Il n'y avait rien à objecter, se dit-elle. Il avait parlé et voilà ce qu'il en était. Tout le monde serait d'accord avec lui. Pourtant quelque chose n'allait pas. Une seule réalité ? Elle constatait pourtant chaque jour que la maison où il se déplaçait n'était pas la même que celle où elle habitait ?

La cuisine, par exemple. Si on l'observe avec le regard du chercheur. On voit un père, une mère, un pâle fils de onze ans. Ils mangent. La mère débarrasse les trois assiettes quand ils ont terminé. Mais la situation est pourtant différente.

Une autre réalité existe en arrière-plan. Sous cet autre angle, cela grouille d'enfants, Joseph, qui a sept ans, est assis mollement sur sa chaise, il est resté souffreteux mais, installé à table, il est nourri par sa sœur de huit ans. Dans la chaise d'enfant, le petit George au corps vigoureux frappe de sa cuillère en bois son assiette vide. Le chercheur ne s'intéresse pas à cette agitation, mais elle oui. Souvent, elle doit se retenir de ne pas mettre la table pour les autres. Trois assiettes, pas plus.

Anna Enquist, Le Retour
Actes Sud, coll. "Babel", p. 125

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