beauté. Quant aux dialogues, c’est à tomber... une réponse de 10 pages ! On décroche ! Les personnages ne sont là que pour que Gracq exprime ce qu’il a à dire, ce ne sont que des porte-parole. Le véritable personnage, c’est la nature et les rêves (cf. la clé des songes). Les personnages sont pleins de fric et oiseux. Quelle est la différence entre Gérard et le narrateur ? Puis il faut trouver une fin au drame, et les 20 dernières pages sont très invraisemblables, c’est un mauvais vaudeville.
Monique entre et
Quand on a lu Le Rivage des Syrtes c’était une attente, très lente, et je voulais rester dans cette attente. Là c’est pareil. La lecture est une promenade. J’adore son écriture, la façon dont il déplisse les réactions, les pensées et, comme chez Nathalie Sarraute, la façon dont les gens inter-agissent (exemple Irène et Christel), comme Marguerite Duras dans Le Vice-Consul.
J’adore les descriptions de la brume, de la mer, de la lande. On voit les paysages vraiment. Les personnages sont hors des contraintes d’argent, de temps, il n’y a pas de liens entre eux. Le thème de la fascination est fascinant. Ce sont des personnages de tragédie, d’opéra. J’ai reconnu l’histoire de Faust : il doit payer. Et aussi L’Enfer de Dante. Le personnage principal c’est la mort. J’ai été très agacée par les deux lettres.
Je sais pourquoi, j’ai du mal avec le roman américain : les personnages sont ce qu’ils font. Ici c’est tout le contraire, il y a le plissé qu’ils mettent entre eux et le monde, qui fait caisse de résonance : c’est ce qui me plaît. Gracq écrit en palimpseste : par exemple Gérard est une anagramme d’Edgar Poe. L’auteur trouve que Proust a raté son projet, contrairement à Gérard de Nerval, auquel il se réfère beaucoup. Sur France Culture il y a eu une journée entière en hommage à Gracq, qui refusait les interviews ; tout à coup, quelqu’un, l’un des spécialistes, a dit que ce vieux monsieur écoutait beaucoup la radio et qu’il écoutait certainement l’émission : il a demandé qu’on l’applaudisse : les gens présents ont applaudi, pour que Gracq entende ; c’était très émouvant, j’en ai pleuré.
Jacqueline
J’avais lu La Littérature à l’estomac et pour lire Un Beau Ténébreux j’ai emprunté l’édition de la Pléiade annotée. Je n’ai lu que jusqu’à l’arrivée d’Allan. Il y a un plaisir à lire les descriptions, la langue est très travaillée, très personnelle, loin du pastiche. Mais j’ai du mal à accrocher. Je ne vois pas bien le projet. J’ai pensé au Verre cassé d'Alain Mabanku... Gérard est le clone dérisoire de l’auteur. J’ai du mal à m’intéresser aux personnages.
Geneviève
Je n’ai pas aimé. J’aime les écritures sèches, nerveuses. Je lis trop vite, je suis une mauvaise lectrice de poésie. Pourtant il y a des choses qui auraient pu me plaire : l’atmosphère décalée, le goût des bords de mer, ce type maléfique qui va entraîner les autres dans sa perte. C’est une très belle écriture, mais au service d’elle-même. C’est une suite de morceaux choisis : on se dit « là, c’est beau, oui là aussi, etc. » : c’est trop ! Ce n’est pas un roman. Et puis il y a des points de vue rétros et réacs : les femmes, quelle vision ! En fait, il est beaucoup plus fasciné par les hommes.
Françoise D.
J’avais essayé de lire Le Rivage des Syrtes il y a de nombreuses années, et il m’était tombé des mains. Là, pareil. J’ai eu beaucoup de mal, je ne l’ai pas terminé, mais j’ai quand même lu les dernières pages. Tout ça m’a semblé totalement artificiel, surfait, c’est un exercice de style totalement désincarné, les personnages n’ont pas de chair. Oui, il y a de belles descriptions, (des paysages, car pour les rêves, c’est mortel) mais ça ne rachète pas le reste. Quel ennui... C’est daté, et puis on ne voit pas où il veut en venir, on pédale, on pédale, et on n’avance pas !
Si vous aimez la belle écriture, lisez Proust, Louis-René des Forêts, Bauchau, là vous vous régalerez. Car oui, on peut avoir une belle écriture sans ennuyer le lecteur !
Lil
Je ne me sens pas vraiment le droit de parler de ce livre, n'en ayant lu que 50 pages !
Ce que je puis dire, c'est que l'écriture est superbement classique, un magnifique exemple de français maîtrisé, mais... quel ennui ! Je n'ai pas eu la patience d'attendre davantage que l'intrigue se montre et en entendant parler les autres membres du groupe, je ne le regrette pas ! Le livre m'est tombé des mains...
Une autre fois, un autre essai, peut-être...
Nicole
« J’ouvre le livre au quart » pour l'écriture. Mais quel ennui : au bout de 60 pages, j'ai feuilleté. Même le beau ténébreux ne m'a pas séduite...
Sandrine
Le Beau Ténébreux m’ayant laissée de marbre, je l’ai laissé tomber au bout de trois pages pour me délecter des Belles Âmes.
Lona
C’est parfaitement bien écrit, c’est plein de poésie, plein d’une logorrhée essoufflante, car il faut aller doucement, reprendre son souffle pour terminer les phrases.
C’est artificiel, superficiel, futile, entre les journées à l’hôtel, les courts de tennis, les soirées habillées et les repas trop copieux, les promenades le long de l’eau et l’argent facile.
Un peu dans l’ambiance feutrée et protégée de Somerset Maugham... je n’ai pas accroché !
J’ai aimé la présentation du livre, broché, à découper au couteau : un vrai rituel, comme au temps de mon enfance, histoire de se mettre en appétit !... mais la fringale n’est pas venue !
Jean-Luc
Ayant beaucoup apprécié, autrefois, Le rivage des Syrtes, j'ai été un peu déçu par ce beau ténébreux. Certes, il y a une belle musique des mots : on dirait d'ailleurs que le livre n'a été écrit que pour cela. Les personnages sont mystérieux, presque sans histoire, presque inconsistants. Malgré ces critiques qui semblent condamner l'œuvre, lue d'ailleurs trop vite, je pense la relire pour le style et, peut-être, pour y découvrir autre chose.

 

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