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Mikhaïl Boulgakov (1891-1940)
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Françoise
Pas emballée à 100 000 à l'heure ! La nouvelle
est très facile à lire, et son langage un peu parlé
n'est pas désagréable, cela me donne la sensation que quelqu'un
me parle à l'oreille. En revanche, elle présente une certaine
faiblesse par rapport à la nouvelle Cur de chien qui
est une satire tellement mordante du système soviétique,
même si par ailleurs elle présente la même charge à
l'encontre des scientifiques préoccupés essentiellement
par le progrès.
Ici la satire est plus périphérique. J'aurais préféré
davantage de radicalité, même si j'avoue avoir été
très surprise par l'erreur commise avec les ufs de serpents.
Et ce moment m'a rappelé les films de science-fiction, avec des
monstres verts, mais curieusement cela m'a donné envie de rire
et l'effroi supposé de la nouvelle n'a pas du tout fonctionné.
Livre fermé et à 100% ouvert pour Cur de chien.
Ce qui me fait dire que le génie est inégal.
David
Tout en reconnaissant la trame narrative, l'aspect farcesque théâtral
et joyeux, je reste sur ma faim, sans doute me manque-t-il quelques codes
pour apprécier cette nouvelle à sa juste valeur. Nouvelle
plaisante, un peu ensorcelante, proche de la science-fiction qui me parle
en effet. Et pourtant l'effet science-fiction est un peu daté,
avec un petit aspect vintage...
Ana-Cristina
...sépia.
David
Bien que l'arrivée du serpent géant, l'émergence
de la catastrophe et cette image de la femme engloutie ne m'ont pas paru
ubuesques, cela m'a atteint. J'ai bien saisi l'aspect politique et philosophique
qui est posé : l'homme joue avec le feu, se prend pour Dieu
et déclenche la catastrophe. Pour autant, je n'ai pas été
marqué par la beauté littéraire, un aspect pas suffisamment
élaboré. La nouvelle est surtout très théâtrale,
son caractère russe très marqué, et pourtant avec
un côté un peu foutraque et à la fin, une ligne incroyablement
radicale. Allez, je ne boude pas mon plaisir, surtout avec cette ironie
et ce tragique en seconde lecture. Ouvert à moitié large.
Margot
Très peu objective avec Boulgakov, je l'adore et 15 ans après,
j'ai de nouveau adoré cette nouvelle.
D'abord une construction autour d'un double récit. Le récit
d'un savant un peu perché, très peu en lien avec sa société,
dans un labo poussiéreux mais qui finalement, tout seul, anticipe
le progrès et la modernité. Il fait une découverte.
Toujours sollicité par la presse, la communication, la Guépéou,
il avance néanmoins tant il est de son temps et dans son temps :
il a bien prévu de faire un élevage intensif dans son labo.
Puis, entremêlé au premier, le second récit d'une
faune interlope qui interloque. Comment tous ces gens ont-ils été
informés ? Voilà un pays où plane partout cette
information qui sait déjà tout. Et pour quels motifs veulent-ils
tous s'approprier cette découverte alors qu'ils l'épinglent
comme diabolique ? C'est finalement une voix suave au téléphone
qui persuade Persikov, une seule fois, Staline sans doute, et une partie
du rayon est cédée au Solkhov, pour le compte de la Guépéou.
En somme Boulgakov pose un pays où quoiqu'il arrive, et quelles
que soient les divisions, tout profite à l'Etat à qui rien
n'échappe.
J'ai beaucoup apprécié la terrible charge contre l'intensité
productiviste qui, de plus, ici, envahit la campagne, cette sorte d'Arcadie
heureuse avec une si belle page où le temps s'arrête sur
un clair de lune, avec le son d'une flûte, une nuit amoureuse où
tout est suspendu. Et Boulgakov va faire émerger l'enfer de ce
paradis : un enfer biblique avec la figure du serpent, mais qui nous
plonge également dans un autre enfer antérieur, celui des
Égyptiens où Apophis sort chaque soir pour manger le soleil,
Râ, qui retourne chaque soir chez les morts. Et c'est bien de cette
menace qu'il s'agit avec les serpents antédiluviens qui prennent
possession de toute la vie sur terre. Cette faculté de s'appuyer
sur de tels symboles sans jamais les citer, sans insister, en les esquissant,
tout ceci dans un pays qui affiche une idéologie d'où Dieu
a disparu, fascinant !
Et, dernier point qui montre la maîtrise de construction et d'écriture
de l'auteur : la petite caricature au tout début de la nouvelle,
cette petite grenouille éviscérée sous ses propres
yeux par Persikov, insensible à la douleur et qui dans un dernier
souffle les traite de salauds, voilà qui esquisse ce qui va faire
l'objet d'un expansionnisme diabolique, le désordre de l'incontrôlable,
la catastrophe. Grand ouvert.
Ana-Cristina
Il m'a manqué le délire de Boulgakov dans cette nouvelle.
L'auteur en général nous plonge dans un très fort
délire qu'il maîtrise par ailleurs de main de maître.
Dans Cur de chien, dans Diablerie et dans Le Maître
et Marguerite, l'écriture est telle avec ce délire que
l'on voit l'histoire passer sous nos yeux en dessin animé. En revanche,
avec cette nouvelle, nous sommes de plain-pied dans le plausible. Tout
est plausible avec la présence des serpents, même s'ils sont
immenses, et par conséquent à aucun moment nous ne sommes
déconnectés du réel, comme dans d'autres de ces écrits.
Personnellement je préfère lorsque le récit décolle
vraiment. Ici en revanche, la trame m'a renvoyée à Jurassic
Park, le même scientifique qui se prend pour un Dieu, le
même saurien (ici un dinosaure) qui sort de la plaine herbeuse
À se demander si Spielberg ne se serait pas fortement inspiré
de la nouvelle de Boulgakov. Trop sage, avec un irrationnel qui fait défaut,
Boulgakov a fait mieux. Ouvert aux ¾.
Faustine
Il y a dans cette nouvelles deux moments bien distincts, ce qui se passe
à la ville, à Moscou, et ce qui advient à la campagne.
Or ces deux moments présentent aussi une écriture et un
rythme très différents. En ville, dans le laboratoire de
Persikov, tout est très décousu, saccadé, ça
entre, ça sort, comme au théâtre d'ailleurs, et le
savant est toujours empêché d'avancer dans ses expériences.
Il est sans arrêt sollicité et le texte évolue très
peu dans sa trame narrative. Alors que le mouvement est incessant, l'histoire
stagne. Dans le second moment, à la campagne, au contraire tout
paraît se ralentir, or c'est là que se situe le nud
de l'intrigue et de l'action qui s'enchaîne à une allure
hallucinante. Tout arrive aussi vite que décrit. Or Boulgakov suit
presque dans toutes ses uvres un rythme endiablé du début
à la fin du récit. J'ai tout de même beaucoup aimé
cette nouvelle, même si la première partie est un peu longue
à décoller et semble épuisante à la lecture,
qui se trouve elle aussi interrompue sans arrêt. Cela dit, la double
lecture de ce soir me la fait aimer encore plus, a posteriori. Quant à
la scène avec l'anaconda géant, j'avoue ne pas l'avoir vu
arriver. Cela m'a fait rire mais d'un rire mauvais, un rire méchant.
Je revoyais le personnage partir en slip vers le lac, avec sa flûte,
une nonchalance incroyable, laissant en plan la mise en place d'un projet
si important. Bien fait pour lui, non ? D'autant qu'un peu auparavant,
les animaux s'étaient tus, ce qui est un assez mauvais signe ;
et lui décide de jouer de la flûte
; il a tout
de même la présence d'esprit de continuer à jouer,
face au serpent pour détourner l'attention sur la femme. Mais cette
femme était si agaçante finalement
ainsi le serpent
la dévore-t-elle. J'ouvre la nouvelle aux ¾.
Débat
- Autour de la spiritualité chez Boulgakov, pour qui il ne s'agit
pas d'une charge politique mais surtout une préoccupation de voir
l'homme chercher la place de Dieu.
- Le savant représenterait-il Boulgakov, cette figure du bouc émissaire
désigné par le pouvoir qui, faute d'avoir récupéré
la mise, se dédouane de sa responsabilité sur le scientifique
désigné à la vindicte de la foule ?
Ana-Cristina
Je me demande si ce fameux paradis, décrit dans la deuxième
partie de la nouvelle, ne serait pas une critique du paradis qui rate.
L'URSS pourrait alors signifier la volonté farouche de recréer
un Paradis, voué à la catastrophe.
Faustine
Je signale tout de même que les ufs de serpents avaient été
commandés par Persikov lui-même ; ainsi s'il n'y avait
pas eu d'erreur, ces serpents, ces ufs eussent-ils éclos
dans le laboratoire même ! Certes tout était présenté
comme parfaitement sécurisé
Margot
La grenouille torturée par le savant signale le savant lui-même
comme le salaud ! Et rien n'est précisé quant à l'issue
possible si les ufs avaient éclos à Moscou.
Séverine
Bien que ne pouvant être parmi vous pour en débattre, voici
mon avis sur la nouvelle de Boulgalov, Les ufs du destin
(lue dans le premier volume de ses uvres parues dans la Pléiade,
volume intitulé
La Garde Blanche), introduite de façon remarquable par
Françoise Flamant. J'ai découvert grâce à ce
choix un auteur que je n'avais jamais lu, et qui m'a ravie ! Je me
réjouis de sa présence dans le fonds de ma médiathèque
locale, ce qui me permettra de lire d'autres nouvelles ou romans de sa
plume alerte, imaginative, drôle à souhait, mais aussi d'une
grande finesse et intelligence acérée.
Ce récit d'une invention qui tourne à la catastrophe faute
d'avoir été suffisamment protégée par son
auteur et d'avoir été utilisée ensuite avec prudence
et compétence, fourmille de clins d'il satiriques réjouissants
contre la bêtise humaine, les incompétents et les doctrinaires.
Tout à son histoire qui frise la science-fiction, Boulgakov ne
se prive pas de décrire certaines absurdités, dysfonctionnements
et lacunes bien réelles qu'il a constatés en Union Soviétique,
car le cadre de cette catastrophe initiée par un scientifique improbable
est des plus daté, et précisément réel.
Boulgakov a également un talent formidable de portraitiste, ses
personnages prennent tout à fait forme dans notre esprit, et malgré
leurs caractéristiques parfois extrêmes, sont toujours crédibles !
Le récit est rythmé, bien mené, ménageant
suspense, surprises, et peut être lu à plusieurs niveaux,
comme une métaphore transposable à bien des pays, et bien
d'autres époques. La chute est inattendue, les serpents venus d'ufs
anglais transitant par l'Allemagne, m'ont un temps fait penser à
un complot du monde occidental contre les soviétique... Le drame
final est mené avec un savant mélange de sauvagerie et de
cocasserie, irrésistible !
Son style est agréable, langue vive et claire.
J'ouvre en grand !
Katherine
(avis transmis)
Jai découvert Mikhaïl Boulgakov par ce premier ouvrage.
Jai trouvé la lecture facile et agréable à
un premier niveau (cest rythmé, drôle, on imagine facilement
une adaptation au théâtre à la manière dune
farce), mais tout lintérêt de cet uvre est pour
moi ressorti à la lecture de la préface de Françoise
Flamant. Cest ainsi que jai pu mieux saisir lesprit
de lépoque que Boulgakov tâche de dépeindre,
et la satire quil en fait. Je nai pas complètement
accroché malgré tout, les épisodes ubuesques (le
serpent géant gobant la femme, linvasion des reptiles, le
gel salvateur en plein mois daoût) mont fait garder
une certaine distance
Jouvre à moitié.
Nathalie
(avis transmis)
J'ai eu du mal avec cette nouvelle. Je m'y suis ennuyée et avais
du mal à avancer. Un vrai pensum. Mais je ne saurais dire pourquoi.
Je reconnais les qualités de l'auteur qui écrit une uvre
à la fois de science-fiction (il la rédige en 25 alors que
la première phrase annonce : "On était le 16 avril
1928, au soir" - et à cette époque-là, dans
ce territoire-là, tout bougeait de façon particulièrement
rapide, le nom des rues en est un parfait exemple), fantastique, satirique
et comique. C'est du théâtre qui peut être grand guignolesque
avec de vrais personnages. Difficile d'oublier ce professeur de zoologie
Persikov, colérique, détestant ce nouveau monde qui lui
est imposé, terreur des étudiants, tortionnaire des grenouilles
(on sent les études de médecine du jeune Boulgakov qui a
dû disséquer ces malheureux batraciens !), "le
diable en personne" pour le pauvre Pancrate J'ai bien compris
le sens du rayon "rouge", comme toutes les créations
de journaux qui portent le qualificatif de rouge. Le rouge est certainement
synonyme pour Boulgakov, petit-fils de prêtre et d'archiprêtre,
du mal absolu, du diable. Une des caractéristiques du diable semble
être la démesure. J'ai bien compris la critique de la Russie
soviétique par cet auteur. J'ai ressenti la colère et l'angoisse
que cet écrivain sait admirablement transmettre. Mais je n'ai pas
accroché. J'ai essayé l'autre nouvelle qui suivait, "Diableries".
Ddescription fantastique d'un cauchemar. J'ai mis beaucoup plus de temps
encore à finir. J'ai renoncé à lire les autres nouvelles
de l'ouvrage. Intellectuellement je saisis, émotionnellement, cela
m'est insupportable. J'ouvre à moitié.
Liens repérés par Nathalie
Présentation
de Mikhaïl Boulgakov sur le site La République des
lettres de Pierre Assouline
En contrepoint Staline
et les écrivains soviétiques. La fabrication et la disgrâce
d'Alexandre Avdeenko, Vingtième Siècle, revue
d'histoire, 2008
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
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grand ouvert |
¾
ouvert
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ouvert
à moitié
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ouvert ¼
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fermé
!
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passionnément
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beaucoup
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moyennement
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un
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pas du tout
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