Extrait de Télérama
Quatrième de couverture :

« "Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps."

Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de geste, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour. »


 

Maylis de Kerangal
Réparer les vivants

Nous avons lu ce livre le 23 septembre 2016, le nouveau groupe parisien le 30 septembre et le groupe breton le 3 novembre.

Voir en bas de page des infos sur le livre et l'auteur.  Une quinzaine d'entre nous a vu une adaptation théâtrale et a rencontré le metteur en scène-acteur.

Brigitte (avis transmis) à
Quel est le genre littéraire de ce livre ? Il s'agit indéniablement d'un roman : le format est celui d'un roman, tous les personnages sont fictifs, le sujet peut s'inscrire dans la réalité… Cependant, je ne le ressens pas vraiment comme un roman, mais plutôt comme un reportage avec des intentions proches de l'essai.
Tout ce qui est en jeu touche à de graves problèmes pour l'humanité : définition de la mort, la transplantation d'organes, le choix des bénéficiaires…
Selon moi, l'auteur a trouvé une forme tout à fait adaptée à son projet. Le style est rapide, un peu haletant, ce qui sert le fait que toute l'action se passe à peu près en 24h. Il n'y a aucun suspense, mais le lecteur est pris par la tension qui court à travers les pages. La vie de tous les protagonistes bascule en quelques instants. Des décisions fondamentales doivent être prises, sans disposer de temps pour y réfléchir et s'en pénétrer suffisamment pour les faire siennes.
C'est un livre dont le sujet est tellement bouleversant (dans la période actuelle), que le lecteur est emporté, comme les personnages, par l'urgence de la situation. La forme littéraire passe donc en arrière plan : le style, la manière et l'ordre dont sont traitées les diverses étapes s'estompent devant l'urgence. Dans cent ans, ce genre de situation sera peut-être devenu banal, et on le relira sans doute autrement. Entre ½ et ¾.
Monique L (avis transmis)
L'auteur a su trouver le ton juste pour nous narrer ce drame. Cela ne tombe jamais dans le pathos. L'auteur reste en retrait et se contente d'observer et de relater le plus justement possible le déroulé des événements et les réactions des divers personnages.

Claire (toujours casse-pieds sur ce point)
Tu veux dire le narrateur... ?

Monique
Oui tu as raison c'est le narrateur. La distance m'a permis de lire ce livre très émouvant en ne m'identifiant pas aux personnages tout en ayant une empathie pour eux.
L'urgence de la situation et les réactions et émotions des personnages sont très bien rendues. Il y a une respiration, un rythme dans ce roman qui le rend palpitant. C'est également un hommage au personnel hospitalier. Le timing extrêmement complexe et court de la transplantation est bien rendu.
C'est un livre qui nous questionne. L'écriture de Maylis de Kerangal est rapide, précise, concentrée sur l'exactitude des faits relatés. Ce qui est pour moi particulier dans la démarche de Maylis de Kerangal que ce soit dans La naissance d'un pont ou Dans réparer les vivants c'est sa description des organisations professionnelles permettant la concrétisation d'une action ; j'avais aussi aimé Naissance d'un pont où j'avais principalement apprécié la justesse des réflexions sur les difficultés à mener à bien un projet (ce qui correspond à mon expérience professionnelle même si ce n'est pas dans le même domaine). J'ouvre aux ¾.
Manon
Retenue au bureau à cause de Rihanna, je ne pourrai être parmi vous ce soir et j'en suis bien malheureuse tellement j'ai pu aimer ce livre.
J'ai découvert Réparer les vivants à sa sortie et je me rappelle encore le choc reçu par le sujet choisi et surtout son traitement. Je me souviens avoir ressenti un froid glacial comme celui du héros lorsqu'il prend les vagues dans les premières pages ou bien celui que l'on ressent lorsque l'on se trouve dans un service d'hôpital. Une véritable claque !!
La façon dont tout est décrit sans misérabilisme, sans mièvrerie, sans drame m'avait vraiment épatée !
J'ai mis du temps à me remettre de ce livre, je l'ai beaucoup partagé, j'ai beaucoup réfléchi au don d'organe également. Et si j'en parle au passé, c'est bien que je n'ai pas pu le relire : pas que je n'ai pas voulu mais je n'ai pas pu - je ne l'ai peut-être pas voulu d'ailleurs... Je ne voulais pas être moins percutée, moins déstabilisée, moins subjuguée par une seconde lecture qui m'aurait peut-être paru plus fade, où j'aurai détecté des manques, des fautes de style ou des lourdeurs... Pas très téméraire mais totalement fan, j'ouvre ce livre en GRAND !!
Monique S (avis transmis)
Un sujet d'actualité... Ce qui m'a le plus plu (et ensuite déçue) c'est le rythme saccadé et accéléré du texte. Il s'agit d'un exercice de style, réussi, et qui colle au sujet. Mais j'aurais trouvé plus intéressant que l'auteure l'utilise seulement pour quelques passages clés du livre, comme l'accident, le transfert du cœur, par exemple. Mais sur le livre entier, cela m'a donné une impression d'oppression, comme les films d'action où l'on se doit de ne laisser au spectateur aucune minute de répit, d'accalmie. D'abord, j'ai eu en lisant l'impression d'étouffer, puis au fur et à mesure, j'ai ressenti de la colère, car on m'empêchait non seulement de respirer, mais aussi et surtout de penser, de réfléchir. Comme dans la musique, j'aime les blancs, des variations...
J'ai trouvé aussi qu'on surfait toujours dans la sur-dramatisation ; pour ne pas dire parfois dans le "gore", par exemple avec la description de l'extirpation du cœur du thorax. Est-ce utile ?
Je n'ai pas beaucoup adhéré aux personnages ; je suis toujours restée "à côté", et plus j'avançais plus je trouvais la construction artificielle : on voit arriver des personnages obligatoires, des scènes "de service" aussi : la scène enfantine de la petite fille qui rentre dans le drame avec ses ailes de papillon, la scène de sexe, la rivalité des internes devant le grand ponte, la petite amie qui arrive un peu tardivement, comme un oubli rattrapé de justesse, la colère des épouses... J'ai sauté beaucoup de pages...
En y réfléchissant, il m'a manqué deux choses pour que j'accroche : d'abord une présence plus forte du "donneur" ; en fait, on sait peu de choses sur sa vie intérieure, il reste un peu silhouette (avec surf) de carton pâte ; et puis une dimension spirituelle plus large, sur qu'est-ce que la vie. J'ouvre ¼.
Katell (avis transmis) à
Comme j'ai la trouille d'être virée du Groupe, je vous envoie mon avis sur Réparer les vivants. Je lis la plupart des livres programmés mais il y a déjà beaucoup d'avis, et souvent je pense que le mien n'apporte pas grand chose de plus.
J'avais déjà essayé de lire Maylis de Kerangal (Naissance d'un pont) mais à l'époque, j'avais été assez énervée par l'écriture : c'était très (trop) écrit pour pas raconter grand chose. Quand celui-ci est sorti, je n'avais pas envie de le lire mais plusieurs copines m'ont dit que c'était très bien. Alors quand il a été programmé, j'étais contente.
J'ai trouvé le livre assez haletant, on est pris dans les événements et on ne s'arrête plus. C'est également très bien documenté. Les scènes de bloc opératoire sont captivantes comme une série télé hospitalière. Les personnages restent tout de même assez convenus : le jeune homme qui meurt d'un accident de la route, ses parents (pas bien compris pourquoi la famille s'appelle Limbres alors que le père est de Nouvelle-Zélande si je me souviens bien), la femme de 50 piges, la jeune infirmière etc.
Ensuite j'ai trouvé que c'était quand même bien écrit mais parfois M. De Kerangal cède à ses penchants et ce sont des descriptions un peu gratuites et lourdingues (cf. la scène où la petite amie jette les pizzas sur le mur) qui nuisent au propos sans rien apporter à l'histoire. Bref un petit bouquin agréable, mais pas un chef-d'œuvre quand même. J'ouvre un peu plus que la demie mais pas jusqu'aux trois quarts.
Annick L
J'ai été bouleversée. Ce fut un choc émotionnel en raison du charme de ce livre. J'ai éprouvé une empathie avec les parents. Tout pathos inutile est évité. La construction est remarquable : économie verbale, rythme rapide de la narration, multifocale avec les personnages, non caricaturaux. Cette qualité dramaturgique fait que le lecteur se passionne pour la transplantation. Cela semble très juste, dans la façon dont c'es rendu. C'est pour moi une œuvre littéraire et non un reportage. La richesse de ce livre vient des échappées poétiques, scientifiques. J'ouvre en grand !
Geneviève
Je l'ai fini il y a une heure. Je l'ai lu dans le métro, ce qui est gênant vu que ce livre m'a fait pleurer… J'ai beaucoup aimé l'écriture : par exemple la façon d'entrer dans le cœur, dans le corps, dans l'émotion. Puis l'accumulation d'adjectifs m'a fait décrocher. Cependant le fil est bien tenu, les personnages sont intéressants, mais pas approfondis. Avec le nom toujours complet, Simon Limbres, il y a un effet d'universalisation. J'ouvre en grand.
Séverine
Je ressens un double avis : objectif et subjectif. Subjectif, car je n'aime pas lire ce genre de livres avec un sujet prosaïque, ça ne m'attire pas. Mais objectivement je reconnais la qualité de ce roman : l'écriture correspond bien à l'urgence du sujet, comme dans une série télé. Les personnages sont bien campés et décrits, même si c'est fait en peu de pages. J'ouvre à moitié.
Fanny
Dans les premières pages du livre, j'ai eu du mal, parce que je m'attendais à un accident. J'ai été rattrapée par l'intensité du bouquin. Les phrases sont très longues, habituellement je n'aime pas ce style d'écriture que je trouve indigeste ; ici cependant cela ne m'a pas gênée, je me suis trouvée happée par le rythme de la narration. Le personnage est nommé par son prénom et son nom : je ne voyais pas comme toi Geneviève une universalisation, mais l'affirmation de son identité et le maintien de celle-ci au-delà de la mort. J'ai aimé les personnages annexes, qui ramènent la vie extérieure : ils sont tous une vie en dehors de l'hôpital. J'avais les larmes aux yeux et j'ai dû faire de nombreuses pauses à la fin... J'en ai parlé autour de moi, sans pour autant le recommander.

Rozenn
Je ne sais pas. Je suis contente d'avoir appris de nouveaux mots : albugineux, gibbeux, rubigineux... Je n'ai pas d'avis. Ça me paraît très fabriqué. J'ai lu autre chose sur le même sujet avec une autre force.

Jacqueline
Tu peux dire quel livre ?

Rozenn
Non... Si... Un livre qu'une amie qui a vécu ça a écrit. Je ne pouvais pas le lâcher.

Annick L
C'est vrai que cela donne une autre expérience de lecture.

Rozenn
C'est bien construit. Les personnages ? OK. Mais le style est chiant, avec trop de pseudo-poésie. Ça n'a pas marché. Je trouve que c'est un exercice de style, super bien fait, mais trop bien fait. Je ne sais pas comment ouvrir...
Richard
Si j'avais à répondre à la question comment fait-on pour écrire un livre sur ce sujet en restant intéressant, je ne saurais pas, je ne suis pas écrivain. J'ai marché, les personnages sont réels, j'y crois. Les scènes m'ont pris. Les images utilisées sont fortes, par exemple quand Marianne frappe les mains sur le volant, c'est visuel. L'auteur a dû bosser et me semble avoir une grande culture. J'aurais ouvert complètement s'il n'y avait pas ces phrases adjectivales, si elle ne parlait de sciences dans la description du monde réel de façon inutile (les molécules, etc.) ; et des phrases très longues c'est très bien, mais il y en a trop. J'ouvre donc aux ¾.
Annick A
Je l'avais lu à sa sortie et gardais un souvenir mitigé. Le sujet est passionnant. Mais il y a beaucoup de passages sans intérêt (pizzas, infirmière). L'écriture est performante. C'est un livre facile à lire, mais qui joue sur l'émotion. Je rejoins Monique S, c'est un livre qui ne nous permet pas de réfléchir. L'écriture…, c'est une écriture ! En deux pages, elle fait la description de ce qu'est un hériter, c'est très remarquable. C'est une littérature d'aujourd'hui, c'est comme Virginie Despentes. Mais sur un sujet pareil, j'aurais préféré un livre qui prenne son temps. Là, on ne pense pas.
Françoise D
J'ai un avis mitigé. J'avais lu La naissance d'un pont : nul, pas abouti, brouillon ! Là, je lui accorde qu'elle a fait des progrès... Le sujet s'y prête. Je trouve qu'elle s'attarde trop sur la receveuse. C'est efficace, mais j'ai un sentiment mitigé sans pouvoir dire pourquoi. J'ai l'impression que c'est une commande. C'est bien foutu, bien écrit, très cinématographique. J'ouvre ½.

Jacqueline
Je l'avais lu aussi à sa sortie car il avait de très bonnes critiques et je voulais l'offrir à une amie qui a eu une opération cardiaque…

Diverses plaisanteries rivalisant de mauvais goût fusent…
Jacqueline
C'est pour moi un très grand livre, ancré dans le monde d'aujourd'hui. Ç'aurait pu être un documentaire car j'ai appris des tas de choses. Sur ce thème, on avait lu dans le groupe un livre qui se passait à une autre époque, celle de Léonard de Vinci, sur la dissection, c'était remarquable (La Demande de Michèle Desbordes). Celui-là l'est aussi, avec un art de faire vivre les personnages. J'ouvre en grand.
Danièle
C'est un livre qui m'a fait frissonner. C'est très rare de frissonner en lisant, non ? (Danièle développera l'avis formulé lors de notre tour de table après la séance, voir plus loin).
Lisa
Je n'avais rien lu de cette auteure et j'y suis allée gaiement. J'ai détesté de A à Z : le sujet ne m'intéresse pas, me met à l'aise et le livre ne permet pas d'y réfléchir. C'est le roman de la transplantation ? Plutôt le roman sur une mère. L'écriture ? J'ai détesté. C'est trop long ce livre. Et les phrases sont trop longues, je sautais, c'est très désagréable. Les personnages non plus ne m'ont pas intéressée, ni le sujet, ni la façon dont ça a été traité... Donc livre fermé et je ne le conseille pas. Le traitement de la répercussion sur l'entourage, ça ç'aurait été intéressant. Les parents sont tristes évidemment.

Henri
On ne dit pas s'ils ont pris une assurance-vie...

Lisa
Je ne comprends pas le succès.
Denis
C'est un livre très original. Qui parle de technique, c'est rare en littérature : il y a Primo Levi elle avec le chantier du pont. J'admire. Bien que j'aie eu du mal. La dimension originale est que ça parle d'un réseau (je retrouve les organisations du travail en réseau de mon domaine professionnel) où l'on dispatchedes organes : les gens jonglent avec des infrastructures qui existent par ailleurs. La course contre la montre est intéressante. Le film Babel parle des réseaux. Là, le cœur doit circuler. Les héros m'ont semblé un peu trop positifs. J'étais agacée jusqu'à ce que je lise une interview où l'on découvre son honnêteté. On a l'impression de l'exactitude de la technique. C'est intéressant et original.
Catherine
Mon avis est biaisé parce que ce sont les situations auxquelles je suis confrontée professionnellement. Je l'avais lu dès sa sortie. La justesse du livre frappe, c'est exactement ça. Elle s'approprie un langage médical. J'ai énormément aimé. Il y a des moments particulièrement intéressants : la dépouille sans organes, c'est bouleversant. Ce n'est pas un livre de philo. J'aime sa langue, même si elle en fait trop. Les personnages sont un peu convenus. Le ponte Harfang, c'est bien fait, il y en a comme ça et on sait même de qui elle s'est inspirée.

Des curieuses
Des noms ! Des noms !

Catherine, inflexible
Livre ouvert en grand…
Henri
Je vais essayer d'être positif… C'est un bouquin utile. Les techniques, c'est intéressant. Il y a du mérite… C'est un sujet dans l'air du temps. Du point de vue littéraire, ce sont de grosses ficelles et ça m'a gavé. Quand le style n'est plus évident, ce n'est plus du style. Les personnages sont caricaturés en deux coups de pinceaux. Ce qui m'a gêné, c'est les stratégies défensives de métier, comme on dit : l'un chante, l'autre a sa balle… Et une excellence performative qui fonctionne : ce sont tous des surhommes, comme dans une série télévisée. Je fréquente professionnellement ce milieu : pas d'erreur médicale ? Personne ne flanche ?... Quant à la dimension cosmologique, là aussi de grosses ficelles très new age et ça m'a déplu. Le début est saisissant, mais la fin est la plus intéressante avec la question du receveur. J'ouvre à moitié pour l'utilité sociale du livre, mais non littéraire.
Nathalie RB
J'ai toujours peur de lire les grands succès de librairie et encore plus quand il s'agit d'une œuvre qu'on fait étudier à des lycéens comme c'est le cas depuis quelque temps, et ce, sans leur demander leur autorisation...

Claire
On leur demande pas leur autorisation pour Le Cid, terrible, ou pour Zola.

Henri
Et c'est dangereux dans la mine !

Nathalie RB
Je commencerai par ce que je n'aime pas, et je garde mon avis pour la fin. Dès les premières pages du roman, j'ai commencé à grincer des dents et j'étais très agacée. Pour moi, si un auteur s'attaque à un domaine qu'il ne maîtrise pas, il a intérêt à ce que cela ne se sente pas. Or dans les premières pages, celles sur le surf, l'auteure ne cesse de nous donner à la fois des formules propres au monde des surfeurs, mais elle s'évertue à nous en donner les définitions au cas où ce serait vraiment nécessaire que l'on comprenne de quoi elle parle. Cette façon de faire m'exaspère et j'ai craint le pire. Exemple p. 20 "il rame vers le line up, cette zone au large où le surfeur attend le départ de la vague"... il y a d'autres exemples. Je ne sais pas si l'auteure fait du surf ou si elle a des gens dans son entourage qui en font mais j'ai trouvé cette façon de faire très lourde.
Je me suis encore davantage crispée quand j'ai vu la tournure "mêmement" deux fois à quelques pages d'intervalles. Et un peu plus loin encore. Cette tournure m'a semblé archaïque, elle date du 17e siècle et semble avoir été utilisée par la comtesse de Ségur et avant les années 50. Je ne l'aime pas. C'est stupide et très subjectif, mais le Larousse le donne comme "vieux". L'écriture est appliquée, les mots simples sont remplacés par des mots compliqués parfois de façon inutile ou artificielle mais j'avoue que cela peut être aussi un parti pris. L'auteure peut vouloir volontairement faire renaître des images par le biais de mots rares. Mais personnellement cela me gêne car je ne suis pas en train de lire un livre poétique. En même temps elle a des tournures qui frappent l'esprit comme par exemple "penduler chique molle entre le salon et... ".
Il y a quelque chose de très mécanique dans le montage du roman. Les personnages avancent et on a cette idée de collision qui renvoie à plusieurs films des dix dernières années. Le lecteur ne peut qu'attendre le moment du point de rencontre.
Je ne peux pas dire que j'ai un ou plusieurs personnages préférés. Il me semble que le roman survole les personnages. Ils me semblent des "types" que nous pouvons facilement identifier. Je regrette par exemple l'absence d'épaisseur de Simon. Je suppose qu'il y a une volonté là dedans de permettre que Simon soit associé à n'importe quel fils, mais en même temps cela lui enlève de l'épaisseur car dans la perte d'un enfant, je suppose avec humilité que c'est moins un enfant "type" que l'on pleure que le sien avec la finesse et la force de sa personnalité.
Sa tendance à découper chaque action en dix actions secondaires me rappelle une technique d'écriture qui consiste à tout ralentir en démultipliant les tâches intermédiaires. Ça date un peu... On peut peut-être lui accorder qu'elle évite de tomber dans le pathos quand elle évoque la douleur des parents et c'est peut-être pour cela que la mayonnaise prend mais elle nous attrape quand même par les sentiments au moment où le cœur est transféré. Personnellement, je suis sensible à l'idée de pérennité et la transmission des organes peut en faire partie. Si je fais abstraction d'un mauvais ange qui me souffle que le bouquin est écrit avec l'intention de permettre l'écriture d'un scénario, alors oui, je peux dire que j'ai été embarquée et que j'ai lu le livre d'une traite ou presque ! Mais ce n'est pas une raison suffisante pour l'aimer ; pour moi, ce n'est pas un livre pour le groupe de lecture:)
Il nous attrape par les sentiments et il est simplement difficile d'y résister. Je terminerai par quelque chose que j'ai beaucoup aimé cependant, cette idée qu'au moment de l'annonce, la voix qu'elle entend sera définitivement remplacée par une autre qu'elle ne connaît pas encore mais qui aura pris connaissance de la terrible nouvelle. J'ouvre au ¼.
Manuel
Pour moi, c'est bien un livre pour le groupe ! J'ai été passionné par la présentation technique et historique (quand la définition de la mort change en 1959 : ce n'est plus l'arrêt du cœur mais du cerveau qui définit la mort). Les passages avec les parents sont très réussis. J'ai pensé aux films chorals (comme Babel en effet, ou Short cuts). Mais il y a des phrases où on se demande pourquoi elle choisit ces mots-là, il y a beaucoup d'artifices, un côté précieux dans l'écriture. J'ai trouvé ça raté, car les personnages ne sont pas incarnés. Sur 300 pages, ç'aurait été plus efficace s'il y avait eu 100 pages de moins. Je suis étonnée que ce bouquin ait marché. J'ouvre ¾. Et je conseillerai volontiers ce livre.

Yeux étonnés devant le contraste entre l'avis exprimé et les ¾...
Claire
Je n'avais lu aucun livre de cette auteure, dont le succès m'avait convaincue qu'elle était une de ces auteures à la mode... Je me souvenais par ailleurs d'une critique assassine de son dernier livre (sur un chef) au Masque et la Plume se moquant des auteurs dont chaque livre traite d'un "sujet". Bref… j'ai eu une approche… réservée.
J'ai été SAISIE par l'écriture : épaisse, mêlée, riche, mais sans lenteur. Ne sachant rien de l'auteure, je me suis interrogée, du fait de détails très réalistes, parfois infimes, sur le rapport biographique de l'auteure à certains faits, ou son rôle d'enquête ou de documentation. Un jeu m'a semble surgir dans la narration, l'énonciation, quand il y a un "on" ("on comprendra pourquoi") ou un "nous" ("nous connaissons son nom") =>je me suis demandé : qui raconte ? Ainsi, quand il est dit "pour peu que l'on s'approche"=>le lecteur est invité à sentir presque physiquement, encore plus fortement : "il est temps, maintenant, de se tourner vers ceux qui attendent" : j'ai aimé cela, cette légère manipulation.
J'ai apprécié aussi quand sont intercalés des récits, des présentations. Ce qui fait qu'outre l'écriture elle-même, j'ai admiré le montage remarquable, le tissage. J'apprécie l'entrée (comme théâtrale) des différents personnages, au fur et à mesure, et on va clairement de l'un à l'autre, et dans leur passé à chaque fois. Il y a quelques moments très émouvants. Et de véritables morceaux de bravoure en une phrase (le premier baiser par exemple). Grâce à moult connaissances égrenées, j'ai trouvé ça agréable et très intéressant d'avoir comme un documentaire au sein d'une fiction, on en a pour son argent... J'ai donc admiré le talent multi-facettes de l'auteure et en cela je ne suis pas d'accord avec Brigitte, car la forme n'était pas pour moi au second plan. J'ai eu du plaisir aussi avec des mots inconnus que comme Rozenn j'ai découvert (pogoter, swell, le clapot, avitailler…), avec des comparaisons fortes : des cernes comparés à des "cuillers de bronze", à propos des fraises du tableau de Rembrandt "des origamis de gaufrettes". On n'est pas dans un style décoratif quand elle évoque des "visages torchonnés de souffrance". J'ai bien aimé les évocations de tableaux.
J'ai eu de petites réserves : le nom de Simon Limbres qui va être dans les limbes (bof), des expressions à la mode ("injurier" la détresse), des trucs (le café "plocploque" et la soupe "flocfloque"), quelques clichés ("belle comme le jour", "foi en l'homme"), des flashback un peu systématiques... Le titre vient de la pièce de Tchekhov Platonov, ce qui fait chic… Je trouve le fait que Thomas chante un peu artificiel, pour le comparer au rhapsode grec. Et l'amant qui refait surface la nuit de Noël me paraît invraisemblable.
J'ouvrais donc en grand, ayant beaucoup aimé ce livre que j'ai trouvé d'une grande richesse et où j'ai trouvé un grand talent, très contente d'avoir découvert cette auteure. Mais en entendant l'avis de Katell, de Monique S, de Rozenn, de Henri même s'il est outré, je suis déstabilisée, car je suis sensible à cet aspect fabriqué qu'ils dénoncent. Ils m'amènent à le considérer...

Jacqueline
C'est le rôle d'un auteur de fabriquer un livre.

Rozenn
Le problème c'est qu'on voit l'échafaudage.

Claire
Pour aller dans le sens de Rozenn, elle dit dans une interview que j'ai lue après le livre, je trouve ça cruel de la citer : "Je n’ai pas de théorie onomastique, mais les noms, il est vrai, portent une dimension poétique importante : ils traduisent l’essence des personnages. Il faut qu’il y ait une correspondance entre la matérialité sonore du nom et la silhouette du personnage. Ici, les noms ont été construits selon deux isotopies, l’une qui évoque le cœur et l’autre qui tourne autour des oiseaux, de nuit surtout. Owl, c’est le hibou, Harfang, c’est la chouette, Revol est un anagramme de voler ; quant à Cordelia, c’est un cœur blessé. Ces isotopies ont décliné deux faisceaux de sens : celui de la migration, de la trajectoire, qui fait écho à la transplantation ; et celui du monde nocturne puisque les opérations de greffe ont lieu la nuit surtout."

Annick L
Eh bien c'est très intéressant ce qu'elle dit.
J'ajoute après avoir entendu la diversité des avis que je suis d'autant plus convaincue que c'est un livre-pour-le-groupe-lecture.

Claire à Catherine
Et dans ton service, les gens l'ont lu ?

Catherine
On l'a tous lu.

Claire
Vous avez fait un groupe de lecture...?

Catherine
C'est ça.

Annick A
J'y reviens, mais ce qui est intéressant avec ce livre et celui de Despentes aussi, c'est que ce sont vraiment des livres d'aujourd'hui.

Rozenn
Pour Despentes, il y a même sur internet les musiques mentionnées dans le livre.

Annick L
Ah ça c'est très à la mode chez les auteurs pour les ados qui ont tous une playlist.

Claire
Pour revenir à ce que tu disais Séverine sur les sujets prosaïques que tu n'aimes pas dans la littérature...

Séverine
Oui, ceux de la vie quotidienne.

Claire
Mais les histoires d'amour, c'est aussi quotidien...

Rozenn
Pas forcément...

Claire
Moi je trouve qu'elle développe vraiment un genre : la littérature documentaire. On avait lu une auteure belge sur le monde du travail.

Jacqueline
Ah oui, Nicole Malinconi.

Denis
Il y a Raymond Roussel avec Locus solus et Primo Levi avec Clé à molette

Claire
On est deux à avoir vu la pièce d'Emmanuel Noblet qui est formidable.

Manuel
C'est très intéressant de voir ce qu'il a coupé.

Les uns
Les scènes de sexe ?

Claire
Mais non !

Les autres
Les pizzas ?

Rozenn
Je veux vivre cette scène de pizza avant de mourir !

Question mets, nous nous en sommes donné à cœur joie...

sur le thème du cœur...
 

Moins rigolo mais instructif, sur l'histoire de la définition de la mort, voici ICI une mise au point.
Renée (avis transmis de Narbonne)
Ce livre m'a passionnée. Contrairement à certains du groupe, j'aime qu'un auteur se confronte à des sujets de société ; l'anglais Ian Mc Ewan le fait souvent avec un certain succès. Là, notre auteure plonge dans notre société contemporaine avec une débauche de détails techniques, de vocabulaire recherché qui me ravit.
Monique trouve la description de l'extirpation du thorax "gore" tandis que je me suis surprise à râler parce qu'elle n'explique pas COMMENT, avant de rétablir la circulation, on chasse l'air emprisonné dans le coœur. Comme Manuel j'ai apprécié la superbe description des parents leur "défiguration" et le rappel de la nouvelle définition de la mort en 1959. La fiancée qui n'apparaît qu'à la fin ? Bien sûr, les parents sont emmurés dans leur peine et l'ont "oubliée", comme leur petite fille.
Quelques défauts :
- une phrase qui commence p. 145 (en folio) se termine p. 149 : au début, ça fonctionne bien, mais la fin est poussive
- quelques personnages sont caricaturaux, MAIS ils travaillent dans l'urgence
- la 4e de couverture parle d'une "aventure métaphysique" ? Je n'ai rien vu de cet ordre-là.
En revanche, j'adore ce vocabulaire précis et recherché : il y a quelques années j'ai rêvé autour d'une "lune gibbeuse". Notre auteure a plus de vocabulaire que sa consœur Virginie Despentes pour nous parler du monde actuel...

Danièle (présente pendant la séance, mais qui aura développé son avis après, à tête reposée...)
Réparer les vivants
est un roman qui m'a fait frissonner par deux fois, ce qui m'arrive assez rarement au cours d'une lecture :
- p. 22-23, avec la description de Simon surfeur, l'ivresse et la maîtrise de soi sur les vagues, l'adrénaline qui monte, le plaisir durement gagné, la sensation de dominer les éléments en faisant corps avec eux, déchaînés mais prévisibles, justes à maîtriser. La description est magnifique, magique même pour des néophytes qui devront se laisser apprivoiser par des termes techniques, si importants pour la peau de Simon, si bien choisis pour le lecteur qu'ils en deviennent poétiques (comme plus tard dans le roman pour les termes médicaux). Tant de muscles, de nerfs à mobiliser, on les tendrait presque en même temps à la lecture. On participe à ce ballet avec les vagues à la seconde près, spectateurs des déferlantes magnifiques, surfeur au regard aiguisé, les sensations d'équilibre sur toutes les parties du corps, en harmonie avec les éléments. Il fait corps avec les éléments, nous faisons corps avec lui. Au-delà du frisson, nous nous faisons déjà une idée de Simon. C'est un portrait psychologique : il aime la vie, c'est sûr, mais aussi le risque, l'aventure. Sait-on pour autant ce qu'il penserait d'un don d'organes après sa mort ? Faut-il le savoir ?
- p. 138, quand Marianne se fait à l'idée d'accepter le don d'organes, même le cœur, si vital, mais réagit violemment à l'idée de donner les yeux : "pas les yeux, n'est-ce pas ? Elle étouffe son cri...". La charge symbolique est forte pour Marianne, elle est forte et inattendue aussi pour moi : deuxième frisson....
C'est aussi, bien sûr, un livre qui m'a beaucoup émue : la mort d'un ado dans un accident, la douleur des parents, le dilemme face auquel ils sont placés : conserver entière l'image de leur fils ou faire bénéficier d'autres personnes du don de ses organes pour perpétuer la vie. Le tout dans un style haletant et une langue ciselée qui ne m'ont pas du tout paru artificiels ou fabriqués, mais bien correspondre au sens de ce roman : tout le livre, dès le début du roman, est une course contre la montre, un combat contre et avec les éléments: les vagues, les organes à transplanter... C'est donc aussi une course pour la vie, sous le signe de l'urgence. Rappelons-nous qu'il faut quatre heures entre l'arrêt du cœur et la transplantation. Stylistiquement, Maylis de Kerangal a une manière bien particulière de rendre cette urgence. Dans de nombreux passages elle tente de faire ressentir l'interpénétration entre le temps et l'espace dans les moments de stress :
- un stress "fait de terreur et de désir" pendant le surf : "et cette seconde là est décidément celle que Simon préfère, celle qui lui permet de ressaisir en un tout l'éclatement de son existence (...), étirer l'espace, allonger le temps (...) devenir déferlement, devenir vague", "L'espace l'envahit, (...), la vague se déplie dans une temporalité double" (p. 22)
- Le stress dû au choc émotionnel chez Marianne avançant dans l'hôpital, rendu dans un style cinématographique qui utilise l'entrechoc des images dans l'espace pour signifier le désarroi et l'urgence et aussi la rapidité de la pensée, sans fioritures de style (p. 56)
- "les secondes qui suivent ouvrent un espace entre [Révol et Marianne], un espace nu au bord duquel ils se tiennent un long moment" (p. 64).
De même, pour l'expression de la douleur, pas de pathos. L'auteur utilise la notion d'"espace temps" pour approcher l'idée de mort dans la conversation entre Sean et Marianne : "tétanisée par l'horreur que lui inspirait cette voix tant aimée, familière mais devenir subitement étrangère puisque survenue dans un espace temps ou l'accident de Simon n'avait jamais eu lieu, la voix de la vie d'avant." (p. 90) ; "tout se passait comme si ces deux là quittaient un temps et un territoire pour amorcer une dérive sidérale" (p. 108).
J'ai donc beaucoup aimé ce roman, surtout la première partie, pour les émotions qu'il m'a procurées, la douleur qu'il m'a fait partager, la thématique qu'il aborde sans pathos, laissant la liberté de se faire une opinion. Les autres personnages, eux, m'ont semblé effectivement plus "fabriqués", et, en tout cas ne m'ont pas beaucoup transmis d'émotion, à part Révol, dont l'empathie est tout à fait remarquable.
D'autres membres du groupe lecture, très au fait de ces pratiques, ont très bien montré l'intérêt documentaire du roman sur les réseaux de transplantation et sur sa justesse, et je les en remercie.

SYNTHÈSE DES AVIS DANS LE GROUPE BRETON suivie d'avis individuels: Edith, Marie-Laure, Odile, Yolaine : Chantal, Suzanne
: Marie-Odile : Marie-Thé

Une certaine unanimité dans l'enthousiasme chez ceux qui l'ont lu jusqu'au bout. Plusieurs d'entre nous ont cependant exprimé une difficulté à commencer ou poursuivre cette lecture, sans doute en raison de la violence du sujet et de l'atmosphère "étouffante", "angoissante" qui assaille le lecteur dés le début.
Adhésion pour le sujet, qui concerne tout le monde : le coma, la vie, la mort, la place du corps, l'amour et la détresse des parents qui refusent la mort de leur enfant ; pour la description pudique des sentiments, respectueuse des êtres humains dévastés par cette tragédie et qui suscite énormémént d'émotion. Intérêt pour les informations médicales, très précises et qui font quasiment de ce roman un documentaire sur la transplantation d'organes. Admiration pour le corps médical, empathique et héroïque. Séduction du style haché, rythmé par la nécessité de l'urgence, et des envolées poétiques, depuis la remarquable scène de surf jusqu'aux couloirs menant aux services de réanimation. Un peu de frustration devant la fin, qui ébauche seulement les questions qui se posent à la personne qui reçoit le coeur du donneur. Un beau sujet, un livre bien écrit et qu'on a envie de recommander à ses amis.
Chantal (de Bretagne)
Toute la première moitié du livre m'a emportée, l'histoire est portée par un style époustouflant.
Tout est "précipité", le temps presse : les phrases sont hachées, déstructurées, tantôt d'un réalisme cru, tantôt s'envolant en images colorées, poétiques... les jeunes surfeurs sont pressés, pressés de vivre ... Marianne la maman court, court comme une folle vers la terrible nouvelle qui va faire basculer sa vie... la procédure des prélèvements d'organes, elle aussi se fait dans l'urgence.
J'aime son style qui balance constamment entre descriptions ultra techniques et les sentiments non dits mais "parlés" par les corps : cette façon d'écrire nous fait littéralement voir les scènes ! C'est pourquoi les voir au cinéma pour moi sera moins fort...
Il y a plein de passages lumineux qui vont au cœur : notamment celui où Marianne apprend la nouvelle, sa course vers l'hôpital, son arrivée, j'étais avec elle, j'étais elle ! Le très beau passage de la toilette du corps de Simon, c'est magnifique.
J'ai aimé la description, nette, précise détaillée de toute la procédure de prélèvements.
MAIS : j'ai été agacée, énervée, par cette Cordélia Owl, cette invraisemblance au milieu de toutes ces précisions : Cordélia, qui fait tout, toute seule, dans un service de réa qui rassemble le plus grand nombre d'infirmières ! Non ! Pourquoi l'auteur a-t-elle voulu cela ???
Lona (de Bretagne)
L'écriture est rapide, comme l'histoire elle-même, comme une urgence dont le pronostic vital est engagé ; elle est précise comme un coup de bistouri ; palpitante comme un cœur vivant, rythmée comme une ventilation assistée ou un tracé d'électrocardiogramme ; elle est d'une justesse remarquable dans le ton, dans le choix des mots ; elle est joyeuse et/ou triste, mais sans pathos !
Une question m'interroge depuis le début de la lecture : est-ce que l'auteure a vécu un tel drame, en direct, ou par quelqu'un de très proche ? A-t-elle elle-même exercé en milieu hospitalier ? En tous cas son récit est parfaitement documenté et l'ambiance du milieu hospitalier est bien rapportée.
L'histoire est assez simple : un jeune en bonne santé, un décès accidentel, une mort immédiate, un donneur potentiel pour prélèvements d'organes, des receveurs en attente. Le roman se passe pendant ce court laps de temps entre l'arrivée aux urgences de Simon, le diagnostic de mort posé et les prélèvements en vue de transplantations : c.à.d. 24 heures. Suit une course contre la montre, dans un timing parfaitement orchestré, avec du personnel spécialisé où chacun a sa place bien précise (les parents, les infirmiers, le coordinateur, les chirurgiens, le chauffeur de taxi ou le pilote d'avion), le tout rythmé comme un tracé d'électro.
Le roman pose clairement la définition de la mort : quand est-on mort ? Il n'y a pas si longtemps, on considérait la personne décédée quand ECG était plat. Aujourd'hui la référence est l'EEG. Un EEG plat est une mort cérébrale et à partir de là on parle de mort ou de coma dépassé. J'ai beaucoup apprécié que l'auteure parle de Simon Limbres, qu'elle le nomme par son nom et prénom : elle lui laisse ainsi son intégrité identitaire, il n'est pas un numéro sur une liste hospitalière ou un cas dans une salle de réanimation ! Qui dit diagnostic de la mort, dit aussi définition de la vie. Ce roman est un plaidoyer pour les dons d'organes : pour la vie en fait !
J'ai aimé l'ambiance des services hospitaliers - ce monde à part - certainement parce qu'elle me rappelle ma vie professionnelle en milieu hospitalier ! Ainsi j'ai apprécié :
- l'accueil aux urgences, le circuit de la prise en charge
- la hiérarchie des services, les carabins (la tribu des Harfang), les anesthésistes suréquipés par rapport à mon époque, les infirmiers, le climat des salles d'op ; l'éthique des prélèvements, les interrogations du corps médical, la carapace de détachement apparent derrière laquelle il s'abrite pour se protéger, la banalité toute relative de la vie et de la mort ; le respect des corps
- les relations corps médical/famille et l'humanisation des services : comment annoncer un décès ? Le médecin préleveur a eu un "regard juste, celui qui maintint les parents du côté des vivants"
- les parents : leurs douleurs, leurs colères, leur impuissance devant la réalité, leurs interrogations, les choix à faire rapidement ; leurs culpabilités (le père=c'est de ma faute, c'est moi qui lui ai fait aimer le surf ; et la mère=je n'ai pas su protéger mon enfant)
- la hiérarchie des prélèvements : la charge symbolique diffère d'un organe à l'autre (les parents n'ont pas donné leur accord pour le prélèvement des cornées) ; "la migration du corps de Simon : les greffons prélevés filaient vers d'autres corps en attente" : la dispersion du corps de Simon me rappelle le geste du semeur, de la vie qui revient…
- l'état d'âme des receveurs : comment vivre avec un organe étranger ? Cette interrogation aurait pu être plus développée, bien que le sujet du livre soit le don d'organes vu du côté des donateurs ; l'auteure parle un moment donné de foi et de réincarnation
- j'ai aimé la délicatesse de Juliette, sa fraicheur d'adolescente amoureuse et belle.
- le quotidien qui continue : Cornélia avec son allure ("balancé, moelleux, tour piqué") et ses amours qui se superposent au drame de Simon, les familles des chirurgiens et l'hyper activité des derniers même durant leurs jours de repos, leurs propres problèmes relationnels avec leurs familles
- les pages de Hocine et de ses chardonnerets sont une bouffée de joie, de vie, de beauté, de musique. Les dernières images d'un bateau qui passe dans la baie du Havre à leur sortie de l'hôpital, me rappelle une nouvelle vie qui commence.
NB : je viens de voir le film de Katell Quillévére, avec le même titre que le livre. Souvent déçue par le film après avoir lu le livre, j'ai apprécié celui-ci. Justesse des images, des dialogues, des émotions et des questions posées.

François (du nouveau groupe parisien dont les avis suivent)
Je reste partagé après l'avoir lu deux fois : les phrases sont hachées, l'écriture à fleur de peau pour la première lecture. J'ai vu des clichés habituels sur l'hôpital, l'impression de remplissage. Ce que j'ai trouvé de mieux, c'est l'attention portée au langage, la difficulté de communication qui ressort bien. C'est le récit d'un grand traumatisme, l'auteur essaie de recoller les morceaux. Il y a une chaîne de solidarité qui se crée, ce qui n'est pas mal. Il y a d'un côté la vie des gens, et du côté clinique la vie médicale. Je vois un travail de résilience par l'écriture. Par moments, ça tombe dans le pathos, surtout avec le transport du cœur. Est montré le côté irréversible de la situation qui entraîne la mort (p. 109-110). L'indifférence est montrée face à la souffrance. Pour conclure : un sujet intéressant, avec la science humanisée. Livre ouvert à moitié.
Ana-Cristina
En lisant les premières pages, j'ai l'impression d'avoir affaire à un grand écrivain. Le ton est juste. Je m'extasie sur l'incroyable rythme de ces pages. Ainsi l'auteur peut évoquer en une seule longue phrase une vie qui se déroule et qui brutalement dévie de sa trajectoire (p. 11-12). Cette bifurcation malheureuse est rendue par le "quand soudain tout s'est emballé". Le destin (le "tout") qui se manifeste d'une façon inattendue en somme. J'apprécie aussi son sens génial de la rupture. Ce "quand soudain tout s'est emballé" clôt un chapitre en créant une rupture violente. A cela s'ajoute la précision de l'heure à laquelle a sonné l'alarme du portable de Simon, l'heure à laquelle il s'est levé. Simon Limbres se lève et moi, ma lecture en quelque sorte s'arrête. Je passe à un autre chapitre. Je subis ce changement, cette rupture. Maylis de Kerangal a su en deux pages capter toute mon attention. Mon attention est toute tendue vers l'avenir. Mais lequel ? De quoi est-il fait ? Elle me place dans une position d'attente, celle d'un événement tragique. Je le sais. Cette attente provoque chez moi une angoisse. L'auteur s'adresse à un lecteur qui sait, qui attend un drame. Deux petits mots judicieusement choisis l'indiquent : le "donc" dans "cette nuit-là donc" (p. 13) et le "lui" de "lui, Simon" (p. 14). C'est une façon subtile et efficace de ne pas me laisser dans une posture contemplative.
Le lyrisme... Les pages qui évoquent la passion de Simon pour le surf, me bouleversent. Leur lyrisme inattendu me sidère. Le surf devient le symbole de la vie, de la jeunesse, de la sève qui irrigue la plante, du sang qui circule. Lyrisme, manifestation en somme de toute passion. Et le silence... que l'auteur a su si bien installer. Silence si soutenu que chaque parole résonne, chaque mouvement creuse un sillon net et précis dans l'espace et le temps (l'espace temporel). Et la vague... le dernier sursaut avant la mort. La vague : "une promesse" (p. 22) ou une entrée dans le néant. Et l'énergie vitale (p. 23) qui se confond avec "l'état de grâce". Jusqu'à la page 24, mon intérêt pour la littérature est en éveil. Je suis captivée par le travail de cet écrivain (son style, ses images, etc.) Je peux dire que ces premières pages sont une réserve de vie comme le cœur de Simon dans le caisson (cœur qui prolongera une vie). Et la présence d'un mystère : celui de la mort ? P. 28 : "Son nom était Simon Limbres". Simon, catholique, est comme baptisé une seconde fois. Il naît une seconde fois. La première fois il naît à la vie, la seconde à la mort. Jusqu'à cette page 28 chaque fin de chapitre permettait d'emprunter
une nouvelle voie, d'espérer... Ces pages, je les ai lues comme un poème.
Puis brutalement page 29, je suis entrée dans une réalité privée de toute poésie. L'écriture perd de sa profondeur, de sa force, de sa beauté, de sa densité. Terminé le mystère ! Le style de Maylis de Kerangal devient ordinaire. Son style devient cinématographique. Ce ne sont plus des chapitres mais des séquences prêtes à être filmées. Ce roman me semble illustrer cette pensée de Gide : "on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments." Je n'oublie pas Simon Limbres, mais je crains d'oublier Maylis de Kerangal. Je n'oublie pas Claire Méjan, mais je me souviendrai de l'ennui qui m'a envahie une fois passées les premières pages. Ces premières pages passionnantes, magnifiques que j'ai lues et relues. Ces premières pages sont un vibrant hommage à tous les Simon Limbres.
J'ouvre le livre à moitié pour manifester ma déception.
Françoise H
J'ai lu le livre à sa sortie, j'ai une histoire d'amour avec l'auteure depuis 2003. J'aime ces personnages, j'ai beaucoup pleuré à la lecture de ce livre, car l'histoire fait écho avec la leucémie mortelle de mon neveu. Les deux histoires se superposent donc j'ai beaucoup de mal à en parler. Il y a une puissance du récit lié à un vocabulaire scientifique. Ce que j'en retiens : la femme coordinatrice qui dispache les organes, le récit qui imite la réalité, s'en approche, par le traitement des personnages.
Nathalie B
L'écriture est au début intéressante, mais le style hachuré, qui semble vouloir reproduire le battement d’un cœur, sans respiration ou presque, m'est devenu pénible assez rapidement. Maylis de Kerangal semble s'être fixée comme objectif d'écrire la même langue que celle qu'elle attribue aux médecins, décrite p. 38 : "langue qui bannit le prolixe comme perte de temps, proscrit l’éloquence et la séduction des mots, (…) langue où parler signifier d’abord décrire, autrement dit renseigner un corps, rassembler les paramètres d’une situation afin de permettre qu’un diagnostic soit posé, (...) que l’on soigne et que l’on sauve : puissance du succinct." Et moi, je n'ai pas été convaincue. C'est un livre intelligent, intellectuel, où tout semble pesé pour rendre l’effet voulu (les noms propres, le style, les personnages stéréotypés, leurs apparitions qui cassent l’émotion parfois ressentie…). Mais on voit tous les fils blancs de la création. Difficile dès lors d’être emportée. L’auteure a un potentiel pourtant incontestable, qui se laisse entrevoir sur certains micro passages, bouleversants. Ainsi la référence à la distorsion du temps entre celui qui sait et celui qui ne sait pas encore : "cette voix tant aimée, familière comme seule une voix sait l’être mais devenue étrangère, puisque surgie d’un espace-temps où l’accident de Simon n’avait jamais eu lieu…" (p. 91). J’ai ressenti un manque criant dans ce roman qui se veut pourtant réaliste : l’odeur. C’est un livre, aseptisé, sans odeur. Pas d’odeur d’hôpital pourtant si porteuse d’angoisses, pas d’odeur de sang pourtant bien visible, pas d’odeur de mort avec l’écoulement des fluides corporels, impossible à oublier dans une toilette d'un mort. Et la dimension de la disparition du vivant, qui fait qu’un corps devient un cadavre, n'ayant plus aucun rapport avec la personne, l’avant et l’après mort, si inoubliable, n'est même pas effleurée. Pour moi, tout me semble factice. Du coup, j'ai ressenti beaucoup d'ennui à la lecture. Je suis insatisfaite.

Julius
J'ai été très frappé par la dimension christique de Simon. (Julius développera longuement son avis après la séance, voir plus bas).

Nathalie
Entièrement d’accord avec le côté christique. On pense lors de la toilette faite par Thomas (très beau personnage) aux piétà de Michel-Ange, et à la résurrection avec l’utilisation des organes dans un autre corps.
Éléonore
Je me suis profondément ennuyée. Le démarrage a été très lent, je ne comprenais pas de quoi le livre voulait parler. Les personnages étaient une série de stéréotypes. Les adolescents dans le premier chapitre par exemple aimaient le surf, préféraient le surf à la petite amie, boudaient les parents, etc. Je me suis crue dans un roman pour adolescents. L'auteur a un style très marqué qui ne m'a pas plu. Elle prétendait décrire un personnage par quelques scènes saisies au vol alors que ces scènes là peuvent très bien ne rien dire de la personnalité. On sait tous qu'il nous est arrivé de faire des choses qui ne nous ressemblent pas. J'ai trouvé cela prétentieux et mal fait. Le livre tourne autour d'une action centrale qui est l'accident de Simon et met en scène les personnages qui gravitent autour de cette action. Cette façon de passer d'un personnage à un autre et de superposer des images pour chacun d'eux m'a fait penser au cinéma, notamment au Fabuleux destin d'Amélie Poulain. Enfin j'ai trouvé que le sujet méritait d'être soulevé mais que l'auteur l'a maltraité. J'ouvre le livre à ¼.

Julius
Il y a une subtilité dans l'appréhension des choses, mais elle le traite mal, avec un style journalistique qui ne colle pas.

François
Je souscris à cette idée de roman chaotique face à une situation de l'ordre et de l'indicible.
Valérie
A priori ce n'est pas un sujet qui m'aurait intéressée, mais après lecture le livre est intéressant, mais pas comme un documentaire. J'ai trouvé les scènes de cul de l'infirmière particulièrement déplacées alors qu'on se trouve autour de la mort d'un enfant. Ce qui m'a interpellée : le monde médical, je l'ai en horreur, mais là je l'ai trouvé plus humain que je ne l'aurais cru. Dans la deuxième partie, la femme qui reçoit ce cœur vit seule et ne semble pas avoir un goût à la vie immodéré ; mais brusquement elle tient à sa vie, elle est prête à recevoir ce cœur. J'aimerais voir ce livre monté en pièce de théâtre. Une scène très marquante : quand les chirurgiens sont autour du corps, prêts à prendre les organes qu'ils veulent.
Pour moi ce livre n'est pas de la littérature, mais on est dans une société où on invente des mots, on peut pratiquement dire n'importe quoi. Ceci étant, je lirais probablement un autre titre de cette auteure. Ce livre n'est pas un livre de littérature, mais il parle de la vie, de la mort qui sont des sujets universels. Je ne trouve pas bon le titre "Réparer les vivants", trop choquant, on ne répare pas un corps comme une voiture, peut-être serait mieux "Aimons les vivants ?"
Alix (avis transmis)
Ce n'est pas sans une certaine appréhension que j'ouvre Réparer les vivants. Lire cette histoire qui sent la mort, l'hôpital et le deuil, faut-il vraiment s'infliger ça ? Je suis bien décidée à refermer lâchement le livre si c'est trop difficile. Finalement, je n'ai pas ressenti l'horreur attendue, juste beaucoup d'émotions et une admiration confuse pour la médecine, en dépit du style.
Commençons par le style. Les phrases interminables de l'auteur m'agacent vite, sa façon de disséquer les moindres actes de la vie quotidienne comme on dissèque un corps. Plus tard dans le livre, on a l'impression qu'elle fait étalage de sa science en matière d'actes médicaux et de termes spécialisés, accessibles aux seuls initiés, comme si elle voulait nous prouver qu'avant de s'attaquer à un sujet aussi complexe elle s'était méticuleusement renseignée.
On comprend vite que c'est le cœur qui est au centre du sujet. Réparer les vivants, c'est avant tout réparer leur cœur dans tous les sens du terme. Donner un nouveau cœur à ceux qui en ont besoin, panser celui des endeuillés. On s'attend à une noyade, on a un accident de la route à la place. Une touche d'humour à la p. 52 "c'est dimanche, les urgences sont toujours chargées les dimanches, les gens ne savent pas trop quoi faire". À la p. 92 ca y est je pleure devant "l'émotion que l'on ressent parfois devant ce qui, dans un temps, a survécu d'indemne, et déclenche la douleur des impossibles retours en arrière". On devine pourtant, déjà, ce que cet événement peut avoir de positif : il rapproche deux êtres que la vie avait séparés, unis à présent dans une commune douleur. Le livre ne développe pas davantage cet aspect… Et la vie continue, le livre exprime bien les petites préoccupations de Cordelia qui paraissent soudain indécentes, hors de propos, devant la peine des endeuillés : Cordelia, écoutant son supérieur lui parler de la façon dont il faut s'adresser à un patient en état de mort cérébrale, et ne pensant qu'à décrocher son téléphone qui sonne. L'absence de soulagement de la personne qui va recevoir la greffe est surprenante. On s'attend à ce que l'annonce sonne comme la fin d'une incertitude, et rien. Se sent-elle coupable ? Fascination pour cette opération qui défie la mort, prendre le cœur de quelqu'un et le placer dans le corps de quelqu'un d'autre. Il y a des gens qui font ça, qui sauvent des vies la nuit, quand la ville dort ou s'oublie dans les verres d'alcool ou le brouhaha des discothèques.
Finalement, en fermant ce livre, deux questions me taraudent. Qu'est-ce qui a bien pu pousser l'auteur à écrire un livre aussi atroce ? Ce genre de thème semble ne pouvoir venir que d'une expérience personnelle. Cette intuition sera confirmée par la lecture de l'entretien avec l'auteur. Enfin, je n'ai pas pu m'empêcher de me questionner en même temps que les parents de Simon. Que répond-on à quelqu'un qui vous annonce qu'il veut prélever des organes sur le corps de quelqu'un qui vous est cher ?
Flavia (avis transmis)
J'ai un avis plutôt partagé sur ce roman. Dès les premières pages j'ai identifié un style qui ne correspond pas du tout à mes goûts. Ensuite, la déception s'est transformée en agacement. Les descriptions et les digressions m'ont paru trop longues et parfois peu pertinentes ; le style, artificiel, lourd, quelquefois théâtral, enfin peu naturel. Le tout assaisonné avec plein de mots inhabituels qui ne font que complexifier la lecture ainsi que de suspensions/retardements forcés (juste un exemple p. 29 : "- ciel pâle, vaguement tourterelle, bien loin en tout cas des chorégraphiques grandiloquentes qui avaient inscrit la réputation picturale des nuages de l'estuaire -" : ???).
J'aurais voulu en savoir plus sur les personnages, sur leur caractère, leur passé, leurs émotions, mais pas facile… pile aux moments où j'arrive à en savoir un peu plus et à me faire embarquer dans la lecture, voilà qui commence une digression longue, lourde, qui me détache de l'histoire. Quelques exemples : les sirènes qui s'accrochent à la voiture des trois garçons après l'accident - j'ai trouvé cela très artificieux, la longue description du "voyage" que l'appel de Marianne fait pour arriver jusqu'à Sean (p. 54-55) - j'ai mis un peu de temps à comprendre de quoi on parlait, et plein d'autres passages, comme par exemple :
- p. 93, "Elle discerne sa silhouette dans le miroir du fond, puis son visage, celui qu'il reverra après tout ce temps, après cet amoncellement de silence" : elle veut dire quoi exactement ?
- p. 121, "Révol dort. Un cahier est placé à portée de main pour qu'il puisse noter quand il s'éveillera, décrire les images entrevues, les actions, les enchaînements et les visages, et peut-être que celui de Simon s'y inscrira", jusqu'à p. 122, on dirait un peu le théâtre de l'absurde...
Toutefois, il n'y a pas que du négatif dans ce livre ! Il y a aussi des pages de grande qualité, puissantes, des passages qui m'ont émue, troublée, où il m'a semblé que l'auteur allait (enfin !) droit au but et, sans trop d'affectation, nous livrait avec générosité l'intensité des moments et des émotions ressenties par les personnages. Juste quelques exemples :
- la rencontre entre Marianne et Révol, p. 61-62 : "Vous prenez un café ?", et tout ce qui suit après, j'ai adoré.
- p. 72, Marianne ne veut pas renter chez elle, pas tout de suite, "ce qu'elle veut c'est un lieu où attendre, un lieu où épuiser le temps, elle veut un abri" : merveilleux...
- p. 87-88, le monde s'est arrêté suite à la mort de Simon…, on a l'impression de marcher à côté de Marianne.
Et plein d'autres passages, jusqu'aux p. 287-288, où, j'avoue, j'ai versé quelques larmes (Thomas redonne vie au corps de Simon, "afin que les cités, les familles, et les poètes puissent chanter son nom, commémorer sa vie"). Paradoxalement, ce sont les descriptions du corps, des organes, du cœur, de l'opération qui m'ont le plus émue. Je dis paradoxalement car cela aurait pu tourner au macabre à certains moments, mais au contraire, c'est toujours très intense, délicat, poétique. C'est vraiment le cas de dire cette fois : "chapeau" ! D'ailleurs la deuxième partie du livre m'a plu beaucoup plus que la première. Tout s'accélère, on est transporté dans une course contre le temps et on se sent beaucoup plus proche des personnages.
En conclusion, je ne sais pas si je lirai un autre livre de Maylis de Kerangal. Probablement pas. Toutefois, malgré mon avis partagé, je conseillerai quand même de lire ce roman, pour l'intérêt du sujet et pour la beauté de certaines pages que j'ai vraiment appréciées. J'ouvre aux ¾.
Julius entre et
Pour moi, c'est un livre placé sous le signe de la pudeur. Face à cette déflagration que représente la mort d'un enfant, face à l'écrasant sujet du don d'organe, de la perte et du don de la vie, comment dire la douleur, comment dire l'émotion, le faisceau d'émotions qui traverse, qui commotionne, qui pulvérise l'être humain ? Comment dire l'indicible, comment dire la vie d'après ? Les parents de Simon n'ont pas les mots pour le dire, les autres non plus, nous non plus… Pour moi, la grande force de ce roman est de dire sans dire, ce qui ne peut être dit. Et c'est la pudeur qui en est le véhicule.
Et pour conserver cet angle d'attaque du début jusqu'à la fin du livre, l'auteur alterne, nous fait alterner, entre deux extrêmes : d'une part un style froid, atone, détaché, implacable, je dirais même "minéral", un style qui s'apparente lui-même à une dissection, avec toute la méticulosité de la démarche scientifique. Un style qui ne laisse pas de place au sentiment : milieu hospitalier, la maladie, la mort, la bétadine, la clampage, le protocole… tout cela est présenté de façon à nous renvoyer à quelque chose d'inhumain, le corps considéré comme une chose, comme un machine, comme une réserve de pièces détachées tandis que le chirurgien agit comme un garagiste, il répare les vivants comme l'autre répare les voitures. Et puis, à l'autre extrémité, il y a un style effréné, fiévreux, haletant, éperdu, saturé qui me donne l'impression de vouloir prendre de vitesse, parer, contenir l'expression du sentiment, la vague immense qui menace à tout instant de déferler et de balayer toute l'histoire. Je trouve que c'est assez réussi car le lecteur est toujours sur la crête, toujours au bord du bord du gouffre sans jamais être précipité dans le pathos. Il y a beaucoup d'émotion, mais la tension permanente permet d'éviter l'écueil de la déploration emphatique ou pontifiante. La pudeur, toujours. Mais à quel prix… Car j'ai trouvé cela finalement très épuisant. En fait, j'ai un sentiment mitigé sur ce livre que j'ai beaucoup apprécié à la première lecture et beaucoup moins ensuite lorsque je l'ai repris pour préparer notre séance. La première fois, je me suis laissé emporter par le rythme, par l'empathie envers les personnages, par la perfection des deux styles entremêlés, et je l'ai lu pratiquement d'une seule traite. Mais j'ai eu beaucoup plus de mal, ensuite, à relire des passages car tout m'est apparu très différent.
D'abord, ce que je trouve particulièrement réussi, c'est cette manière très subtile de présenter la vie comme quelque chose d'à la fois si fragile et en même temps irréfragable, inextinguible, immarcescible… En fait, même si la mort rôde dans tout le roman, même si "la mort travaille la vie", eh bien la vie, elle aussi, a ses façons de combattre, elle aussi a ses passages secrets, et la vie travaille tout autant la mort. Cela se retrouve tout au long de l'histoire, c'est même le cœur (le cœur !) de l'histoire, mais cela se retrouve aussi, et je trouve cela d'une grande délicatesse, dans chacun des personnages qui nous sont tous présentés à la fois comme forts et fragiles. Ils sont forts dans cette histoire de greffe qui les réunit, c'est un travail d'équipe, un pack de rugby, ils prennent les coups ensemble et, en même temps, ils sont fragiles, nus, démunis lorsqu'ils nous apparaissent dans leur vie quotidienne. Faibles et forts à la fois, comme chacun de nous, j'ai trouvé cela très attachant. Je trouve qu'il y a en eux à la fois du Petit Prince et de sa rose, si forte avec ses épines, et si faible qu'un courant d'air la fait frissonner, et le Petit Prince, si fragile, lui aussi dans ce désert perdu, qui doit la protéger, qui est fort de sa responsabilité envers sa rose. Le Petit Prince qui dit qu'on ne voit bien qu'avec son cœur… De même Thomas Rémige, responsable de son chardonneret, à la fois fragile dans son être et protecteur (rémige du nom des grandes plumes protectrices des oiseaux), de même Révol (une révol-te inachevée… ?) qui se met en danger avec ses recherches sur les champignons hallucinogènes, sa solitude…, de même pour Sean, colosse capable de construire des canoës et sa mélancolie des antipodes, de même pour Cordélia (Shakespeare…) et sa pauvre histoire d'amour qui ne l'empêche pas de tenir 48 heures d'affilée pour tenir sa place lors de l'opération finale, de même Claire et ses pétales de roses. Tout en délicatesse.
De ce point de vue, je trouve que le titre est particulièrement bien choisi. Peu importe qu'il soit tiré d'une pièce de Tchékhov, c'est le sens qui importe. Réparer les vivants, c'est réparer TOUS les vivants : Claire, bien sûr, qui va recevoir le cœur (quel symbole… !) mais aussi tous les autres, tous ceux qui sont atteints, touchés de près ou de loin par la déflagration, à commencer par Sean et Marianne, mais aussi Révol, Rémige, même Marthe qui gère la banque d'organe, de près ou de loin, tous ceux qui participent au don vont bénéficier d'une résilience à la hauteur de ce don. Du moins est-ce ainsi que je le vois… Après les avoir vus si fragiles, nous comprenons que leurs gestes subliment leurs actes, que les blessures de la vie se trouvent lavées d'un baume à l'occasion de ce geste "supra-humain". Dans cet esprit, j'ai été absolument frappé par la dimension christique de Simon qui donne sa vie pour la salut des autres, qui, en donnant sa vie, donne LA vie. Simon qui est le seul personnage réellement incarné de cette histoire (on nous décrit sa peau, ses cheveux plein de sel, sa musculature, sa beauté…) alors que tous les autres sont extrêmement stylisés, réduits à pas beaucoup plus que leur rôle dans le récit. Même si le don n'est pas volontaire, je trouve qu'il y a une forte dimension religieuse et je ne suis pas certain que ce soit involontaire de la part de l'auteur… Si on file la métaphore un peu plus loin, on se rend compte qu'il y a comme un temple autour de Simon (l'hôpital), un grand prêtre officiant (Thomas, d'ailleurs Thomas s'appelle Thomas, celui qui a vu le Christ…, et Rémiges s'appelle Pierre, Pierre tu es Pierre et sur cette pierre je construirai…, quant à Simon, c'est aussi un apôtre qui a terminé sa vie dans le Caucase… coupé en morceaux !), il y a un dogme (la sacro-sainte toute-puissance de la science médicale), il y a des vertus (foi dans la science médicale, espérance, charité du don, etc.), il y a des rituels (le protocole), il y a du mystère (la bande-son passée à l'oreille de Simon à l'heure de sa prochaine élévation) et on a même les marchands du temple avec les Harfang ! Et je dois en oublier. Au bout du compte, je trouve que c'est une très belle construction, c'est le récit d'une sorte de catharsis mystique collective et c'est, à mon sens, très réussi.
Le seul qui soit complètement à côté de la plaque, c'est Harfang : lui n'a aucune fragilité, il est tellement nanti (de suffisances, de richesses, de certitudes) qu'il n'a plus en lui le moindre interstice pour accueillir la grâce la plus ténue. D'ailleurs, les Harfang n'ont pas besoin du don, ils vivent en circuit fermé, se reproduisent entre eux, se suffisent à eux-mêmes. Ils méprisent le don. Tout cela nous a valu quelques pages d'une ironie féroce que j'ai adorées. J'ai donc apprécié tout cela. MAIS…
Mais en même temps, je trouve que cette réussite n'est obtenue qu'au prix d'un épuisement total du lecteur. Les contorsions permanentes du style, les tournures systématiques, les changements de pied calculés, la cadence à la fois ultra-rapide et cependant parfaitement régulière m'ont sauté à la figure dès que j'ai rouvert le livre. Trop artificiel. On voit trop les coutures, on devine la charpente, on perce les petits secrets de fabrication.
Et cependant, il y a des trouvailles : la plasticité du style qui permet de coller en permanence à la nature de l'action, les personnages perçus simultanément en situation d'urgence absolue et au contraire déliés dans le temps long de leur existence… J'ai particulièrement aimé les mises en abîme et les rapports vertigineux entre la course contre la montre pour la greffe et le ralenti quasi-cinématographique avec lequel la déflagration se propage dans des cercles concentrique toujours plus larges. Il y a le cœur du réacteur : Simon et son cœur, puis ses parents, puis les personnels de santé, puis Paris… et on sent, on sait que cela continue pendant l'opération, que cela va continuer après, sur le temps long, toujours plus large, toujours plus lentement : la famille, les amis, l'enterrement, la vie après, le souvenir, les photos jaunies et l'enlisement dans la mémoire de ce qui ne sera plus qu'une histoire… J'ai trouvé tout cela magnifiquement perçu. C'est aussi un roman sur le temps que ce livre-ci. Avec des aspects très cinématographiques (des plans très rapprochés, des incrustations, des découpages particuliers…)
J'ai trouvé aussi tout à fait remarquables les petites touches par lesquelles la narratrice s'insère dans le discours aux moments les plus poignants par le truchement de l'indéfini "on" ("et l'on comprend mal pourquoi ils s'arrêtent là."). Très fort, cette apparition de la narratrice pour mieux disparaître, s'effacer derrière l'intensité dramatique, prenant le lecteur à témoin de ce qu'elle se trouve elle-même dépassée par cette intensité…
Tout cela est remarquable et pourtant, à la relecture, je me suis fait la réflexion (paradoxale) que ce n'était finalement peut-être pas si bien écrit que cela. J'ai été gêné par des détails (l'adverbe "mêmement" trois fois dans le même livre…) Plus généralement par la systématique des procédés, comme la recherche récurrente de comparaisons, jusqu'à l'overdose ("l'aube tie and dye, entre rouge corail et rose paume de singe", "la pureté chromatique de la voix de Sean que le froid aiguise comme la cendre sur la lame"), ou encore le filage interminable des références à la mort dans l'épisode se déroulant dans le pré au bord de la Seine : les cadavres de moustiques, la souche pourrie, jusqu'à l'estuaire qui a le "drapé d'un linceul" !
Enfin, il y a ce rythme effréné qui ne laisse aucune respiration au lecteur, alors même que celui-ci sait à l'avance ce qui va se passer, car s'il y a de l'émotion, il n'y a pas de suspense. J'ai trouvé cela fatigant, cette impression d'être traîné du début à la fin au bout d'une laisse trop courte. Même chose à propos de cette impression "d'ultime" qui parcourt tout le roman : tout se passe à la perfection, tout les personnages font exactement ce qu'il faut, sans faille, avec juste le petit suspense préfabriqué à la fin lors du redémarrage du cœur : ce n'est plus une greffe du cœur, c'est LA greffe du cœur, on ne pourra jamais faire mieux et tous les personnages sont des héros comme ils respirent. Je me suis pris à espérer que les parents de Simon disent "non" ou que Virgilio oublie une pince entre deux organes, du suspense, du vrai ! Et par-dessus tout, j'ai trouvé que la puissance écrasante du sujet était traitée de façon particulièrement étouffante : le don est présenté comme LA valeur morale absolue. Et le lecteur ne dispose d'aucun recul, d'aucune respiration pour se demander si oui, vraiment, tout ce qu'il voit est bien normal, le don, oui bien sûr, la façon dont les parents de Simon sont amenés à l'accepter, pourquoi pas, peut-être… Mais le lecteur aimerait pouvoir y réfléchir lui-même, se poser des questions et non pas ne recevoir que des réponses. Je trouve qu'il n'y a pas assez de place à la distance critique, ce qui m'a paru finalement assez oppressant. Tout cela est dommage car ces imperfections gâchent beaucoup en raison même du style adopté. Narratif, événementiel, presque journalistique, dès que l'intensité retombe un tant soit peu ou dès qu'un grain de sable vient gripper le rapport du lecteur au texte, on a l'impression que le style tourne à vide, un peu comme les journalistes qui meublent interminablement après l'annonce d'un scoop à propos duquel ils n'ont aucune information. J'ai regretté ce phénomène à plusieurs reprises (sans parler de la scène lamentable de la lanceuse de pizzas).
En conclusion, je trouve que c'est un roman passionnant (les définitions de la mort, le déroulement de l'opération sont très intéressants) mais au style insuffisamment (parce que trop) maîtrisé. Bien perçu, très fin, très délicat, mais finalement mal raconté parce que manquant de naturel. Sévère mais juste, j'ouvre entre ¾ et complètement car l'exercice de style est intéressant et je pense que c'est un livre original qu'il convient d'avoir lu (mais sans le relire…).



DOCUMENTATION SUR L'AUTEURE ET LE LIVRE

Le théâtre du Rond-Point présente à la même période Réparer les vivants ; adaptation, mise en scène et interprétation : Emmanuel Noblet. Une rencontre avec Emmanuel Noblet a été possible le 30 septembre ou le 2 octobre 2016.

Une interview éclairante de Maylis de Kerangal sur son livre : ICI

Des articles concernant Réparer les vivants - livre et pièce : sur le metteur en scène-acteur, sur l'auteur.
Concernant l'adaptation théâtrale elle-même, deux entretiens : d'Emmanuel Noblet, de Maylis de Kerangal : ICI. Et - encore mieux ! - un entretien avec eux deux dans l'émission L'heure bleue de Laure Adler sur France Inter (8 sept 2016) :

Un vaste autoportrait de l'auteure dans la revue Décapage : ICI

Des tableaux sont évoqués dans le livre :
- p. 109 : Le corps du Christ mort dans la tombe (1521) d'Hans Holbein le Jeune conservée en Suisse au musée d’art de Bâle :

- p. 262 : La leçon d'anatomie de Rembrandt (1632) conservée à Amsterdam au musée Mauritshuis

- p. 33 : Le nouveau-né (1648) du peintre lorrain Georges de La Tour conservé au musée des Beaux-Arts de Rennes :

A propos du titre "Réparer les vivants", on lit p. 140 à propos du personnage de Thomas, l'infirmier : "dans son bureau, au revers de la porte, il a scotché la photocopie d'une page de Platonov, pièce qu'il n'a jamais vue, jamais lue, mais ce fragment de dialogue entre Voïnitzev et Triletzki, récolté dans un journal qui traînait au Lavomatic, l'avait fait tressaillir comme tressaille le gamin découvrant la fortune, un Dracaufeu dans un paquet de cartes Pokémon, un ticket d'or dans une tablette de chocolat. Que faire Nicolas ? Enterrer les morts et réparer les vivants."

Dans l'entretien ci-dessus cité, à la question : "La référence au Platonov de Tchekhov a-t-elle joué un rôle dans la genèse du livre ou est-ce quelque chose qui est venu après ?" Maylis de Kerangal répond : "Ce fragment de dialogue entre Voïnitzev et Triletzki (Que faire Nicolas ? Enterrer les morts et réparer les vivants) m’accompagne depuis longtemps. Il est recopié sur un papier scotché à côté de ma table de travail et oui, il a joué un rôle ; pour le titre certes, mais aussi pour l’intuition du livre."

Voici la scène d'où est tirée cette phrase dans Platonov, c'est la dernière scène de la pièce : ICI

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout


Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens