Quatrième de couverture :

"C'est encore une fois les vacances. Encore une fois les routes d'été. Encore une fois des églises à visiter. Encore une fois dix heures et demie du soir en été. Des Goya à voir. Des orages. Des nuits sans sommeil. Et la chaleur.
Un crime a lieu cependant qui aurait pu, peut-être, changer le cours de ces vacances-là.
Mais au fond qu'est-ce qui peut faire changer le cours des vacances ?"

Marguerite Duras
Dix heures et demie du soir en été

Le nouveau groupe parisien a lu ce livre pour le 5 juin 2020.
Echanges à distance, au sortir de la période de déconfinement.

Nous avions lu auparavant Le Ravissement de Lol V. Stein (en 1989), La Douleur (en 1993), Moderato Cantabile (en 2015).

Anne-MarieKatherine    Séverine      Nathalie
Anne
Audrey ChristineMargot Monique

Margot (avis transmis)
Que votre soirée soit douce et fructueuse en compagnie de Marguerite Duras dont j'ai tant aimé ce livre découvert grâce à vous. Aimé car lu sur les marches de l'église Saint-Blaise au soleil et dans le bleu du ciel de ces longs jours de l'enfermement. Aimé car le temps de ces jours était le temps du livre de Marguerite Duras, suspendu dans cet hôtel et cet orage qui n'en finissait plus d'éclater et ce crime de durer. Aimé pour l'espace intérieur que cet immense écrivain ouvre tout au long de ces pages, là, entre l'hôtel et le ciel menaçant, le long des balcons, coursives suspendues où se tient un homme abandonné, une femme qui cesse d'aimer. Aimé pour cette immense liberté de voler au secours d'un inconnu ; lui de choisir de mourir dans les blés sous le soleil ardent ; elle de se détacher d'un scénario qui se répète à l'infini. Aimé pour cette écriture si Duras, de phrases inimitables, comme une autre langue qui viendrait de si loin étirer le temps et l'espace du dedans. J'ouvre en grand.
Séverine
Le style est un peu surprenant de prime abord, malgré de belles images (pluie d'orage, lumières, champs de blé, chaleur…). Une certaine tendance à distordre la langue, ou dans l'emploi de certains mots, phrases sans verbes, inversions, menant à de possible confusions dans le suivi de la narration. La lecture en est néanmoins prenante assez rapidement. L'histoire nous offre un intéressant parallélisme entre le déchaînement des éléments et celui des sentiments, des émotions, des états de conscience (alcool, sommeil/veille). Étonnants états des personnages en rupture de vies, passions meurtrières ou suicidaires… Le personnage principal, Maria, est à la fois fascinant et irritant. Son empathie pour le criminel peut paraître étonnante, puis son brutal détachement vis-à-vis de ce dernier. Le voit-elle comme une possible planche de salut, échappatoire à l'humiliation, possible revanche ? Son rapport à son mari, à sa fille Judith, faite d'affection et de désintérêt, à Claire, fait de séduction et de rivalité. Elle n'est pas très sympathique au final. Émouvante parfois. Son rapport à l'alcool est excessif. Mon plaisir de lecture a été moyen. Ouvert à demi.
Anne-Marie
Je n'aime pas vraiment le style Marguerite Duras, sec, brutal, à la fois pauvre et maniéré. L'histoire pourrait être intéressante sans ce style presque volontairement maladroit, artificiel. L'évocation de la chaleur suffocante qui va crescendo est bien rendue, elle va de pair avec l'intensité dramatique grandissante du texte, on se demande si l'inexorable va se produire, si ce que redoute et attend Maria va arriver. On sent son désespoir grandissant dans sa dénégation, dans la manière dont elle boit de plus en plus, en attendant le soir. L'épisode du meurtrier qu'elle aide à s'évader dans sa voiture est une tentative de détournement de la tension, pour Maria, on ne sait pas ce qu'elle a cherché à faire, c'est un peu curieux. (Le personnage du meurtrier manque un peu de consistance, il est abstrait). Peut-être Maria a-t-elle fait le parallèle entre les amants surpris par le meurtrier, et l'histoire qui se noue entre son mari et Claire. Mais on voit bien qu'elle n'a pas l'intention d'empêcher la conclusion de l'idylle entre son mari et son amie, elle y est résignée, elle voudrait même que ce soit déjà fait. Le récit est prenant et en même temps agaçant, le temps s'étire, le style est pauvre, on s'achemine vers la fin trop lentement. Une fois le livre achevé, je m'en veux d'avoir été prise par l'intensité dramatique, je trouve ce livre à la fois mal écrit et manipulatoire, car toute cette histoire est totalement improbable, rien n'est vraisemblable, ni l'épisode du meurtre, ni la résignation de Maria qui va donner son mari à son amie. Je l'ouvre au quart.
Christine         
Je suis surprise par ces ressentis. J'ai été tellement totalement séduite pour ma part par Duras. J'ai été transportée par le livre. J'ai aimé l'histoire de ce trio avec en parallèle l'histoire de cet homme qui a tué sa femme et son amant. J'ai beaucoup aimé le titre qui m'intriguait. Dix heures et demie le soir, c'est l'heure précise à laquelle Maria voit son mari embrasser Claire, son amie et le moment où elle va découvrir sur un toit l'assassin que tout le monde recherche, à qui elle va s'identifier et qu'elle va aider. Le tout dans un décor totalement cinématographique. C'est un livre que j'ai énormément aimé. J'ai aimé le style, les phrases bancales qui veulent dire beaucoup de choses. J'ai appris que Duras réécrivait pour détruire ses phrases. Au contraire d'Anne-Marie, j'ai compris le personnage de Maria, ses failles. Elle boit parce qu'elle ne va pas bien. Elle attend ce qui semble inéluctable. Il y a quelque chose qui se passe et sonnera la fin de son couple. J'ouvre en très grand.
Audrey          
Je suis très heureuse de l'avoir lu. Depuis longtemps, je me dis que certes mes lectures m'apportent un plaisir intellectuel indéniable, mais ne me transportent pas. J'avais oublié Duras. Je l'ai adoré, j'ai été transportée. J'avais envie que cela ne s'arrête pas. C'est l'œuvre d'une auteure que je trouve géniale et j'ai quand même le sentiment que cela s'inscrit dans une époque. Duras invente une forme de littérature qui n'existait pas avant elle. Elle utilise une langue très épurée. Je l'imagine très bien réécrire, déconstruire... pour moi, sa langue est d'une extrême précision. L'histoire me touche, celle de la fin d'un amour, fin d'une histoire que je trouve haletante. J'avais l'impression de lire un long poème où tout était sublime. On ressent à la fois quelque chose de sensuel et en même temps douloureux, désespéré ; on sent un malaise... Cette femme qui boit a quelque chose de désespéré. Elle renonce ; elle est dans une phase de fin d'une histoire, et vit dans une certaine langueur. Cela m'a rappelé Moderato cantabile, l'histoire de deux personnes qui se retrouvent autour d'une enquête dans un café et leurs histoires se fusionnent. Et dans ce roman-ci, il y a un peu de ça. On est en train de lire quelque chose et parfois on n'est plus avec les personnages avec lesquels on était censé être. Ce qui souligne la maîtrise parfaite de l'auteur. J'ouvre en très grand.
Anne          
Ce n'est pas un polar, c'est un livre poétique, et pourtant Marguerite Duras utilise avec une grande habileté le suspense. Elle associe des techniques littéraires différentes pour exprimer avec intensité l'univers émotionnel d'une femme dans l'errance affective. Elle utilise des superpositions de plans comme au cinéma, des descriptions (parfois confuses) de paysages, de lieux, des atmosphères, tandis qu'elle nous laisse imaginer les personnages qui sont définis essentiellement par leurs actions. Ils sont beaux, antipathiques, et ils sont la plupart du temps des "formes" ou des fonctions : les policiers, les serveurs, la directrice de l'hôtel... Il y a un enfant, Judith, laissé pour compte, et cela ne m'a pas plu, mais cette place traduit ce que Marguerite Duras cherche à dire sur l'abandon. J'ai suivi avec beaucoup de plaisir cette langoureuse et tragique rêverie de Maria. J'ai pensé longtemps que Rodrigo Paestra, le meurtrier, n'était qu'une invention de son esprit dans le but de pouvoir supporter l'abandon dont elle est victime, par son mari et son amie Claire qui découvrent, sous ses yeux, qu'ils s'aiment et qui ne le lui cachent pas. Pourtant dans les mots ils se montrent réconfortants, patients. Ils sont faux, et c'est ce sur quoi l'histoire se termine : la vie semble chanter mais elle porte un masque. Un polar, oui, un meurtre, oui, et il semble qu'il s'agisse au fond de l'assassinat de l'amour de Maria, de son couple. Elle est trompée et peut-être se sent-elle être aussi ce meurtrier qui a tué par passion et par jalousie. Au fond voudrait-elle tuer ? Sans doute, mais elle ne le peut pas, et elle admire Rodrigo qui l'a fait. Elle est aussi celle qui est meurtrie, trahie, et son corps sexué disparaît tandis que ceux des deux amants deviennent omniprésents. Soudés. Aveuglants. Et elle est exclue de ce couple, comme Pedro l'est de la société. Aussi cherche-t-elle cet homme dont elle se sent proche et qu'elle voit accroché aux toits sous la pluie. Un supplicié. C'est ce qu'elle se sent être. Sans plus aucune protection, comme Rodrigo agressé par la pluie, accroché aux toits comme aux pans d'une mère qui ne répond plus, ne protège plus. Morte. Tout s'effondre, c'est une tragédie et il ne reste plus que de boire et de boire encore. Tout se liquéfie. Marguerite Duras décrit de façon remarquable le naufrage de cette femme, son alcoolisme, son addiction, son errance dans des lieux étranges que sont les couloirs (les boyaux ? Et très justement évoqué par Nathalie, un enfer) d'un hôtel pris d'assaut par les touristes qui échappent au déluge. Drôle d'embarcation… Drôle d'arche de Noé… Et puis il y a la hantise d'un orage qui n'en finit jamais d'éclater et cette chaleur étouffante et harassante pour décrire une magnifique situation dramatique écrite avec des tournures de phrases déroutantes, pourtant créées avec une simplicité de moyen étonnante. J'ai aimé, j'ai senti son travail sur les mots, sur les phrases, sa façon de les simplifier à l'extrême et de déconstruire le langage académique pour construire un langage qui montre l'essentiel des émotions, des désirs contradictoires. J'ouvre en très grand.
Katherine          
Cela ne m'était jamais arrivé dans ce groupe. C'est un livre qui m'a laissée indifférente. L'écriture m'a beaucoup intéressée, avec des phrases suggestives, le style chargé de sens, mais l'histoire ne m'a pas intéressée. L'histoire est racontée de façon assez froide, assez journalistique, ce qui ne m'a pas permis d'y adhérer. Le personnage de Maria est plus ou moins indifférent. Elle est indifférente au couple de son mari et amie qui se fait devant elle et qu'elle laisse faire. Même dans l'action elle déçoit. Elle découvre l'homme sur le toit, puis plus tard elle le découvre mort. Mais rien... Je n'ai pas été transportée par l'histoire et le style ne suffisait pas. Je ne me souviens de rien d'un précédent roman que j'ai lu de Duras. Je ne la recommande pas spécialement. J'ouvre au quart.
Nathalie          
J'ai beaucoup aimé ce livre. Cela faisait très longtemps que je n'avais pas relu du Duras. J'en ai beaucoup lu à une certaine époque et lorsque je l'avais découverte, j'avais été très séduite par son écriture. C'est une écriture lancinante, incantatoire, une musique qui n'appartient qu'à elle. Et en lisant ce roman que je n'avais jamais lu, j'ai adoré retrouver cette écriture qui lui est si personnelle. On m'aurait caché le nom de l'auteur, j'aurais tout de suite su que c'était elle. Pour moi, le style est remarquable et unique. Quant à l'histoire, je la trouve très riche. Elle semble être racontée de façon factuelle, et donc froide comme dit Katherine. Et pourtant, on ressent les émotions de Maria qu'elle refoule le plus possible loin d'elle. Certes elle se réfugie dans l'alcool devenuà ce stade une addiction extrêmement bien décrite, qui a donc commencé bien avant l'amour qu'elle voit naître entre son mari et son amie. Cette histoire n'est pas étrangère à Duras qui l'a vécue elle-même en inversé. Ainsi alors qu'elle était mariée avec Robert Antelme, elle va connaître une histoire d'amour avec Dyonis Mascolo qui sera ami du couple. Il participera d'ailleurs au rapatriement d'Antelme qui agonise à Dachau. Duras quittera le premier pour le second, mais tout le monde restera en très bons termes. Quoiqu'il arrive, comme dans le roman, ce sont des gens qui s'aiment. J'ai fait un lien entre l'hôtel où s'amassent tous ces voyageurs durant l'orage, où la plus grande partie de cette histoire a lieu, avec l'enfer de Dante, d'autant qu'on se perd dans cet hôtel circulaire. Ce roman qui se passe sur 24 heures est extrêmement bien construit. Le dedans des personnages est exprimé dans le climat extérieur (chaleur qui empêche de respirer comme le chagrin peut le faire, pluie diluvienne telle des larmes non retenues, orage comme la colère, puis le soleil revient avec l'acceptation). Et le parallèle avec l'assassin de sa femme et de son mari qui est à la fois la même histoire traversée par l'héroïne mais avec un dénouement tout autre, comme un fantasme de sa propre violence qu'elle retient tellement en elle qu'elle la retourne contre elle au point de sembler ne plus rien ressentir que la soif, m'a beaucoup séduite. J'ouvre aux ¾.
Monique M
Ce roman est magnifique. Merci à celle ou celui qui l'a recommandé.
Dès les premières pages, on est pris par le climat étrange et le suspense qui se prolongent tout au long du récit. Quelque chose de terrible va advenir. On ne sait quoi, où, comment. La prise du meurtrier par la police à dix heures et demie de ce soir étrange où tout est suspendu ? Peut-être, on ne sait. L'écriture poétique, lancinante, fluide de Marguerite Duras nous emmène toujours plus loin.
Admirable description du lieu : "Dans le café déjà, l'ombre a gagné. Au fond, sur le bar mouillé des bougies sont allumées et leur lumière se mélange, jaune, à celle, bleutée du jour mourant". Maria boit ses manzanillas, l'orage gronde, les averses se succèdent.
Admirable description de l'orage "qui court depuis cinq heures du soir, crevant par-ci, par-là, se trouant d'éclaircies, se reformant encore. Jusqu'à épuisement."
Douceur de la relation entre Maria et sa fille "Maria s'allonge auprès de Judith endormie, la sienne, la forme sienne parmi toutes les autres d'enfants du couloir. Elle l'embrasse doucement sur les cheveux - Ma vie, dit-elle"
Idée très belle de la complicité entre Maria et Rodrigo Paestra. Tous deux trahis, tous deux solitaires, tous deux en attente de ce qui va advenir.
Les trois tensions simultanées que sont : l'orage au ciel zébré d'éclairs, l'assassin sur le toit qui attend que "passe la durée infernale de la nuit", la montée foudroyante du désir entre Claire et Pierre. Trois tensions qui s'enchevêtrent et dont on ne sait d'où surgira l'issue.
L'impuissance de Maria, observatrice muette des événements. Une Maria en errance qui tient le fil immatériel de ce récit, décide d'un acte fou, l'évasion du meurtrier, le seul qu'elle comprenne profondément peut-être. Une Maria qui a la prescience de ce qui va advenir. Il faut l'écriture de Duras pour écrire un tel récit, ces allers et retours permanents des mouvements secrets de l'âme, ce mélange de matérialité et des émotions les plus subtiles
Il y a aussi l'ombre de ce qui fut, Verone ; les sifflements et les rondes des policiers dans la rue ; la main de Pierre sur le corps de Claire dans la lumière livide des éclairs ; la forme, enveloppée de son linceul, de Rodrigo Paestra agrippé à la cheminée ; et elle Maria sur le balcon et partout à la fois. Ce chapitre trois est fantastique.
Pour toutes ces raisons, j'ai adoré ce livre et l'ouvre en grand.

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                   
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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