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Atiq Rahimi
Syngué Sabour, pierre de patience
Nous avons lu ce livre en février 2010.
Brigitte
Le livre a un avantage, il est court ! Je ne me suis pas du tout
identifiée avec lhéroïne-narratrice. Cest
très bien écrit, mais je ne le ressens pas comme poétique,
bien que lauteur le situe aux marges de la poésie. De mon
point de vue, lécriture dHerta Müller est beaucoup
plus poétique. Lintérêt de cet ouvrage est de
faire découvrir de lintérieur la vie dune
femme afghane, ou tchétchène ?... Sa vie sociale, affective,
sexuelle... Je suis contente de lavoir lu, mais je nai pas
envie de le relire !
Annick A
J'ai beaucoup aimé cette pierre de patience. Cela me semble incroyable
qu'un homme et en plus de culture afghane ait pu écrire un tel
livre et approcher ainsi l'intimité féminine. C'est un livre
poignant qui m'a beaucoup touchée.
Françoise G
J'avais lu une interview intéressante d'Atiq Rahimi dans Télérama
peu après qu'il a reçu le prix Goncourt. Il parlait de sa
double culture, afghane et française et précisait les raisons
pour lesquelles il avait choisit d'écrire ce livre-là en
français. Si je me souviens, il trouvait que les liens trop forts
de la langue maternelle l'entravaient pour écrire ce roman, tandis
que le français lui permettait plus de liberté. Le sujet
du livre, les propos de l'auteur et la photo - ne pas oublier la
photo, il est magnifique ! - bref, des choses sérieuses
et moins sérieuses me donnaient bien envie de lire Syngué
Sabour.
Voilà qui est fait. Et je ne sais trop quoi dire. J'aurais bien
voulu commencer par "c'est une vraie surprise", "je suis
un peu déconcertée", mais ce n'est même pas cela.
J'ai joué le jeu pendant quelques pages, me disant qu'il fixait
le décor et que le roman prendrait plus d'ampleur, mais plus la
lecture avançait plus je l'ai trouvé caricatural, répétant
ses images "poétiques" comme des ritournelles, et ce
que j'avais trouvé joli au départ - le temps compté
aux souffles de l'homme, les trous du ciel jaune et bleu du rideau -
devenait lassant... Entre la structure d'un conte pour enfants, les encarts
poétiques et le roman, j'ai l'impression que le livre se perd pour
ne rester qu'une ébauche qui, plus la fin approche, va se délitant
en séries de révélations sordides - toutes les
turpitudes de la famille, la misère sexuelle, la stérilité
du mari, les horreurs s'accumulent pour ne rien oublier avant de clore.
L'ultime fin est à la fois attendue et invraisemblable. Voilà.
Il était temps que je ferme le livre.
J'aurais bien vu cet écrit là comme un scénario :
la mise en scène aurait pu donner plus de corps aux personnages,
aux lieux, aux situations. Evidemment le sujet du roman, l'audace d'Atiq
Rahimi sont intéressants, mais je n'ai pas limpression d'en
avoir appris beaucoup plus, ou plutôt d'avoir approché de
plus près que dans de nombreux reportages télé la
situation d'une femme afghane mariée à un fou de Dieu. Très
déroutant, le personnage de la femme prisonnière et révoltée,
avec son parler cru qui me ferait plutôt penser au dames du faubourg
Saint-Denis. Beaucoup de contrastes que j'admets volontiers être
difficiles à comprendre pour une Européenne comme moi, mais
je reste persuadée que justement, quand le roman se tient, cela
se fait d'emblée : sans chercher à comprendre, sans
se poser de questions, on baigne dans un monde autre. Ici je suis plutôt
restée dehors, malgré tout ce que la situation décrite
peut avoir comme référence à une réalité
tragique et insupportable. Je ne suis pas sûre que le choix de l'écrivain
d'écrire en français n'ait pas désincarné
le livre. C'est aussi un écrivain afghan européanisé
qui écrit le vécu d'une femme confisquée : beaucoup
effectivement de mise à distance, avec peut-être le souci
de tout dire... de loin.
Reste pour moi la raison du Goncourt. Les prix seraient-ils avec acharnement
politiquement corrects ?
Annick L
Jai été bouleversée par ce livre, envoûtée.
Dès le début jai été captivée.
Il y a quelque chose de beau, de fort dans lécriture, comme
une mélopée. On est comme au théâtre :
cest une tragédie ; il y a une montée progressive,
on passe des prières, des pleurs aux vitupérations, aux
cris, aux revendications. Il y a une analyse du rôle des femmes
et des hommes. Puis une dimension philosophique avec lidée
de la « pierre de patience ». On part dune
situation réaliste, puis une amplification et petit à petit,
ça devient universel ; ça décolle. Cest
puissant. On passe du récit minimaliste au symbole. Une voix de
tragédienne. Jai été embarquée par lécriture
et la construction. Dans ce huis clos, la voix de cette femme ma
touchée profondément, y compris dans la violence et la souffrance
sexuelles. Jai trouvé très belle la relation sexuelle
avec le jeune homme. Et avec son mari, elle peut enfin avoir des gestes
tendres envers lui, enfin elle la pour elle. Surprise : comment
un homme peut choisir ce sujet et entrer en si grande intimité
avec les problèmes de ces femmes-là. Ce livre a été
pour moi un choc.
Jacqueline
Je lavais emprunté quand Rozenn lavait proposé
et javais lu le début seulement. Puis je lai repris
et je lai trouvé de plus en plus intéressant. Jai
été tenue en haleine par cette tragédie ; ça
a beaucoup à voir avec le théâtre, les notes au présent
comme des indications de scènes, les entrées, les sorties,
la description du décor, des gestes... En fait, je me suis informée
sur lauteur, cest un cinéaste, ceci explique peut-être
cela. Mais pourquoi le français ? Est-ce un livre pour européens
sur lAfghanistan ? A certains moments, jai décroché,
on ny croit plus, cest un peu trop ; je nai pas
ressenti de sympathie ni démotion pour cette femme, même
quand elle délire, se prend pour une démone.
Françoise D
Jai été très déçue. Je rejoins
lavis de Brigitte ; je nai pas ressenti démotion.
Jai trouvé la fin peu réaliste et bâclée,
comme si lauteur voulait en finir au plus vite. Jai trouvé
peu crédible la relation de cette femme avec le jeune homme, de
même le fait de se déclarer prostituée pour éviter
de se faire violer ! Il me semble que dans ce cas et pour ces hommes-là,
ok, ils ne lauraient peut-être pas violée, mais ils
auraient pu la tuer. Mais cest vrai, je ne connais rien à
la société afghane, alors... Quant au fait décrire
en français, oui en effet écrire (comme parler) une langue
qui nest pas la sienne fait tomber des barrières, on sexprime
plus librement. En général, japprécie ces auteurs
(par exemple Makine) car ils prennent un soin tout particulier à
la langue. Ici je nai pas retrouvé cela. Même la voix
de la femme quand elle devient ordurière sonne faux. Non je ne
suis pas impressionnée par cette voix de femme sous la plume dun
homme. Beaucoup décrivains font parler les femmes avec beaucoup
de talent et sont très convaincants. Pourquoi lui avoir donné
le Goncourt ? Comme le dit Françoise G, pour être politiquement
correct ? Bon, mais ce nest pas la première fois quun
Goncourt me déçoit, je suis même plutôt surprise
quand cest linverse qui se produit (comme pour Les Bienveillantes).
Tout de même je tiens à dire que lauteur est très
sympathique et très beau...
Monique entre
et
Pour la forme, ce qui ma étonnée le plus cest
le fait quon ne sorte pas de la chambre ; on entend la vie
extérieure, cest comme si la caméra et le micro étaient
posés. Ce nest pas du théâtre, mais un scénario.
On nous « montre » des choses quon ne voit
pas à lil nu, ça limite énormément.
On a la voix parce quil y a un travail sur le son. Par exemple,
la marche, le rideau, le fond, puis on lentend crier ; ça
tient du mythe. Lécriture va très bien avec ce quon
nous montre. Je suis très impressionnée par le type dans
le coma. Jai connu cela, on sait que les comateux entendent. Elle
lui dit des choses dégueulasses. Lui est prisonnier dans ce corps.
Quand elle va chez sa tante, on se dit quil va mourir. Pas du tout.
Le poids de la présence de quelquun dans le coma, cest
impressionnant. Jai aimé la pierre qui renvoie à la
pierre de la casbah et au beau-père qui lui parle de la pierre
de patience. Tout cela est du positif, jusquau mythe, à sa
grandeur. Ce qui ne passe pas, cest un doute sur le sujet à
la mode. On y retrouve tous les stéréotypes sur les musulmans,
les hommes sont soit impuissants, soit stériles, ou pédés,
même la belle-mère est une pute.
Annick
Est-ce aussi excessif ?
Monique
Ce qui me gêne cest quil y a tous les stéréotypes.
Quelle est cette voix qui parle ? Cest du côté
de la caricature.
Annick
Ce nest pas tous les musulmans, ce sont des talibans.
Monique
Peut-être, mais en tous cas, ça me gêne ces stéréotypes.
Françoise O
Je lai lu à sa sortie. Déception. Pourquoi le Goncourt ?
Je suis restée à distance de cette femme. Jai été
sensible aux bruits extérieurs. A lintérieur jai
trouvé des clichés sur les relations hommes/femmes et une
vision très négative des relations familiales. Rien que
lon ne sache déjà. Ce livre na pas réussi
à me prendre aux tripes. La fin est épouvantable, mais inéluctable.
Claire
Je lai lu il y a quelques mois déjà. Dès les
premières lignes, une caméra nous promène dans la
pièce. Le montage et la composition sont formidables. La fin me
déçoit un peu : soit cest fantastique, soit le
bonhomme se réveille vraiment et cela paraît invraisemblable.
Questions : lauteur est-il sincère ? Quel est son
lien avec les personnages décrits ?
Jai aimé lécriture.
Lona
Cest dur, cest rude, cest violent, cest puissant.
Il y a de laffection aussi. Ce livre ma bouleversée
et interrogée.
Lécrivain afghan, un homme européanisé certes,
parle dun problème de femme : cest à souligner !...
et il écrit en français : peut-être que cela
lui donne plus de liberté dexpression ? Ce livre parle
du statut des filles et des femmes en Afghanistan (ou peut-être
dans un autre pays islamiste) : femmes maltraitées, mal-aimées,
femmes confisquées, femmes dominées, des ventres de femmes
donnés en mariages arrangés ou forcés, à condition
que ces ventres soient fertiles !
Ça commence fort : la guerre, les conflits, un mari gravement
blessé par balle, une mort toute proche. Sa femme à son
chevet se rappelle de leur vie commune : ça défile...
Tout est rythmé : lappel à la prière,
le chapelet quon égrène, la respiration du malade,
le passage du porteur deau, les tirs du canon, le vol de la mouche,
laraignée au plafond, les soins, le collyre, la perfusion,
les visites du mollah, les sorties de la femme, les silences, les ombres...
et la confession de la femme qui tombe goutte à goutte, comme dans
le stilligoutte de la perfusion !
La fin semble irréelle : la tête éclatée
de la femme par son mari comateux et tout juste ressuscité pour
la tuer, ou la libérer ?... Une psychanalyse ? Jai
lu ce livre comme un récit symbole.
Le Goncourt ?
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