Un
dimanche après la messe, j'avais douze ans, avec mon père
j'ai monté le grand escalier de la mairie. On a cherché
la porte de la bibliothèque municipale. Jamais nous n'y étions
allés. Je m'en faisais une fête. On n'entendait aucun bruit
derrière la porte. Mon père l'a poussée, toutefois.
C'était silencieux, plus encore qu'à l'église, le
parquet craquait et surtout cette odeur étrange, vieille. Deux
hommes nous regardaient venir depuis un comptoir très haut barrant
l'accès aux rayons. Mon père m'a laissé demander :
"on voudrait emprunter des livres." L'un des hommes aussitôt :
"Qu'est-ce que vous voulez comme livres?" A la maison, on n'avait
pas pensé qu'il fallait savoir d'avance ce qu'on voulait, être
capable de citer des titres aussi facilement que des marques de biscuits.
On a choisi à notre place, Colomba pour moi, un roman léger
de Maupassant pour mon père.
Nous ne sommes pas retournés à la bibliothèque. Cest
ma mère qui a dû rendre les livres, peut-être, avec
du retard. Annie Ernaux, La Place, Folio, p. 112-113
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