Alice Ferney
Passé sous silence
Nous avons lu ce livre en avril 2011 : les Bretons le 15 avril, les Parisiens le 29 avril.

AVIS DU GROUPE Voix au chapitre-Morbihan
Les appréciations du livre vont de à

Des points négatifs
- Des maladresses littéraires : les deux noms des personnages principaux, le "tu" emphatique lorsque l'auteure s'adresse à Donnadieu, le 1er chapitre qualifié de "verbeux", des phrases grandiloquentes, des répétitions inutiles, la construction "monotone" du récit...
- Le manque de distance entre l'Histoire et le roman : nous n'avons pratiquement parlé que des événements historiques et de leurs protagonistes : De Gaulle, Bastien-Thiry, la guerre d'Algérie, l'attentat du Petit-Clamart et ses conséquences...

Des points positifs
- Une belle écriture
- Des portraits très réussis, une fine analyse psychologique (portrait au vitriol de Grandberger !)
- Du courage pour affronter cet événement, encore enfoui sous une chape de silence, et contribuer à la compréhension (voire réhabilitation) de Jean-Marie Bastien-Thiry
- Un récit captivant, émouvant
- Un livre qui suscite de nombreuses réflexions sur la justice, le pouvoir, la raison d'Etat et le code d'honneur, l'action (la fin/les moyens), les politiciens (honneur, parole, trahison, manipulation), la guerre et ses horreurs, l'armée dans ce combat en Algérie (la torture, le sort de Harkis, les appelés)...
- Un livre qui a fait évoluer, réviser certains jugements.
- Un livre qui a suscité de nombreux souvenirs personnels.


Le groupe breton tient à remercier Jean-Luc de son témoignage : jeune appelé en Algérie, il nous a donné un éclairage passionnant et très émouvant sur cette guerre, confirmant point par point la véracité des propos d'Alice Ferney, nous permettant de mieux appréhender, de l'intérieur, toute l'horreur, la confusion, le mécanisme inéluctable vers l'indépendance avec son lot d'atrocités, d'injustices et de pertes humaines. Merci, Jean-Luc, de nous avoir montré comment il est possible de rester fidèle à ses valeurs, dans un tel contexte.
Claire (qui a participé au groupe breton et au groupe parisien)
Je suis partagée, gênée par le choix du genre adapté, maladroit. Je trouve le premier chapitre raté, verbeux. J’ai vraiment été intéressée à partir de la p.90. En parallèle, le point de départ qu’Alice Ferney expose (cf. ICI) est passionnant (quelqu’un a le pouvoir de gracier celui qui voulait le supprimer), tout à fait "romanesque", et quand elle parle de son écriture, elle est vraiment passionnante (vidéo disparue du web...).
Annick LJ
Au début je n’étais pas à l’aise, je n’aimais pas les choix de forme. Le parti-pris de suivre à distance "Tu" à Donadieu, "Il" à Grandberger, c’est artificiel. Un moment elle ne respecte plus ce procédé et on est en direct sur le terrain (en Algérie). Le "tu" à Donadieu est parfois agaçant : pseudo rhétorique, lyrique, presque prétentieux ! Mais j’ai été très intéressée par le fond. Elle choisit une forme littéraire, romanesque, pour faire entendre une voix qui a été tue par l’histoire. On entend aussi le désespoir des harkis, des pieds-noirs, c’est très émouvant. Il y a une mise en œuvre fine et subtile. Elle montre l’indignité de Grandberger, ses contradictions. Son retour au pouvoir, on croit que ça va sauver les liens avec l’Algérie, mélange de mégalomanie et de pragmatisme. A partir du procès, elle est complètement du côté de Donadieu.
Monique
J’ai lu seulement le début et la fin ; j’ai sauté le milieu. Le procès : j’aime les choix d’écriture et notamment le "tu" à Donadieu, ça donne un poids à sa conscience. Elle montre qu’il était un peu puriste, parano, peut-être manipulé. Il détient une vérité ; ça m’a beaucoup plu, c’est original. Mais je ne suis pas d’accord avec les ficelles sentimentales de la fin. Si on est contre la peine de mort ou pour, c’est pour tous même ceux qui ont trois petites filles mignonnes. Le portrait de Donadieu est intéressant, très fouillé, ça l’aurait presque desservi d’être gracié. Tout son discours concernant l’attentat tomberait.

Claire
C’est une tragédie grecque, comme disait Jean-Luc.
Jacqueline
La guerre d’Algérie entre maintenant dans la littérature : maintenant la distance est suffisante. J’ai été déconcertée par ce livre ; c’est des choses que j’ai vécues, mais de très loin, et j’étais intéressée par un point de vue différent du mien. Au début j’ai été agacée par le parti pris du changement des noms. Je ne suis pas prête à m’attendrir sur le sort de Donadieu ; dans le "tu" l’auteure restitue le point de vue de Donadieu. Serait-elle une de ses filles ? Cette vision sur le milieu militaire m’a rappelé L’élégance des veuves où les femmes semblaient vraies tellement c’était bien dépeint.

Annick A
Je n’ai pas du tout aimé ce livre. Il s’agit d’un évènement que j’ai vécu et j’ai été très choquée par le détournement des noms. Au premier chapitre, je me suis dit J’arrête. Je n’aime pas l’écriture, pas d’adjectifs, pas de style. C’est grandiloquent, mélo. Finalement j’ai continué en diagonale. Le parti pris m’a dérangée ; de quel droit fait-elle dire à ses personnages des choses qu’elle ne connaît pas ? C’est trop proche ; la guerre d’Algérie n’est pas assez loin.

Françoise
A ce moment là, tu peux en dire autant de toutes les autofictions, sans parler des biographies...
Brigitte
Je ne savais pas d’où venait ce livre étant donné que je n’étais pas là quand il a été choisi. Je lis le premier chapitre : mais où sont-elles allées chercher ça ! Puis j’ai compris qu’il s’agissait de l’attentat du Petit Clamart où je passais souvent en venant de la fac d’Orsay dans les années 60.

Claire
Je connais bien le Petit Clamart et je me souviens encore du poteau indicateur avec un trou de balle qui est resté longtemps.

Brigitte
C’est intéressant, avec une bonne écriture. Alice Ferney a un savoir-faire. Les noms ne m’ont pas gênée. Le thème que j’y voir est "Politique et Morale", ce dilemme sans solution ; on ne peut pas faire de la politique en étant dans la morale. Ce que De Gaulle a fait est immoral. Je crois que tout est vrai ; Bastien Thierry est seul contre tous, comme l’était De Gaulle en juin 44, il a fait son petit De Gaulle. L’une de ses filles a écrit Mon père, le dernier des fusillés  Bastien Thierry avait dans ses ancêtres un juge du Duc d’Enghien. Donc ce livre soulève un problème intéressant. On peut maintenant parler de l’OAS.
Marie-Thé (avis transmis de Bretagne)
J'ai beaucoup aimé, j'ai plongé dans cette histoire et dans l'Histoire, ce livre m'a passionnée. Pour moi, ce qui est dit ici est vrai et précis, mais romancé aussi, quand l'auteur entre dans l'intimité des personnages, par exemple. J'ai été très sensible à la belle écriture d'Alice Ferney, auteur talentueux que j'avais découvert dans La conversation amoureuse entre autres. Je n'ouvre pas ce livre en grand, car je l'ai trouvé un peu répétitif, et quelques élans lyriques m'ont gênée.
Je commencerai par les noms des deux personnages principaux, je trouve qu'ils leur vont bien. J'ai vu évoluer deux hommes qui au départ se ressemblaient, deux statures de "chefs" rigides, jusqu'à l'affrontement final du procès, qui pour moi ne pouvait se terminer que par l'élimination de l'un d'eux. Il y a donc cet affrontement, et un cadre, un contexte, cette guerre d'indépendance entre la "Terre du Sud" et le "Vieux Pays" (De Gaulle, Bastien Thiry, l'Algérie, on reconnaît tout) "Frères jumeaux aux extrémités d'un temps, ennemis dans le présent, tous deux pareillement époux, pères, patriotes, officiers de l'armée au service de leur pays, intègres par éducation, aristocrates de l'esprit, mais qui n'atteignirent pas le même degré de pragmatisme, s'opposent sur le terrain de l'Histoire qui se fabrique." Je note un beau portrait de Paul, "héroïque et immaculé", jusqu'à cette "éclosion" en régicide, et ceci : "Tu vivais la violence comme un stigmatisé recrée en lui la passion christique", "justicier et protecteur"... Mais enfin, Paul conçoit des armes contre les rebelles, prie pour ceux qui sont du côté de l'Empire !! "Si affecté par les souffrances des colons, ignorais-tu celles qu'enduraient les Indigènes ?" "Tu ne savais pas dire n'importe quoi." "Tu te sentais différent de ces déclassés enragés". Ce personnage excessif ne m'est pas sympathique. Quant à Jean de Grandberger, imposant, orgueilleux, méprisant, dédaigneux, seul, brillant (quelques ressemblances avec Paul ?), je le trouve assez effrayant. Il apparaît aussi comme un traître, machiavélique. Le discours en Algérie est "habile" : "ambigu, son discours dit tout ce qu'on veut lui faire dire." "Quand on ne peut pas faire ce qu'on veut, mieux vaut vouloir autre chose." Quand la détresse envahissait la "Terre du Sud", "le héros invitait au courage et à la grandeur d'âme". Ces pages me donnent une autre image de De Gaulle. Je vois l'Algérie comme un troisième personnage, et son histoire autrement aussi. L'Algérie est un sujet sensible lorsqu'il est évoqué avec des "Pieds noirs", je l'ai souvent constaté, mais n'ont-ils pas été abandonnés à leur sort, comme les Harkis et bien d'autres ?
Je retiens ces lignes sur l'indépendance : "Les Indigènes mouraient de faim, ils choisirent le sang... L'indépendance se gagnerait dans le sang." Ceci me fait penser à Césaire, qui disait que l'indépendance s'arrache, dans le sang... Sur une justice redoutable : "Il savait requérir et obtenir la mort, il avait été choisi pour cela." Je note de très beaux passages sur l'écriture, le relief, "la terre aidait ses libérateurs..." J'ai oublié Charlotte, "épouse de fer et de velours", appréciant la maison du retrait, "elle savourait ce retrait... elle faisait rouler sans heurt les jours monotones." A cela j'ajoute que la fin m'a beaucoup émue, en particulier l'adieu de Paul à sa famille. Difficile pour moi d'essayer de faire une synthèse d'un livre si dense...
Françoise D
Je suis d’accord avec beaucoup de ce qu’a dit Marie-Thé.
Le (bon) roman a une valeur ajoutée par rapport au récit historique, ce récit dépasse les simples faits bien qu’ils soient parfaitement exacts. L’auteure nous restitue des personnages de chair qu’on ignorait ; c’est en effet une force de persuasion romanesque, et c’est là tout l’intérêt de ce livre. Je n’ai pas été gênée par le premier chapitre, ni par la construction, ni par le tutoiement de Donadieu. Dans une interview l’auteure dit que ce "tu"s’est imposé à elle.
Tout m’a intéressée, mais surtout la fin. La dernière visite de l’épouse et les filles est un peu pathos, mais très vraisemblable. Et sa théorie selon laquelle Grandberger ne pouvait pas laisser vivre un homme qui pourrait parler après lui me semble très intéressante, et j’y crois.
Je pense que c’est surtout cette situation extraordinaire où la victime se trouve juge et partie et de plus a droit de vie et de mort sur l’accusé qui a attiré Alice Ferney. J’aime beaucoup cette auteure ; j’ai adoré L’élégance des veuves, et Grâce et dénuement, bien que je doive à l’honnêteté de dire que je n’ai pas pu lire Paradis conjugal, impossible d’y entrer... Mais je recommande chaudement Passé sous silence.

 

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Passé sous silence est le récit, en forme de conte historique, d'un événement réel de la seconde moitié du XXe siècle.