Sofi Oksanen
Purge

Nous avons lu ce livre en mars 2011.
Sandrine 
J’ai beaucoup aimé Purge. Au premier tiers du livre, je me suis demandé où l’auteur allait me mener avec cet interminable face-à-face entre ces deux femmes. Peu d’action, une atmosphère pesante et beaucoup de non-dits. Cette partie décourage de lire la suite. Puis j’ai aimé cet entrelacs historique entre l’après-guerre et aujourd’hui, qui reflète bien l’incertitude que l’on peut encore avoir sur ce qui s’est vraiment passé à l’époque. J’ai aimé le choix de l’écriture : un récit entrecoupé de lettres et de rapports, telle une enquête policière ; on découvre, on devine à mi-mot, on imagine, on relit mais les mystères ne sont pas tous explicitement élucidés. J’ai aimé ces personnages aux fortes personnalités, pris dans la tourmente de l’histoire d’hier et d’aujourd’hui. D’après vous, qui est la plus fine "mouche" de l’histoire ?
Monique 
L’espion c’est Aliide, la mouche. C’est l’histoire de la mouche : elle a un problème avec la mouche, elle a un problème avec ce qu’elle a fait...
J’ai entendu parler de ce livre à sa sortie en automne. Tout le monde en disait du bien. En effet, l’écriture est magnifique, notamment les moments où elle décrit les scènes de torture : elle a une capacité d’abstraction, les scènes ne sont pas décrites de façon réaliste, mais sans détail, comme si cela réveillait des zones douloureuses que l’inconscient ne peut capter. C’est d’une efficacité redoutable : on se demande si c’est elle qui a électrocuté sa nièce. Aliide, c’est un monstre. Elle n’a pas fait tout cela parce qu’elle est amoureuse du mari de sa sœur. Elle a manipulé toute le monde : sa sœur, les gens du village qu’elle dénonce, Martin, cet être abject qu’elle manipule. C’est une pourriture. Zara, c’est son miroir : une jeune femme brisée. Aliide sauve Zara comme pour sauver la jeune femme qu’elle était.

Claire
A aucun moment pourtant la narration ne l’accable.

Annick
C’est sa capacité de résilience.

Monique
L’histoire va mettre Aliide en situation de pouvoir profiter de la situation. Elle va toujours plus loin. Et dans certaines situations, l’humain ne peut que développer sa part noire. Elle sacrifie sa fille, sa nièce, son mariage, elle dénonce pour sauver Hans. Elle est monstrueuse, mais c’est la situation historique qui l’a rendue monstrueuse. L’écriture de Sofi Oksanen me plaît : les activités quotidiennes, la nature, les gens... Elle montre des gens totalement désespérés : en qui peuvent-ils avoir confiance ? Un truc m’a aussi paru étrange, quand Hans dit qu'Ingel est avec lui. Est-il devenu fou ?

Françoise, Annick, Jacqueline
C’est au figuré !

Monique
J’ai quand même une critique : le cahier de Hans ne me paraît pas crédible. A chaque fois il signe "Pour une Estonie libre, Hans, fils de...". Pour moi, ce n’est pas crédible du tout, ce que raconte Hans dans son cahier, ce gars dans ce grenier, même s’il est devenu fou...

Annick
Sofi Oksanen ne sait pas parler des hommes. Le journal de Hans n’est pas crédible en effet. C’est dommage, c’est une faiblesse du récit.

Monique
J’ai eu du mal avec la géographie et les dates aussi.
Claire
Ce n’était pas possible de lire ce livre en vacances en Guadeloupe, même dans l’avion ! J’avais cette Purge... L'écriture m’a sauté à la tête. Cela m’a fait penser à Elfriede Jelinek, une auteure que je ne n’arrive pas à lire jusqu’au bout. L’écriture est très râpeuse, pas fluide, ça accroche, elle a du relief. J’étais contente qu’il y ait une carte, j’ai noté les personnages et les relations entre eux, ça m’a un peu aidée pour la généalogie. Et tout à coup, ce livre m’a prise et je ne l’ai plus lâché. La construction faisait son effet, même si j’avais un peu de mal avec la densité des informations. Au présent, on sait des choses que le passé ne sait pas. Le danger est sans arrêt présent. Quand vous dites qu'Aliide est un monstre, vous avez certainement raison mais je ne l’ai pas sentie comme cela. Je pense que je n’aimerais pas que ce livre soit porté au cinéma. Je me suis fait quelques images, je n’ose me représenter la cache, c’est plus une situation mentale. J’ai trouvé le montage assez virtuose, une architecture incroyable. J’aimerais savoir comment elle s’y est prise. La vie de Zara est très impressionnante, elle arrive dans cette maison et, petit à petit on reconstitue. Pour le journal de Hans, Monique, tu es vraiment convaincante mais, à la lecture, j’étais contente de comprendre que c’était le journal de Hans. Je ne recherchais pas le réalisme mais j’imaginais comment il devenait. Il y a beaucoup de non-dits. Moi aussi, je ne me suis pas bien repérée dans la géographie.
Annick
Ce livre m’a scotchée. Il y a longtemps que je n’ai pas trouvé une écriture comme cela, fascinante. Elle écrit de la même façon la torture, la cuisine et les confitures, l’attachement viscéral d’Aliide à la terre, à ses possessions. Aliide marche dans la campagne, avec cette sensibilité exacerbée. Il y a longtemps que je n’avais pas lu un livre comme cela : elle décrit l’horreur, le viol, l’indifférence, la cruauté, comme une recette de cuisine. Cela rend le livre glacial, brut. Il n’y a rien d’intellectuel, tout passe par le corps, le ressenti. C’est assez exceptionnel, c’est une grande auteure. J’ai d’abord été agacée - car j’étais paumée ! - par la construction. Et puis, je me suis calée et j’ai été emballée par cette idée de mettre en parallèle le destin de ces femmes : les femmes comme premières victimes des guerres, à toutes les époques. C’est un très beau livre sur des femmes qui essayent de survivre, de surmonter. C’est un roman qui a plusieurs strates, c’est une épopée, un témoignage de l’histoire universelle des femmes. Je pense aussi que Sofi Oksanen ne parle pas bien des hommes. Les histoires des hommes ne l’intéressent pas trop. C’est magnifiquement écrit et ce livre parle de choses essentielles.
Jacqueline
Je suis désolée, je reconnais à ce livre des qualités d’écriture, mais on savait dès le début que Zara et Alidde allaient se rencontrer. Je l’ai lu comme un polar : or dans un bon polar, on espère toujours que le héros va s’en sortir. J’étais du côté de la petite Zara. Je pense que je l’ai lu trop vite, j’ai trouvé cela bien fichu comme un bon polar, mais en même temps, j’étais agacée. Je ne me sentais pas concernée par le nationalisme estonien. J’avais le sentiment que c’étais une ficelle artificielle. Le mérite est que, comme je ne connais rien à l’histoire de ce pays, cela m’a obligée à aller chercher de quoi il était question, avec la carte et la chronologie. Je n’ai pas réussi à rentrer dedans et à vraiment marcher. Le livre ne m’a pas prise, je suis restée en dehors.
Françoise
Je rejoins Jacqueline, je l’ai aussi lu comme un polar, j’ai été accrochée, j’ai beaucoup aimé l’écriture, forte, les personnages, prenants, mais du fait que je ne retenais que l’intrigue policière, j’ai été agacée par la construction, le journal de Hans et l’ordre chronologique. J’ai trouvé que ça embrouillait le lecteur. J’ai accepté la construction des deux histoires parallèles qui se rejoignent, mais en tant que lectrice de romans policiers, j’aime avoir les clés de toutes les énigmes. J’aurais aimé une postface qui nous dise ce qu’il en est, ça n’aurait en rien ôté la valeur littéraire. Dans l’histoire de la famille, de la lignée, pour moi, l’auteure est du côté de Zara. Aliide est un personnage monstrueux, ça dépasse l’entendement. Et à la fin, elle sauve Zara, elle renonce à la vie, la boucle est bouclée. Ce livre balaye toute une période de l’histoire où les Estoniens ont eu à subir le joug nazi, puis russe, ces russes qui sont détestés encore aujourd’hui. J’ai trouvé ce livre très intéressant, je ne l’ai pas lâché malgré cet agacement à cause de la construction.

Claire
Et comment interprétez-vous les rapports de police ?

Françoise
Ca ne fonctionne pas du tout, comme le journal de Hans, c’est inutile.
Muriel (avis de 2016)
Je viens de lire ce livre que j'ai beaucoup aimé. Il se lit en effet comme un polar. Contrairement à Jacqueline, je ne croyais pas qu'Aliide et Zara allaient se rencontrer. J'ai trouvé comme Monique que les scènes de torture étaient très bien racontées. Ce que j'ai apprécié : la construction, les histoires politiques atroces, ce personnage monstrueux décrit toujours sur un ton froid, les odeurs nombreuses. J'aime aussi la Petite histoire dans la Grande. J'ouvre en grand ce livre m'a énormément plu, j'ai été vraiment accrochée.


LES AVIS DE 12 BRETONS
DU GROUPE VOIX AU CHAPITRE-MORBIHAN


Les arguments défavorables 
- livre glauque, noir, trop noir - malaise perpétuel
- écriture éclatée
- scénario atomisé d'où une difficulté à entrer dans le livre
- personnages erratiques, peu consistants

Les arguments favorables 
FORME
- Construction très habile, distillation intelligente des informations qui entretiennent tension et suspense jusqu'au bout... La dernière partie est la cerise sur le gâteau !
- Ecriture qui accompagne parfaitement le récit dans sa force, sa densité, sa complexité. Utilisation maligne de différentes typographies comme repères visuels dans la narration. A remarquer, également, les titres de chapitre si bien choisis, alliant humour/malheur, horreur/banalité, légèreté/sordide...
- Une langue efficace et superbe : les descriptions de la nature, les odeurs, saveurs (un livre que l'on "dévore" tous sens en éveil). Tout y est si précis que l'on peut en voir le film : l'atmosphère du village, l'environnement, les coutumes, la vie quotidienne fortement marquée par le contexte historique ...
- Mais aussi, une langue parfaitement maîtrisée qui manie le contraste, qui sait tout suggérer (par exemple la nuit de torture dans la cave de la mairie - le retour de la mairie ...) - beaucoup de force dans la sobriété, du grand art !
- Rendons hommage au traducteur !

FOND
- Un livre de découverte : l'histoire de l'Estonie (et la géographie !), et ces destins individuels massacrés, enchâssés dans la grande histoire.
- Un livre riche, dense, palpitant, fort, terrible, un livre qui ouvre sur des questions essentielles : Qu'est-ce qu'un homme ? Dans un contexte donné, quelles peuvent être nos réactions ? Le sens des valeurs individuelles et collectives ?
- Remarquablement inscrite, la violence faite aux femmes : butins de guerre, victimes économiques livrées à la prostitution "ordinaire" ou à la prostitution "conjugale".
- Une description psychologique magistralement menée d'Aliide et de Zara. La première dont la passion dévastatrice pour Hans cristallise toutes les frustrations, les humiliations, la douleur et la guidera vers des choix terribles.
- Très justement décrit : les stratégies de survie des deux femmes : comment elles parviennent à s'extraire de leur corps lorsque la situation devient insoutenable. (Le cas de Linda, également, lorsqu'elle anesthésie sa douleur morale en se plantant la fourchette dans la main)
- Le rôle des mouches dans la vie de l'espion "Mouche"...
- Magnifique, lorsqu'Aliide et Zara se reconnaissent dans leurs blessures communes, la peur, la honte, omniprésentes au quotidien !

Lil qui a fait ce compte rendu ajoute :
Ce résumé est forcément tronqué et je regrette de ne pouvoir parler mieux de ce livre remarquable : l'auteure possède un immense talent. Ses deux précédents livres : Les vaches de Staline (une histoire de boulimie et d'histoire soviétique) et Baby Jane (attaques de panique et désarroi de la génération Prozac) que j'ai voulu me procurer, ne sont pas encore traduits ! Patience...
Nous nous sommes réconfortés, OF COURSE, en savourant quelques recettes finlandaises, russes et autres délices, préparées avec le soin attentif et méticuleux d'Aliide dans sa cuisine !
Marie-Thé
Livre riche, dense, marquant; une réussite aussi, pour la force qui s'en dégage, pour l'écriture... Et pourtant, livre que je souhaiterais oublier. C'est bien sombre, terrifiant, et tous ces personnages redoutables... J'avais hâte d'en sortir, de m'évader de ces pages noires, tant l'atmosphère pour moi y était oppressante.
Je commencerai par évoquer Aliide : pour moi c'est un monstre, elle est folle ; à ma grande stupéfaction, quelques-unes d'entre nous l'ont vue humaine, pensant avec nostalgie (??) à certains moments passés avec Ingel, etc., comme quelqu'un allant jusqu'au bout de sa passion (dois-je comprendre que c'est une forme de qualité ici ?), ont vu aussi humour, où j'ai vu vulgarité. Bien sûr, de la part d'Aliide, il y a cette espèce de rédemption, mais cela ne m'a pas réconciliée avec le personnage.
Ce que je retiens surtout de ce livre, c'est la violence faite aux femmes, elles sont les victimes des hommes, que ce soit en Estonie ou ailleurs, hier ou aujourd'hui, des personnes sacrifiées pour "réparer" par le sexe, une "faute" des parents (sous l'occupation soviétique), ou pour payer, toujours par le sexe, une vie rêvée à des "Pacha" ou autres sinistres personnages.
"Il venait toujours de nouvelles bottes (...) les évènements déjà vus se répétaient." : cette violence se transmet ici sur trois générations. J'ai aussi vu ici un livre sur la transmission et sur la filiation. Aliide, par exemple, "elle ne pourrait jamais raconter à Talvi les histoires de sa propre famille (...) elle ne transmettrait pas non plus son histoire" (p. 260) ; "Aliide se rendait bien compte qu'elle se comportait comme si elle voulait échapper à son enfant en courant mais elle n'était pas capable d'éprouver pour cela de mauvaise conscience." Ou encore (p. 334), "Linda n'aurait pas dû faire d'enfants. Aliide non plus. Personne n'aurait dû en faire, dans leur famille. Elles auraient dû se contenter de vivre leur propre vie jusqu'au bout." A l'origine, toujours cette violence qui se transmet de génération en génération.
À noter aussi, l'importance des regards, qu'on évite, "on te regardera, c'est tout, et tu ne pourras jamais savoir si on te reconnaît" (Aliide à Zara).
Dans ce monde si souvent cruel, la nature reste belle et impassible. "Vivez froide nature, et revivez sans cesse" écrivait Vigny.
L'attachement à la terre d'Estonie est grand. Par ailleurs, la terre d'Estonie souffre (p.140) : "chaque recoin appelait à son secours Jésus, l'Allemagne et les anciens dieux." Aux Russes grossiers, etc., sont préférés "les Allemands courtois." (p. 141).
Encore un mot, à propos de Tchernobyl, on en apprend tous les jours... En ce moment où le nucléaire est plus que jamais d'actualité, ce livre m'a quelquefois fait penser au film de Mikhalkov Soleil trompeur ou encore à Pavel Lounguine.



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En 1992, l’union soviétique s’effondre et la population estonienne fête le départ des Russes. Mais la vieille Aliide, elle, redoute les pillages et vit terrée dans sa maison, au fin fond des campagnes.