Les Editions
Noir Sur Blanc

Quatrième de couverture :
« Cet essai sur Proust fut dicté l'hiver 1940-1941 dans un froid réfectoire de notre camp de prisonniers à Criazowietz, en URSS. Le manque de précision, le subjectivisme de ces pages s'explique en partie par le fait que je ne possédais aucune bibliothèque, aucun livre concernant mon thème. Ce n'est pas un essai littéraire dans le vrai sens du mot, plutôt des souvenirs sur une oeuvre à laquelle je devais beaucoup et que je n'étais pas sûr de revoir encore dans ma vie. Dans une petite salle bondée, chacun de nous parlait de ce dont il se souvenait le mieux. Je vois encore mes camarades entassés sous les portraits de Marx, Engels et Lénine. Je pensais alors avec émotion à Proust, dans sa chambre surchauffée, aux murs de liège, qui serait bien étonné et touché peut-être de savoir que vingt ans après sa mort des prisonniers polonais, après une journée entière passée dans la neige et le froid, écoutaient avec un intérêt intense l'histoire de la duchesse de Guermantes, la mort de Bergotte et tout ce dont je pouvais me souvenir de ce monde de découvertes psychologiques précieuses et de beauté littéraire. »
Joseph Czapski (extrait de l'introduction, 1944)

Né à Prague en 1896, Joseph Czapski passa son enfance en Biélorussie. Il étudia le droit à Saint-Pétersbourg puis la peinture aux Beaux-Arts de Cracovie. Czapski fut parmi les rares officiers de l'armée polonaise qui échappèrent au massacre de Katyn en 1940. Son livre Souvenirs de Starobielsk retrace ses efforts pour faire connaître la vérité à propos de ce crime.
Comme peintre, Czapski fut le principal animateur du mouvement kapiste, pendant son séjour à Paris (1924-1933). Après la guerre, il vécut en exil à Maisons-Laffitte, où il collabora au mensuel polonais Kultura. Il y est mort en 1993.


Quatrième de couverture :
Septembre 1939 : la Pologne est envahie, à l'Ouest par les Allemands, à l'Est par les Russes. Parmi des milliers d'officiers polonais, Joseph Czapski est emprisonné en Union Soviétique. Face à la rigueur du camp, il décide de ne pas sombrer dans la détresse. Il trouve dans l'œuvre de Marcel Proust le réconfort nécessaire et choisit de le faire partager à ses codétenus. C'est là l'objet de ce livre étonnant, illustré par des dessins réalisés par l'auteur, au camp-même de Griazowietz, et où nous découvrons un Proust différent.

Editions Libretto (2012)

Quatrième de couverture : Proust contre la déchéance n’est pas un essai de plus sur la vie et l’œuvre de celui qui écrivit pour la première fois un roman-fleuve à la française. Non, ce livre est plutôt celui qui a contribué à sauver quatre cents officiers polonais lors de leur internement en Russie au début de la Seconde Guerre mondiale. On peut légitimement se poser la question de savoir comment une conférence sur Proust a pu sauver la vie de prisonniers de guerre. La réponse tient en quelques mots : elle leur a permis de s’échapper d’un quotidien qui, sans l’aide de ces abstractions intellectuelles impressionnantes de mémoire et de talent, aurait été insupportable…

 

Joseph Czapski
Proust contre la déchéance : conférences au camp de Griazowietz

Nous avons lu ce livre en mars 2011.

Renée (avis transmis)
J'avais la ferme intention de venir ; mais comme dit Chirac, "les emmerdes volent en escadrilles". Je suis pas Chiva quand même !
Alors j'ai lu le livre très vite, sans pouvoir en goûter toute la densité. Et je l'ai trouvé passionnant. La prison, la maison de liège, l’étouffement, le délice de relier Proust avec ses environs littéraires et artistiques. J'aime aussi le feu discret de ses peintures, les couleurs familières, "sans pathos ni falbala", comme dit Jil Silberstein dans son livre consacré à Joseph C. On pense à Primo Levi et Dante à Auschwitz, Semprun et Goethe à Buchenwald et il y eut Katyn. Entre les murs de liège, la mémoire. J'ai retenu ça : "Que pouvons-nous savoir sinon que la seule voie est la descente patiente, indépendante et désintéressée au sein de nos sensations".

Monique
J'ai beaucoup aimé Proust contre la déchéance de Joseph Czapski :
- pour l'éclairage sur l'expérience humaine de ces hommes qui dans des conditions de vie extrêmement difficiles trouvent le désir et l'énergie de veiller pour s'écouter, apprendre aux autres ou des autres afin de conserver leur mémoire, leurs capacités intellectuelles et lutter ainsi contre l'effort que font d'autres hommes pour les détruire. Ils se trouvent qu'ici, ils utilisent dans leur combat de résistance : la culture. Comme cela fait du bien aujourd'hui en France, où la culture est tellement malmenée (anecdote de La Princesse de Clèves) par nos politiques et par la suprématie actuelle de l'économique dans les médias et les loisirs ;
- pour la qualité de la conférence : la mémoire du conférencier déjà, et puis la qualité de son analyse. Tout cela sans notes, sans livres. Je ne sais pas quel effet peut avoir cette conférence sur ceux qui n'ont pas lu Proust. Est-ce que cela leur donne en vie de se lancer dans l'œuvre ? En ce qui me concerne, j'ai eu un grand plaisir à revisiter La recherche du temps perdu, en déambulant au gré des souvenirs de l'auteur, des passages qui l'avaient le plus marqués, qui ne sont pas toujours les miens. J'avais l'impression de me promener dans un jardin connu, en prenant des chemins de traverse, des sentiers, et de redécouvrir certains arbres, certains bosquets sous un autre angle, plus intimiste. Parfois loin, parfois proche, des cours de Tadié.
Ce livre nous donne accès à une lecture de Proust, une grande leçon sans discours sur l'importance de la littérature dans la vie humaine, et fait un peu écho (soyons modestes) à nos rendez-vous du vendredi soir. Pour tout cela, je l'ouvre en grand.

Jacqueline
L’article du Monde m’avait donné envie de le lire. Je me suis demandé comment lire ce livre : est-ce un livre d’introduction à Proust, avec certaines naïvetés ? C’est intéressant car avec une telle œuvre, tellement longue, chacun a sa manière de la lire, c’est tellement riche, on est tellement impliqué que ça rend la lecture de chacun singulière. Est-ce un livre sur Proust ou sur Czapski ? Cette rencontre autour de la culture, on la connaît (prison, camp). Au départ, j’ai peut-être été gênée. Le titre du Monde, "La duchesse de Guermantes au goulag", m’avait fait imaginer autre chose : . Le goulag c’est la Sibérie, il était dans un camp de travail, il avait du papier. C’est le récit d’un camp de prisonniers. Quand il évoque la mort de Bergotte, j’ai été vraiment touchée ; jusque là sa lecture de Proust me gênait par une espèce de simplification, à la manière des manuels de ma jeunesse, Lagarde et Michard ou les fascicules Larousse. Quand il raconte la situation de Proust, de son époque, il y a des jugements rapides sur Proust érudit et la jeunesse ignorante.

Claire
Alors, qu’est-ce que tu penses de ce livre ?

Jacqueline
Je ne sais pas bien, il m’a fait réfléchir. Je l’aime bien, ce que je lui reproche, je pourrais me le reprocher à moi-même. J’ai envie de le remercier. Il me donne envie de (re)lire Proust.

Françoise D.
Il y a deux choses dans ce livre :
1- le projet : Une conférence sur Proust dans des conditions extrêmes, qui force l’admiration. La citation très fidèle de certains passages, donc une mémoire étonnante. Ce qui confirme la nécessité d’une activité intellectuelle qui sauve, ce qu’on savait déjà depuis Jorge Semprun, Primo Levi, etc. De plus, avoir choisi Proust est extrêmement intéressant car on ne peut imaginer deux univers plus opposés, aux antipodes, le monde de Proust et celui de ces prisonniers, mais en même temps il y a une résonance avec l’enfermement. Ce qui prouve que la littérature n’a pas de frontières, horizontale ou verticale. Ce contraste est précisément ce qui peut apporter le plus à cet auditoire ; c’est une autre dimension, c’est l’évasion. Mais il y a aussi :
2- le contenu : il y a des passages très justes, émouvants, mais sur la longueur, je n’ai pas été emballée, l’homme est admirable, mais pas son écriture. Certes, ce n’est pas un projet littéraire, c’est un texte destiné à être dit, que la censure exige pour donner son feu vert à la conférence. Mais il est de fait que je n’ai pas eu un réel plaisir de lecture. Heureusement que c’était un livre court, sinon je crois que je ne serais pas allée jusqu’au bout.

Annick A
J’avais très envie de le lire. Je suis fascinée par les capacités des personnes dans ces conditions. Ce côté de l’humain me séduit beaucoup. Moi aussi j’avais pensé à des conditions plus dures. Je suis admirative sur l’exploit de parler de Proust sans rien, sans livre, sans note. Oui ce n’est pas une œuvre littéraire. Ce français est un français sans en être un. J’ai eu un plaisir de lecture. J’ai La recherche...en un énorme volume sur ma table de nuit, que je lis depuis des années. Je n’ai pas lu de livre critique de Proust. Le pont constant entre vie et œuvre est bien discuté ; ça m’a moins intéressée quand il reprend les personnages. Ce qu’il appelle le labeur littéraire où Proust s’enferme dans sa création littéraire est un moment que j’aime. Il y a l’épisode des pavés où une illumination lui fait comprendre l’œuvre à venir d’un coup. Proust n’était pas engagé ; il n’y a aucun jugement sur ses personnages, il ne dit pas quoi en penser. La réflexion philosophique sur la mort est intéressante.

Jacqueline
Tu dis qu’il n’est pas engagé politiquement, mais il parle de Dreyfus.

Annick
Non, il campe les antidreyfusards, sans se prononcer. Czapski dit que Proust parle à travers Bergotte. Il est sorti du monde snob pour s’enfermer ; ce serait décidé par quelqu’un d’autre - dieu - ce qui m’a frappée, c’est la dimension métaphysique de cet enfermement pour son œuvre.

Françoise
Il y avait aussi sa maladie très invalidante et qui allait en s’aggravant.

Annick
J’ai beaucoup aimé ce livre.

Claire 
Je suis allée à la Guadeloupe où j’ai commencé Purge : infernal ! Alors je l’ai laissé tomber et j’ai entrepris celui-ci : un délice !! Oui, il y a l’arrière-plan, mais on passe très vite. Vous savez ce que sont les cartes heuristiques ? C’est une technique de figuration de la pensée (mind mapping) qui permet – en couleur – de prendre des notes, de se souvenir, d’organiser la pensée complexe : ça sert pour tout dans la vie. Comme les magnifiques schémas – en couleur – reproduits dans le livre dont l’auteur s’est servi l’ont aidé à faire ses conférences. Par exemple, il situe les auteurs les uns par rapport aux autres. J’ai beaucoup aimé. Je n’ai jamais lu La Recherche en entier, mais c’est comme si, car j’ai lu le résumé, non je plaisante, je l’ai étudié, à la fac, il y a 30 ans, j’avais adoré, j’étais amoureuse du prof, j’avais fait un exposé sur la mémoire liée à la sensation – les pavés, la madeleine, les réminiscences... Avec ce livre dont au sujet de quoi que je cause, j’ai découvert une approche très différente de la mienne. La précision est incroyable, la vie de Proust, les mouvements artistiques, etc. C’est d’une finesse extraordinaire. Il cite Goethe, Conrad, c’est complètement personnel ; je ne suis pas d’accord avec Jacqueline : rien à voir avec Lagarde et Michard ! Que j’aime au demeurant... Je trouve contrairement à Françoise que c’est une œuvre littéraire, l’écriture est savoureuse. Je suis très enthousiaste.

Manuel
Ce livre est un bijou et la preuve qu'on peut raconter La Recherche. Raconter et surtout donner envie de partir à l'aventure de la lecture du chef d'œuvre de Proust. J'aime ces livres sans prétention qui dégagent une passion, un amour pour des œuvres en particulier. Nous avions lu ici Pennac et son Comme un roman ou le Guy Scarpeta et son Age d'or du roman. Ce Proust contre la déchéance fait partie de ces livres que j'affectionne car ils ne sont pas un essai critique mais la volonté de faire partager et connaître une œuvre. Et puis il y a le contexte absolument incroyable de ces cours donnés dans un camp. Cette volonté de faire face à la barbarie et de résister. Rien que pour ça, ce livre est indispensable.

Voici le bel article qui nous a décidés sans hésiter à choisir le livre :

LA DUCHESSE DE GUERMANTES AU GOULAG

Certains livres sont beaucoup plus grands qu'eux-mêmes - infiniment plus, en tout cas, que les pages censées les contenir. Ceux-là, bien après qu'on les a fermés, se déploient dans l'esprit du lecteur comme des substances radioactives. De leurs mots, des situations ou des pensées qu'ils décrivent, naissent toute une série d'images qui forment un autre livre caché, parallèle au premier. Un ouvrage étrange, discontinu, mais transportable partout, même où l'on va sans bagages - dans un camp de prisonniers, par exemple.

Tel fut le destin de l'œuvre de Proust dans la tête d'un lecteur exceptionnel nommé Joseph Czapski. Issu de l'aristocratie polonaise, ce peintre né en 1896 avait commencé A la recherche du temps perdu dès 1925. En français, cela va sans dire. Mobilisé au début de la seconde guerre mondiale, il fut capturé par les Soviétiques et interné au camp de Griazowietz, en URSS. Là, dans cet ancien couvent à moitié bombardé, 400 officiers et soldats polonais se livraient à des travaux harassants, dans un froid sibérien. Or, parmi ces militaires faméliques, qui réchappèrent par miracle du massacre de Katyn, certains avaient imaginé de faire profiter les autres de leurs connaissances d'avant-guerre. "Dans une petite salle bondée de camarades, raconte Czapski, chacun de nous parlait de ce dont il se souvenait le mieux."

Pour Czapski, ce furent des conférences sur la peinture et la littérature française, parmi lesquelles un cours sur Proust. Exempté des tâches les plus rudes, le professeur improvisé n'avait d'autre corvée, se souvient-il, que d'éplucher les pommes de terre et de nettoyer le grand escalier du couvent. "J'étais libre", constate-t-il. Libre de raconter à ses codétenus, entassés sous les portraits de Marx et de Lénine en plein cœur de l'hiver 1941, "l'histoire de la duchesse de Guermantes, la mort de Bergotte et tout ce dont je pouvais me souvenir de ce monde de découvertes psychologiques précieuses et de beauté littéraire".

Préparés sans le moindre document, ces cours ont d'abord été conçus sous forme de notes, puis retranscrits directement en français. C'est ce texte, illustré par plusieurs fac-similés des croquis originaux, qui reparaît aujourd'hui.

Dans une langue merveilleuse, inventive, dont les incorrections mêmes sont remplies de grâce, Czapski déroule non seulement des scènes entières de la Recherche, des épisodes de la vie de Proust, des analyses éblouissantes sur le processus de création, mais aussi tout le paysage littéraire, artistique et philosophique "où trempent les racines de la sensibilité créatrice de Proust".

Le livre qui en résulte (Proust contre la déchéance, Noir sur Blanc, 93 p., 16 €) est stupéfiant. D'abord parce que l'on imagine ces captifs évoquant un autre prisonnier, Proust, enfermé dans sa chambre surchauffée tapissée de liège. Mais surtout parce que la mémoire, thème central de la Recherche, trouve ici une concrétisation saisissante, même si l'auteur s'excuse humblement de commettre quelques erreurs ou approximations. Si bien que le texte de Czapski devient, à son tour, cette chose arborescente, vivante, qui "travaille" dans l'esprit du lecteur longtemps après qu'il a fini de lire : un grand livre, et la preuve que la littérature peut sauver.

Raphaëlle Rérolle
Le Monde des Livres, 3 février 2011

 



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