Quatrième de couverture :

Voici l'autobiographie de Vladimir Nabokov, dans l'édition révisée et augmentée parue aux États-Unis sous le titre Speak, Memory, an Autobiography revisited et comprenant la préface inédite de sa traduction russe. De toutes ses œuvres écrites en anglais, l'auteur n'a choisi de retraduire lui-même en russe que celles qui lui tenaient particulièrement à cœur : Lolita et Autres rivages. Livre nostalgique sur une Russie disparue, Autres rivages restitue avec une magie éblouissante l'enfance de l'auteur et son exil européen : "Comme le cosmos est petit (une poche de kangourou le contiendrait), comme il est dérisoire et piteux comparé à la conscience humaine, à un seul souvenir d'un individu et à son expression par des mots ! Peut-être suis-je attaché à l'excès à mes toutes premières impressions, mais après tout je leur dois de la reconnaissance. Elles m'ont montré le chemin d'un véritable Eden de sensations visuelles et tactiles."

 

Vladimir Nabokov
Autres rivages : autobiographie

Le nouveau groupe parisien a lu ce livre en 9 mars 2018.
Valérie
Je m'intéresse beaucoup à la littérature russe et je la connais très bien. Mais, de Nabokov, je n'ai lu que Lolita que je n'ai pas du tout aimé (trop pervers !). Même l'adaptation cinématographique, je l'ai détestée (impossible de regarder le film en entier). Donc j'ai commencé la lecture avec un a priori négatif. Et c'est à partir de la page 100, après le chapitre III très ennuyeux, consacré à la généalogie de sa famille, que la lecture d'Autres rivages est devenue plaisante.
J'ai une grande passion pour les autobiographies, et celle-ci m'a finalement beaucoup plu. Sa thématique m'a beaucoup intéressée. J'ai pensé à Proust en lisant le début du chapitre VI : "Les matins d'été, dans la légendaire Russie de mon enfance, mon premier regard, en me réveillant, était pour l'interstice entre les volets blancs. […] D'un seul coup la chambre se fendait en deux parties : lumière et ombre. Le feuillage des bouleaux bougeant dans le soleil avait le ton de vert translucide des grappes de raisin, et, faisant contraste avec lui, il y avait le sombre velours des sapins se détachant sur un bleu d'une intensité extraordinaire, dont je n'ai retrouvé le pareil que bien des années plus tard, dans la zone montagneuse du Colorado" (p. 151-152).
Cette œuvre regorge de mots difficiles, peu usités. J'en ai relevé quelques-uns, cherché leur définition : cela fait une jolie liste ! Cette surabondance de mots abscons est un des aspects amusants du style de Nabokov.
Si certains passages, comme celui qui déroule toute la généalogie de la famille de l'auteur, m'ont ennuyée, d'autres m'ont émerveillée, tel celui-ci : "Sur un pittoresque gros bloc de pierre roulé, un petit sorbier et un tremble encore plus petit avaient grimpé, en se donnant la main, comme deux enfants gauches et timides" (p. 173).
En lisant cette autobiographie, j'ai souvent pensé à Pasternak. Nabokov m'a donné envie de relire cet auteur. Et de retourner voir la maison de Pasternak à Moscou.
Je ne sais pas si je parviens à être très objective. Mon grand intérêt pour la culture russe et mon lien avec le milieu russe, et en particulier la communauté russe de Paris que je fréquente, influencent peut-être ma façon de percevoir certains aspects de cette œuvre. La chasse aux papillons : magnifique ! J'ouvre en très grand.
Julius
Enfin un livre drôle ! Nabokov a un humour extraordinaire. Quand il décrit Mademoiselle O, il est irrésistible : "Et voici qu'elle s'assied, ou plutôt qu'elle s'attaque au problème de s'asseoir…" (p. 120). Je me suis aussi beaucoup diverti à suivre le défilé "des gouvernantes anglaises et françaises et des précepteurs parlant russe" (chapitre VIII).
Drôle, mais aussi férocement drôle, quand l'auteur évoque par exemple ce jeune Allemand qui a une passion pour les peines capitales. La férocité de Nabokov s'épanouit merveilleusement dans des diatribes sur quelques écrivains détestés et son mépris rayonne dans les portraits qu'il fait de certains de ses collègues. Il se montre cinglant dans les critiques qu'il fait sur les diverses administrations dont il dépend, en tant que ressortissant, dans les pays qui l'accueillent. J'ai beaucoup apprécié l'autodérision dont sait faire preuve Nabokov. J'estime qu'il peut tout dire et de la façon dont il le fait parce qu'il ne s'épargne pas. Cela adoucit un peu son orgueil démesuré. Sa façon de dire beaucoup de mal de la psychologie tout en en faisant est pleine d'humour.
Après son humour, ce que j'apprécie beaucoup chez Nabokov, c'est la finesse dont il sait faire preuve dans le jeu qu'il instaure avec son lecteur. Jeu complexe, jeu subtil. Il prend le lecteur souvent par la main, entretient un flou dans la distinction auteur-narrateur. S'il feint de s'adresser au lecteur c'est dans le but de mieux jouer avec lui. En réalité c'est à sa femme qu'il s'adresse.
Nabokov sait aussi faire preuve d'une grande sensibilité. La poésie n'est jamais absente de ses récits. En voici quelques exemples :
- après avoir transformé un jardin en un feu d'artifice de couleurs vu à travers des "verres magiques de verrières multicolores", il conclut en disant qu'en définitive l"'on se tournait vers un petit carreau de verre ordinaire, insipide, avec son moustique solitaire ou sa tipule boiteuse" et que s'était alors "comme boire une gorgée d'eau sans avoir soif et que l'on voyait un prosaïque banc blanc sous des arbres familiers". Et enfin, magnifique pensée : "Mais de toutes les fenêtres, c'est ce carreau-là à travers lequel, des années plus tard, mon aride nostalgie brûlait de pouvoir plonger le regard." (p. 134)
- un extrait où nous pouvons apprécier le lyrisme nabokovien : "Je me souviens d'un coucher de soleil en particulier. Il donna des reflets de braise à la sonnette de ma bicyclette […] C'était, en attente, une famille de nuages sereins en miniature, un amoncellement de circonvolutions brillantes, anachroniques dans leur velouté et extrêmement éloignées ; éloignées mais parfaites en tout point ; réduites de manière fantastique, mais d'une configuration sans faille ; mon merveilleux demain prêt à m'être livré." (p. 270-271)
- scène dans lesquelles l'auteur raconte son angoisse quand, jeune enfant, il appréhendait l'instant où Mademoiselle éteindrait sa bougie et le moment fatidique où il se retrouvait "dans cette nuit noire" (p. 138-139).
J'ai beaucoup apprécié aussi le récit de ses voyages en train, chapitre VII et plus spécialement p. 183, les "amalgamations optiques" opérées par son regard d'enfant entre l'extérieur c'est-à-dire le paysage qui défile et l'intérieur, c'est-à-dire le compartiment dans lequel il jouait aux cartes avec sa mère.
Signe encore de sa sensibilité : le désespoir qui transparaît dans certaines pages. Ainsi il écrit : "On a envie de parler avec plus d'éloquence de ces choses, de beaucoup d'autres choses dont on espère toujours qu'elles pourraient survivre à la captivité, dans le zoo des mots - mais les tilleuls centenaires qui entouraient la maison couvrent le monopole de Mnémosyne en craquant et s'agitant dans la nuit inquiète" (p. 295).
Je termine en saluant l'intelligence supérieure de Vladimir Nabokov. J'ouvre en très très grand.
Françoise
J'adhère à ce que vient de dire Julius.
Néanmoins, je voudrais faire part de ma déception. Je m'attendais à voir la Révolution de 1917 vue par un témoin de premier plan. Nabokov n'en donne à voir que des fragments, par exemples le sauve-qui-peut de l'aristocratie, les rapports entre les maîtres et les serviteurs, la façon de vivre de la grande noblesse très fortunée. Mais où sont les faits ? Les impressions des différents acteurs ? Son père a joué un rôle dans cet événement historique et pourtant de l'événement l'auteur n'en donne que peu à voir.
Il n'en reste pas moins que Nabokov est un auteur génial. Il surplombe sa narration. Il joue aussi avec les temporalités.
De plus, il prend le lecteur pour quelqu'un d'intelligent. Il lui fait confiance. Pour cette raison, il fait preuve d'une grande liberté. Aujourd'hui, les auteurs auraient plutôt tendance à considérer leurs lecteurs comme des imbéciles !
Si cet auteur est génial, il n'en demeure pas moins, à mon avis, un homme in-su-ppor-ta-ble. En effet, il devait être d'un égocentrisme dévastateur.
J'ai pris un grand plaisir à lire Autres Rivages. Lolita m'avait bien plu aussi. Je lirai volontiers un autre de ces livres.
Il porte souvent un regard sans concession, très aigu, sur les russes blancs. Et il sait parfois faire preuve d'une grande tendresse.
Je tire mon chapeau à l'auteur pour sa grande maîtrise dans l'art de raconter.
Ana-Cristina
J'ai follement aimé ce livre quand je l'ai lu pour la première fois il y a (je crois) vingt ans. Je l'ai encore beaucoup apprécié quand je l'ai lu il y a dix ans.
Je le lis alors pour la troisième fois. Et qu'en est-il de cette passion que j'avais alors pour cet auteur ? S'est-elle éteinte ? Oh ! Pas tout à fait ! J'ai pris encore beaucoup de plaisir à lire Autres rivages, mais la nature de notre relation a changé. Je dois m'y habituer. L'enthousiasme ne peut plus être le moteur qui active ma critique. La surprise, je dirais même plus, le choc de la première lecture, non plus. Alors ?
Je vais simplement tenter de répondre à une simple question : qu'est-ce que je retiens de cette troisième rencontre avec cet œuvre atypique ?
Qu'un souvenir est une chose délicate. C'est une chose vivante. Une fois écrit, le souvenir perd de sa qualité: "s'en [est] fini de sa chaleur personnelle". Cette idée file tout le long de cette autobiographie rebelle. Voici le passage-clé pour moi, aujourd'hui, de cette œuvre : "J'ai souvent remarqué que, une fois attribué aux personnages de mes romans, tel détail de mon passé, dont j'avais précieusement gardé le souvenir, dépérissait dans le monde factice où je venais de si brusquement le placer. Il s'attardait bien encore dans mon esprit, mais s'en était fini de sa chaleur personnelle, de son attrait rétrospectif et bientôt s'identifiait plus étroitement avec mon roman qu'avec mon moi antérieur [moi qui se métamorphose dès qu'un souvenir se trouve modifié], où il avait jusqu'alors paru si bien à l'abri de l'intrusion de l'artiste" (p. 119).
J'ai néanmoins fait une découverte : la préface. La préface, écrite par l'auteur lui-même, non lue la première fois, survolée la deuxième fois, je l'ai lue attentivement la troisième fois. Et je pense qu'elle est une bonne porte d'entrée à l'œuvre de Nabokov. L'un des titres proposés pour son autobiographie et non retenu était La Preuve concluante, "preuve concluante que j'avais bien existé" précise Nabokov.
Et si un écrivain en définitive, quoi qu'il écrive, et peu importe comment il l'écrit, ne faisait que travailler sur ses souvenirs ? C'est-à-dire que ses souvenirs seraient comme, soit un matelas sur lequel repose toute son inspiration, soit un trampoline qui permet aux idées et à l'imagination de s'élancer. Une sorte peut-être aussi de chaudron magique contenant une potion plus ou moins amère. Chaudron qui, comme "certaines parenthèses hermétiques [,] ont été ouvertes, et autorisées à répandre leur contenu encore actif."
J'ouvre en grand.

 

Nos cotes d'amour pour le livre, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

 

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