Shûsaku Endô et Françoise Pastre

Extrait de lettre de Françoise Pastre à sa sœur Geneviève Pastre à propos de Shûsaku Endô
qu'elle a toujours appelé Paul (son nom de baptême par lequel il se faisait nommer en France où elle l'a connu)

Depuis mon retour de Tokyô je me suis mise sérieusement à la traduction du dernier roman de Paul – il me l'avait proposé depuis l'été dernier. J'ai tergiversé, puis décidé envers et contre tous.
Il s'agit de la traduction du roman de Paul. J'y ai déjà beaucoup travaillé, mais je ne sais pas si je vais continuer... Ce roman est un document, à mon avis unique sur le Japonais et ses rapports avec l'Occident (et vice-versa, en particulier avec le christianisme). On y trouve là-dessus des vérités premières qu'on n'apprend qu'en vivant ici ; mais le style est, dans la ligne du thème – étrangement a-japonais, clair jusqu'à la monotonie, jusqu'à la banalité, sans relâchement pour autant. C'est comme si chez Paul, toute la fameuse sensibilité japonaise si délicieusement obscure à l'Occidental, avait été déracinée, parce qu'il se pose les problèmes en Occidental. En ce sens ce style n'est pas beau. Paul écrit très bien en français, mieux que moi (avec plus de force), Mori même serait en ce sens plus banal.

Le pire, c'est lorsque, heurtant ce problème, je lui en ai parlé franchement (à notre façon à toutes les deux !) ; j'ai déterminé un drame : il a été blessé dans son orgueil (et ça, on peut dire que l'orgueil est, chez lui, une verrue monumentale à la japonaise, à la Fellini japonaise, c'est-à-dire avec de moins tendres nuances). Son milieu, sa femme, ses amis, incapables de le juger, ni de l'aider sainement, l'ont entretenu dans une constante adoration de soi-même. Ses disciples lui sont dévoués à la féodale. Alors tu imagines, moi qui arrive là-dessus ! Je me demande d'ailleurs si j'ai le droit de troubler une sûreté aussi inébranlable. A quoi bon ? Mais me taire serait le mépriser. Quel que soit le nom qu'on puisse mettre sur les rapports qui existent entre nous (et je pense qu'aucune langue n'en donnerait un satisfaisant), s'il n'est pas possible de nous mettre en question mutuellement totalement, ça n'a pas de sens. Je me révolte toujours à l'idée de ne pas traiter quelqu'un en homme.

Extrait de lettre de Françoise Pastre à Endô

Et c'est pour cela que ton héros Rodriguès m'a dégoûtée vraiment. Persuadé de la mission qui lui est confiée, il ne fait pas un geste quand les paysans sont sacrifiés à sa place et se contente de regarder du haut de son observatoire et d'en appeler à Dieu. Quel salaud ! Est-ce que le Christ aurait laissé un homme mourir à sa place ? sous prétexte d'une mission à accomplir ? Ton héros est préoccupé de lui et pas des autres. C'est un solitaire. Encore heureux qu'à la fin il ne s'entête pas, mais lorsqu'il insiste sur ses propres souffrances, je le trouve odieux. Les souffrances, les difficultés, un chrétien soucieux des hommes les tait. Rodriguès est une femmelette. Lorsque tout au long de la discussion, il dit que Inoué a raison, ce sont toutes ses souffrances qui perdent leur sens. Qu'est-ce que ça peut foutre, c'est le destin de l'homme de voir sa vie...

Extrait de
Japanese Writers and the West, de Sumie Okada, Palgrave Macmillan, London
Appendix 1 : Geneviève Pastre's Article about Her Sister Françoise : Original French Text
L'ensemble du témoignage de Geneviève Pastre de 1999 sur leur relation est ICI

 

 

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