Il n'y a pas d'autre épopée des temps modernes (c'est-à-dire des temps déjà passés) que celle de la Révolution, et n'y a que deux Révolutions universelles, la française et, au vingtième siècle, la russe. Les habitants du vingt et unième siècle oublieront sans doute l'espoir mondial que souleva la révolution d'Octobre 1917, il n'empêche que pour des dizaines de millions d'hommes et de femmes, génération après génération pendant un demi-siècle et sur toues continents, le communisme fut la promesse extraordinairement présente, vibrante, émouvante, d'une fracture dans l'histoire de l'humanité, de temps nouveaux qu'on appelait de tas de noms niais, l'avenir radieux, les lendemains qui chantent, la jeunesse du monde, le pain et les roses – les noms étaient niais, mais l'espérance ne l'était pas, et moins encore le courage mis au service de cette espérance –, et que la Russie soviétique parut à ces foules-là le lieu où le grand bouleversement prenait son origine, la forteresse des damnés de la terre. Il est étonnant de constater à quelle vitesse s'effacent les grandes vagues qui, un temps, soulèvent l'histoire du monde. Le souvenir de cette ardente attente est presque perdu, mais pour des générations comme celle à laquelle j'appartiens, dont "la Révolution" a pu encore être l'horizon, de plus en plus brouillé à vrai dire, l'idéal répété peut-être comme une leçon mal apprise plutôt que retrempé au feu de l'expérience, il est impossible de ne pas voir sous le pays déprimant d'aujourd'hui l'ancien foyer de cette espérance mondiale, mais surtout la tombe immense où elle fut bientôt enterrée. "Qui dira ce que l'URSS a été pour nous ?" écrivait Gide, qui n'était certes pas un damné de la terre mais un de ces intellectuels, nombreux chez nous surtout, qui furent un moment contaminés par ce grand enthousiasme "Plus qu'une patrie d'élection : un exemple, un guide Ce que nous rêvions, que nous osions à peine espérer mais à quoi tendaient nos volontés, nos forces, avait eu lieu là-bas. Il était donc une terre où l'utopie était en passe de devenir réalité." C'est écrit en 1936, et Gide était en train d'en revenir, de l'URSS, dans tous les sens du terme.

Olivier Rolin, Le météorologue
Seuil/Paulsen, coll. "Fiction & Cie", 2014, p. 196
Points, 2015, p. 171-172

 

 

Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens