Herta Müller
La convocation

Nous avons lu ce livre en janvier 2010. Nous lirons ultérieurement L'homme est un grand faisan sur terre, en juillet 2010.

Brigitte
La première chose à dire est que l'écriture est vraiment originale, en même temps précise et pleine de rêve, très poétique. La construction du livre est elle aussi très travaillée.
J'admire particulièrement l'aptitude de l'auteur à passer fréquemment d'un sujet à l'autre presque à l'intérieur une même phrase et le lecteur comprend pratiquement toujours et réussit à la suivre jusque là où elle veut nous mener. Je ne connaissais pas du tout cet auteur, c'est une découverte qui en vaut vraiment la peine. La description de la vie quotidienne en Roumanie depuis une cinquantaine d'année est fascinante, tous sombrent peu à peu dans la folie. Comment faire autrement sous un tel régime ? Certains personnages et certaines scènes sont de vraies réussites, notamment la scène au restaurant où deux couples partagent la même table, ou bien la description de M. et Mme Micu, sans oublier le conducteur du tramway et tous les passagers...
J'ouvre aux ¾, car il faut quand même faire un effort chaque fois qu'on prend cette lecture. Le livre ne vous emporte pas.

Monique
Je ne pourrais pas être là ce soir. Je suis en train de lire Herta Müller, page 78 j'aime bien. On est trimbalé, on est plongé dans le menu de petites choses du quotidien, du réel, et puis tout à coup on est transporté ailleurs, on a de très beaux moments poétiques, plutôt de "natures mortes", et puis on nous ramène (on avait oublié) là où on ne veut pas aller : dans le bus, vers l'interrogateur.
J'aime le monologue intérieur, avec son débit, ses familiarités, ses coq-à l'âne.
Lilli m'a paru longtemps énigmatique. Maintenant, je sais : elle est morte. Et pourquoi certains mots sont en italiques ? Je n'ai pas compris. En même temps, parfois je trouve le texte un peu trop touffu, trop auto-dépréciatif et ça m'énerve un peu. Je trouve le texte trop long et trop touffu, mais je vais finir le livre et la fin justifiera peut-être les moyens ?
Françoise D
J’ai bien aimé. Ce mélange de ton à la fois dramatique et de dérision, d’autodérision de la narratrice. Cette amertume constamment. Ce qu’elle vit est terrible, de même que ce que vivent à peu près tous ceux qui l’entourent. Le sort de son amie Lili est terrible. C’est un tableau terrible de la Roumanie sous régime communiste. On sait que l’auteure en sait quelque chose et qu’il y a dans ce livre une grande part autobiographique. Les petites choses de la vie quotidienne nous éclairent sur l’atmosphère irrespirable que subissaient ces gens. Personne n’est épargné. Je me souviens des interrogatoires racontés dans Vie et Destin (Grossman). Là aussi, on comprend comment les gens craquaient et étaient prêts à admettre n’importe quoi. J’ai bien aimé la construction : ce va-et-vient entre le trajet du tram et les retours en arrière rythme le récit, c’est bien, mais on est en attente de l’interrogatoire (qu’on n’aura pas). En revanche, l’écriture ne m’a pas époustouflée, mais elle est efficace. Quand j’ai acheté ce livre, je n’étais pas très contente, je me suis dit qu’on aurait pu choisir un poche, pour 18€, il avait intérêt à me plaire ! Bon, je ne regrette pas mais il faudrait en lire d’autres pour savoir si (à mes yeux) ça méritait le Nobel. De toute façon, c’est un témoignage important.
Françoise O
Je suis un peu mitigée. Je suis d’accord avec Françoise. Des phrases courtes, pas de points, la façon de construire l’histoire avec les passages dans le tram. Mais j’ai envie de dire que le régime a bon dos : à part le grand père et le cordonnier, tous les personnages sont odieux, médiocres. Elle décrit bien la soumission à ceux qui ont une quelconque autorité, un pouvoir démesuré (cf. le chauffeur de bus). Je me demande s’il n’y a pas un mépris pour les personnages. Seule Lili a un côté flamboyant, elle fait ce qu’elle veut, c’est la seule femme positive du livre, mais elle est allemande...

Françoise D
Je n’ai pas pensé à cela, au fait que Lili était allemande. Les gens sont broyés.

Françoise O
Le harcèlement dans une entreprise ça existe encore aujourd’hui, ce n’est pas dépendant du régime. Pourquoi cette photo en couverture ?

Claire
Le pantalon est à l’origine de la convocation.

Françoise O
C’est réussi dans la mesure où on est au bord du malaise tout le temps. Les personnages sont laminés par le système : Paul est l’objet de brimades constamment.

Françoise D
Il y a un humour très noir, très grinçant.

Françoise O
Je ne dirais pas de l’humour, plutôt de la distance, de l’esprit critique.
Claire
J’ai trouvé ce livre très difficile à lire, on ne peut pas le lire vite. L’écriture est surprenante. (Claire lit le deuxième paragraphe : "ces baies sont bien trop petites pour être des têtes d’oiseaux blancs détournant le bec, mais je ne peux m’empêcher de penser à des têtes d’oiseaux blancs..."). J’ai eu du mal à me repérer dans le récit. J’ai compris le fil (le tram) mais je n’arrivais pas à retrouver une "convocation". C’est l’écriture de la sensation, de la distance, par exemple dans les descriptions de la nature, elles contrastent avec l’atmosphère étouffante elle-même. L’exigence d’attention m’a gênée (handicap habituel) et donc je l’ouvre à moitié.

Lona
Une ambiance étouffante, obscure faite de malheurs et de décès, dégoulinante d’alcool de mauvaise qualité !
Par contre c’est une bonne description du régime communiste de la Roumanie sous Ceausescu : surveillances, délations, expropriations, mépris, humiliations, peurs, vols, solitude, travail au noir, camps ! Une société d’ennui, sans vie dans laquelle il est tout simplement impossible de faire quelque chose, dans laquelle le sexe expéditif – et de mauvaise qualité lui aussi ! – est omniprésent.
J’ai aimé Lilli et ses amours...
Il y a quelques lueurs dans les belles descriptions de la nature, du ciel et des nuages, du vol des hirondelles ; des scènes dans le bus, comme celle de la mangeuse de cerises, du mariage de Paul, ou celle, marrante, de l’attente devant les toilettes publiques. J’ai aussi aimé le rituel d’avant les convocations, la croyance au pouvoir de certains objets (pierre, noix), l’importance des vêtements et de la coiffure.
C’est un livre difficile ; on y reste englué : pas d’avenir, pas de possibilité de fuite, pas d’alternatif pour se trouver un ailleurs.
Les allers-retours entre vécus, rêves et délires ont fait que j’ai trouvé la lecture difficile : c’est une immense souffrance, un ravage de la société toute entière, une longue descende vers la folie.
Ce livre m’a mise mal à l’aise et je ne sais pas si j’ai envie de l’ouvrir ou le laisser fermer !

À LIRE
-
Interview d'Herta Müller publiée dans Le Monde (4 décembre 2009)
- Discours d'Herta Müller lors de la remise de son prix Nobel le 10 décembre 2009.


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La narratrice, ouvrière dans une usine de confection qui travaille pour l'Italie, a été convoquée par la Securitate. Elle est dans le tramway et lutte pour ne pas se laisser entraîner par son angoisse et le sentiment d'humiliation que son interrogateur va s'ingénier à provoquer dès son entrée...