La quatrième de couverture
:
"L'idée de Samuel était belle et folle : monter l'Antigone
de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre,
en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire
des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune,
entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était
grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m'a
demandé de participer à cette trêve poétique.
Il me l'a fait promettre, à moi, le petit théâtreux
de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth
le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la
guerre ne m'offre brutalement la sienne."
(Sorj Chalandon)
Ce livre a eu le prix Goncourt des lycéens en
2013.
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Sorj Chalandon
Le Quatrième mur
Nous avons lu ce livre en décembre
2015.
Voir
en bas de page des
infos sur le livre et l'auteur.
Ultérieurement
(le 2 mars 2017), nous avons vu une adaptation théâtrale,
Le
Quatrième mur, de Julien Bouffier au Théâtre
du Tarmac, suivie d'une rencontre avec Sorj Chalandon.
Le nouveau groupe lira en novembre 2023 Retour
à Killybegs.
Brigitte (avis transmis)
Pas de chance, ce vendredi, je ne serai pas avec vous. Je le regrette
car j'aurais beaucoup aimé participer à la discussion sur
l'ouvrage de Sorj Chalandon. Les hasards de la vie scolaire d'une de mes
petites-filles m'avaient conduite à relire Antigone d'Anouilh
il y a quelques mois. Lors de notre visite à Milly-la-Forêt,
nous avons pu voir des affiches de l'Antigone de Cocteau ; j'étais
donc mûre pour lire ce Quatrième mur... Le livre m'a
beaucoup intéressée, notamment par tout ce qu'il met en
évidence sur le rôle et la force du théâtre.
J'ai cependant été un peu gênée par les divers
procédés romanesques utilisés pour mettre en situation
son expérience théâtrale. Tout le monde n'a pas la
maîtrise de l'écriture de Julien Gracq !
Claire
T'as un exemple de procédé qui t'a gênée ?
Brigitte
Les procédés sont partout. Il commence par une scène
de violence, qui est aussi la scène finale, comme dans un film
d'action. Il "démystifie" les manifestants gauchistes.
Il fait manger à sa petite fille une glace à la terre, etc.
Tout cela ne sonne pas comme "authentique" dans le fil du roman.
Je l'ai cependant recommandé à une autre de mes petites-filles
qui veut faire du théâtre pour ce qui est dit de la résonance
de la situation décrite par Anouilh dans Antigone avec la
situation réelle à Beyrouth en 1982.
Claire-Lise (avis transmis)
J'ai lu Le quatrième mur sans aucun plaisir. Je n'ai pas
aimé son style. Il veut écrire de façon dépouillée,
aller jusqu'à l'os, faire des phrases courtes, choc. Oui mais parfois,
ça nous perd. Cela nuit au déroulé du récit.
Personnellement, ce récit de jeune - puis moins jeune -
homme exalté ne m'a pas beaucoup touchée. Il se bat contre
l'injustice, puis il se range, puis il se retrouve pris dans le combat,
la vraie guerre, une guerre qu'il n'a pas choisie, pour faire plaisir
à Sam avec qui il n'a pas parlé pendant deux ans ?
Cela ne tient pas vraiment debout. C'est un roman (?) de l'absurde. Pour
moi, ce jeune homme Georges, gauchiste, cherche le sens de la vie. Il
ne la saisit pas - la vie - alors qu'elle lui est donnée
auprès de sa femme et de sa fille. Il se laisse happer par quelque
chose de plus grand, qui le dépasse. Il subit l'attraction mortifère
de la guerre, il devient un assassin "comme un autre". C'est
absolument désespéré. Au bout d'un moment, en tant
que lecteur non spécialiste de la guerre du Liban, on ne comprend
plus trop qui est qui (je m'y perds entre Druzes, phalangistes, Palestiniens),
bref, finalement, tout le monde meurt, c'est la cata. Je n'"ouvre
pas du tout", peut-être que j'avais envie de plus de légèreté
et d'optimisme dans le climat ambiant...
Serge d'Avignon (avis transmis)
J'ai repensé à la phrase de la chanteuse Barbara :
"Rien de mal ne peut
arriver dans un théâtre. Rien, on y est protégé
de tout". L'idée de mettre le théâtre
comme force de résistance à la guerre m'a captivé.
Mais, sur le traitement, j'ai trouvé que sa façon d'annoncer
une scène puis de la mettre en scène (exemple p. 70 : "Et
moi ? J'étais armé au Luxembourg ? je lui ai répondu"
et page suivante on a l'explication du fait qu'il est "entré
au jardin du Luxembourg comme on se réfugie dans une église"
et ce n'est qu'un exemple, pas très heureux pour la lecture). J'ai
été interpellé par sa constatation "Quand
on a plus d'idée, on invente un personnage", ému
par l'évocation du mur des fusillés, le groupe Manouchian,
le mont Valérien, très ému par le passage "Et
si c'était Georges qui montait Antigone ? Dis oui, Georges."
Sam avait pour moi le visage de Patrice Chéreau dans l'exposition
de la Fondation Lambert. C'est donc un roman vertigineux dont l'architecture
me rappelle celle du film Ma vie est un roman d'Alain Resnais.
J'ai eu envie de vomir à certains moments, comme toujours avec
la guerre. J'ai trouvé très juste et très bien écrit
le traumatisme de ceux qui ont à affronter la guerre. A la fin,
cependant, la mort de Georges m'a semblé un peu trop : était-ce
bien nécessaire d'aller jusque là, est-ce que la mort de
Georges apporte quelque chose à la fin du livre ? Pour moi,
non.
Claire
Je n'avais pas remarqué le procédé dont tu parles,
mais je ne le trouve pas, du moins pour l'exemple du Luxembourg, gênant
pour la lecture, je dirais même au contraire : "Et
moi ? J'étais armé au Luxembourg ? je lui ai répondu."
est une phrase qui intrigue et, par un flash-back, on a l'explication,
c'est pas mal pour justifier le flash-back.
Serge
Il fait ça très souvent, comme un effet de style, le Luxembourg
n'étant qu'un exemple sur 30 : il annonce une scène,
parle d'autre chose et enfin met en scène cette scène dont
on avait oublié l'annonce : ça ne gêne pas la
lecture mais ça assomme, cela crée de l'ennui (une sorte
de "Moi, Président" qui tomberait à plat...) ;
c'est très important de faire attention à bien épousseter
ces moments d'ennui, à choisir les ressorts de son suspens :
ne pas le faire, c'est une vraie faute professionnelle de l'écrivain !
Je regrette qu'il n'y ait plus des Françoise Verny dans les maisons
d'édition actuelles...
Denis (avis transmis)
Je le dis d'emblée, je n'ai pas aimé la façon dont
ce livre est écrit et je ne suis pas arrivé à le
lire entièrement. J'ai pourtant essayé loyalement de m'accrocher,
à plusieurs reprises, en ouvrant à des endroits différents.
A l'exception des parties qui sonnent comme des reportages sur la situation
de guerre à Beyrouth - et je me suis rappelé avoir souvent
vu la signature de Sorj Chalandon dans Libé. C'est certainement
un bon reporter. La scène avec les snipers miliciens est impressionnante,
de même que ses descriptions des déplacements en ville. Des
images provenant de documentaires vus à la télé sur
la guerre de Beyrouth me revenaient en tête et se superposaient
au texte.
Mais la partie romanesque m'est tombée des mains. Son écriture
à l'emporte-pièce ne convient absolument pas (alors qu'elle
passe bien dans les scènes d'action de guerre). Elle donne un caractère
uniformément emphatique à tous les événements
de sa vie ordinaire, qu'ils soient grands ou petits. Pour moi, impossible
de suivre une narration quand la moitié des phrases ne comportent
pas de verbe.
Je suis allé voir de quoi il est question dans Antigone
d'Anouilh, espérant que cela relancerait ma lecture de Chalandon,
mais là aussi j'ai été déçu. La pièce
m'a paru terriblement sentimentale et larmoyante (la chère vieille
nourrice, le fils que nous n'aurons pas...) et je ne l'ai pas aimée
non plus.
J'ouvre le livre d'un quart, pour les textes sur la guerre.
Nathalie
Je n'ai jamais lu d'uvre de Chalandon et je n'ai rien lu autour
du livre. Je partage depuis de nombreuses années des liens étroits
avec la diaspora Libanaise (de toutes confessions) qui se trouve en Afrique
subsaharienne. Pour moi, il est souhaitable qu'on aille chercher des informations
précises sur la nature des groupes en présence et sur les
événements historiques auxquels il est fait allusion. Toutefois
je trouve que le roman parle moins du Liban que du parcours d'un homme.
Il ne m'a pas semblé que ce roman était ce qu'on appelle
une uvre littéraire. Le personnage masculin, pour qu'il quitte
tout c'est qu'il y a un vide en lui, c'est un double d'Antigone ;
je l'ai trouvé soit courageux, soit inconscient. Je n'ai jamais
trouvé qu'il était metteur en scène, cela me semble
un artifice. Par contre j'ai particulièrement aimé la notion
d'indicible : ce que l'on ne peut pas partager, ce que l'on ne peut
pas dire à l'autre. Qui que ce soit : reporter, médecin,
infirmière ; conflit, catastrophe, attentat... : celui
qui revient ne peut rien dire. Mais d'autre part, j'ai trouvé énormément
d'invraisemblances ; son épouse lui dit des choses aberrantes
("ouvre la fenêtre" quand il revient)...
Rozenn
... je trouve pas ça invraisemblable !
Nathalie
Elle a un manque d'empathie vis-à-vis de lui, sans parler de l'absence
de communication au sein du couple. Ce personnage de Georges m'a gênée.
Par contre, j'ai énormément aimé quand il dit "j'ai
eu honte, j'étais en enfer et j'étais bien" :
on voit combien on peut vouloir être au cur du conflit parce
qu'on ne peut pas supporter d'être impuissant à l'extérieur.
C'est une question de sensibilité au monde. A force d'attendre
la catastrophe, on se ronge. Quand elle est là, on n'a plus peur.
On agit. Rien de pire ne peut arriver. Quant à Samuel, pour moi
il n'a pas d'étoffe, je ne comprends pas son rôle. Mais ce
livre m'a forcée à comprendre Sabra et Chatila. Si l'auteur
a cherché à faire une construction, il me semble qu'on peut
y voir une sorte de "machine infernale" chère à
Cocteau, dont le ressort une fois déroulé (la mise en place
des tous les personnages et les factions qui vont avec) n'a plus qu'à
se détendre violemment dans les dernières pages du roman.
Fanny
Une semaine après les attentats, j'ai été saisie
par les premières pages... Mais après, je n'ai pas trouvé
ça bon. Si la scène de l'aéroport est réussie,
beaucoup de passages sont inutiles. Je me souviens au Liban, alors qu'on
était en temps de paix (j'y étais 2001), on sentait la tension,
la peur de l'autre, avec beaucoup de différences de cultures. L'intrigue,
je n'y ai cru à aucun moment. L'auteur peint un personnage censé
être intelligent alors qu'il est grotesque quand il mélange
les cinq laissez-passer
Rozenn
Je me vois bien faire ça
Fanny
Il y a trop de pathos. J'ai lu Antigone, et je n'ai pas vu de parallèle.
Dans les interviews, on comprend qu'il y a effectivement des correspondances
avec la vie de l'auteur, voire que le roman joue un rôle apparemment
cathartique pour lui.
C'est plein de bonnes intentions, mais ce n'est pas réussi.
Françoise
Quand il a été question de lire du Chalandon, j'étais
partante car j'avais aimé Mon
Traître. Il est meilleur quand il parle de lui. Là
je n'ai rien retrouvé, ni l'écriture ni de quoi m'accrocher.
C'est artificiel. Je rejoins ce qu'a dit Nathalie. Sur le Liban, il ne
nous éclaire pas sur une situation où on ne comprenait rien,
du moins moi. L'écriture, il en fait trop, c'est too much à
tous égards. Il ne m'a pas donné envie de lire Antigone,
si en plus il fallait se farcir la pièce ! Tout est exagéré.
Et la fin où Georges meurt alors qu'il raconte sa propre histoire !
Claire
Y a pas besoin de Françoise Verny pour voir ça !
Françoise
Bref, c'est mal fichu, mal ficelé !
Richard
Jusqu'ici, j'ouvrais les livres lus dans le groupe au ¼ et cette
fois c'est ¾ ! Antigone m'a rappelé que j'ai
joué Créon à la fac britannique... J'avais deviné
que Georges mourrait à la fin. C'est vrai, c'est surfait. Les petites
phrases courtes que vous n'avez pas aimées me vont bien, même
si le procédé dure trop. Mais c'est important pour moi ce
qui reste quand le livre est fermé. Et des scènes me sont
restées : quand il assiste à se première action
de guerre. Et dans la scène où il rencontre les acteurs
pour la première fois, j'ai ressenti du soulagement.
Jacqueline
Je ne connaissais pas Chalandon, ni la situation au Liban. Je me suis
plongée dans ce livre et j'ai marché, j'ai été
prise. C'est un roman extraordinaire de formation. Le point de vue de
ce maoïste qui se trouve confronté à la réalité,
son désespoir, ça recoupe ce que Chalandon - l'auteur -
dit. Je suis très contente d'avoir lu ce livre qui m'a obligée
à aller voir ce qui s'était passé au Liban. C'est
fort émotionnellement ; du coup, je n'ai pas vu "comment
il écrit" et n'ai pas eu le temps d'y retourner. C'est un
vrai roman : à la fin quand le chur annonce la mort
de Georges, j'ai eu un choc et cela m'a paru une trouvaille littéraire.
Rozenn
Je ne le relirai pas, je ne le conseillerai à personne, mais j'ouvre
aux ¾.
Manon
Les 150 premières pages m'ont fait chier. Les personnages sont
plats, tout est plat. Et puis, cet après-midi, je l'ai continué
et là j'étais à fond ! Je l'ai dévoré
jusqu'à la fin. Le narrateur s'entoure de personnages intéressants,
Marwan par exemple est un homme intéressant. Mais c'est un témoignage
de guerre plus qu'un roman. J'ai été déçue
que la pièce ne soit pas jouée. J'ai envie de le faire lire
à plein de gens.
Monique L
Je suis moi aussi enthousiasmée. Les phrases courtes donnent du
rythme. J'ai vécu auprès de gens qui ont vécu de
genre de violences. Le personnage pour moi est plausible. J'ai vu la pièce
d'Anouilh l'année dernière et j'ai adhéré
aux passages sur Antigone dans le livre. C'est un livre fort, que j'ai
fait lire à plein de gens. Finalement, après vous avoir
écoutés, je n'ai rien dit de ce que j'avais prévu
par écrit...
Emmanuel
En ouvrant les premières pages, ce qui m'a plu au-delà du
contexte, c'est que le réflexe d'ouvrir la bouche pour décompresser
(pour éviter que les tympans n'explosent) montre la connaissance
au quotidien de ces situations ; après, je vois dans la table
des matières que tous les chapitres portent un prénom ;
d'où un premier a priori, c'est très incarné. Oui,
le style est journalistique ; oui, certains personnages/certaines scènes
ne sont pas forcément crédibles, mais ce qui m'a ému,
c'est qu'on sent bien le Liban multiconfessionnel (sur la carte d'identité,
la religion est nécessairement mentionnée) ; on sent
dans le livre l'absence de rêve ; personne d'ailleurs n'adhère
vraiment au projet, Antigone. La profondeur va manquer, car il
essaye d'introduire la tragédie (Antigone) et quand on vit
le drame (la guerre), ça ne marche pas. Ce Liban complexe, on en
goûte une complexité. Je pense aussi à l'étreinte
avec Marwan qu'il n'a pas avec sa femme. Il y a de belles images, c'est
très riche d'humanité.
Lisa
Dès les premières pages j'ai été happée.
Je ne savais pas qu'il y avait eu une dictature en Grèce - on
ne l'apprend pas à l'école. Et les idéaux gauchistes
parisiens, je les connaissais de loin. Il écrit bien, et je suis
d'accord, les passages d'Antigone aèrent. J'ai bien aimé
la différence montrée entre les idéaux et la confrontation
avec la guerre : ce livre est génial.
Claire entre
et
J'ignorais tout du livre et de l'auteur, à part qu'il avait eu
le Goncourt des lycéens. Dans l'ensemble, j'ai l'impression d'un
livre pénible. Une écriture d'abord plate - évidemment
par rapport à Gracq... -
et quand il s'essaie à faire du style, c'est dramatique ("Sam
a laissé mon silence lui murmurer le reste. Personne ne pourrait
rapiécer l'écolier qui cueille une fleur pour dire adieu
à sa mère" p. 35). Dans la 1ère partie,
le contexte gauchiste est bien reconstitué, mais j'ai eu une double
impression : d'une part de corvée - ça n'en finissait
pas - et de lecture primaire (=j'aime pas le livre parce que j'aime
pas le personnage) au long de l'itinéraire de ce militant borné,
violent (qui veut "obliger
à la béquille, à la chaise, à la douleur à
la vie"), stalinien : le personnage déclenche
ma haine. Autre réaction assez vite, d'interrogation sur le lien
entre fiction et biographie en raison de la façon dont le narrateur
se situe, ça me met mal à l'aise. Dans le parcours de l'"intellectuel
précaire", la paternité m'a touchée. Sam, une
sorte de saint, me paraît irréaliste, encore plus avec son
Antigone. On est au Liban p. 130 et j'ai écrit rageusement
"j'en ai marre !"... Puis vient la guerre, ça change,
c'est bien rendu, l'écriture est là, et l'émotion :
ce sont les moments les plus réussis. Je n'ai pas fait attention
aux procédés, mais la fin avec ce chur et le narrateur
qui dit je est tué, c'est débile.
Nathalie
Mais c'est souvent dans les livres...
Claire
Mais au moins on finit par dire qu'on a retrouvé le manuscrit dans
une malle ! Antigone, une pièce formidable : il
en tire pas grand-chose, de son contenu. Le quatrième mur, belle
idée, mais peu utilisée. J'ai pensé aussi - tu en
parlais Annick - à Valse
avec Bachir. J'ai lu des choses après, qui ajoutent à
la déception : on sent moins un projet littéraire qu'un
projet thérapeutique. Il n'a pas de distance sur l'écriture,
la seule chose qu'il sait dire c'est que la différence entre l'écriture
journalistique et le roman, c'est qu'on ne dit pas je quand on
est journaliste ; quand on lui demande son rapport à l'autofiction,
il répond "je
suis loin de l'autofiction. Je suis loin de la fiction. Certes Georges
est mon deuxième prénom, mais..." Il ferait
bien de faire un stage chez Delphine de Vigan suite à son magistral
et manipulateur A partir d'une histoire vraie (justement !)
Geneviève
Je me suis demandé si j'allais venir car je ne voulais pas entendre
comparer ce livre avec Gracq et que ça me gonfle
Oui il y
a eu des petits cailloux dans la chaussure, mais chaque point a une résonance
pour moi. A chaque fois je sens que je devrais réagir, mais je
m'en fous. Je ne suis jamais saturée quand il s'agit de la l'histoire
: la Grèce, Sabra et Chatila. Comme toi Richard j'ai joué
dans Antigone dans un stage franco-britannique. Georges a fait son choix
ce qui me ramène à ma jeunesse. Et c'est vraiment une affaire
de génération et c'est bien que pour les jeunes comme Lisa
ce soit différent. La fin c'est vrai n'est pas terrible, mais ça
a un sens.
Claire
Et ça t'a gonflée finalement de nous entendre ?
Geneviève
Oui... mais même quand il y a eu des points de vue avec lesquels
je suis en désaccord, il y a des choses dites auxquelles j'adhère.
Henri
J'ai vu tout de suite que c'était un livre de journaliste donc
juge sur 3/4, en laissant ¼ littéraire de côté...
Je me suis dit qu'avec l'arrivé de Sam, là il y avait un
projet littéraire ; j'ai pensé à un parapentiste
qui, lui, a réussi après avoir prévenu tout le monde
à provoquer un cessez-le-feu au Moyen-Orient quand il a atterri.
Oui, on est pris, on est saisi, mais une fois le livre fini, j'ai été
gêné par l'idéologie sous-jacente, machiste, sur l'intensité
de la vie dans la guerre. J'attends un livre écrit par une femme.
J'ai trouvé qu'il était naïf, tout le monde est sur
un pied d'égalité, quelle est l'épaisseur de tout
cela ? Il ne mûrit pas. Quel est l'intérêt ?
Annick A (qui a proposé ce livre)
J'ai trouvé ce livre très puissant, le rapport de la culture
à la violence m'a intéressée. J'adore la pièce
Antigone. La première partie m'a ennuyée par rapport
à la personnalité de Georges. C'est le côté
emphatique qui me gêne. Par rapport à l'idéologie,
Georges est insupportable, dans ce rapport de jouissance à la mort.
Claire
À la mort ou à la violence ?
Annick
À la mort.
Henri
Pour dire son amour à sa fille, il dit d'ailleurs qu'il tuerait
pour elle.
Annick
Ce n'est donc pas étonnant qu'il revienne à la mort, il
est tout le temps là-dedans. Ceux qui sont dans la guerre n'en
sortiront jamais. Avec Sam et Georges, on a la pulsion de vie et la pulsion
de mort. Les personnages de la pièce sont idéologiquement
différents et quand il les fait jouer, il les rend tous sympathiques.
Je suis passionnée par le théâtre. Au-delà
des positions qu'on peut avoir, on est quoi ? Ils oublient ce qu'ils
sont quand ils jouent, pour approcher une certaine forme d'humanité.
Il y a des moments forts, beaucoup de vous les ont aimés. J'avais
lu ce livre il y a longtemps, je ne me souvenais plus que Georges mourrait.
Claire
Et nos avis ?
Annick
Je n'ai pas été étonnée
Claire
Au début c'était craignos tous les avis négatifs
Annick
J'ai pris mes distances
Ce qui m'intéresse c'est qu'il veut
créer un choc. Ce livre permet au lecteur de pouvoir se représenter
ce qui se passe là-bas.
Le Quatrième mur se réfère,
tout au long du livre, à Antigone dAnouilh : le texte
de cette pièce est ICI.
Beyrouth
Pour obtenir l'aval des miliciens
pour jouer Antigone, le narrateur traverse le secteur des chiites,
des nassériens, des phalangistes, des chrétiens..., doit
manger au sens propre son sauf-conduit palestinien avant d'être
introduit dans le "palais" des miliciens, "une superbe
maison jaune de trois étages. L'immeuble Barakat en dentelles de
guerre. (...) Cette maison n'était pas une ruine de guerre. Elle
était la guerre. De la terrasse au sol, les combats l'avaient martelée
comme un plateau de cuivre. Pas un pouce intact. Partout sur ses colonnes
fragiles, ses balcons, ses fenêtres romanes les pointillés
des rafales, les impacts des tirs de précision, les écorchures
de grenades, les déchirures de roquettes, les cicatrices ouvertes
par les mortiers." (p.149)
Présentation en vidéo de
cette architecture art nouveau des années 20 : ICI
Le cinéma où Antigone est
répétée
"Je regardais la façade lunaire du cinéma
Beaufort, de lautre côté de la rue. (...) Le cinéma
n'avait pas de fenêtres. Les obus s'étaient chargés
d'en dessiner partout, ouvrant aussi des portes et creusant des terrasses."
(p. 178 et 180)
Le peintre libanais Elie Kanaan (1926-2009)
Simone, ancienne ouvreuse du cinéma, dit à
Georges :
" Vous connaissez Elie Kanaan ? ma demandé
Simone.
Non, je ne connaissais pas.
Cest lun des plus grands peintres de notre pays, ma-t-elle
expliqué sans quitter son ouvrage.
Elle travaillait au point lancé, offrant à la laine la grâce
du lavis.
Je me suis inspirée de lune de ces toiles. Deux femmes
qui attendent. Mais qui attendent je ne sais quoi." (p.
184)
Des uvres de ce peintre : ICI
Le Requiem de Maurice Duruflé
"Le disque avait été
enregistré en 1959. Hélène Bouvier chantait, Duruflé
lui-même conduisait l'orchestre Lamoureux. Je me suis assis dans
la pénombre. J'ai écouté le Requiem." (p.
117)
On peut entendre des extraits de cette version ICI.
Mahmoud Darwich, poète palestinien
(1941-2008)
Il fut une voix de la résistance palestinienne
: le poème "Identité",
évoqué par Imane p. 138, paru dans le recueil Rameaux
d'olivier (1964), dépassa rapidement les frontières
palestiniennes pour devenir un hymne chanté
dans tout le monde arabe.
"Demain, dès l'aube, à l'heure
où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais ce qui m'attends..."
a récité le tueur.
Le poème complet de Victor Hugo,
évoqué p. 160, "Demain,
dès l'aube" : LÀ
Et ce titre, "Le quatrième mur"
?
Cette notion a été esquissée par
Diderot dans De la poésie dramatique (1758) : "Imaginez
sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare
du parterre : jouez comme si la toile ne se levait pas" puis
systématisée par André Antoine qui a donné
son nom au Théâtre
Antoine à Paris et qui fut directeur de l'Odéon de 1906
à 1914. Ce mur, imaginaire, conventionnel, parcourt le devant de
la scène du théâtre, frontière entre la fiction
qui se déroule sur scène et le public.
Deux interviews de
Sorj Chalandon
À découvrir, de préférence
après avoir lu le livre :
- à lire : dans CQFD (mensuel de critique et d'expérimentation
sociale), en octobre 2013 : ICI
- à écouter et voir, sur le site de la librairie Mollat
à Bordeaux en octobre 2013 : LÀ
Nos cotes d'amour,
de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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