Quatrième de couverture :
Il est le frère de lArabe tué par un certain
Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre
roman du XXe siècle. Soixante-dix ans après les faits, Haroun,
qui depuis lenfance a vécu dans lombre et le souvenir
de labsent, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans
lanonymat : il redonne un nom et une histoire à Moussa, mort
par hasard sur une plage trop ensoleillée.
Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. Soir après
soir, dans un bar dOran, il rumine sa solitude, sa colère
contre les hommes qui ont tant besoin dun dieu, son désarroi
face à un pays qui la déçu. Étranger
parmi les siens, il voudrait mourir enfin
Hommage en forme de contrepoint rendu à LÉtranger
dAlbert Camus, Meursault, contre-enquête joue vertigineusement
des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de lidentité.
En appliquant cette réflexion à lAlgérie contemporaine,
Kamel Daoud, connu pour ses articles polémiques, choisit cette
fois la littérature pour traduire la complexité des héritages
qui conditionnent le présent.
Une
petite revue de presse (1 page) :
ICI
Quatrième de couverture : Quand la
sonnerie a encore retenti, que la porte du box s'est ouverte, c'est le
silence de la salle qui est monté vers moi, le silence, et cette
singulière sensation que j'ai eue lorsque j'ai constaté
que le jeune journaliste avait détourné les yeux. Je n'ai
pas regardé du côté de Marie. Je n'en ai pas eu le
temps parce que le président m'a dit dans une forme bizarre que
j'aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du
peuple français...
L'Étranger est le premier roman d'Albert Camus (1913-1960),
prix Nobel de littérature.
Pour feuilleter cette BD, cliquez ICI
Les deux premiers titres parus de Camus sont La Peste
et en 1959 L'Étranger, seuls textes parus de son vivant.
La couverture ci-dessus de L'Étranger est du peintre Lucien
Fontanarosa, le graphisme de Massin
(voir le site consacré à Camus : webcamus.free.fr)
Le décor de Meursaults
mis en scène par Philippe Berling au Festival d'Avignon 2015 :
Les acteurs :
Ahmed Benaïssa (Haroun) et la chanteuse Anna Andreotti (M'ma)
Quelques-unes des photos d'Oran sur
les traces de Kamel Daoud par le photographe Ferhat
Bouda :
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Kamel Daoud
Meursault, contre-enquête
avec en regard : L'Étranger
d'Albert Camus
Le groupe parisien a lu
ce livre le 6 novembre 2015 après les groupes bretons qui l'avaient
lu en octobre.
Séverine (avis transmis)
Je ne pourrai être ce soir avec vous. J'ai relu L'Étranger
de Camus, que je n'avais pas étudié à l'école
mais lu tout de même dans ma prime jeunesse. J'ai aimé ce
personnage de Meursault qui semble étranger à lui même,
toujours à côté, qui ne fait pas ce qu'il devrait
faire. Et ce soleil ! La faute de tout et qu'on sent tellement chaud,
présent. Je dois dire que j'ai préféré la
première partie à la seconde. En tout cas, il me paraissait
bien de relire ce roman avant de s'attaquer au livre qui nous importe
ce soir. Je dois dire que je me suis arrêtée à mi-parcours.
Ma lecture a été chaotique et ne m'a pas permis de me plonger
sérieusement dans ce livre qui m'a fait penser à Claire
et à la fameuse problématique : de quoi parle-t-on
? Du livre ou de ce qu'il y a autour ? Car, là, j'ai le sentiment
que l'auteur mêle petite et grande histoire : la petite histoire,
celle du livre de Camus et la grande histoire, celle qu'il y a eu autour
du livre (son succès). J'ai l'impression qu'il met plutôt
en cause le livre de Camus que l'histoire du livre. Du peu que j'ai lu
de ce roman, j'y vois un réquisitoire (d'où cette impression
de texte sans respiration, dit d'un seul tenant et peut-être donc
"essoufflant"), et de la colère. Je ne suis pas sûre
de finir le livre car j'ai eu du mal à me l'approprier. Donc je
ne peux l'ouvrir plus qu'à moitié. Mais je vais lire vos
avis (qui me permettront peut-être de connaître la suite et
de voir si j'ai raté quelque chose).
Nathalie (avis transmis)
Ma lecture de L'Étranger devait remonter à mon adolescence.
Je ne m'en souvenais absolument pas et gardais en mémoire un simple
résumé du roman assorti de quelques bribes de lectures de
bac. J'étais donc enthousiaste à l'idée de lire ce
roman. Je ne sais pas si le procédé a souvent été
utilisé dans la littérature mais je trouvais géniale
l'idée de rendre justice à celui dont jamais le nom n'avait
été prononcé dans le roman de Camus. Les premières
pages m'ont confortée dans l'idée que j'allais passer un
bon moment et, séduite par le parti-pris du décalage, je
me suis installée dans la lecture sans trop de difficultés.
C'était plutôt enlevé et drôle.
Mais assez vite, j'ai trouvé que le roman tournait en rond et devenait
répétitif. J'ai dû me pincer plusieurs fois pour ne
pas m'endormir. Même si certaines remarques me touchent comme par
exemple p. 83 "En amour, en amitié, ou même dans
un train, un autre, assis en face de vous et qui vous fixe, ou vous tourne
le dos et creuse les perspectives de votre solitude" et que je
trouve son écriture plutôt poétique, le projet m'a
semblé vite tourner court. Nous n'apprenons rien sur le frère
qui pourrait rendre à ce dernier dignité et humanité.
En fait, à aucun moment du roman je n'ai "vu" ce frère
prendre forme. La construction du roman m'a paru molle, sans véritable
ligne directrice. Les personnages féminins réduits sans
épaisseur, et peu crédibles. J'ai également ressenti
comme une sorte de venin désagréable qui m'a dérangée.
Le goût amer de la revanche, un rapport aux hommes et aux femmes
plutôt acide et sans humanité. Une volonté de vengeance
il pour il, dent pour dent. J'ai eu du mal à comprendre
son succès alors que j'aime lire des écrivains arabes comme
Mahi
Binébine (Le seigneur vous le rendra). Daoud se concentre
sur la plainte du narrateur, son rapport au monde, à son Dieu,
à son peuple auquel il ne réussit pas non plus à
rendre hommage. Ainsi p. 75, évoque-t-il sa haine envers "les
nouvelles générations, toujours plus nombreuses, repousser
les anciennes vers le bord de la falaise". Le pire pour moi,
c'est quand, une fois le roman fini, j'ai décidé de me plonger
dans L'Étranger et que j'ai été littéralement
emportée par la lecture et fascinée par l'efficacité
de l'écriture de Camus. Bref, j'ai été très
déçue et sans regret, je ferme le livre.
Denis (avis transmis)
Je trouvais excellent l'argument du livre, cet Arabe mort sans qu'il ait
même un nom, et j'avais donc un a priori favorable. Mais j'ai été
très déçu, n'arrivant pas du tout à accrocher
avec le mode narratif adopté. La conversation de bistrot me paraît
très artificielle, et je me suis franchement ennuyé dans
les premiers chapitres. Puis j'ai survolé pour connaître
la suite, mais cette forme d'écriture ne se laisse pas facilement
saisir. J'ai essayé plus méthodiquement, en reprenant chapitre
par chapitre pour voir s'il y avait une évolution au fil du texte,
mais je me suis découragé devant le fouillis et les répétitions.
En revanche, j'ai trouvé bien écrite et agréable
lire la chronique
hebdomadaire dont Claire nous avait envoyé la référence,
celle où il parle de la fatwa et du sinistre charlatan qui se croit
tout permis. Je lirai avec intérêt le compte rendu des débats.
Claire-Lise (avis transmis)
J'ai hâte de lire les avis des uns et des autres. Pour ma part,
après un démarrage un peu difficile (j'ai du relire L'Étranger,
ensuite, tout est allé mieux), j'ai beaucoup aimé Meursault,
contre-enquête. Tout en rendant un bel hommage à Camus,
l'auteur livre une uvre tout à fait originale qui arrive
à habilement s'appuyer sur le thème de L'Étranger
pour livrer une pensée sur l'histoire de l'Algérie, pour
faire un retour sur les espoirs - les illusions engendrées -
par l'indépendance. Il y a de nombreux niveaux de lecture, je ne
suis pas sûre de les avoir tous décryptés. De nombreux
clins d'il à L'Étranger, l'incipit en est un
parmi d'autres, tout comme la phrase finale. J'aime la construction en
spirale - des indices sont lâchés en cours de roman,
sur des personnages ou des événements qui seront développés
plus loin. Il y a une montée en puissance et en tension qui culmine
à la fin du roman quand il reprend de façon magistrale le
dialogue de Meursault avec le prêtre. Son style n'est pas celui
de l'écriture blanche comme Camus dans L'Étranger,
plutôt celui d'un monologue. Ce procédé lui permet
de rester aussi à distance de l'événement, notamment
quand il relate la scène du meurtre du français. Un très
beau livre dont je n'ai pas encore épuisé toutes les richesses
ni toutes les subtilités.
Manon
J'ai commencé par L'Étranger, que j'ai lu dans l'édition
de poche sortie quand l'Algérie était française.
Le livre de Daoud rappelle
cette image :
Je ne me souvenais pas du tout de la partie dans la prison, pour moi,
ça s'arrêtait au procès. J'ai adoré !
On apprend très peu sur le personnage, mais en prison, il se dévoile,
il craque la nuit et face au prêtre il n'a plus de complaisance
envers lui-même. J'ai adoré aussi le miroir qu'est Meursault
qui se met face à l'imam dans un écho au discours au prêtre.
C'est ce côté que j'aime : il invective l'Algérie.
Mais le frère, on ne le connait pas, Haroun ne le connaît
pas : Daoud pour moi ne va pas au bout de son projet. A part ça,
il y a des phrases bien tournées, mais ça manque d'épaisseur.
Fanny
J'ai lu les deux livres l'un après l'autre, en commençant
par L'Étranger. Haroun est assez proche de Meursault :
il est aussi en décalage par rapport à lui-même et
ne répond pas aux codes sociaux. Le parallèle est frappant
quand il tue le Français et qu'on lui demande où il se situe,
pourquoi il n'a pas pris les armes pour son pays. Quant au procédé,
avec l'interlocuteur dans le bar, il m'a fortement fait penser à
La Chute....
Claire (vantant sa marchandise)
... qui se passe dans un bar d'Amsterdam, c'est pourquoi j'ai apporté
du fromage acheté à Amsterdam...
Fanny
... la confession dans La Chute est d'un autre type, et il y a
ici le rapport très fort de l'auteur à l'Algérie,
à la religion. Le livre contient beaucoup, ce qui donne l'envie
de le relire, mais en craignant qu'apparaisse un côté fourre-tout
- je me demande même à quel point ce n'est pas un exercice
de style, c'est pourquoi je ne l'ouvre pas complètement.
Rozenn
J'ai refusé de relire L'Étranger que j'avais lu il
y a... ans et que j'avais détesté, je me souviens d'un grand
malaise concernant la façon dont sont évoqués les
Arabes. Pour moi, c'est une double revanche que ce livre, lu d'abord avec
beaucoup de plaisir. Puis je me suis aperçue que je l'avais oublié
je l'ai relu. Je trouve ça bien qu'on ne découvre pas Moussa,
et qu'il soit en creux. Haroun, je suis d'accord, ressemble à Meursault.
Daoud essaie de "bien écrire" : si c'était
vraiment réussi, on ne s'arrêterait pas pendant la (re)lecture.
Quant à ce qu'il dit sur l'Algérie, c'est très fort,
précieux, courageux. Il faut qu'on lise 2084
de Boualem Sansal ! J'admire ces auteurs. J'ouvre en grand !
Jacqueline
Contrairement à Rozenn, j'ai relu L'Étranger et j'étais
très contente car je n'en avais pas un souvenir extra et finalement
j'ai cru comprendre quelque chose : c'est un réquisitoire
contre la peine de mort. Je ne sais pas si la peine de mort existe en
Algérie, mais si c'est le cas...
Monique (à l'aide de son smarphone)
... oui, elle existe.
Jacqueline
Dans le livre de Daoud, la situation parallèle, c'est très
fort. Oui, les deux personnages sont semblables. Ça ne m'a pas
gênée qu'il ne parle pas davantage de son frère, ce
n'est pas le but. Mais quel est le but ?... J'ai bien aimé
les petits clins d'il en confondant Camus et Meursault, et l'allusion
à Caligula. Je crois que je l'ai lu trop vite. Je l'ouvre aux ¾
et L'Étranger en entier.
Liz (qui est Australienne)
Je l'ai lu avec le livre de
Ferrari quand je suis allée en Algérie il y a plusieurs
mois, j'ai beaucoup oublié et je n'ai pas lu L'Étranger.
Plusieurs
Enfin quelqu'un qui ne l'a pas lu ! Alors ?
Liz
J'ai imaginé les parallèles, les histoires discrètes
dans le livre. Les différentes étapes, c'est lent, c'est
lourd, c'est difficile, c'est haché. Il n'y a pas d'espérance
pour cet homme, avec les influences de la tristesse d'avoir raté
son père, son frère, et l'environnement pauvre. Ce n'est
pas léger. J'ai regardé sur Google ce qu'était l'histoire
de L'Étranger et j'imagine que son histoire justifie les
histoires de Meursault, dans l'histoire algérienne.
Richard entreet
Je suis d'accord avec ce qui a été dit jusqu'à présent.
J'ai lu L'Étranger et je me suis dit : que va m'apporter
Meursault, contre-enquête ? C'est un épilogue
à l'histoire de Camus. Il n'a pas développé l'idée
originale de parler de Moussa. Il parle de l'Algérie. Je suis très
déçu. Il y a Camus partout dans le livre. Si je faisais
une thèse, ça pourrait être l'importance du soleil
dans les deux livres (bon, elle serait courte). Je suis cynique, l'idée
de départ avec le parallèle est ... clever,
mais sauf le rôle de la mère qui serait quelque chose d'intéressant,
le livre est loin derrière L'Étranger.
Annick L
Je voulais le relire. Le livre de Daoud m'a beaucoup plu. Je l'ai offert.
Je regrette de n'avoir pas eu le temps de le relire. J'ai été
séduite par sa langue, la violence, la puissance, le lyrisme. Je
l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Je pensais trouver l'histoire de Moussa,
mais j'ai été très touchée par ce qu'il dit
de l'Algérie. C'est un livre très intéressant, mais
il est vrai que le contenu l'emporte. De plus, par moments, c'est trop,
ce ressassement, c'est un parti-pris certes, mais en tant que lectrice,
par moments j'en avais marre. J'ai juste relu le début de L'Étranger :
c'est magnifique, la concision, la précision, c'est très
épuré. Ce qui m'a frappée, c'est que le contrepoids
fonctionne aussi au niveau de l'écriture. Je trouve ça très
innovant, ce n'est pas un livre ordinaire, c'est audacieux.
Monique L
J'ai beaucoup aimé ce livre, après avoir relu Camus, j'ai
cru à qu'il a construit. J'ai aimé son écriture brillante,
convaincante, tout en sentant l'exercice de style. J'ai gardé cependant
une distance. La contre-enquête est un prétexte, mais ça
ne m'a pas gênée. Le côté amertume, colère,
c'est intéressant. Le parti-pris avec le discours dans le bar ne
m'a pas choquée. Le parallèle entre les deux livres va en
faire un livre pour les profs qui vont sûrement mener cette analyse.
Claire (agitant bêtement un article)
C'est déjà fait ! Meursault est écrit
avec des contraintes oulipiennes ! Par exemple, son roman a exactement
le même nombre de signes que L'Étranger.
Annick
Qui est l'auteur ?
Claire
Christiane
Chaulet Achour, une prof d'université, à Cergy-Pontoise.
Elle est née en Algérie, spécialiste de la littérature
des anciennes colonies. Ce qui est intéressant c'est qu'elle montre
que le dialogue avec Camus parcourt la littérature algérienne,
par exemple, ce dont je ne me souviens pas, Nedjma de Kateb Yacine
que nous avions lu dans le groupe il y a longtemps.
Rozenn, Annick
Tu nous le passes ?
(L'article : ICI)
Claire
Je l'ai lu l'été dernier parce que le texte était
adapté au Festival d'Avignon où j'allais. J'ai commencé
par L'Étranger que j'ai adoré (oubliant tout, je
ne sais pas si je l'avais lu avant) ; un peu naïvement, je me suis
dit mais la fin n'est pas vraisemblable, il va être exécuté,
alors comment il peut avoir écrit ce livre ?... A la lecture
de Meursault, l'élan a été moindre, pour deux
raisons surtout : l'artifice de l'interlocuteur au café et
l'impression négative que le livre n'est pas assez resserré.
J'ai apprécié le jeu entre réalité et fiction,
narrateur et auteur (du coup l'invraisemblance de L'Étranger
saute (il est finalement sorti de prison et a donc pu écrire le
livre...). L'aspect documentaire sur l'Algérie m'a intéressant
et comme vous j'ai ressenti du respect pour le courage politique (alcool,
voile, athéisme, couple, femme), du respect pour une certaine ambition
consistant à écrire un livre en fonction d'un autre livre
(L'Étranger n'est mentionné que sur la 4e de couverture).
J'ai vu la pièce (c'est une forme de lecture que l'adaptation théâtrale)
intitulée Meursaults
avec un s car Kamel Daoud a dit "en Algérie
on est trente-huit millions de Meursaults" : toute la pièce
le fils et la mère sont seuls sur scène dans la cour de
la maison (pas de café) ; la mère sauf à la
fin ne parle pas, mais chante (des mélopées un peu pénibles).
4 mois après, je l'ai relu et j'ai eu du mal, j'ai sauté
des pages, l'artifice de l'interlocuteur et encore plus du fantôme
dans le café qui semble l'espionner étant encore plus net
puisque je savais qu'il ne se passerait rien. Ayant entendu entretemps
Daoud parler de son écriture, j'y ai été plus attentive.
A la relecture, ce qui me semblait à resserrer car répétitif
m'a semblé relever d'une composition en spirale et donc plus positif.
Je ne savais rien de l'auteur quand je l'ai lu et bien davantage quand
je l'ai relu avec le parasitage que ça crée par rapport
au texte, mais avec une vue peut-être plus juste des enjeux. Sur
le rapport au livre L'Étranger qui suscite à répétition
dans le livre de l'admiration, j'ai trouvé l'interprétation
particulièrement traître du meurtre par "un Français
ne sachant quoi faire de sa journée" ; il omet dans tous
ses commentaires l'étrangeté à soi du personnage.
Toujours à la relecture et pour aller dans le sens de Richard qui
disait que le thème de la relation mère-fils aurait pu être
une piste intéressante, j'ai trouvé ce thème constant
dans le livre, puisque, soumis en tout, dans le fond il tue pour sa
mère, et psychologiquement j'en suis venue à trouver invraisemblable
qu'un tel personnage faible ait par ailleurs un tel courage social et
politique, est-ce que ça tient bien debout, tout ça pour
faire passer les convictions de l'auteur (et non du narrateur...) ?
Enfin, je trouve l'histoire du livre, d'où il vient (d'une chronique
d'une page) et ce qui se passe autour (dont son succès) passionnant.
Françoise
A moi ! Mais vous avez tout dit.
Claire
Ben on sait pas dans quel camp tu es.
Françoise
J'ai d'abord acheté ce livre en soutien à l'auteur. Parce
qu'il avait une fatwa. Je l'ai d'abord lu sans avoir lu L'Étranger,
on rate plein de choses, c'est pourquoi j'ai insisté quand on l'a
programmé, pour qu'on le lise en regard. Puis j'ai lu L'Étranger.
Je trouve le projet gonflé, très intéressant, je
ne connais pas d'équivalent. Daoud est bien dans son projet, car
beaucoup de choses ont des résonances dans cette influence de Camus,
ce monument, sur lui. Ce qui m'a frappée, c'est qu'il n'y a aucune
distance sur son personnage, avec une confusion auteur/narrateur, y compris
quand Daoud parle.
Claire
Dans l'édition algérienne de Meursault, contre-enquête,
celle de 2013, le livre qu'il lit s'appelle L'Étranger.
Dans l'édition française de 2014 que nous avons lue, le
livre s'intitule L'Autre. Albert Meursault, l'auteur de L'Étranger
dans l'édition algérienne, devient, dans l'édition
française, simplement "Meursault" : l'assassin de
Moussa n'est plus l'auteur du livre, c'est le narrateur.
Jacqueline
Quoi !?
Françoise
J'ai beaucoup aimé son écriture et tout ce qui motive son
projet : la violence, l'énergie. C'est pareil quand on l'entend,
il est percutant. Cela ne m'a pas gênée comme toi Manon,
qu'il ne parle pas de Moussa, pour moi ce n'est pas son propos. Est-ce
qu'il dit ça d'ailleurs ?
Annick
Oui ! Précisément !
Françoise
Il s'identifie à Meursault. Dans Camus, il n'est jamais question
des Arabes.
Jacqueline
Dans ce livre-là, L'Étranger.
Françoise
Oui, je parle de L'Étranger. Effectivement Haroun/Daoud
s'identifie à Meursault/Camus, dans une balance. A qui il s'adresse ?
C'est un peu ça qui m'a gênée. Mais l'auteur est courageux.
Boualem Sansal aussi. Ils se mettent en danger.
Fanny
A propos du deuxième personnage dans le café, il est en
fait sourd-muet, donc sa parole sur son frère qu'Haroun veut faire
exister est perdue.
Claire
A propos de l'écriture, je ne suis pas d'accord avec toi Annick
quand tu dis qu'il est lyrique. Il dit dans l'émission de Laure
Adler qu'il est "conservateur" pour ce qui est de
l'écriture, qu'il aime "le beau style", qu'il définit
par l'exactitude, l'absence de bavardage. A Laure Adler qui lui dit que
ses livres sont serrés, comme des cafés serrés, il
dit que c'est peut-être une déformation, du fait qu'il est
chroniqueur, il "aime bien que l'idée soit ramassée
comme un tir à l'arc" : ça c'est joli !
Il aime "que le mot soit exact, la métaphore vive et la
formule frappante". Franchement, ce n'est pas là qu'il
est le meilleur : "les Françaises, dans leur robes
courtes et fleuries, avaient des seins que mordait le soleil",
"je n'aime pas me baigner, l'eau me dévore trop vite",
"le soleil était écrasant comme une accusation céleste" :
ouh la la ! Dans Tire
ta langue, il dit "je suis amoureux de la langue économe,
je rêve d'une écriture qui soit sobre qui soit ramenée
à l'essentiel. Pourquoi ? Parce que pour garder l'équilibre
entre cette beauté du style et entre le sens qui se reconstruit.
Si on fait dans l'excès de la forme, ça donnera la littérature
qui est très belle mais qui sonne creux, mais si on fait dans l'excès
du sens, ça donnera de l'absurdité. J'aime bien qu'il y
ait l'équilibre entre le sens et le son."
(Nous regardons alors les photos de Ferhat Bouda
sur les traces de Kamel
Daoud à Oran,
avec des commentaires sur chaque photo de Kamel Daoud. Merci à
Marie-Thé de Bretagne d'avoir signalé ce beau reportage
paru dans Le Nouvel Obs du 23 juillet
2015 : pour voir les photos, cliquez ICI).
Serge (d'Avignon)
J'ai fini de le lire, après avoir assisté, la veille, à
la pièce Meursaults
de Philippe Berling. J'ai trouvé le livre bien supérieur,
avec plus de nuances, de nostalgies et d'amour. L'idée de prendre
un personnage silhouette d'un best-seller mondialement connu, de lui donner
vie et identité, d'en faire le héros d'une toute autre uvre
m'a captivée par son originalité et sa singularité.
Ici, c'est Moussa, le petit-frère de L'Étranger.
Grace à lui, l'action avance tel un carrelage en damiers donnant
accès à une plage de sable. Oui, captivant.
Renée (de Narbonne)
Je l'ai lu il y a 9 mois, je relis mes notes gribouillées. A priori,
le propos est intéressant : donner un nom à "l'Arabe"
de L'Étranger. Camus ne pouvait pas lui donner un nom puisque
Meursault est, par nature, étranger à lui même, donc
aux autres : il vit dans une bulle d'incommunicabilité, une légère
forme d'autisme. C'est pour cela qu'il ne pleure pas à la mort
de sa mère, qu'il rate complétement sa relation amoureuse,
qu'il tue l'arabe sans raison et sans regrets.
Le livre de Kamel Daoud est bien écrit. Le fait qu'il ait le même
nombre de signes que L'Étranger est anecdotique. En revanche
le rapport avec la langue française passant de "butin de guerre"
à "bien vacant" est émouvant. Je n'ai pas compris
ce que faisait M. Larquais dans la grange du conteur ? Il fallait
un crime ?????????? Il fallait dire que tuer un Français avant
le 5 juillet faisait de lui un héros de la résistance et
le lendemain un assassin ? Ce passage m'a déçue.
Le meilleur du livre me semble la critique de l'Algérie actuelle.
Les Français avaient laissé un vignoble magnifique et comme
le vin est impur, les ouvriers refusent de le travailler et on a arraché
les vignes. Du coup, il place son héros dans un bar, et il boit.
Il critique aussi l'oisiveté du peuple. Au lieu d'avancer vers
l'avenir, les habitants discutent pour savoir QUI est arrivé le
premier à CET endroit. Les premiers arrivés traitent-ils
les autres d'"étrangers" ? Comme dans nos villages
où celui qui habite le hameau distant de 5 km est "un étranger"
(anecdote qui n'a rien avoir avec Camus). Le plus grand mérite
de ce livre est certainement de faire lire Camus aux jeunes. La critique
l'a trop encensé pour que nous ne soyons pas un peu déçus
à la lecture
15 AVIS des deux groupes bretons "VOIX AU
CHAPITRE Morbihan" réuni le 9 octobre 2015 et
"VOIX AU CHAPITRE Pontivy" réuni le 14 octobre (Claude,
Mone, Marie Thé, Lona, Chantal, Marie Odile, Laurence, Claire,
Stéphanie, Christophe, Françoise, Nancy, Édith, Nicole,
Lil)
4 lecteurs "ouvrent en entier", 7 aux ¾,
1 entre entier et ¾, 1 entre ¾ et ½, 2
à ½ :
Ont été remarqués :
- la puissance des images et les descriptions évocatrices
- le pouvoir de la langue et des mots
- les regards croisés (colons-algériens, algériens-colons)
- lAlgérie daujourdhui : quest devenue
la liberté ?
- le discours sur les femmes, la place du religieux
- le personnage écrasant de la mère
- la difficulté à être, labsurde, la solitude,
tous thèmes émouvants et forts.
Les restrictions :
- lemploi du "tu"
- un héros dépossédé
- les difficultés à saisir demblée les nombreuses
nuances ; le livre demanderait une relecture.
Chantal
Petite réserve car juste auparavant j'ai lu ses nouvelles Préface
du nègre et son style me paraissait plus "authentique"
que dans ce roman, où, par endroits, voulant jouer avec Camus,
il perd un peu son souffle propre.
Mais c'est un très bon livre ; il m'a fait revisiter L'étranger
lu il y a bien longtemps, éveillant en moi un sentiment presque
de honte en réalisant qu'à l'époque (ado) de cette
lecture je n'avais pas "vu" l'Arabe, n'ayant d'yeux que pour
Meursault ! Daoud m'a réveillée, me montrant la famille
de Moussa, l'arabe enfin nommé ! Son frère, sa mère,
leur douleur, douleur de ce peuple ignoré, exploité, méprisé
par les colons. J'ai aimé :
- la construction du livre ; à chaque chapitre, le vieil Haroun
répondant à un jeune universitaire dans un bar, devant un
verre de vin, simpliste peut-être, mais permettant à Daoud
de dénoncer cette Algérie actuelle refusant le vin non conforme
à l'islam !
- l'habileté tout au long du livre à jouer avec l'ambiguïté :
existence/non existence de Moussa, de Meursault ? Est-ce Meursault
dont il parle à tel endroit ou est-ce de Camus ?
- le parallèle avec le roman de Camus, qui ne m'a jamais semblé
lourd, même s'il se poursuit tout le long du livre
- l'emploi des mêmes figures de style : "aujourd'hui
M'ma est toujours vivante" ou des tournures de phrases "j'y
vais tous les 3 mois pour m'assoupir et regarder ma mère pendant
une heure ou deux. Après il ne se passe rien.", etc.
- l'admiration de l'auteur pour l'écriture de Camus ; ce livre
est un hommage à la langue française, à la langue
de Camus : "cette langue parfaite qui donne à l'air
des angles de diamant"
- la relation amour-haine entre le fils et la mère : la toute
puissance de la mère (l'Algérie ?) qui asservit son
fils (le peuple ?)
- l'absurdité des deux crimes, du jugement du premier, du non jugement
du deuxième
- les descriptions sont remarquables de précisions, de détails :
on "voit" la mère tirant le gamin dans les rues d'Alger,
on voit Haroun sur son balcon regardant les gens se rendant à la
mosquée.
J'ai été bouleversée par la fin du roman et la question
centrale de la religion qu'il reprend avec Meursault : la religion,
Dieu est une question et doit le rester, la seule certitude réside
dans cette vie ; les deux héros le crient, les deux auteurs,
revendiquant leur liberté. Et pour Daoud, c'est le désespoir
qui suinte de ses cris :"j'ai vraiment l'impression de me trouver
dans ce minaret et de les entendre, là, à vouloir casser
la porte... hurlant à mort pour ma mort". Quel courage !
C'est un livre de liberté et de courage.
Lil
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre, si dense qu'il me faudrait
certainement une ou deux lectures supplémentaires pour l'appréhender
totalement.
Rendre hommage à Camus, en utilisant ce dessein pour parler de
soi-même, des hommes en général, de l'absurde et dresser
un portrait de l'Algérie avant et après l'indépendance,
est ici, pour moi, preuve de grand talent.
Ce que K. Daoud dit de la langue et du français en particulier,
langue de la liberté : "il me fallait apprendre
une autre langue pour survivre", "l'arabe est piégé
par le sacré et les idéologies dominantes", son
écriture superbe, le pouvoir des livres et des mots dont il parle
longuement, m'ont vraiment touchée. Ce fut un grand plaisir de
lecture en même temps que de nombreuses pistes de réflexion
ouvertes sur :
- l'identité : nommer un homme=le rendre visible, le faire
exister
- l'absurde de la vie, de la mort ("que de morts gratuites, comment
prendre la vie au sérieux"), les deux procès ridicules
de Meursault et d'Haroun
- la solitude de l'homme qui naît seul et meurt seul
- l'Algérie avant l'indépendance (les Algériens attendent)
et après (les Algériens tournent en rond), les regards croisés
des Roumis et des Indigènes, la critique du régime :
la morale de la rue abandonnée aux Islamistes radicaux
- la place du religieux dans toute société
- la culpabilité, la vengeance
- la condition des femmes (le beau personnage de Meriem)
- les conditionnements imposés par une société :
la mère de Moussa utilise la pression sociale pour tirer bénéfice
de son deuil et de son statut de victime. Elle devient "mère
de martyr", n'hésite pas à sacrifier son second fils.
"Mon corps devint la trace du mort", "Tuer Moussa
pour me débarrasser de son cadavre", dit Haroun dont la
mère armera le bras pour tuer Joseph.
L'effet miroir de cette longue méditation avec L'Étranger
(que j'ai relu en BD) et la confusion calculée entre l'auteur,
le narrateur, Meursault et Camus, ont piqué ma curiosité
et m'ont incitée à relire Camus en passant, une nouvelle
fois, chez K. Daoud, de l'autre côté du miroir.
Lona
J'ai un peu tiqué sur le titre ! La page de première de
couverture est magnifique : un jaune éclatant de lumière,
des pas sur le sable d'une plage, un homme marchant droit devant lui,
d'un pas déterminé ; pour aller où ?
L'écriture est simple, facile à lire. L'auteur s'adresse
directement au lecteur ou/et à l'enquêteur, en le tutoyant
- le "vouvoiement" n'existant pas en arabe. Il parle à
la première personne, souvent à la place du mort,
pour continuer ses phrases. Les fins de chapitres sont comme des invitations
: une invitation à l'ami, à se revoir le lendemain, à
continuer la narration, à l'aveu.
Le choix de la langue pour l'écriture semble déterminant
pour l'auteur : il apprend seul le français et écrit en
français. Pourtant en Algérie postcoloniale le français
était considéré comme une langue étrangère,
une langue de butin de guerre. L'histoire est douloureuse : deux
crimes gratuits, absolument absurdes : un Arabe tué par
un Français et un français tué par un Arabe, parce
que l'un et l'autre sont "différents". De belles pages
sur l'altérité.
La ville d'Oran vue depuis son balcon, avec distance et hauteur qui permet
à l'auteur une certaine analyse de la ville, du pays, de la société
: la violence de la lumière, du soleil, les couleurs, les odeurs,
la saleté et l'insalubrité des immeubles, la prolifération
des rats, les constats et les interrogations : il n'y a plus
de chemins, plus de champs, plus de cimetières, les bars ferment
les uns après les autres, on arrache les vignes : on attend. On
attend quoi ?
Des regrets formulés sur la période postindépendance
: des vies aujourd'hui différentes, des rapports aux corps interdits,
des libertés accordées autrefois aux femmes aujourd'hui
condamnées...
Les relations pathologiques de la Mère et du fils Haroun sont faites
de dépendances, de manipulations, d'indifférence, de culpabilité,
voire de haine. La victime leur a pourtant donné, à l'une
et à l'autre, un statut social dans le quartier, puisqu'ils sont
la famille du héros. Dans ce couple mère-fils, la
position d'Haroun semble secondaire, car il se place à l'arrière,
face à l'immensité du crime et de l'horizon. Cette place
de frère de substitution est rapidement devenue injuste, intenable,
et Haroun fait souffrir sa mère pour lui montrer qu'il existe.
Peu de communication avec la mère, une sécheresse affective
réciproque, une immense solitude, un sentiment de vide, d'incompréhension,
d'absurdité.
Par leurs visites régulières sur la tombe vide du mort,
Haroun se découvre des droits à la vie et à l'existence
et ceci malgré que Moussa soit mort trois fois : une fois sur
la plage, une autre fois dans la tombe vide et une nouvelle fois à
travers Meriem.
Des pages sur la religion et l'islam : la critique de la prière
du vendredi, des interrogations par rapport à Dieu, car pour Haroun,
il doit y avoir quelque chose entre sa banalité et l'univers,
et il souhaite aller vers Dieu à pieds et non en voyage
organisé. Le passage sur la décapitation dans une rue
d'Oran (oh, combien d'actualité !) de cet homme qui devait être
sacrifié pour calmer un Dieu quelconque, me laisse interrogative
- même si ce sont des images de film - le fatalisme de cet homme,
son hallucinante passivité, sa façon de porter, tel un fardeau,
son propre corps sur son propre dos. Comme cet homme, je ressentais
la fatigue du portefaix, plus que la peur du sacrifié.
L'auteur fait une analyse du crime : il y a des règles à
respecter dans le timing, mais il comprend aussi que le crime ne paie
pas forcément : j'ai tué et, depuis, la vie n'est plus
sacrée à mes yeux ; le crime compromet toujours l'amour
et la possibilité d'aimer. Quand j'ai tué ce n'est
pas l'innocence qui m'a le plus manqué, mais cette frontière
qui existait entre la vie et le crime : l'Autre est une mesure que l'on
perd quand on tue.
De belles pages sur l'amour pour Meriem qui elle, était dans
la vie et lui qui est resté son ombre, alors qu'il souhaitait
être son reflet.
Je pourrais continuer dans les citations sur la vie, la mort, l'amour,
le passé et l'avenir de l'Algérie... C'est un grand livre,
à lire, d'un auteur algérien engagé.
Un hommage à L'Étranger de Camus, mais les trop nombreuses
références m'ont un peu déstabilisée : style
d'écriture, même histoire, mère et relations avec
son fils, lieux, mer, plage et bains, bars, cigarettes, alcool, soleil,
lumières, odeurs et couleurs, policiers et interrogatoires, relations
homme-femme, etc. = j'ai souvent vu cela comme une sorte de plagiat !
Marie Odile
Ce livre, empreint de dignité et qui m'a inspiré un certain
respect, est un texte dense, complexe, exigeant qui retravaille une fiction
préexistante, affleurant à chaque page, comme s'il s'agissait
d'une réalité, dans un souci de réhabilitation de
la victime. Celle-ci a perdu non seulement sa vie, mais aussi son nom.
Haroun va nommer ce frère, Moussa, parce que le
nom c'est ce qui reste après la mort (voir stèles
funéraires, monuments aux morts), ce qui
"donne corps" au corps disparu.
Les enquêtes s'enchevêtrent : celle qui fait suite au
meurtre de l'Arabe, celle de la mère qui n'aboutit pas, celle de
Meriem. Tout le monde cherche et toute quête
mérite son livre. Chacun écrit ou projette d'écrire.
Haroun lui-même rêve de "commettre" un livre (comme
on commet un crime ? mais un livre peut-il en tuer un autre ?)
En tout cas, le récit est jalonné de réflexions
sur la langue, celle de Meursault par ex. "c'est le génie
de ton héros : décrire le monde comme s'il mourait à
tout instant, comme s'il devait choisir les mots avec l'économie
de sa respiration". Meriem se fait intermédiaire entre
Haroun et le texte : "Elle m'apprit à lire le livre d'une
certaine manière, en le faisant pencher de côté comme
pour en faire tomber les détails invisibles". Que c'est
bien dit ! A la langue maternelle "riche, imagée,
pleine de vitalité et de sursauts, d'improvisations à défaut
de précision" s'ajoute le français que Haroun/Daoud
a dû apprendre "pour nommer autrement les choses et ordonner
le monde selon ses propres mots". Ces mots laissés par
les Français sont comptés au nombre des "biens vacants"
comme les pierres.
La justice est toujours à côté.
Meursault est condamné non pas pour avoir tué, mais pour
n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère, Haroun
est jugé non pas pour avoir tué, mais pour ne l'avoir pas
fait au bon moment (=après la guerre). Chacun paie pour son étrangeté.
Mais le crime reste là "J'avais refroidi tous les corps
de l'humanité en en tuant un seul" mis en rapport avec
cet extrait du Coran "Si vous tuez une seule âme c'est comme
si vous aviez tué l'humanité entière", "Le
crime compromet pour toujours l'amour et la possibilité d'aimer".
A travers ce récit, K. Daoud porte un regard
critique sur l'Algérie d'aujourd'hui, particulièrement
sur la religion (ch. 7 p. 49 : la déclaration d'impiété),
sur la façon de considérer la femme "Elle appartient
à un genre de femmes qui, aujourd'hui a disparu dans ce pays :
libre, conquérante, insoumise et vivant son corps comme un don,
non comme un péché ou une honte", sur le vin interdit
dans ce pays qui le produit.
Le personnage de la mère est magnifiquement
présenté p. 37. On retrouve en elle l'accumulation
de tous les ancêtres. La façon dont elle considère
son fils est insupportable pour Haroun : elle fait des morts (Moussa)
des vivants et des vivants (Haroun) des morts. Mais elle se bat avec son
passé et dans sa façon de faire revivre les fantômes,
ment "non par volonté de tromper, mais pour corriger le
réel et atténuer l'absurde qui frappait son monde et le
mien". Très beau passage aussi après la mort du
Français p. 86 : "je savais qu'elle (la mère)
venait de retirer son immense vigilance à l'univers et pliait bagage
pour s'en aller rejoindre sa vieillesse enfin méritée".
Il m'est difficile de parler de ce récit sans citer toutes ces
phrases en raison de leur beauté et de leur densité. Je
ne me lasse pas de les relire. Si comme l'écrit Jaume Cabré,
"seuls méritent d'être lus les livres qui méritent
d'être relus", Meursault est de ceux-là. A ouvrir
et à rouvrir en grand.
Marie Thé
J'ai bien sûr commencé par relire L'Étranger
de Camus (que j'ouvre aux 3/4), l'ai trouvé daté dans la
première partie, puis de plus en plus captivant.
Quant à Meursault contre-enquête (que j'ouvre en entier),
je suis incapable de traduire avec justesse par des mots ce que j'ai ressenti
en lisant chaque page. J'ai l'impression que de parler du livre va m'en
éloigner...
Je dirai tout de même que j'ai été éblouie
par ce qui y est dit et par la beauté de l'écriture. L'éblouissement
a par ailleurs une grande importance chez Camus, comme chez K. Daoud,
tout comme l'ombre. Le crime de Meursault "étourdi de chaleur
et d'étonnement" : "à cause du soleil",
"l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté
dans le soleil" ; la chaleur, ce que ressent le corps, "dérange
les sentiments"... Nous sommes là chez Camus. A l'origine,
chez K. Daoud, une plage trop ensoleillée, pas meurtre, mais insolation !
Haroun depuis l'enfance dans l'ombre de l'absent, plongé lui aussi
dans l'ombre contrairement à Meursault : "Le premier
savait raconter...le second était un pauvre illettré...",
"La seule ombre est celle des Arabes", mais : "mon
frère qui était l'ami du soleil". Toujours chez
K. Daoud, le crime (Joseph) se fera "à cause de la lune
phosphorescente... Elle avait allégé la terre et la chaleur
moite tombait rapidement."
Après le crime chez Camus, ceci : "J'ai compris que
j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel
d'une plage où j'avais été heureux." Chez
K. Daoud : "ce bras qui venait de briser l'équilibre
des choses..."
"Du fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde
que j'avais menée, un souffle obscur remontait vers moi...",
Meursault dans L'Étranger. Dans Meursault contre-enquête,
l'absurde est maintes fois évoqué : "L'absurde,
c'est mon frère et moi qui le portons sur le dos..."
"L'absurdité de ma condition qui consistait à pousser
un cadavre vers le sommet du mont avant qu'il ne dégringole à
nouveau et cela sans fin." (On pense à Sisyphe.)
Il y aurait tant à dire encore de cette tragédie qu'est
Meursault contre-enquête, justice, religion, situation des femmes,
des Arabes et des Français, évocation de l'indépendance,
de l'histoire dans l'écriture....
Je n'arrive pas à parler de ce livre que j'ai aimé ;
le décalage entre ce que j'ai ressenti en le lisant et ce que j'en
dis est décidément trop important, pas moyen de le partager...
Nos cotes d'amour, de
l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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