Quatrième de couverture : "Assez
tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose
pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque
temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.
Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier
village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché
d'être heureux. Je crois y être parvenu. Deux chiens, un poêle
à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à
la vie. Et si la liberté consistait à posséder le
temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace
et de silence - toutes choses dont manqueront les générations
futures ? Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera
tout à fait perdu." (Prix médicis essai 2011)
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Sylvain Tesson
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Les
réactions du groupe
de Tenerife |
Nieves
J'avoue que je m'attendais à avoir plus d'émotions dans
ce récit de voyage ; peut-être je ne suis pas juste,
mais vers la moitié du livre, j'en avais assez de la cabane, des
mésanges, de la neige, des ours, des cascades, de la vodka
Cependant, en revenant en arrière, je reconnais avoir trouvé
quelques réflexions intéressantes autour de la vie en solitude,
entourée de nature et d'animaux de la taïga. Il me semble,
tout de même, des pensées d'un intellectuel provenant d'une
des villes les plus intellectuelles au monde.
Je soulignerai quand même certaines considérations sur l'expérience
de l'isolement et le caractère russe.
Quant à la vie d'ermite, il faut dire qu'il est allé en
Sibérie pour résoudre un problème personnel :
"J'avais à régler
un vieux contentieux avec le temps (
) Il suffisait de demander à
l'immobilité ce que le voyage ne m'apportait plus : LA PAIX".
Il voudrait y arriver en arrêtant son activité habituelle
ressemblant à celle de la majorité des citoyens des pays
riches : vie culturelle, voyages en permanence
Pourra-il atteindre
son objectif ? Au départ, il y a la sérénité,
la beauté de la nature : "le
luxe de l'ermite, c'est la beauté" et la liberté
de tout faire "dans
un monde où il n'y a rien à faire". Il se
dit : "La vie de
cabane est peut-être une régression. Mais s'il y avait progrès
dans cette régression ?"
Il me semble qu'à l'arrivée tout est nouveau et éblouissant ;
pourtant, au fil des jours, j'ai senti une perte de l'enthousiasme, car
il commence à réaliser qu'il doit partir ; il sait
bien que cela a été un jeu éphémère
"Comment appeler autrement
un séjour de réclusion volontaire sur un rivage forestier
avec une caisse de livres et des raquettes de neige ?"
Pourtant, on dirait que son séjour a été réussi
"Rien ne me manque de
ma vie d'avant
Rien. Ni mes biens, ni les miens
On
dispose de tout ce qu'il faut lorsque l'on organise sa vie autour de l'idée
de ne rien posséder".
Il fait même un appel à la vie des cabanes : "Nous
sommes les seuls responsables de la morosité de nos existences.
Le monde est gris de nos fadeurs. La vie paraît pâle ?
Changez la vie, gagnez les cabanes. Au fond des bois, si le monde reste
morne et l'entourage insupportable, c'est un verdict : vous ne vous
supportez pas ! Prendre alors des dispositions".
Paradoxalement. Il ne va pas y rester, car l'expérience qu'il nous
raconte est un artifice, et je ne me suis pas dégagée de
l'idée d'être en train de lire un carnet de voyage.
Ce qui est pittoresque, ce sont les quelques rencontres avec des personnages
russes. Pourtant, ce qui me choque un peu, c'est qu'il parle des Russes
globalement. Peut-être ce n'est pas pareil de parler des gens qui
vivent en Sibérie que le faire de ceux qui vivent à Moscou
ou à Saint-Pétersbourg, même dans d'autres points
de la Sibérie. Il se peut qu'il y ait des différences
Cela dit, il remarque quelques comportements qui décrivent les
Russes comme buveurs permanents de vodka, travailleurs rudes et très
doués pour organiser des festins : "Que
le monde tangue et que l'ivresse emporte tout". Ils ont
"le génie de
créer dans l'instant les conditions d'un festin
Parfois un
feu jaillit, des produits surgissent des sacs, on ouvre une bouteille
de vodka, les rires fusent, les verres se remplissent
"
; "La Russie m'a appris
à ne jamais escompter la moindre réparation après
l'effort. Toujours se préparer à se détruire à
coups de vodka après s'être esquinté à force
de kilomètres"
D'autre part, les Russes ne se soucient pas beaucoup de protéger
la nature et acceptent passivement quoi que ce soit qu'il arrive. Pour
exprimer cela ils ont un mot particulier : POFIGISM. "POFIGISME
: l'accueil résigné de toute chose"
Ils demandent simplement qu'on les laisse vider une bouteille aujourd'hui
parce que demain sera pire qu'hier. Le pofigisme est un état de
passivité intérieure corrigée par une force vitale.
"Ils ne portent pas
attention à la destruction de leurs forêts
Gonflés
de l'illusion de peupler un pays inépuisable".
Pour finir, il souligne aussi qu'ils n'ont rien gardé des théories
révolutionnaires et ont plutôt tendance à professer
des théories ésotériques : "Depuis
que l'URSS s'est écroulée, les théories new age connaissent
le succès chez les Russes. Il fallait occuper la vacance mystique
laissée par l'effondrement des dogmes socialistes. Les Russes
ne rechigneront jamais à prendre pour vérité une
de ces théories que les professionnels de l'occulte n'osent même
plus avancer en Europe de l'Ouest. Les Russes ne sont pas les fils de
Raspoutine pour rien."
Voilà ce que je voulais commenter à propos de ce récit
de voyage "intérieur" (?).
José Luis
Si j'ai gardé silence au sujet de
En attendant la montée des eaux, de Maryse Condé,
c'est que je n'avais rien à dire, et si je n'avais rien à
dire c'est que je n'y avais rien compris, l'incompréhension étant
sans doute de ma faute, point celle de l'autrice. Tout simplement je ne
me suis senti concerné à aucun moment par ce roman : ni
par son écriture ni par l'histoire qu'il raconte. J'ai eu, un instant,
l'intention de le relire, pour voir si le problème était
que je n'y avais pas prêté suffisamment attention, mais je
ne m'y suis pas décidé. J'ai par contre pas mal de choses
à dire concernant Dans les forêts de Sibérie, de l'écrivain
voyageur Sylvain Tesson qui, j'ai l'impression, parle deux langues dans
ce livre, dont une seule m'a intéressé.
D'un côté, il a la voix du paysagiste, du randonneur, de
l'amoureux de la nature, une nature qu'il aime découvrir et qu'aux
difficultés qu'elle pose, qu'elle lui pose, il aime s'affronter,
de manière répétitive, cela exprimé avec un
langage lui-même répétitif, au point que, pendant
longtemps, on a l'impression qu'il ne fait que se copier lui-même.
Évidemment, il est bien obligé de laisser trace sur son
carnet des effets sur cette nature, sur ce paysage, des changements apportés
par le passage des saisons. Mais sa langue n'en est pas ébranlée
: elle reste aussi neutre, et je dirais, aussi banale, partout : qu'il
soit seul, qu'il soit accompagné par deux chiens, qu'il reçoive
des visites de rares habitants des alentours ou, plus exceptionnellement,
de gens de passage, ou bien qu'il se déplace pour aller à
la rencontre d'un des dits voisins, il raconte ces événements
de la même écriture morne, monotone, absente de véritable
émotion. C'est cette langue-ci et le monde qu'elle décrit
- pas à cause de ce monde, mais à cause de l'écriture
qu'il utilise pour le dépeindre - que le livre m'a énormément
déçu.
Or, à côté de cette voix de paysagiste, qui se transmute
parfois en naturaliste, une autre se fait entendre : celle de l'essayiste,
sinon cela aurait injustifié le prix Médicis d'Essai qui
a couronné le livre. Eh bien, c'est cette seconde voix qui m'a
intéressé, beaucoup, souvent, même si, parfois, on
voudrait bien aussi le voir voler un peu plus haut, et être aussi
un peu moins contradictoire. Cette voix parle de la solitude, du silence,
compare la vie dans la nature à celle dans les villes, parle au
nom de l'écologie, etc., et ceci depuis les premières pages
:
C'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses.
Le temps a sur la peau le pouvoir de l'eau sur la terre. Il creuse en s'écoulant.
Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus cher que l'or.
Le passionnant spectacle de ce qui se passe par la fenêtre. Comment peut-on conserver encore une télé chez-soi ?
Pourtant, un accord semble être possible et même nécessaire entre nature et culture :
L'avenir de l'humanité résiderait dans "l'union plénière du civilisé et du sauvage".
C'est pourquoi il est moins sûr de soi-même et de ses choix apparents qu'il ne le croit :
Quand je pense à ce qu'il me fallait déployer d'activité, de rencontres, de lectures et de visites pour venir au bout d'une journée parisienne. Et voilà que je reste gâteux devant l'oiseau. La vie de cabane est peut-être une régression. Mais s'il y avait de progrès dans cette régression ?
Question qui restera sans réponse le long du livre, malgré les moultes fois où le sujet revient sous des formes différentes et malgré les affirmations par trop percutantes qui semblent être avancées plus, me semble-t-il, pour y croire et s'en convaincre que parce que l'auteur en soit d'avance convaincu, et ce malgré la beauté de la formule utilisée :
S'installer dans le réduit d'une hutte sibérienne, c'est gagner la bataille contre l'ensevelissement sous le tombereau des objets. La vie dans le bois conduit à se dégraisser. On s'allège de ce qui encombre, on déleste l'aérostat de son existence.
La preuve de ce manque de confiance, n'est-ce pas la caisse de livres, soigneusement choisis qu'il se fait porter à sa cabane et le caractère même de ces livres :
Je vide la caisse. J'ai Michel Tournier pour les songeries, Michel Déon pour la mélancolie, Lawrence pour la sensualité, Mishima pour les froids d'acier. J'ai une petite collection de livres sur la vie dans les bois : Grey Owl pour la radicalité, Daniel Defoe pour le mythe, Aldo Leopold pour la morale, Thoreau pour la philosophie mais son prêchi-prêcha de parpaillot comptable me lasse un peu. Whitman, lui, m'enchante : ses Feuilles d'herbe exhalent la grâce. Jünger a inventé l'expression de "recours aux forêts", j'ai quatre ou cinq de ses livres. Un peu de poésie et des philosophes, aussi : Nietzsche, Schopenhauer, les stoïciens. Sade et Casanova pour me fouetter le sang. Des polars de la Série noire : il faut parfois souffler. Quelques guides naturalistes de la collection Delachaux et Niestlé sur les oiseaux, les plantes et les insectes. La moindre des choses quand on s'invite dans les bois est de connaître le nom de ses hôtes. L'affront serait l'indifférence. Si des gens débarquaient dans mon appartement pour s'y installer de force, j'aimerais au moins qu'ils m'appelassent par mon prénom. La tranche de mes volumes de la Pléiade brille à la lueur des bougies. Les livres sont des icônes. Pour la première fois de ma vie, je vais lire un roman d'une traite.
À lire cette liste, on serait en droit de penser que l'auteur
a choisi de se retirer dans cette cabane perdue à côté
du lac Baïkal pour mieux remplir son esprit de quelques-unes des
meilleures pépites produites par l'esprit humain civilisé.
Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi il a cherché à
ce que Thoreau et son Walden lui tiennent compagnie, d'autant plus qu'il
considère le disciple d'Emerson trop sérieux et son discours
une sorte de "prêchi-prêcha de parpaillot comptable"
lassant. C'est sans doute qu'il n'a pas compris que Thoreau, le grand
précurseur des mouvements de désobéissance civile,
cherchait dans sa retraite autre chose, bien différente de celle
quêtée par lui, Sylvain Tesson.
Quand je parlais, plus haut, de contradictions, c'est qu'on ne sait pas
toujours, ou, pour le dire de manière plus précise, Tesson
ne semble pas très bien savoir ce qu'il recherche dans sa solitude
choisie. Par exemple dans ce morceau qui ne laisse pas de (me) surprendre
:
Nos semblables confirment la réalité du monde. Si l'on ferme les yeux en ville, quel soulagement que la réalité ne s'annule pas : autrui continue à la percevoir ! L'ermite est seul, face à la nature. Il demeure l'unique contemplateur du réel, porte le fardeau de la représentation du monde, de sa révélation au regard humain. L'ennui ne me fait aucune peur. Il y a morsure plus douloureuse : le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus. La solitude : ce que les autres perdent à n'être pas auprès de celui qui l'éprouve.
Je vois dans cette citation, où les contradictions fusent (un peu plus loin il aura encore cette réflexion : "Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer" !!!) , une pointe de méchanceté, de mauvaise volonté et d'hypocrisie, dont la source est, sans doute, la nouvelle fraîchement reçue de la décision de sa femme de se séparer de lui. Décision qui me semble parfaitement compréhensible, puisque, apparemment, Sylvain Tesson, vus les titres de ses uvres, semble passer sa vie à être toujours ailleurs que chez lui. Mais alors, pourquoi se plaindre ? Surtout qu'il trouve dans la solitude - et je ne résigne pas, au contraire, à l'accompagner dans cette vision de la chose - des vertus bien supérieures à celles de la vie en société :
Qu'est-ce que la solitude ? Une compagne qui sert à tout. Elle est un baume appliqué sur les blessures. Elle fait caisse de résonance : les impressions sont décuplées quand on est seul à les faire surgir. Elle impose une responsabilité : je suis l'ambassadeur du genre humain dans la forêt vide d'hommes. Je dois jouir de ce spectacle pour ceux qui en sont privés. Elle génère des pensées puisque la seule conversation possible se tient avec soi-même. Elle lave de tous les bavardages, permet le coup de sonde en soi. Elle convoque à la mémoire le souvenir des gens aimés. Elle lie l'ermite d'amitié avec les plantes et les bêtes et parfois un petit dieu qui passerait par là.
Quelques pages après, il propose une comparaison réjouissante entre les ermites chrétiens, dont les comportements lui semblent inhumains, et son modèle à lui, qui excellerait dans sa dimension d'humanité :
Au IVe siècle, dans la haute Égypte, les ergs du Wadi an Natrun grouillaient de moines en haillons. Les anachorètes couraient au désert, dans les pas de saint Antoine et de saint Pacôme. Leurs regards maladivement lumineux éclairaient des visages recuits. Le réel les horrifiait. Pour eux, vivre avilissait. Spectres nourris de lézards, ils refusaient le monde, craignaient ses saveurs. Leurs sensations étaient leurs ennemis. S'ils rêvaient d'une cruche d'eau, ils pensaient que Satan les tentait. Ils voulaient mourir pour gagner l'autre royaume, celui que les Écritures garantissent éternel. L'ermite des taïgas se tient aux antipodes de ces renoncements. Les mystiques cherchaient à disparaître au monde. Le forestier veut se réconcilier avec lui. Ils attendaient un avènement qui n'était pas de cette vie, lui cherche le surgissement de brèves joies, ici et maintenant. Ils voulaient l'éternité, il traque l'exaucement. Ils espéraient mourir, il aspire à jouir. Ils haïssaient leur corps, il aiguise ses sens. En résumé, si l'on veut passer un bon moment autour d'une bouteille de vodka, il vaut mieux tomber sur un solitaire des forêts que sur un fou de Dieu perché sur sa colonne.
La conclusion de ce savoureux morceau est le signe que notre ermite n'en
est pas un, puisque la liste de beuveries dont il rend compte dans son
journal est interminable, et, donc, la liste de rencontres qui les justifient
- même s'il boit aussi en solitaire - est aussi bien longue. Mais
pourquoi boit-il ? Pour oublier la femme qui l'a quitté, et
donc, paradoxalement, pour oublier la solitude qu'en est la conséquence
? Pour mieux se fondre dans les habitudes russes ? Pour ne pas froisser
ceux qui lui rendent visite ou qu'il visite à son tour ? Ou tout
simplement parce que notre bonhomme est un ivrogne qui ne veut pas se
nommer et que participer par, disons, courtoisie, à ces rencontres
bien arrosées de la vodka lui permettent de se faire bonne conscience
? Là je ne peux pas être de son côté, quelle
qu'il en soit. Pourtant je le suis très souvent, et je ne peux,
jaloux, qu'applaudir, quand il écrit des choses comme celles-ci :
Rien ne me manque de ma vie d'avant. Cette évidence me traverse alors que j'étale du miel sur les blinis. Rien. Ni mes biens, ni les miens. Cette idée n'est pas rassurante. Quitte-t-on si facilement les habits ajustés à ses trente-huit ans de vie ? On dispose de tout ce qu'il faut lorsque l'on organise sa vie autour de l'idée de ne rien posséder. [ ] La vie en cabane est un papier de verre. Elle décape l'âme, met l'être à nu, ensauvage l'esprit et embroussaille le corps, mais elle déploie au fond du cur des papilles aussi sensibles que les spores, L'ermite gagne en douceur ce qu'il perd en civilité.
Moi, qui, dans ma jeunesse, et même encore dans les premières
années de mon âge mûr, rêvais de vivre dans la
plus absolue solitude, aux commandes, par exemple d'un phare, à
la pointe d'un cap rocheux de mer, ou perché, au milieu d'une forêt,
au sommet d'une tour de surveillance d'incendies, ou de partir sur les
pas du père Charles de Foucault, dans le désert du Sahara
pour me dédier à la vie contemplative, j'ai lu Dans les
forêts de Sibérie - au moins cette deuxième voix
de l'auteur, à laquelle j'ai dédié ces déjà
trop longues lignes - dans le plus grand plaisir.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert |
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¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
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