Florence Aubenas
Le quai de Ouistreham

Nous avons lu ce livre en avril 2010.

Sabine de Nîmes
C’est un livre intéressant mais qui présente des "faiblesses" :
- intéressant parce qu'il révèle, à tous les privilégiés que nous sommes, la situation financière et sociale intenable de milliers/millions de familles. Savoir que des gens sont réduits à n'espérer ni CDI, ni CCD, mais seulement quelques heures de travail est sidérant ! J'ai aussi été très choquée et révoltée de voir l'humiliation dans laquelle sont plongées les femmes de ménage, tant du fait des employeurs que de leurs propres collègues (scène avec le chauffeur qui marche et salit là où elle vient de nettoyer). En refermant le livre, j'en voulais (et j'en veux encore !) à la terre entière, Sarko, les banquiers et tout ce système qui écrase les plus faibles : où est l'homme dans tout cela ? Grand cri du cœur, mais qui donne l'envie de me battre.
- Cependant... je n'ai pas été complètement conquise par le livre : j'aurais souhaité en savoir plus sur les salaires, comment font ces familles pour s'en sortir, être peut-être plus immergée dans le quotidien de ces salariés. Il y a comme un goût de trop peu, une profondeur d'analyse qui manquerait. Je viens de finir un livre du même genre de Sylvie Caster, ex-journaliste au Canard, qui a mené elle aussi un journalisme d'investigations, et que je vous recommande absolument : je crois qu'il s'appelle récits ; ce sont six tranches de vie finement observées et retranscrites sans pathos ni complaisance. Pour le coup, ce livre n'a reçu aucun soutien médiatique et dépasse pourtant de loin le livre d’Aubenas, qui est utile certes, mais qui n'a pas la profondeur de celui de Caster.
Cher groupe, bons échanges qu'il me tarde de découvrir sur le site !

Annick
Je n’ai pas lu le livre... J’ai failli aller à une séance de signature. J’ai lu un article qui expliquait comment le livre a été médiatisé. Je suis venue pour vous écouter.
Katell
Le livre est sorti fin février et 3 jours après Bertrand me l’a offert. Le titre n’est pas terrible ; je le trouve un peu plat. La démarche m’a rappelée Dans la peau d’un noir ou Tête de turc. Ce livre m’a bouleversée. Pour moi, Florence Aubenas est vraiment une héroïne. Elle est très simple. Elle est et reste journaliste : elle témoigne. D’emblée, elle parle de notre naïveté devant cette société à deux vitesses. Notre société avec ses travailleurs pauvres. On voit cette difficulté des horaires. J’ai aimé l’écriture simple. Après cette lecture on est moins naïf. Françoise Aubenas n’est pas dans le misérabilisme. La description de Pôle emploi et de ceux qui y travaillent m’a frappée. C’est un peu pessimiste. J’ai réellement pleuré en fermant le livre. Françoise Aubenas est une personne honnête et intègre. Le livre est sorti en même temps que celui d’Élisabeth Badinter, que je trouve malhonnête intellectuellement. J’offre ce livre autour de moi !
Quant à l’article qu’a envoyé Claire, sur la médiatisation du livre, il est passionnant.
Jacqueline
Je n’ai pas d’opinion sur ce livre... ça se lit très bien. Florence Aubenas parle de choses qu’on sait de loin. J’ai une défense par rapport à ce dont elle parle. C’est bien qu’un livre comme cela existe. Mais il ne me reste pas grand chose de cette lecture. Tous les gens qu’elle rencontre sont très solidaires. On lui prête par exemple une voiture ! Mais il ne me reste pas grand chose des personnages qu’elle côtoie, sauf peut-être la syndicaliste Victoria.
Françoise G entre et
Si le groupe ne l’avait pas proposé..., je ne n’aurais pas lu le livre de Florence Aubenas. J’avais subi le battage médiatique je n’en attendais pas plus. Mais je l’ai lu et j’en suis contente. L’écriture est porteuse, simple et authentique (parfois poétique). Mais au début, je n’ai pas compris la visite pour l’emploi de gouvernante... Puis après ça part. J’ai été voir comment Florence Aubenas décrit des situations de très près sans pathos. Les personnages sont très bien campés, touchants et haut en couleur, mais jamais ridicules. Ils sont très humains. J’ai été gênée par l’aspect ritournelle, à chaque boulot, on cherche encore un autre boulot, on travaille, on revient, même horaires, mêmes difficultés, même patrons...
Approcher cette vie, ce quotidien, ce n’est pas rien ! On rencontre un monde qu’on voit toujours de loin. Ce livre a un intérêt politique. Les gens décrits sont au plus bas, en dessous de l’ouvrier qui existait avant. Il n’y a plus de solidarité. On voit la méfiance envers les syndicats. Ce sont des travailleurs dont on fait n’importe quoi. Ça fait froid dans le dos ! Florence Aubenas fait son boulot de journaliste remarquablement. C’est son travail. Il y en a d’autres dont on ne parle pas. Elle est très humaine et très sympathique.
Brigitte
Je me retrouve dans ce qu’a dit Jacqueline : qu’est-ce qu’il faut en penser ? Je me suis identifiée à Florence Aubenas et les ménages pénibles. Le problème du transport est crucial – ce serait sûrement différent à Paris. J’ai vu un sujet sur les call-center dans Envoyé spécial : j’étais allée tester des centres comme cela quand je faisais partie de Médecins sans frontières. Je suis frappée par le travail minime par rapport à la dépense. Et la personne qui hésite à prendre un boulot car ce serait à l’heure du feuilleton ! Ils sont à la fois dans la même vie que nous mais en dehors de nous. Ce qu’on a en commun c’est le calendrier. J’ai ressenti sa fatigue, l’aspect fragmentaire des choses, il faut sans cesse qu’elle se réadapte. Je me demandais comment on ressentira ce livre dans 20 ans ? Le comprendra-t-on ? C’est du très bon journalisme, je l’ouvre pas en grand... Herta Müller, à côté, c’est de la littérature.
Françoise O
J’ai dévoré ce livre par morceaux. J’ai découvert une journée de travail. J’en suis arrivé à la conclusion terrible qu’on ne cherche plus un travail... mais des "heures" de travail ! Ça m’a fait penser aux personnes qui s’occupent des personnes âgées. Le titre m’a touchée car je connais bien la région. Il y a toujours cette nécessité de la voiture car il n’y a pas de transport en commun. On retrouve dans ce livre toutes les hiérarchies et les mesquineries. Aucun homme ne nettoie les sanitaires. Où sont les abstentionnistes aux élections européennes ? Les femmes de ménage ne peuvent surtout pas faire grève ! Au début, elle pense être gouvernante mais elle n’aura aucune liberté. Pour moi, ce n’est pas de la littérature. Elle décrit des situations et ne porte aucun jugement. C’est un témoignage. C’est en fait à nous de porter un jugement. Florence Aubenas reste discrète sur ces personnages qu’elle approche en se faisant passer pour un autre personnage. Je contente d’avoir lu ce livre qui m’a appris beaucoup de choses. C’est un vrai témoignage.
Manu
J’ai côtoyé beaucoup de personnel de ménage dans mes différents emplois et je ne pense pas qu’ils étaient aussi simples que ceux dans ce livre. Je me suis interrogé sur le pourquoi d’un tel livre ? Il suffit d’allumer la télé et de voir à quel point en France des gens souffrent de situations inextricables : des gens sans boulots, endettés, avec un handicap... Qu’est-ce qu’elle nous apprend, Florence Aubenas, de la France qui souffre ? Pour ma part rien. Florence Aubenas ne rend pas service aux personnes qu’elle a fréquentées. Pourquoi retenir des bouts de vie qui m’ont paru caricaturaux ? Pourquoi juste relever la sortie du dimanche au supermarché ? J’ai trouvé que c’était un bouquin sur la bêtise ordinaire. J’ai trouvé qu’il y avait du mépris pour ces gens ordinaires. C’est un livre plombant. Les personnages ont aussi des côtés positifs : leur générosité, leur solidarité. Je me demande si le livre se serait aussi bien vendu s’il avait été écrit par quelqu’un d’autre que Florence Aubenas. Je n’ai rien appris de plus que ce que j’ai déjà vu à la télé.
Monique
Je connais beaucoup de gens qui sont en province avec des toutes petites retraites, ou bien en chômage technique 1 à 2 semaines par mois. J’adore ce livre de Florence Aubenas qui montre qu’une grande partie de la population française vit comme cela. Elle a abandonné son travail pour faire ce qu’elle a fait seule. C’est une méthode pour montrer comment vivent ces gens sans les mépriser. Les supermarchés sont les lieux où l’on rencontre du monde quand on vit à la campagne. Florence Aubenas n’est pas de leur culture, elle n’est pas de leur âge et pourtant les gens l’aident, lui prêtent une voiture. Prêterions-nous notre voiture ainsi ? Avec la difficulté financière "mes parents viennent manger dimanche, où trouver le rôti le moins cher ?", je les appelle les précaires. C’est très sain que dans cette époque de crise qui éloigne les plus pauvres des plus riches, il y ait encore de l’entraide. Je pense que si je n’avais pas le choix, je deviendrais l’esclave d’un couple comme celui du début de livre. L’esclave de leur folie, de leur angoisse. Quand on dit qu’elle n’a fait que son boulot, je ne suis pas d’accord.
Claire
C’est bizarre que certains d’entre vous ne sachent pas quoi penser, comme s’il y avait une sacralisation. Ce livre m’ouvre les yeux. Le caractère documentaire est très fort : "compétences facilement transférables", "c’est le fond de la casserole". Le monde des précaires est le monde qui l’entoure : Florence Aubenas nous renseigne sur ce monde. Elle est sur le fil du rasoir, elle a choisi une distance. En fait ce qui m’intéresse, c’est le personnage de Florence Aubenas mais d’elle, elle ne dit quasiment rien. J’aurais aimé qu’il y ait une autre partie où elle parle d’elle-même. Que fait-elle de ses temps morts ? Regarde-elle la télé ? Téléphone-t-elle à ses amis ? Je suis fascinée par son expérience qui l’a amenée à faire ce livre. Mais ce n’est pas le livre d’une femme de ménage mais celui d’une journaliste parisienne. Ce ne sont pas les précaires qui me passionnent mais plutôt la personnalité de Françoise Aubenas. Je dois vous faire un aveu, j’adore comme Philippe dans le livre la sortie au supermarché !

Annick A
J’ai appris des choses dans ce livre. J’avais déjà lu des extraits dans les journaux. C’est un monde que j’ignore. Je passe tout le temps à côté de ces gens-là. Je me suis remise en cause à ce moment là. Je vois souvent ces femmes de ménages qui arrivent au bureau à l’heure où on part. C’est vrai que parfois le ménage est mal fait, et il m’est parfois arrivé de me plaindre. Mais j’ai lu ce livre et un autre du même sujet mis qui ne m’a pas apporté grand-chose de plus. Pôle emploi, c’est kafkaïen. Le personnel de Pôle emploi m’a paru complètement stressé. Le passage chez les routiers est assez horrible. Le premier chapitre apparaît assez bizarre et énervant. Elle fait dans le livre comme si elle n’était pas journaliste, c’est à la limite de malhonnête. J’aurais aimé qu’elle s’explique dans la préface.

Claire
Les personnes se sont-elles rendu compte qu’on avait écrit sur elles ?
Françoise D
Je suis comme Katell, je partage ce qui a été dit de positif. J’ai été très émue. Ce sont des choses qu’on ne sait pas déjà. Quand on l’a lu, on ne peut plus dire qu’on l’ignore. J’ai géré dans une banque les contrats de société de nettoyage. On demandait de diminuer les prix des contrats pour une même prestation. Les sociétés répercutaient la baisse sur les salaires des employés pour garder les mêmes marges. Ce sont les employés qui trinquaient. J’ai rencontré également des responsables du DAL. Ce livre a son utilité. Les femmes sont toujours celles qui nettoient les sanitaires, jamais les hommes.
J’ai beaucoup aimé la forme, la façon d’écrire et de raconter. Florence Aubenas se met en scène, tout en restant en retrait. Ce sont des choses que l’on sait sans vraiment le savoir. Comme ces gens qui travaillent et qui vivent dans leur voiture. Comme ils ne peuvent pas se passer de leur voiture, ils suppriment le logement. Le passage où le personnel de ménage n’ose pas se servir du distributeur de boisson m’a marquée.

Lona
L’immersion dans un monde marginal par un journaliste n’est pas une première : d’autres l’ont fait avant Florence ! Encore faut-il pouvoir le faire ! Ce livre est pour moi un témoignage de cette expérience : expérience inquiétante, réaliste et terriblement désespérante. Un état des lieux du monde précaire fait de petits boulots de survie... Un récit d’ethno-anthropologie et non des pages de voyeurisme comme certains l’ont supposé dans notre assemblée.
Bien sûr qu’elle n’apporte pas la solution : ce n’est pas le sujet du livre. D’ailleurs comment pourrait-elle, à elle seule, apporter une quelconque solution ?
Je trouve que l’analyse du Pôle Emploi est une bonne critique d’une administration sclérosée qui masque les chiffres du chômage, qui propose des formations inappropriées, qui reste absolument inefficace dans les recherches d’emplois. Quelques personnages sont sympathiques, chaleureux : Victoria, Marguerite, Françoise : elles dégagent de l’humain. Les récits se conjuguent essentiellement au féminin dans le monde des entreprises de nettoyage de la région de Caen : rendement, fatigues, lassitudes, distance, voire ignorance du milieu syndical et politique, suicides...
La "crise" expliquerait tout, permettrait tout ?
L’écriture est facile, mais le récit m’a semblé long !


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" La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail. J'ai loué une chambre meublée. Je ne suis revenue chez moi que deux fois, en coup de vent : j'avais trop à faire là-bas. J'ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, et je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. Je suis devenue blonde. Je n'ai plus quitté mes lunettes. Je n'ai touché aucune allocation. Il était convenu que je m'arrêterais le jour où ma recherche aboutirait, c'est-à-dire celui où je décrocherais un CDI. Ce livre raconte ma quête, qui a duré presque six mois, de février à juillet 2009. J'ai gardé ma chambre meublée. J'y suis retournée cet hiver écrire ce livre. "