Jules Renard
L’Écornifleur
Nous avons lu ce livre en février 2010.

Rozenn
Je l’ai acheté et ouvert hier soir. J’ai lu des passages, ça ne m’a pas plu, je ne supporte pas ce que je suppose de l’auteur, le narrateur, ce qu’il dit des femmes. J’ai commencé par la fin. J’adore son côté pique-assiette. Je n’ai pas eu envie d’en lire plus. Je n’aime pas la posture du narrateur. J’ai détesté Poil de carotte.

Monique
J’étais complètement dans le texte. C’est trop rigolo. Au début j’ai craint le pire, je croyais entrer dans un romain du XIXe classique. En fait, c’est truculent ; ça devait être très innovant quand c’est paru. On passe du style récit au style théâtre, pourquoi ? J’ai beaucoup aimé la lucidité du narrateur ; il n’aime pas Mme Vernet, mais il pense qu’il a l’obligation de la séduire ; puis il passe à la jeune fille : les leçons de natation, c’est truculent ! Il montre Mme Vernet dans des positions humiliantes ; le narrateur se complaît dans une position d’enfant. Mme Vernet joue un rôle de maman, c’est un peu incestueux. Parfois, j’ai été surprise par la qualité des propos du mari. On ne s’ennuie jamais. Je ne l’ouvre pas en grand parce que c’est un peu daté dans le style et les métaphores sont lourdes. A la fin, on apprend que les Vernet ont réellement existé dans la vie de l’auteur ; et M. Vernet réapparaît dans un autre livre.

Claire
C’est absolument délicieux, ce n’est que du plaisir. Les notes sont exaspérantes, la préface est brillantissime. Ma seule réserve ce sont les saynètes de théâtre qui m’ont gênée. Soit c’est du premier degré et c’est maladroit soit c’est du deuxième degré je-vous-fais-une-petite-saynète-vous-êtes-
prêts ?, mais j’hésitais. Le narrateur est exaspérant et minable, on ne connaît pas son vrai moi, il est en représentation. M. Vernet qui ne colle pas avec ses modèles littéraires (« le mari de mes lectures »), c’est rigolo. L’écriture est très réussie ; les descriptions de la mer sont très belles. On revient sans cesse à la littérature. Il y a plein de scènes à citer, notamment celle du viol ! Quel styliste !

Françoise O
Au début, je l’ai trouvé daté, j’ai pensé que j’allais m’ennuyer puis quand on part à la mer, je me suis laissée embarquer. Il y a un travail de style. C’est la description d’un pique-assiette, position universelle. J’ai pensé à JM Banier et Mme Bettencourt ou Catherine Breillat, maintenant on peut aller en justice pour ça, qui s’appelle « abus de faiblesse ». On a seulement le point de vue de l’écornifleur, pas celui des autres personnages. Comment les Vernet y trouvent-ils leur compte ?

Monique
- Il les sort de l’ennui, il les fait vibrer.

Françoise O
Il y a un univers très intéressant, la description du petit train est adorable ; il y a un travail de style. On a l’impression qu’il ne connaît que ce côté de l’être humain, connaît-il le point de vue de celui qui est manipulé ?

Brigitte
J’ai été étonnée par ce choix. Le titre date, le livre est terminé en 1890. Au début j’ai cru que j’étais avec Raymond Queneau dans son omnibus. J’ai lu Poil de carotte, je le connais presque par cœur, j’ai vibré, petite, aux malchances de Poil de carotte, ce livre m’a constituée ; je trouvais ce livre bien vu, ça nous parle de la vie d’un enfant, donc de nous-mêmes. Ici, j’ai été embarquée moi aussi à partir du voyage à la mer. A la fin j’ai trouvé que c’était un petit chef-d’œuvre. Je l’ai trouvé très moderne. Il donne l’ambiguïté de la relation, dans un sens comme dans l’autre ; cette indécision est très bien décrite. Le cours de natation est très réussi. Puis le viol, avec son effet de réalité, leur tombe dessus. L’écriture est magnifique, d’un style très fin, comme par exemple le passage sur la bibliothèque. On pense à Paludes.

Jacqueline
J’avais le souvenir de Poil de carotte et du Journal qui est un condensé, avec des images qui frappent (et des observations brèves de la campagne). J’ai lu celui-ci dans la Pléiade avec des annotations passionnantes. L’auteur élaguait beaucoup. J’ai adoré à cause de la férocité, de la vacherie par rapport à ce jeune homme qui ne réussit pas comme écrivain, ni comme poète, en fait, il n’arrive à rien, il est pitoyable. Il pourrait être Julien Sorel, mais ici le narrateur reste toujours en dehors ; il est touchant de « manque de sentiment ». « Écornifleur », ce mot évoque quelqu’un qui reste toujours en dehors. Il y a quelque chose de très touchant dans cet écrivain qui n’écrit que des petites choses, extrêmement condensées. Il a un regard impitoyable sur ces gens qui n’ont rien dans leur existence, sur cette époque.

Françoise D
Eh bien je suis en désaccord avec tout ce que vous avez dit. Je n’ai rien trouvé là de drôle, de truculent, de délicieux, et surtout pas la scène du viol (qu’il a le culot d’appeler « demi-viol »). Soit, l’auteur est sans indulgence pour son narrateur ; on sait que c’est lui-même, donc on peut lui accorder cette lucidité : c’est un triste sire, un raté, dont l’énergie s’applique à se trouver gîte et couvert gratuits. Mais qui plus est, il est d’un mépris sans nom pour tous les autres ; personne n’en réchappe, ni le couple de pêcheurs, ni la fermière, et encore moins cette pauvre fille qu’il viole et qui est totalement chosifiée. Certes J. Renard sait écrire, mais je n’ai pas été impressionnée par son style ; en fait, j’ai plutôt aimé l’alternance avec les saynètes, c’est une trouvaille qui donne un rythme, et heureusement un peu de recul dans la narration. Je suis très surprise par votre enthousiasme, mais je fais le pari que s’il ne s’était pas agi de Jules Renard, vous auriez été plus tièdes.

Claire
- Voilà une mauvaise foi digne de notre écornifleur...



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Henri, jeune littérateur sans moyens, séduit un couple bourgeois auprès duquel il trouve table ouverte et suffisamment d'attention pour le conforter dans sa vocation hésitante. L'Écornifleur est le récit de cette existence au jour le jour, lucide, cynique, plein d'une ironie dont le narrateur est peut-être la plus fréquente victime.