Les
deux Simone
On
est en 1926 : « Je continuai à subordonner les questions
sociales à la métaphysique et à la morale : à
quoi bon se soucier du bonheur de l'humanité, si elle n'avait pas
de raison d'être ?
Cet entêtement m'empêcha de tirer profit de ma rencontre avec
Simone Weil. Tout en préparant Normale, elle passait à la
Sorbonne les mêmes certificats que moi. Elle m'intriguait, à
cause de sa grande réputation d'intelligence et de son accoutrement
bizarre ; elle déambulait dans la cour de la Sorbonne, escortée
par une bande d'anciens élèves d'Alain ; elle avait toujours
dans une poche de sa vareuse un numéro des Libres propos
et dans l'autre un numéro de L'Humanité. Une grande
famine venait de dévaster la Chine, et on m'avait raconté
qu'en apprenant cette nouvelle, elle avait sangloté : ces larmes
forcèrent mon respect plus encore que ses dons philosophiques.
J'enviais un cur capable de battre à travers l'univers entier.
Je réussis un jour à l'approcher. Je ne sais plus comment
la conversation s'engagea ; elle déclara d'un ton tranchant qu'une
seule chose comptait aujourd'hui sur terre : la Révolution qui
donnerait à manger à tout le monde. Je rétorquai,
de façon non moins péremptoire, que le problème n'était
pas de faire le bonheur des hommes, mais de trouver un sens à leur
existence. Elle me toisa : "On voit bien que vous n'avez jamais
eu faim", dit-elle. Nos relations s'arrêtèrent là.
Je compris qu'elle m'avait cataloguée "une petite bourgeoise
spiritualiste" et je m'en irritai. »
Mémoires
d'une jeune fille rangée, Gallimard, 1958, p. 237
Avant
l'agrégation : « Je fus reçue en philosophie
générale, Simone Weil venait en tête de liste, et
je la suivais, précédant un normalien qui s'appelait Jean
Pradelle. » (Merleau-Ponty)
Mémoires
d'une jeune fille rangée, Gallimard, 1958, p. 243
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens
|