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Martine Sonnet
Atelier 62
Nous avons lu ce livre en octobre 2008. L'auteure
était présente.
Christine
Je lai lu dès sa sortie, attirée par la citation de
Bergougnioux et les récits qui ressemblent à ceux de la
collection « Terre humaine ». Jai été
très intéressée.
Jai aimé lalternance des récits denfance
et des documents darchives. On découvre lartisan campagnard
venant travailler à lusine, larrivée de la famille
en banlieue parisienne ; jai retrouvé mon vécu :
la famille découvre le confort, la découverte des voisins
de palier, les bruits, les femmes au foyer. Et la situation particulière
de la dernière née, le silence de cet homme, en alternance
avec le récit du travail à lusine, la force des syndicats,
les combats quils mènent, la manipulation du PC, la différence
entre Algériens et Français. La recherche sur les archives
est remarquable, cest difficile décrire un récit
en partant darchives. Jai beaucoup aimé aussi les titres
des chapitres très parlants, le travail décriture
(« Le bois comme un délassement du métal »...)
Françoise G
Ce livre a cheminé pour moi. Au début jétais
réticente, le style me heurtait. Jétais obligée
de revenir parfois, ça marrêtait mais le sujet me captait,
la difficulté disparaissait. Jai relu et en fait ça
ma paru évident, alors que les phrases nominales mirritent.
Dans ce style, il y a la voix de lauteur et la voix de tout le monde.
Avec une grande authenticité, un gros travail qui rend bien comme
ils étaient. La construction est attrayante : jai préféré
les passages autobiographiques, cest très beau, retenu, pudique,
fort. Voix extraordinaire de ceux qui nen ont pas, qui nont
pas voix au chapitre, voix dune époque. Je me suis revue
petite fille, courant à la plage, jai revu les objets, les
rituels. Lépoque est posée dès la première
page. Ce livre ma beaucoup plu. Cest le livre dune classe.
Ses loisirs, lennui..., les attentes déçues, on tue
le temps, on sy reconnaît, cest la vie ouvrière
dune certaine époque. Jai été frappée
par le passage sur les mains « écrasées, écrabouillées,
broyées... », style très typique pour rapporter
des faits très forts. Jai adoré le courrier entre
les parents pendant la séparation, utilisant lancien papier
à en-tête de la forge du père. Il fait des voitures
mais il nen a pas, ne sait pas conduire, et plus tard il achètera
une Juva 4 mais sans lutiliser. Lauteure est sobre et efficace.
La fin du livre est terrible et dynamique ; elle prend des photos
qui ne sont pas utilisables et cest ça qui déclenche
lécriture. Le livre naît de la disparition des photos.
Ce livre ma énormément émue. Cest un
travail de linguiste sur la façon de parler de cette époque.
Françoise O
Au départ jai été surprise par la présentation,
jai comparé avec lécriture dAnne Gavalda.
Je pressens sous-jacentes des fiches qui permettent décrire
des choses très personnelles en conservant la distance. Jai
beaucoup apprécié, jai trouvé de la nostalgie
pour ces lieux qui me sont familiers : Paris-Granville, les arrêts
à Flers, Brioude, Argentan. Je suis souvent passée devant
les usines Renault, et jai retrouvé le couvercle de la boîte
de coquelicots. Cest un travail de mémoire extraordinaire,
sur un sujet qui est resté dans le silence jusquici. Je compare
avec ce qui sest fait à Arc-et-Senans où là
aussi le travail était très dur.
On a gardé des lieux de mémoire dans certaines usines du
Nord. Ce livre me paraît essentiel, cest une opération
de transmission. Merci.
Martine Sonnet
Pour ce travail là, il fallait être directement concerné.
Geneviève
Ce livre est une madeleine, pour chacun il représente quelque chose
de personnel. Pour moi qui suis de Caen et dune famille dinstituteurs,
Céaucé est une région de ploucs ! Jy suis
allée camper avec les scouts. Jai retrouvé des expressions :
« as-tu ton prêt ? » (Es-tu prête
?) Jai été très sensible à lode
au Père, celui qui ne parle pas mais qui marche ! La petite
fille qui court derrière, la création de la bibliothèque
de Clamart, il y a de très jolies pages à ce sujet. Mon
père (87 ans) a beaucoup aimé ce livre. Lintégration
des documents est très réussie. On y ressent une colère
beaucoup plus efficace que si elle était exprimée comme
telle, par exemple, dans le passage sur les brodequins. Je suis contente
de lire ce livre. Jai pensé à Annie Ernaux, elle aussi
petite Normande, aux repas de famille... On avait limpression dune
permanence, alors que tout était en train de changer ; ce
monde a complètement disparu. Les documents unissent laffectif
et létayent.
Jacqueline
Ce livre est bouleversant, il évoque quelque chose chez chacun
d'entre nous et pour moi ce sont des souvenirs personnels, encore en question,
aussi m'est-il difficile d'en parler et je n'aurais pas proposé
ce livre au groupe bien que je l'ai offert autour de moi.
Je l'ai lu en bibliothèque à sa parution. Loin d'être
heurtée par lécriture, j'ai été accrochée
par ce qu'elle a de singulier et j'ai lu d'une traite, sans remarquer
la construction, avec juste une retombée en retrouvant la langue
factuelle des syndicats et sa difficulté à être entendue.
Vos remarques sur le travail de rédaction, fait dans ces textes
syndicaux, évoquent pour moi le travail de mon père qui
aurait pu être de ceux qui mettaient en forme ces communiqués.
Ce livre m'oblige à réévaluer la distance que j'ai
pu mettre avec son choix au retour de déportation, de devenir permanent
communiste avec un salaire d'OS et avec son travail.
Dans une seconde lecture, j'ai vu la construction. C'est remarquable !
C'est une réponse à un problème de l'écriture,
la manière dont on prend, on redonne, on transmet la parole.
Le livre est basé sur le silence des ouvriers, les pères
ne parlent pas de leur travail. Comment reconstruire quelque chose que
l'on a ignoré ?
Martine Sonnet
Je ne voulais utiliser que des traces écrites, sans passer par
les témoignages des ouvriers, mon père nayant rien
dit, je ne voulais pas que ce soit dautres qui me racontent. Jai
voulu men tenir aux traces écrites.
Annick L
Je nai pas pu me procurer le livre, et cest Geneviève
qui me la prêté lundi, et jai dû le lui
rendre mercredi, je nai pas pu le finir. Jai été
happée et bouleversée. Je nai pas pris tout de suite
conscience de lalternance des deux types de chapitres. Jai
apprécié le travail décriture, tissage très
fin, on ne ressent pas dhétérogénéité
entre récit et document. Jai aimé le passage sur linstallation
de la bibliothèque qui représente la fin de lennui.
Ça ne ma pas évoqué de souvenirs personnels.
Annick A
Je lai lu mercredi soir quand jai su que je pourrai venir
ce soir. Je lai lu dune seule traite. Jai été
gênée par lécriture, qui ma obligée
parfois à relire le début des phrases. Jai été
frappée par lépisode où le père perd
sa fille dans le métro. Ce qui ma touchée, cest
cette recherche de lhistoire du père, la partie documentaire,
politique ma touchée, mais le père on ne le voit pas
beaucoup. Le livre le restitue dans lhistoire, mais on reste à
distance de lui. Ça vous a-t-il permis de vous le représenter
autrement ?
Martine Sonnet
Oui ! Je lai perçu, mais mes parents soccupaient
peu de moi, cétait mes frères et surs. Après
lembauche dans lusine, mon père disparaît tout
à fait. Je nai pas demandé à avoir accès
à son dossier personnel, jai respecté son silence.
Annick A
Ce qui est dit de lennui est bien écrit. Vous dites que ce
nest pas de lhistoire, mais de la littérature, mais
quand même !
Martine Sonnet
Pour moi, cest sur le même plan.
Annick A
Jai visité latelier 62 lors dun stage il y a
longtemps. Jai été très touchée par
la liste des morts, cest raide ! Ce qui concerne la vie cest
différent.
Martine Sonnet
Jai la volonté dêtre exhaustive. Jamais un historien
naurait fait cela.
Françoise D
Ce livre ma fait penser à celui dAurélie Filipetti
Derniers jours de la classe ouvrière et à celui dAlain
Rémond Chaque jour est un adieu, chaque auteur parlant de
son père. Contrairement au dernier livre cité, je nai
pas ressenti le même affect. En revanche, jai été
très intéressée par tout ce qui est dit sur Billancourt.
En fait je suis tombée de ma chaise car dans ma jeunesse Renault
était considéré comme le fleuron de lindustrie
française, un modèle donc, du point de vue de lindustrie
et du point de vue de laction syndicale. On avait limpression
que la forte présence syndicale faisait que certes les ouvriers
avaient des tâches très dures, mais au moins avaient-ils
des conditions de travail correctes. Or, évidemment il nen
était rien, comme lévoquent les passages sur les toilettes,
les douches, les brodequins, la boisson, etc. Le travail de documentation
sociologique est remarquable dans ce livre et lécriture met
à distance, ce que je comprends mieux maintenant après avoir
entendu lauteure ; la vie de son père se fond dans celle
des autres, et cest très bien. Cest pourquoi je ne
comprends pas très bien laffect exprimé par dautres
lecteurs. Pour moi, certaines parties autobiographiques (pas toutes) sont
inutiles, le propos en perd de sa force. Mais jai beaucoup aimé
lécriture, elle va à lessentiel, et la construction,
qui créé un rythme et évite quon se lasse (peut-être).
Monique
Alors moi, jai préféré les passages autobiographiques.
Les comptes rendus des réunions syndicales, cest intéressant,
mais un peu long. On imagine les conséquences sur la vie réelle.
On voit la dureté de la vie de ces ouvriers, mais aussi la solidarité,
ce qui me manque beaucoup dans ma vie professionnelle (à lEducation
nationale). A cette époque il y avait beaucoup plus de solidarité
entre les ouvriers. Cette voix collective qui sélevait mimpressionne
beaucoup. Je reste nostalgique de cette époque où existait
une conscience collective. Cette richesse est en train de se perdre. Jai
été sensible à lalternance entre la vie de
louvrier et celle de la famille, notamment celle des femmes, la
mère, les surs qui font de la couture. La mère quand
elle allait coudre dans les fermes ; puis les femmes qui vont à
lusine de textile ; toute cette vie à la campagne. La
vraie vie du père cest sa vie à la campagne avec ses
savoir-faire quil tient à conserver, le cidre, le calva,
le couteau... on imagine sa souffrance dêtre délocalisé
dans un autre mode de vie. Cette souffrance que doivent ressentir de nos
jours les immigrés par rapport à ceux qui sont restés,
obligés de mentir. Le salaire pourvoyait à la vie - le
salaire payé en liquide - ça faisait partie de la dignité
de lhomme. Lécriture est plus intéressante dans
les passages autobiographiques, il ny a pas toujours de vraies phrases ;
cest comme une caresse, si on explicitait trop, ça deviendrait
douloureux.
Martine Sonnet nest pas daccord...
Monique
Cétait une époque où on vivait sans les stéréotypes
de la pub, la télé, on vivait plus en lien avec son entourage.
Maintenant, les jeunes sidentifient aux héros des jeux vidéo...
Je nai pas fini de lire le livre...
Brigitte
Il y a dès la deuxième page une île, bien attachée
par deux ponts, qui représente bien le livre. Je suis frappée
par ce personnage silencieux qui reste un mystère. Cétait
des gens issus dune autre culture. Les métiers avaient un
sens pour tout le monde, on voyait les métiers. Il est parti en
67, Renault a connu 68, il était aux avions Bréguet. Jai
vécu à Boulogne dans une famille très bourgeoise,
pour nous cétait une île, il y avait des fermes, lagent
payeur distribuait largent avec une grosse sacoche. Je suis entrée
au CNRS avec 800F ; jétais responsable de la documentation
en métallurgie, je suis allée en Pologne et sans jamais
avoir jamais vu un haut-fourneau, je connaissais tous les termes, je pouvais
traduire et faire moi-même la visite de lusine...
Il y avait des gens qui travaillaient chez Renault et qui continuaient
à habiter la Normandie avec les 3/8.
Claire
Je vais parler de moi aussi... Jai rencontré sur le chemin
de Saint-Jacques de Compostelle un ouvrier de Renault qui - comme
sanction - avait été envoyé à latelier
62 comme mécanicien. Il ma raconté quil y avait
5 forgerons, de leau froide non potable où on mettait le
vin à rafraîchir. Jai montré le livre à
cet homme qui a connu le père de lauteure et le reconnaît
sur la photo ; il dit que oui, cétait comme ça.
Jai adoré ce livre. Lalternance du récit est
très réussie, ça ma évoqué Annie
Ernaux, la façon dont elle met en valeur les expressions qui ramènent
le passé, par exemple au début le pantalon rapiécé
qui « vaut encore le coup ». Lécriture
est scandée, les phrases nominales ça étonne, ça
créé comme une langue, cest un bloc de langue et décriture
remarquables. Tout mintéresse, même sil y a des
choses déjà connues. Cest parfaitement actuel concernant
limmigration : il y a bien un regroupement familial à
Clamart. J'aime le montage en tissage. Cest lhistoire de la
narratrice, du père, de Renault, mais le livre est aussi lhistoire
de la reconstitution. La narratrice est entre la vache et le CNRS. Ça
me rappelle aussi Une Année à la campagne de Sue
Hubbel, simultanément au ras de la nature, de la perception sensuelle
et de la pensée scientifique. Dans Atelier 62, le savoir
de lhistorienne lui permet de comprendre cette vie singulière.
Quant à Nicolas Frize, je lai rencontré, la piscine
de la Butte rouge jy suis allée, Le Bal de Penchenat, je
lai vu dans ce théâtre... La Cité de la Plaine
avait une école maternelle, ma mère en était directrice
qui a vécu de près à la création de la bibliothèque
de Clamart ; jy étais inscrite...
Dans le livre, il y a une voix forte et à distance, cette voix
est extrêmement sympathique. Il y a des moments qui me touchent,
le rêve de la table avec les bulletins, et aussi les derniers mots
« écrire avec », ça déclenche
de lémotion pour moi. Cest un grand livre !
Lil
J'ai beaucoup aimé ce va-et-vient entre l'histoire socio-économique
de cette seconde moitié du 20ème siècle (avec la
mécanisation du monde rural entraînant une véritable
révolution : disparition de certains métiers accompagnée
de l'exode rural vers les grands ensembles et d'un changement complet
des repères) et son implication directe dans la vie de famille
de Martine Sonnet, par le biais du père.
L'écriture de ce livre est très particulière :
elle possède un rythme, rapide, saccadé, dans lequel il
faut entrer, (ce qui m'a demandé un peu de temps), et qui participe
à l'atmosphère du livre (récit dramatique tout de
pudeur et de retenue)
La brièveté des chapitres (un sujet précis par chapitre)
et leur alternance (dénombrés en chiffres arabes ou romains,
selon qu'ils se rapportent à Renault ou à la famille) font
apprécier, avec précision, les conséquences directes
de l'économie sur le social.
L'auteure, avec grand talent, mêle habilement, l'histoire de Renault-Billancourt
à celle de sa famille. J'ai lu ce livre avec grand intérêt
(un vrai documentaire, passionnant) et une vive émotion (lhistoire
d'une famille, embarquée dans cette tourmente, vue de l'intérieur
par l'un de ses membres). BRAVO !
Ensuite, échanges à bâtons rompus avec lauteure.
Qui dira par la suite que cette soirée lui a donné la possibilité
« de cerner mieux de quoi sont faites ces émotions
ressenties à la lecture d'Atelier 62, souvent évoquées,
mais sans autant de précisions sur les recoupements de mondes qui
en sont à l'origine. »
Son site :
http://www.martinesonnet.fr/Site/Atelier_62.html
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