En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune
Esclarmonde refuse de dire "oui" : elle veut faire respecter
son voeu de soffrir à Dieu, contre la décision de son
père, le
châtelain régnant sur le domaine des Murmures. |
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Carole Martinez
Du domaine des murmures
Nous avons lu ce livre en novembre 2011.
Nous avions lu Cur
cousu en 2008, et l'auteure était présente lors
de notre séance. Nous lirons en 2018 son troisième roman,
La Terre qui penche.
Monique
Le thème de la recluse a tout pour me plaire. J'ai aimé
le souffle d'inspiration, puissant, incessant, qui nous porte, nous pousse,
nous surprend toujours. Tous les thèmes liés aux multiples
facettes de la féminité : virginité, mariage,
viol, maternité, conflit soumission et volonté... un peu
moins le côté sorcière et côté fantastique
des voix venues d'outre-tombe. Très belles pages sur les paysages,
et sur la sensualité : de la mère avec l'enfant, ou
de l'enfermée avec le souffle, l'air, le paysage...
Cependant, j'ai regretté le manque de mysticisme (religieux ou
pas). C'est une attente déçue par rapport au thème
de la recluse, et puis cette aspiration vers le lumineux, le léger,
le sublime m'aurait rendu plus facile le sentiment d'étouffement
procuré par l'emprisonnement dans la pierre et la noirceur de la
réalité. Par ailleurs, je n'ai pas trouvé crédible
le dernier entretien d'Esclarmonde (généreuse et maternelle)
avec son père violeur (on avait assez d'indices pour le savoir
déjà).
Claire
Je n'avais pas compris que c'était le père le violeur.
Monique
En ce qui concerne le style, j'ai été parfois un peu perdue
dans de longues phrases où je me perdais dans les référents :
de qui, de quoi parle-t-on ? J'ai eu l'impression de coupes, avec
des chaînons manquants.
Pourtant, j'ai toujours été prise par le récit, accrochée
au livre, curieuse de savoir ce qui allait se passer. J'ai lu ce livre
un peu vite, un peu prise par le temps pour le groupe lecture et puis
soucieuse de savoir si Carole allait recevoir le prix Goncourt... J'ai
envie de relire certains passages en prenant le temps de déguster
le travail d'écriture, sans être trop prise par l'histoire
et les événements.
Sandrine
Tout comme dans Cur Cousu, Du domaine des murmures de
Carole Martinez nous entraîne dans un monde mi-réel, mi-irréel,
ici avec l'histoire de cette jeune femme du XIIe siècle, Esclarmonde,
emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château
familial. Dans une société où Dieu est la seule échappatoire
à l'autorité paternelle, la courageuse et volontaire Esclarmonde,
refuse de subir un mariage contraint, en offrant sa vie à Dieu.
Devenue une quasi-sainte dans un monde troublé et superstitieux,
elle influencera de sa fenestrelle le monde allant jusqu'à souffler
à son père de se croiser.
Dans une écriture sensuelle et féminine, entre narration
et songe, visions mystiques et cruauté charnelle, Carole Martinez
laisse Esclarmonde s'adresser directement au lecteur pour, à travers
son histoire, lui parler du libre arbitre et du choix de vie, des relations
père-fille, de la religion et de la foi, de la maternité,
du statut social, de sensualité et de rêve, d'autorité
et d'influence.
Du domaine des murmures est pour moi sans conteste le livre de
la rentrée 2011.
Jacqueline+
Je l'ai peut-être lu un peu trop vite... Quand je lis Carole Martinez,
j'ai envie de savoir la suite, je suis tenue en haleine... Je regrette
de l'avoir lu trop vite. Mais je ne sais pas si c'est à cause de
moi ou à cause du livre, je n'ai pas été complètement
accrochée. Dans Cur Cousu, il y avait des passages
extrêmement émouvants. Mais ici, je suis restée un
tout petit peu en dehors, tout en étant prise par le récit.
Est-ce parce qu'elle a été obligée de beaucoup élaguer
son récit ? Je crois que son éditeur lui a conseillé
de resserrer. Dans Cur Cousu, j'avais aimé le côté
foisonnant, baroque. Je reconnais que c'est une belle histoire, cet enfermement
mais il me manque un petit quelque chose pour que mon cur vibre.
Je me suis sentie très extérieur à l'héroïne,
j'ai des sensations mais je ne suis pas dans ses pensées et pas
du tout dans l'identification. Alors que mon souvenir de Cur Cousu,
il y avait plein de personnages. Je suis un petit peu déçue
même si je reconnais que c'est bien écrit. J'ai envie de
l'ouvrir "à moitié plus", avec une grande curiosité
pour savoir ce qui a été élagué...
Claire
Je crois que c'est la suite qui a été élaguée...
Carole Martinez a eu une résidence d'écrivain dans un château.
C'est là qu'elle a eu l'idée, raconte-t-elle, de ces pierres
qui murmurent... Et la suite, ce seraient d'autres femmes qui parlent.
Je commence par ce qui me retient. Le début et la fin, les artifices
de pronoms, ce "nous" au début qui devient "toi"
au cours du récit, la dédicace un rien cucul, la rivière
"lèche" la falaise... et dix pages plus loin, cette
même rivière "lèche" l'escarpement..., cette
femme omnisciente qui raconte les croisades avec dans ses mains comme
un iPad... Le premier chapitre ne va pas, mais après j'ai été
tenue par cette héroïne, les "moyenageries", les
mots que je ne comprends pas mais que je comprends quand même, cette
musique, j'ai été bien enfermée ! J'ai été
captivée : univers, récit, langue musicale. On n'a
pas envie de lâcher le livre, en cela c'est très réussi.
Annick
Je l'ai lu hier et aujourd'hui, et je suis encore complètement
dedans. C'est un très beau livre féministe, cette façon
de parler des femmes et des femmes au Moyen Age. J'ai eu du mal à
rentrer dedans, je pensais "c'est du masochisme féminin".
Mais pas du tout, c'est une femme libre, elle n'est pas du tout enfermée,
elle a du pouvoir, elle retourne cette position d'enfermement pour en
faire une position de pouvoir. Ca m'a beaucoup plu.
Les croisades, c'est quoi ce bazar ? Je m'en fichais un peu, mais
c'est si magnifiquement écrit. Mais avec un peu plus de mysticisme,
j'y aurais plus cru. Dès le début, j'ai su que le violeur
c'était son père.
Claire
Est-ce vraisemblable ?
Annick
Oui, il reprend possession d'elle par la violence.
Rozenn
Pourtant, elle écrit "celui qui m'a violée l'aura oublié
demain."
Annick
Je savais que ce père était fou de sa fille, il la désire
et il la hait, c'est pourquoi j'ai tout de suite pensé que c'était
lui le violeur. Mais j'ai hésité aussi avec son amoureux.
Il y a de très beaux passages : la dimension maternelle, sa
dépression quand on lui enlève son enfant. Mais je n'ai
pas été dans l'identification, j'avais quand même
une distance, peut-être parce que ça se passe au XIIIe siècle.
La fin est d'un pessimisme terrible : tout le monde y passe. Les
hommes sont ratiboisés, ceux qui s'en sortent sont ceux qui deviennent
plus féminins, plus féministes. Les femmes restent de belles
femmes : la géante, très sensuelle. Les femmes ont
du caractère, elles sont très humaines, elles sont libres
et le payent très cher. J'ai beaucoup aimé, c'est un beau
livre.
Françoise D
Je suis moins dithyrambique. Je suis déçue par rapport à
Cur Cousu. Le récit est très linéaire,
assez "plapla" même, sauf dans la fresque des croisades
où l'on retrouve le souffle. Il y a de beaux portraits de femmes,
des descriptions de la nature, elle écrit très bien, elle
a un style. Mais comme Jacqueline, je suis restée en dehors. Elle
situe cela au Moyen Age mais il y a des choses pas très vraisemblables.
Pour le violeur, j'ai pensé à l'amoureux éconduit
et qui se venge, mais je n'avais pas pensé au père. En fait,
je n'ai pas bien compris quand le père avoue que c'est lui. L'histoire
de la lettre de l'archevêque pour lui interdire la parole, pour
la protéger, j'ai trouvé cela alambiqué. Ou il y
a trop de mysticisme ou il n'y en a pas assez. Le choix de l'auteure,
de ce personnage, de cette époque, je trouve qu'il y a quelque
chose qui cloche... Mais je n'ai pas lâché le livre, ça
dépote, même s'il y a beaucoup moins de souffle et de foisonnement
que dans Cur Cousu.
Je suis très étonnée de sa deuxième place
au Goncourt, mais tant mieux pour elle, ça lui fait du buzz. Mais
de mon point de vue, son premier roman est nettement supérieur.
Brigitte
Je suis venue pour vous voir, peut-être que je le lirai.
Rozenn
Je suis assez d'accord avec vous, je n'ai pas complètement accroché.
C'est un roman féministe mais ça commence comme un roman
mystique. Quand j'ai lu le premier chapitre, je me suis dis : "je
ne vais pas le lire, je n'en ai pas envie". J'ai retrouvé
les faiblesses accentuées du premier. Mais l'évolution du
personnage est fascinante. Moi non plus, je n'avais pas deviné
que c'était le père le violeur, je n'avais pas compris qu'elle
était enceinte. J'ai aimé ses rapports avec son bébé.
Mais certains personnages ne sont pas assez installés, comme la
vieille femme qui vient chercher l'enfant. Je pense qu'il faudrait que
ce soit plus lié et amplifié pour que le roman prenne une
dimension mystique et légendaire.
Quand Carole Martinez est venue nous voir, elle nous avait parlé
de son projet, d'un enfermement dans une pièce ni carrée
ni ronde.
Claire
Au point de vue de l'hygiène, ça se passe quand même
bien...
Rozenn
Je reste cependant très perplexe. J'aurais préféré
qu'elle renforce la relation avec son père par exemple, qu'elle
étoffe les personnages secondaires. Il faut également enlever
ce premier chapitre et les pronoms.
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