"Le
temps qu'on dit passé s'attardait encore, au milieu de ce siècle,
dans les petites villes enfouies au cur du pays.
Sa lumière morte, son air éteint, ses drames anachroniques,
sa misère, ses tenaces noirceurs encombraient la vie de chaque jour.
L'heure qui montait au cadran de l'histoire hésitait, au loin. Quinze
années durant, peut-être, la nuit mérovingienne, le
regard d'une dame du roi François, les catins et les roués
de la Régence, le spectre d'un maréchal d'Empire assassiné
hantèrent le paysage immobile. Une clarté soudaine, insolite
et verte, les éclipsa un beau soir, sans retour, et l'instant qui
nous était destiné, le présent, a fait son entrée".
"
Le haut plateau granitique du Limousin fut l'un des derniers refuges de
l'éternité. Des êtres en petit nombre y répétaient
le rôle immémorial que leur dictaient le sang, le sol et
le rang. Puis le souffle du temps a touché ses hauteurs. Ce grand
mouvement a emporté les personnages et changé le décor.
On a tâché de fixer les dernières paroles, les gestes
désormais perdus de ce monde enfui ".
|
|
Pierre Bergounioux
La mort de Brune
Nous avons lu ce livre en mars 2009.
Lona (du groupe breton)
La lecture de La Mort de Brune ma pesé : si lauteur
raconte son enfance, ce morceau de passé enchâssé
dans le présent, je nai pas compris où il voulait
emmener le lecteur... Il y a quelques belles phrases comme celle concernant
le sommelier, la cérémonie du 11 novembre ou les leçons
de solfège. Le livre mest tombé des mains à
la p.65 à cause de phrases trop longues, des "bizarreries"intellectuelles
(vases à éclipses, oreilles darrhes, etc.).
Certains amis du groupe breton ont souligné des passages bien écrits,
voire remplis de poésie ; mais je nai pas envie den
terminer la lecture.
Lil(du groupe
breton)
Je reconnais une grande qualité de style, un essai sophistiqué,
précis et minutieux, parfois abscons et d'un ennui mortel. J'ai
abandonné à la p.100. J'avoue avoir adoré certains
passages, l'abondance des sensations dans les descriptions, mais franchement,
je me demande si cette sophistication ne nuit pas à la force de
ce livre...
Françoise G
BERGOUNIOUX donc. J'avais lu Miette avec beaucoup de plaisir et
me réjouissais de la découverte de ce second roman (second
pour moi). L'entrée dans La Mort de Brune a été
plus difficile. Dès les premières pages, l'extrême
minutie des descriptions de cet ancien château renaissance, lieu
unique dans l'espace et multiple de fonctions qu'est Labenche, sous l'écriture
d'une extraordinaire précision frisant parfois la préciosité,
m'a moi-même enfermée comme lectrice dans une impression
peu agréable qui s'apparentait de loin aux efforts que je me souviens
avoir faits au lycée devant des lectures obligées. Obligées
ne signifie pas inintéressantes bien sûr, mais bon, il fallait
se forcer. Peut-être que je ne suis pas très en forme ces
temps-ci et que mon humeur maussade a déteint sur ma lecture...
au début. Quoi qu'il en soit, j'ai dû relire à plusieurs
reprises pour avoir une représentation assez précise des
lieux : une sorte de visite guidée que j'aurais suivie en
traînant des pieds. Et puis, les pages défilant, je me suis
effectivement trouvée à côté du jeune garçon
dans ces bâtiments d'un autre âge qui n'étaient pas
sans me rappeler des lieux, des moments de mon enfance, avec une émotion
toute cérébrale, comme la suscite Bergounioux. La lecture
est alors devenue pour moi un perpétuel va et vient entre l'univers
du narrateur-auteur et ce qui remontait de mes souvenirs propres, ténus
parce quenfouis, vagues et sans importance apparente, des impressions
que l'on s'empresse d'oublier, qui sont pourtant constitutives et que
l'écrivain rapporte avec tellement de subtilité, de justesse,
qu'on finit par se dire que oui, c'est tout à fait cela. Des moments
un peu étranges, un peu flottants, des personnes disparues venaient
se ranger entre les lignes du livre à côté de l'épicière
"couleur de pomme de terre", du marchand de volailles fou d'opéra,
du photographe-peintre incompris, des émigrés espagnols
aux voix fortes pleines de jota, de l'instituteur "seul à
avoir traité les enfants comme des créatures à part
entières".
La manière dont Bergounioux nous fait redécouvrir le monde
de l'enfance, de l'adolescence, est tellement juste. La précision
de son écriture est évidemment ce qui sert ce rendu si subtil,
et, dans le même temps, elle n'est pas loin de la rendre sophistiquée
et nous éloigne alors un peu. Il m'a semblé parfois sentir
l'auteur se contempler, presque trop content de la beauté, de la
virtuosité de son écriture, tant il y a de recherche.
Il est vrai pourtant que ses mots, ses phrases collent exactement au vécu
des enfants, à cette manière de n'être pas tout à
fait dans le monde, pris ou protégés par l'univers fantasmatique
qui fait écran à la réalité. Le tour de force,
le brio de Bergounioux est peut-être d'exprimer avec autant de maîtrise
une position d'adulte on ne peut plus achevée donc
un univers ténu et vacillant. J'adore la description des leçons
de piano (sur la corde, comme les phrases qui la décrivent), la
dame renaissance aux yeux de pierre, faire un tour "en trome",
le non sens du 11 novembre...
Malgré les réticences du début, le livre me touche
beaucoup, peut-être plus par son côté réflexif
qui s'apparente parfois d'avantage à un essai qu'à un roman.
Je jette peut-être là des réflexions un peu aventureuses
qui manquent de sérieux, mais c'est vaguement ce que je ressens
et comme je suis pressée par le temps...
Il reste la justification du titre... un peu bizarre. Le tableau sur la
mort de Brune, peut-être emblème du basculement des choses,
de l'instabilité de l'art, de la vie, sur les bascules, comme le
passage à l'âge adulte. (Il est décrit dans le chapitre
p. 76 et suivantes qui est la vision de Bergounioux sur l'art et
la mouvance des repères).
Juste deux petites phrases du livre : "Le temps ne passe
pas. Cest nous qui l'inventons, nos efforts, nos peines qui font
bouger, coulisser les grands pans dont nous trouvons, en arrivant le monde
encombré." et encore "Ce qu'il y avait au commencement
est sans doute la dernière chose que l'on puisse comprendre."
Christine
Jai contribué au choix de lauteur avec Monique. Je
lai découvert par son carnet de notes : jai lu
le volume de 80 à 90, puis celui de 90 à 2000, jai
donc partagé 20 années de sa vie ! Jai beaucoup aimé
ces carnets, leur style quasi répétitif. Il est prof de
collège en banlieue parisienne, sa femme chercheure au CNRS est
originaire de Corrèze, où ils vont tous les étés
avec leurs deux enfants ; il y fait des sculptures
africaines à partir de ferraille agricole. En rentrant
à Paris, il écrit. Puis il reprend sa vie denseignant
et la vie de famille. Et il retravaille son texte quil envoie en
juin à son éditeur. Quand il a une année sabbatique,
il écrit beaucoup moins. Il est souvent invité à
des soirées littéraires à Paris. Il a des rites avec
son frère avec qui il fait les bouquinistes, il en rentre épuisé.
Il est né en 1949.
Cet univers me plaît énormément, jaime son écriture,
son humour. Il raconte dans ses carnets les livres quil a publiés.
Cest toujours dans le même style, cette recherche de lui-même,
de ses ancêtres. Cest lécriture qui me retient,
une écriture très travaillée et retravaillée...
Il arrive à rendre les sentiments dun enfant, par exemple
dans La Mort de Brune, puis il rend la façon dont il a évolué
pour devenir ce quil est maintenant. Ça se passe dans les
années 50 à Brive : après la guerre, ces villes
de province ont reculé, nont pas profité de lévolution ;
il explique que lui, enfant, savait caser son imaginaire dans les 100m
entre chez lui et Labenche. Il décrit lennui de lenfant
et comment il lévite, notamment à laide du regard
de cette femme de pierre à qui il confie son être réel
pendant son cours de solfège. Jaime la scène lorsquil
tombe dans les escaliers et sécrase devant la femme (p. 27)...
Jai apprécié tous les commerçants évoqués :
le sommelier, le chapelier, le volailler chanteur dapéro,
lépicière (pomme de terre), le tailleur juif allemand.
Et les leçons de solfège avec les chipies ! Et ce paysage
dune ville de province des années 60 avec ses hommes célèbres
Latreille, Brune, Dubois, les Espagnols des années 30... et
les livres... qui permettent de sévader. On voit comment
un enfant construit un univers qui est à sa portée, la rencontre
dun instituteur (lhomme fait) et le dialogue impossible avec
son père. Jai beaucoup aimé La Mort de Brune,
et Miette aussi.
Françoise D
Je ne connaissais pas Bergounioux. Jai lu La Mort de Brune
qui ne me branchait pas, Miette ma accrochée plus.
Miette ma fait penser aux Vies minuscules de Pierre
Michon : mais cest du sous-Michon... Mais comme je place Michon
très haut, cest quand même positif... Jai finalement
beaucoup aimé Miette et cest ensuite que jai
pu apprécier La Mort de Brune. Dans Miette, je nai
pas tout compris (où se situe le narrateur ?) ; jai
aimé cette trajectoire dune famille, les relations entre
chaque personne, comment elles sarticulent. Jaime beaucoup
cette écriture, très travaillée ; on sent le
travail, la richesse, le talent de lacteur, cest précis.
Miette est plus claire du point de vue écriture que La
Mort de Brune où certains passages restent obscures (est-ce
voulu ?). Il faut ainsi du temps pour assimiler le décor.
Jai beaucoup aimé les évocations des différents
personnages, le regard denfant quil a. Je suis contente davoir
lu Bergounioux.
Jacqueline
Jétais curieuse de le connaître, du fait que Christine
laimait. Un de mes amis avait une fille qui fut élève
de Bergounioux... Jai commencé par lire Catherine,
mais je nai pas continué : cétait une cuite
dans les sous-bois de la forêt corrézienne... La Mort
de Brune, cest quelque chose qui se lit lentement, se déguste.
Jai été surprise par "javais accoutumé"
et limparfait du subjonctif. Jai dû maccrocher,
mais jai adoré cette capacité à évoquer
les choses, les souvenirs. Cest très juste sur lennui,
qui nest pas total parce que le narrateur est toujours dans lespoir
que ça va prendre sens (par exemple au sujet de lennui du
solfège, laccompagnement du chanteur donnera sens aux leçons
du solfège). Assez rapidement, jai été sous
le charme en lisant lentement pour profiter du livre. On sort de lennui
avec les éclaircies de lété, avec la marche,
les Espagnols et tous ceux qui gravitent atour de son père. Jaime
beaucoup ce livre. Je vais lire Miette.
Monique
Jai beaucoup aimé les carnets de Bergounioux. Cependant plusieurs
choses magacent chez lui. Lécriture est parfois emmerdante
notamment dans La Mort de Brune : cest surécrit,
ça me rappelle Proust qui dit quon ne doit pas sentir le
travail dans lécriture. Chez Faulkner, cest difficile,
mais ça se justifie ! Ici, ça ne se justifie pas. Ce
quil raconte ne mintéresse pas, cest un peu exercice
de style. Sa vision du monde est un peu misogyne : les femmes pommes
de terre, les chipies... Le narrateur a un côté triste. Dailleurs
Bergounioux a un côté très morose ; dans son
journal il présente ses deux enfants, lun quil admire,
lautre quil critique ; cette vision me déplait.
Ce quil dit sur Brune, sur la vie en province, ne me convainc pas ;
son regard sur larrivée du cinéma et des boums, nest
pas vraiment signe dune ouverture. Ce travail énorme décriture
ne se justifie pas pour introduire dans un monde qui ne convient pas.
Dans son journal, je suis plus à laise, car ce nest
pas la même écriture, cest plus naturel, avec ses nombreux
intérêts, la sculpture, la pêche, la nature...
Brigitte
Je savais que cétait un auteur admiré et ne le connaissais
pas. Je suis très déçue par La Mort de Brune :
il se fout de nous ! Au 4/5 du livre, on se rend compte quil
sagit du maréchal. Les sujets sont très intéressants,
mais je narrive pas à entrer dans cette écriture très
compliquée. Contrairement à Faulkner ou lécriture
est difficile mais la difficulté contribue à la compréhension,
ici lécriture est un obstacle. Jai pensé au
film Le Fils de lépicier.
Françoise O
J'ai beaucoup aimé le livre et j'ai découvert un nouvel
auteur.
Geneviève
J'ai lu Miette parce que c'était le seul titre auquel j'ai
eu accès à la bibliothèque de Montreuil.
Je partais avec des préventions : écrivain très
littéraire, un peu passéiste et provincial.
Pas complètement faux : certains "esthétismes"
sont un peu agaçants, ainsi la répétition de certains
adjectifs dans les portraits ou des expressions attachées à
certains personnages telle la "fureur" de Baptiste. Des notations,
toujours les mêmes, sur les personnages comme sur les paysages,
reviennent en boucle, mais ce qui semble redite au début finit
par donner un rythme au récit. Les personnages sont très
forts, très symboliques aussi ; les paysages sont magnifiques
et terriblement présents ; le thème de la permanence
des choses et de la fin d'un monde est très convaincant. Je me
suis juste demandé si ma génération, née dans
les années 40 et 50, n'était pas plus réceptive à
ce thème que les générations suivantes. En tout cas,
il est indéniable que Bergounioux crée un monde très
fort et vivant à la fois, ce qui est pour moi la marque d'un vrai
romancier.
Donc, encore une belle découverte grâce au groupe, même
si je reste fidèle au cosmopolitisme des auteurs anglo-saxons.
Claire
Jaime bien le mot de surécrit de Monique que je trouve bien
adapté. La façon dont Christine et Monique parlent des carnets
donne envie de croquer les anecdotes, voire les potins... Ce coté
répétitif de sa vie est fascinant, son uvre semble
analogue. Jai lu il y a un mois pendant les vacances trois livres
de lui, les deux "au programme" + LEmpreinte qui
est une variation pour ne pas dire une redite de La Mort de Brune.
Jai déjà bien oublié... Miette est différent,
plus intéressant je trouve. Si je rejoins lintérêt
de lécriture, ce nest pas avec une adhésion
ferme, car des phrases sont alambiquées sans déclencher
lenthousiasme et en sentant plutôt quelque chose de volontairement
affecté ; la recherche des termes paraît parfois à
la limite de la pose je trouve : flanqué (employé systématiquement),
déjeté, abraser, charrié, tonnelier, longanimité,
onciale... Et in situ, ça donne : "il sévertuait,
aurait-on dit, à mimer lidée pluvieuse, fuligineuse
quon se faisait des temps calamiteux", cest vraiment
casse-couilles (pardon) !
Lhistoire des oreilles ma mis la puce à loreille :
est-ce bien de lhumour ? Dommage quil ny en ait
pas davantage... Lunivers est à la fois contenu dans les
100m2 et devient gigantesque. Faire revivre un monde disparu (en cela
cest une réussite) relève-t-il de la nostalgie ?
Je le comparerais à ce titre à Annie Ernaux, avec une écriture
"contraire".
Jai lu son livre dentretiens sur lécole qui
est accablant, École : mission accomplie ; le
style est dune lourdeur, la pensée est gluante ! Son
article dans Le
Monde sur la crise est du même tonneau avec un langage de
plomb ("Les adeptes du gain pécuniaire, comme axiome fondateur
du vouloir pratique, peuvent bien s'ingénier à tirer parti
des persistantes disparités de prestations et de droits qu'on observe
encore d'un pays à l'autre. ")... Ne vaut-il pas
mieux quil reste dans ses 100 m2... ?
Jean-Pierre(du
groupe breton)
Un peu confus, un peu difficile à lire, un peu tortionnaire de
la langue, j'aurais pu ne pas aimer.
Mais je me suis laissé prendre au ton général de
l'uvre, à sa nostalgie, à sa noirceur, à cette
espèce de désabusement, de fatalisme, de prégnance
grisâtre et malodorante quasi désespérée qui
sourd à chaque page, presque à chaque phrase.
Les personnages sont des pantins sans ressort, pris dans les filets collants
de leur destin, dont ils ne sortent pas, sauf par le suicide ou le meurtre.
Un monde se meurt, un monde est mort. On est à la charnière
de ce qui n'est plus et de ce qui n'est pas encore. On risque à
tout moment de finir par devenir adulte ce qu'on a détesté
étant enfant. Seul l'instituteur éclaire le bout du tunnel
de son idéalisme, petite lumière qui, on le devine, on l'espère,
finira par sauver l'adolescent.
Finalement, j'ouvre à moitié.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
|
à
la folie
grand ouvert
|
beaucoup
¾ ouvert
|
moyennement
à moitié
|
un
peu
ouvert ¼
|
pas
du tout
fermé !
|
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