Le texte du roman Nana est en ligne : ici

La quatrième de couverture
 :
Dans les dernières années du Second Empire, quand Nana joue le rôle de Vénus au Théâtre des Variétés, son succès tient moins à son médiocre talent d'actrice qu'à la séduction de son corps nu, voilé d'une simple gaze. Elle aimante sur scène tous les regards comme elle attire chez elle tous les hommes : tentatrice solaire qui use de ses charmes pour mener une vie de luxure et de luxe, de paresse et de dépense.
Grâce à elle, c'est tout un monde que le romancier parvient à évoquer, toute une époque et tout un style de vie.
Ce neuvième volume des Rougon-Macquart est une satire cinglante des hautes sphères perverties par une fête qui ruine le peuple et détruit les valeurs.

La couverture est un détail du tableau d'Édouard Manet, Nana (1877, musée Kunsthalle à Hambourg)


Le Théâtre des Variétés actuel :

Le théâtre se trouve tout près du Passage des Panoramas :

Et l'entrée des artistes du théâtre dans le passage où le comte Muffat vient attendre Nana... :

Émile Zola
Nana

Nous avions lu Au Bonheur des Dames en janvier 2003 à l'occasion d'une exposition sur Zola à la BNF, et avions auparavant visité la maison de Zola en juillet 1995, en lisant Les soirées de Médan.

Nous avons lu livre en janvier 2016 en rapport avec l'exposition au Musée d'Orsay "Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910".
Monique L (avis transmis)
Sur une toile de fond sociale et politique très présente, c'est une imposante fresque humaine que nous livre Zola : les univers du théâtre et de la prostitution, celui des courtisanes et celui des noceurs, et cela sous la forme d'une critique sociale. Il s'agit d'une étude socio-historique du Second Empire. Zola égratigne au passage la religion et montre à quel point elle peut sembler vaine et servir de masque en société. Je trouve qu'on voit bien là le roman naturaliste qui s'attache à peindre la réalité en s'appuyant sur des travaux minutieux de documentation, ce projet qui avait pour ambition de faire de la littérature une véritable science capable d'analyser la nature humaine et la société : je trouve que Nana répond bien à ces ambitions.
Il me semble que les allusions à l'homosexualité sont très osées pour l'époque et Zola qui sait utiliser un langage cru fait preuve de délicatesse autour de ce sujet. Quant au style, je l'ai trouvé simple, clair et évocateur. L'importance donnée à des descriptions très réalistes est très significative ainsi que l'emploi de vocabulaire précis et technique (par exemple tous les termes pour désigner une prostituée suivant sa situation).
Nana séduit par sa beauté et son audace, mais la psychologie du comte Muffat m'a gênée car elle me paraît peu vraisemblable. Je comprends mal l'excès de sa fascination pour Nana. Je trouve que cela va beaucoup trop loin. Pourquoi accepte-t-il toutes ces humiliations ? (Nana y exprime son pouvoir, mais lui ?)
Il y a très longtemps que je n'ai pas relu de Zola. Certes pas de surprise, mais un réel plaisir de lecture.

Jacqueline
Je l'ai lu en entier, dans une version scolaire, avec un dossier très intéressant.

Annick A
J'ai cette édition là aussi, très intéressant.

Jacqueline
Ca se lit bien, c'est bien construit. Il y a un "projet littéraire" (avec un sourire en coin).

Claire (expliquant le coin)
Jacqueline s'est moquée de moi après la séance sur Chalandon au sujet de ce que serait un-projet-littéraire de la part d'un auteur, aussi indéfinissable qu'un-livre-pour-le-groupe-lecture...
Jacqueline
Là il est clair le projet littéraire… et il est bien tenu. La documentation a été fournie à Zola par Halévy et les Goncourt, je suis contente de les retrouver. Je suis restée glacée et extérieure. C'est Flaubert qui est l'inventeur du naturalisme et, chez Flaubert, c'est complètement tenu mais avec un point de vue. Chez Zola, le procédé y est, mais cela me semble un peu plaqué. C'est très bien écrit, la lecture est facile, mais on n'est pas vraiment tenu en haleine. Je n'ai pas été émue par les personnages. J'ai été un peu agacée par les moments où Zola prend partie concernant la décadence du Second Empire et Nana qui pourrit toute la société. D'ailleurs elle meurt alors que Gaga qui a commencé sous Louis-Philippe prospère toujours. L'aspect démonstratif m'agace. Le terme "vice" revient souvent, avec le jugement moral de Zola. Le vice, vu par les yeux de Muffat, a beaucoup vieilli, ainsi que ce qui a trait à l'hérédité.

Brigitte
Je me retrouve dans ce qu'a dit Jacqueline. Nana, est-ce qu'elle a une subjectivité ? Elle est comme un animal, avec l'instinct du moment. Les hommes aussi, fascinés : le cul est roi. Mais ils ne sont pas heureux : Philippe vole et va en prison, Georges se suicide, Muffat s'épuise. Il n'y a que Sabine qui a l'air de s'épanouir. Nana n'est pas vraiment malheureuse, elle a des clichés dans la tête, aucun retour sur elle-même. Elle gaspille, alors qu'elle sait ce qu'est gagner de l'argent à la sueur de son front. Elle n'a aucun recul, Muffat non plus. J'ai beaucoup aimé la description où Mussat est dans la rue, il voit la lumière qui s'éteint, complètement subjugué. La philosophie en est démoralisante : personne ne donne de sens à ce qu'il fait. Et le pauvre enfant, c'est horrible. Seule Zoé a un regard sur ce qui se fait ; Mme Hugon aussi.
J'ai trouvé l'écriture très intéressante, luxuriante. Zola décrit plusieurs fois la même chose, les intérieurs, mais sans se répéter. J'ai remarqué le mot "débandade", un mot perdu : "une débandade de pots de crème" par exemple. Les espaces vides mettant en valeur les lignes dans un appartement, ça n'existe pas dans le Second Empire, il y a des choses partout, c'est rempli. Mais, avec cette volonté de puissance de Zola, c'est un peu énorme qu'une prostituée détruise ce monde ; elle meurt dans la pourriture ; ça, ce n'est pas naturaliste.

Fanny
C'est symbolique.
Brigitteet
J'hésite entre ½ et ¾. J'aime mieux Flaubert comme toi Jacqueline. Avec cet aspect documentaire n'est-il pas plus journaliste qu'homme de lettres ? Ethnologue plutôt. Quant à Nana, ce qui a attire, c'est moins sa beauté il me semble - elle a des grosses cuisses par exemple... - que sa présence physique.
Emmanuel
J'ai senti le goût d'entrer dans le livre ; j'ai été porté par la lecture, j'ai lu le livre en trois soirs ; j'ai eu un plaisir à entrer dans la dynamique. Le charme de cette femme est très loin des canons de la beauté actuelle. Il me semble que l'analyse est à mener a contrario. Nana fonctionne avec des réflexes d'enfant, avec immaturité, par exemple quand elle découvre le jardin à la campagne ; le personnage est riche de cette situation d'enfance ; de même avec Georges : "elle tomba vierge dans les bras de cet enfant". Les effets du pouvoir ont cours dans ce monde de la prostitution parisienne, le pouvoir de son corps et de son auto-hédonisme : elle s'aime elle-même ; son égoïsme est fondamental. Tous ces hommes sont emportés à leur propre perte ; Muffat est entre sa dévotion et sa passion pour Nana, mais ce sont les mêmes sentiments : abandon, force, extase, déraison admirationnelle. Le rythme littéraire fait qu'on est emporté avec frénésie dans le triomphe de Nana, le cheval, au Grand Prix. Il y a aussi Irma, l'ancienne prostituée dans une propriété inaccessible, une prostituée qui a réussi à maintenir un pouvoir à travers les ans et les honneurs. J'ai remarqué des becs de gaz partout. Mais on aimerait un peu plus de profondeur.
Françoise
Ce n'est pas mon préféré de Zola. J'aime mieux Le Bonheur des dames que nous avions lu. Ici tous les personnages sont négatifs. Nana, pour moi c'est clair, c'est la revanche de LA LUTTE DES CLASSES. La scène du théâtre, celle du champ de course, sont très réussies. Parfois les descriptions sont un peu trop longues, mais j'ai lu jusqu'au bout. On ne peut s'identifier à aucun groupe. Muffat est complètement fasciné, c'est crédible. L'épisode Nana/Fortan, lui, est-il crédible, lorsqu'elle se laisse battre ? C'est un peu trop démonstratif. La fin est très rapide, avec un contraste entre Nana qui meurt et la foule qui crie "A Berlin ! A Berlin !" Mais, c'est Zola !
Denis
Je suis content d'avoir lu ce livre. Je connais peu Zola, j'avais lu L'Assommoir. Très vite, il y a une foule de personnages, j'ai compté : 28 personnages ! C'est un gros travail du romancier : j'ai fait un schéma pour m'y retrouver au début. J'ai été habité par ce livre le temps de la lecture, ce roman m'a sorti de moi-même. Pour me soulager, j'ai relu des passages de Madame Bovary. Le tableau de Manet s'appelle Nana : le nom de l'héroïne vient-il de là ? Mais il est de 1877 et le livre n'est publié qu'en 1880…

Brigitte
En feuilleton d'abord.

Denis
D'où vient le pouvoir de Nana ? (Denis lit la première apparition de Nana au théâtre en Vénus). En fait, c'est moins son corps que sa dynamique, son "bougé" qui semble prenant.
Lisa
J'ai découvert Zola il y a peu, je viens de lire Germinal que j'ai beaucoup aimé, Nana un peu moins. On voit dans le dossier que l'auteur a un plan détaillé. C'est un peu long, mais je l'ai lu en une semaine. Le début ne m'a pas plu. Je me suis repérée parmi les personnages grâce à Internet. C'est seulement au chapitre VIII que je me suis mise à apprécier, quand commence l'histoire avec Fontan. Les descriptions sont trop longues. L'étape de déchéance ne me semble pas très crédible. Elle passe trop rapidement de la déchéance au statut de "Reine de Paris", ce n'est pas subtil. Je lis dans le dossier que Zola n'aimait pas Nana, moi je l'aime bien ! Je la trouve attachante, avec son avidité, sa revanche sur la vie, sur la pauvreté.

Danièle
Je l'avais lu quand j'avais 12 ou 13 ans, le livre était dans la bibliothèque de mes parents, c'était de la littérature qui m'était interdite… (Danièle montre son édition de 1958.) Je viens de le relire. J'ai apprécié la fresque sociale. J'ai aimé le dynamisme de cette description de l'observateur de la société, c'est très vivant. C'est riche, ce n'est pas ennuyeux, c'est bien écrit. Et moi aussi j'aime bien Nana !

Claire
Complètement amorales les filles...
Danièle
Nous jugeons Nana avec des yeux de notre époque. Au XIXe siècle, on ne voyait pas autant de femmes nues que maintenant, c'était une société hypocrite. Elle avait du charme et de l'insouciance. Zola voulait-il qu'on la juge ? C'est une image de cette société à cette époque. J'avais peur d'être déçue, avec tous les livres plus novateurs qu'on lit dans le groupe, eh bien ça n'a pas été le cas.
Annick A
Ces femmes que décrit Zola sont là pour donner une nouvelle image de la prostitution. J'ai beaucoup aimé le livre. Le premier chapitre au théâtre, je n'y ai pas cru. Tu parlais de symbolisme, Fanny, d'accord. Mais étant donné qu'il s'agit de donner un tableau réaliste, complet, de la prostitution, ce qui pèche dans ce livre, c'est son aspect symbolique ; l'objectif symbolique fait perdre un aspect de vérité aux personnages. Je ne crois pas à ce pouvoir de Nana sur tous ces hommes.
L'ambiance du Grand Prix est magnifique, mais quand tous crient "Nana ! Nana !", j'y crois pas. La description de Muffat est très bien faite : c'est la passion ! Il oublie ainsi toute mesure. Je me suis intéressée aux moments où Nana s'ennuie et du coup passe d'un homme à l'autre : quand elle retourne dans son milieu (Fontan, la misère), elle ne s'ennuie plus, ni avec Satin. Là elle retrouve un plaisir et un désir de vivre. Cela peut expliquer pourquoi elle n'a pas su tirer parti de toutes ces richesses. La scène de la mort de Nana est très réussie, on y voit la solidarité des femmes qui n'ont pas peur de la mort, alors que les hommes restent à l'extérieur. La scène du repas par contre, je n'y crois pas une seconde. J'ai regretté que le personnage de Sabine ne soit pas travaillé ni mieux décrit.
Claire
Oui, elle s'éclate. J'ai découvert Nana, j'avais aimé Au Bonheur des Dames qu'on avait lu dans le groupe. Je suis à la fois admirative et réservée. J'ai lutté pour me repérer parmi le nombre des personnages et n'ai pas fait comme toi Denis un schéma, l'auteur pourrait prendre soin des lecteurs... À la p. 120 (sur 500…), je cherchais encore à me repérer. Et puis je prévoyais que ça allait finir mal et je craignais très vite la chute, qui tarde pourtant, vu le volume. Ça traîne, et quand Nana tombe avec Fontan, d'une part ça m'est pénible, d'autre part je me demande si c'est crédible psychologiquement, sauf à faire l'hypothèse sado-maso. Idem quand elle devient "Reine de Paris". Il n'y a pas de date, à part 1870 avec la guerre à la fin, pas de durée précisée.

Fanny et Lisa
Ça dure trois ans.

Claire
Vous avez ça dans les dossiers préparatoires de Zola !

Fanny et Lisa
Ah oui.

Manuel
Si, il y a une autre date : il y a l'Exposition universelle mentionnée au début, de 1867.

Claire
Ah j'ai zappé. Et puis elle est dans les bas-fonds de la prostitution et hop elle se retrouve au théâtre ! Je me suis demandé pourquoi une scène comme la répétition de théâtre foireuse n'est pas géniale, elle a tout pour l'être : mais c'est lent. De même, la course de chevaux est trop longue. Mais mais, il y a une richesse d'évocations, des décors de films hollywoodiens, des scènes très réussies, vivantes avec Satin dans l'hôtel de Villiers, des morceaux d'anthologie comme à Longchamp, la souffrance de Muffat bien rendue (au point que j'ai eu envie de voir où il attendait transi Nana dans le passage des Panoramas à la sortie des artistes), avec un vrai profil psychologique. Il y a des phrases fortes, des formules magnifiques, sur sa douleur, sur Nana, quand elle fait la femme chic devant lui, "avec des airs circonspects de grosse poule hésitant à se salir les pattes. Lui, la suivait, les yeux encore pleins de larmes, hébété par cette brusque scène de comédie qui traversait sa douleur", et sur son enfant Louiset, qui "sans un sourire, regardait tout ce monde l'air très vieux". Je ne ressens pas de sympathie pour Nana, sa psychologie est trop floue, et contrairement à la Paiva, femme d'affaires très intelligente, dont nous avions visité l'hôtel particulier incroyable avec Manuel - qui nous avait donné envie de proposer Nana - Nana paraît en partie sotte. En effet, d'où vient son pouvoir, son charme ensorcelant ? A-t-elle une intelligence du pouvoir ? Un art érotique certainement.

Manuel
Y compris sado-maso, comme on peut le voir avec le Comte Muffat.

Claire
Elle refuse le mariage, contrairement à la Paiva pour qui c'est une consécration question respectabilité.

Annick A
Elle ne veut pas quitter son milieu.

Emmanuel
Elle est dans le culte de l'instant.

Claire
Oui, elle est insouciante, inconséquente. Ah oui, mon édition du Livre de poche avait des illustrations d'époque appréciables, mais une multitude de notes qui en contenait de ridicules pour débiles mentaux. Aujourd'hui qui est l'équivalent de Zola ? Houellebecq, Vinaver au théâtre, Virginie Despentes ? Et la mort de Nana, c'est génial, c'est La Charogne de Baudelaire.
Manon
Je ne l'ai pas fini, mais je l'avais lu au lycée. 10 ans plus tard, je vois toujours Nana en revanche sur son milieu social, mais je n'ai plus la sympathie que j'avais. Aucun des personnages ne me permet de m'identifier. J'ai vécu dans le quartier qui est décrit, c'est très agréable de retrouver ces lieux qu'on connaît. Les descriptions sont trop longues, mais c'est vraiment bien décrit. C'est bien écrit, c'est beau, c'est du Zola quoi ! Nana, c'est l'enfant insouciante, spontanée, découvrir le jardin comme elle fait, c'est à 8 ans ! C'est une ado dans un corps d'adulte. Elle a 18 ans, mais à cette époque-là à 35 ans on est vieille. Je ne comprends pas que vous vous demandiez d'où vient sa séduction, elle est libre, elle se comporte physiquement librement, et à cette époque ça ne se fait pas et ils sont tous fous de ça.

Claire
C'est vrai que le film de Renoir rend bien l'aspect déchaîné des mecs.
Manuel
On a visité l'expo du Musée d'Orsay avec Claire, où on voit bien les différentes "Nanas" et Zola a rassemblé toute une documentation dans le même personnage. J'ai été emporté. C'est un plaisir sadique : que va-t-il arriver à Muffat ?... C'est lent. Avec des descriptions très réussies, genre telenovela, avec une photographie de la fin du Second Empire. C'est la fin d'un monde et Nana est le symbole de la pourriture de cette société-là. La fin, c'est très fort, la description du corps de Nana en train de pourrir. Je suis un fan de Zola et j'ouvre en entier.
Renée (venue de son groupe de lecture de Narbonne et qui a aussi admiré l'expo d'Orsay)
Moi aussi j'ouvre en entier. Et c'est la troisième fois que je le lis (la dernière fois j'avais lu l'ensemble des Rougon-Macquart). A mon avis, il faut replacer à l'époque où cela a été écrit : les longueurs étaient de rigueur.

Lisa
De plus, il était payé à la ligne*.

Renée
Muffat représente la société en entier. Actuellement c'est pareil : les hommes veulent une montre Rolex et les femmes un sac Vuitton ; on veut ce qu'ont les autres et c'est pourquoi les hommes veulent Nana, c'est crédible, j'y ai cru. C'est un personnage qui a besoin de respectabilité, mais elle n'y tient pas. Nana est bête et libre. J'ai été impressionnée par la scène de visite des coulisses du théâtre. Muffat est atterré et attiré par toutes ces odeurs, ces saletés.

Claire
Ah… la scène du peigne dégueulasse dans le film muet de Renoir…

Renée
Zola a un projet : Nana est une démone et pour renforcer son raisonnement, il fait venir Satin.
Fanny
Je l'ai lu en même temps que Chesterton, alternant la lecture, ce qui était bien. Les descriptions sont un peu longues, mais j'ai apprécié la peinture sociale. La mort de Nana c'est magnifique et, aussi, son coté enfantin quand elle arrive à la campagne. Et la scène où Georges se poignarde et la tache de sang qui reste sur laquelle chacun passe avec indifférence ! J'ai lu L'Assommoir et Germinal, au lycée, c'était vraiment de (trop) grands chocs. J'ai écouté Gallienne lire ces œuvres et j'ai retrouvé les mêmes sensations. J'évite de m'attacher aux personnages. Quelle fin magnifique !

Nous regardons alors le tout début du film Nana de Renoir de 1926 au théâtre des Variétés avec la présentation de tous les personnages (un extrait du film : )

16 AVIS des deux groupes bretons
"VOIX AU CHAPITRE Morbihan" réuni le 26 février 2016 et "VOIX AU CHAPITRE Pontivy" réuni le 9 mars (Marie-Thé, Nicole, Robert, Suzanne, Marie-Odile, Odile, Jean-Luc, Lona, Claude, Yolaine, Nancy, Dianne, Fany, Claire et Lil)

Livre ouvert aux ¾ : 8 - Ouvert ½ : 2 - Ouvert ¼ : 5 - Livre fermé : 1

Jean-Luc
Ce roman m'a déçu : à la lecture du premier quart, j'avais envie d'arrêter. A la réunion de Voix au chapitre, j'avais signalé ouvert à ¼ pour cause d'ennui. Par la suite j'ai repris la lecture complète et je l'ouvre à ¾ car ce livre contient des trésors : Zola sait décrire le réel dans le détail et nous fait ici pénétrer dans la fange d'une partie de la société française à l'époque finissante de Napoléon III. Le tableau des relations entre le "haut du pavé", les aristocrates avides de comédies théâtrales, le petit peuple frustré d'une vie de luxe, même s'il est parfois à traits forcés, est exceptionnel. Zola sait magnifiquement décrire l'attrait et la puissance de l'argent et ses conséquences sur les hommes de toutes conditions. En créant le personnage de Nana qui orchestre tout le déroulement du livre, il réussit à nous faire pénétrer dans les aspects les plus glauques du capitalisme français en plein essor dans la seconde partie du 19e siècle.
Pourquoi je n'ouvre pas le livre entier ? Je trouve que Zola tout en décrivant la réalité, a voulu forcer les traits de sa description, à la limite parfois de la comédie. Bien que la vie soit une comédie, le trait est un peu fort. C'est évidemment une satire. Il disait qu'il voulait égaler Balzac et même le dépasser. Je pense qu'il n'y est pas parvenu, donc j'opte pour ¾.
Odile
Je reste pour ma part sur ce que j'ai dit à la réunion : j'ouvre en grand pour l'écriture mais "fermé" pour le récit. L'écriture est belle : on sent les odeurs, les parfums des différents lieux ; les descriptions des paysages, des dîners, du grand prix de Longchamp sont fouillées : un vrai régal. Cependant, j'ai quand même lu le livre avec ennui et ai eu plusieurs fois l'envie de le quitter : trop c'est trop, ce n'est pas crédible, il y a des répétitions ; et j'ai aussi ressenti un écœurement dû au comportement d'une minorité dépassée.
Chantal
Ce fut un grand plaisir pour moi de replonger dans le Zola... de mes 15-16 ans, dans le roman naturaliste, dans la société fin 19ème ! Un plaisir de goûter la richesse du vocabulaire marqueur du milieu social ; aujourd'hui, la plupart du temps, je suis frustrée de vocabulaire : j'ai véritablement "goûté", "senti", "entendu", cette vie grouillante du tout-Paris chicos qui a les moyens, qui se considère comme supérieur, avec une attirance et du mépris en même temps pour ces filles du peuple, donc inférieures... Quelle verve ! quelle richesse de vocabulaire ! quelquefois trop peut-être, mais cela nous change si agréablement des "400" mots de certains romans contemporains !
Les descriptions m'ont plu, même si vers la fin du roman elles m'ont paru plus longues et répétitives : les coulisses du théâtre des Variétés, ouaouh..., j'y étais, moi, dans les coulisses du Théâtre des Variétés ! Avec eux les acteurs et les VIP qui picolaient, qui fumaient, en sentant, plutôt en humant, les odeurs équivoques - parfums, maquillages, pipi, sueur...
Et tout cela résonnant avec notre société actuelle : une certaine culture, élitiste, et l'autre, TV ?, réservée au peuple... Les férocités des personnages aussi bien masculins que féminins, le cynisme comme un art, l'apparence comme valeur suprême avec l'argent : tout cela est tellement actuel, rien ne m'a paru obsolète, à part les vêtements et les voitures !
J'ai apprécié le clin d'œil sur le roman naturaliste que Nana déteste, en reprenant les arguments des détracteurs de Zola de l'époque.
Le seul bémol : la psychologie de Nana et des autres n'est pas très fouillée, mais ce n'était pas le but de Zola.
Bref, j'aime Zola qui me rappelle d'où je viens quand j'ai tendance à l'oublier : un regard acéré sur le monde dominant, pour moi qui viens du monde dominé, pour reprendre cette expression d'Annie Ernaux.
Lil
J'ai lu ce livre comme un doc, une satire sociale de l'époque, acerbe et "drôle", où il était de bon ton pour ces messieurs de la bourgeoisie et de l'aristocratie, d'avoir sa danseuse", avec toute l'hypocrisie et la vulgarité requises à tous les niveaux.
Zola égratigne férocement les dévots au passage : "ce fut une jouissance mêlée de remords, une de ces jouissances de catholique que la peur de l'enfer aiguillonne dans le péché".
Les gravures et la quantité de notes dont j'ai adoré la lecture (même les très naïves que j'ai trouvé marrantes) ont amplifié cette impression de lire un documentaire dense, fouillé et précis (les descriptions de Paris : quartiers, rues, passages…, les traditions et mœurs de l'époque, les codes, le théâtre, les références à la mode, les différents niveaux de langage, l'évolution (par exemple le mot "chic" : élégance canaille !). J'ai beaucoup appris !
Zola excelle, avec une grande richesse de vocabulaire, à camper des personnages (des portraits savoureux : Mignon, Zoé ...), des atmosphères (le chapitre où tous se retrouvent à la Mignotte). Les dialogues sont enlevés, drôles : il y a là tout le matériel pour un film, sans grand travail !
La psychologie de certains personnages est particulièrement bien vue : par exemple celle de Muffat, son enfance, son éducation, sa position sociale laissent pressentir qu'il sera la proie idéale et la description de sa déchéance (le chapitre 7 le confirme). Le pouvoir de l'argent et la misère sociale entraînent une malheureuse histoire à répétitions …
Mes réserves :
- des longueurs ennuyeuses (descriptions théâtre et champ de courses par exemple)
- peu de possibilité de projection sur les personnages mis en scène : je suis restée en spectatrice, pas d'émotion !
Marie Odile
J'ai retrouvé Nana conforme au souvenir que j'avais gardé d'une lointaine première lecture. A l'époque, j'avais été marquée par le personnage de Muffat à quatre pattes (au propre et au figuré) devant Nana.
Cette fois, le roman m'a semblé plutôt ennuyeux tant qu'on reste dans le quotidien de Nana. Comme elle, j'ai trouvé plus d'intérêt aux chapitres qui permettent au personnage et au lecteur de changer d'air : l'escapade à la campagne, le dimanche à Longchamp. Là, la description de l'univers des courses, le suspens, le triomphe de Nana, tout retient l'attention.
Pour ma part, j'aime Zola quand il est dans la démesure, l'exagération, qu'il s'agisse de l'apothéose ou la déchéance de son personnage. Le portrait de Nana tend de plus en plus vers la monstruosité, la destruction, l'avilissement, l'immoralité, le mépris des hommes et de l'argent...
J'aurais aimé plus de retours en arrière sur l'origine de Nana, fille de Gervaise et Coupeau. Il est cependant dit que toute sa vie est "sa revanche, une rancune inconsciente de famille léguée avec le sang" et son absence totale de scrupules s'appuie sur le fait qu'"elle avait vengé son monde, les gueux et les abandonnés".
Les personnages secondaires ne sont jamais négligés, comme Mme Jules l'habilleuse qui "portait une éternelle robe noire déteinte, et sur son corsage plat et sans sexe, une forêt d'épingles étaient piquées à la place du cœur". J'aime aussi chez Zola, cette perfection du détail qu'il s'agisse de vêtements, d'objets, de bruits, de lumières, d'atmosphère ou de "ce gros chat rouge" qu'on croise régulièrement.
J'ouvre aux ¾ ce roman (qui n'est pas mon Zola préféré).
Édith
Je me suis plongée dans le livre avec plaisir : je n'avais jamais lu en entier un roman de Zola (familiarité de l'homme mais pas vraiment de son écriture).
Les pages de début, avec l'installation des personnages et du théâtre dans le récit de l'action, m'ont semblé fastidieuses et malaisées en lecture à haute voix : je m'y suis risquée, mais sans plaisir d'écoute, malgré la doc sur ce lieu et les coutumes avec les nombreux renvois en bas de pages ; parfois j'ai été gênée par la profusion des détails (théâtre et champ de course), mais la documentation réunie par Zola montre son effort pour traduire au plus juste l'époque et la situation. De ce fait, c'est bon documentaire. Toutefois cela ralentit pour moi le plaisir du texte... Et je n'aime pas trop ces bas de pages dans les romans.
Je me suis parfois identifiée à Nana, mais par la négative : à savoir en éprouvant de la gêne sinon de la honte face à sa cruauté avec ses "bienfaiteurs". Féministe, Nana ? En quelque sorte, dans sa volonté d'être indépendante et dans sa relation aux "obligations" de la société. Mais elle est méprisante, parfois sinon le plus souvent, envers les hommes ; et - paradoxe - elle semble "aimer" l'homme qui la violente : alors quoi dire de son positionnement véritable ? Elle est la fille de Gervaise (mais je n'ai pas lu le roman précédent) : il y a une revanche sur la société et la misère sociale.
La société fin de siècle est peu différente de l'actuelle dans la cruauté des rapports humains, avec une misère sociale et un désir de s'en sortir (pour les femmes par le charme ?), avec un arrivisme, une hypocrisie et une solitude extrême, avec le désarroi des hommes face à certaines femmes "mangeuses d'homme", avec la force de l'argent, le désir d'exclusivité et tous les jeux que cela provoquent : toujours plus, avec la destruction. La fin est "morale", par la laideur de la mort et un profond isolement : elle est contagieuse et défigurée.
J'ai aimé la solidarité cocasse de Satin avec Nana, son "amour" par intermittence avec Louiset, le bâtard cher à cette époque et le rôle de la nourrice. On ne sort jamais vraiment de son milieu, ou pas tout à fait. Et l'ennui de Nana dans le faste : toujours plus, exigent ses caprices. Et l'extravagance des situations (repas et fêtes extrêmement bien évoquées, on les voit...). Cela donne envie de poursuivre la "série".

Pour visiter
virtuellement l'exposition du Musée d'Orsay "Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910" : cliquez pour visiter en partie les 17 salles
1. Images de la prostitution
2. Ambiguïté. Espaces publics, filles publiques
3. Ambiguïté. Paris, capitale des plaisirs
4. Ambiguïté. "L'heure du gaz"
5. Ambiguïté. L'envers du décor
6. Maisons closes. De l'attente à la séduction
7. Maisons closes. Images interdites
8. Maisons closes. Scènes de genre
9. Maisons closes. Scènes d'intimité
10. La prostitution dans l'ordre moral et social. Réglementarisme versus abolitionnisme
11. L'aristocratie du vice. Les grandes horizontales
12. L'aristocratie du vice. Monde et demi-monde
13. Imaginaire de la prostitution. Fantasmes et allégories
14. Prostitution et modernité. Le spectacle de la prostitution
15. Prostitution et modernité. L'atelier, théâtre des fantasmes et obsessions
16. Prostitution et modernité. Plaisirs d'amateurs
17. Prostitution et modernité. Une débauche de formes et de couleurs

Pour écouter
A la radio : Guillaume Gallienne présente dans “Ça peut pas faire de mal” la saga des Rougon-Macquart : ici
Écoute audio du roman :

NANA au cinéma
- 1912 : Nana, de Knud Lumbye (Danemark)
- 1914 : Nana, de Camillo de Riso (Italie)
- 1926 : Nana, de Jean Renoir– Extrait du film :
- 1934 : The Lady of the Boulevards, de Dorothy Arzner (États-Unis) – Extrait du film :
- 1944 : Nana, de Celestino Gorostiza, Roberto Gavaldon (Mexique)
- 1955 : Nana, de Christian-Jaque avec Martine Carol et Charles Boyer – Extrait du film :
- 1970 : Nana : poupée d'amour, de Mac Ahlberg (Suède)
- 1981 : Nana, de Maurice Cazeneuve, feuilleton en six épisodes réalisé pour la télévision – Extrait du film : ici et
- 1982 : Nana : le désir, de Dan Wolman (Italie) – Extrait du film : ici
- 1985 : Nana, de Rafael Baledon (Mexique)
- 2001 : Nana Copeau, dite Nana, d'Édouard Molinaro, feuilleton en deux parties, avec Lou Doillon dans le rôle titre

* Pour des détails croustillants sur les écrits de Zola et l'argent, voir l'article très documenté, sur Nana compris, "Zola, écrivain-homme d'affaires", de Colette Becker, Revue d'histoire littéraire de la France, n° 4, 2007.

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout



Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens