Stevenson rencontre sa femme dans une colonie d'artistes à Grez-sur-Loing

En 1875, Stevenson rejoint Bob Stevenson, son cousin, un artiste peintre qui vit à Paris. Ils partent pour Barbizon, le célèbre village des peintres, dans la forêt de Fontainebleau. Le peintre Millet vient de décéder. Le cousin fait aussi découvrir le village de Marlotte, mais surtout Grez-sur-Loing au sud de Fontainebleau. Et l'hôtel Chevillon où Stevenson va séjourner souvent pendant trois ans, face au vieux pont médiéval formé de 11 arches peint par Corot (et sur lequel Christo s'entraïnera avant d'emballer le Pont Neuf à Paris...)

L'hôtel Chevillon accueille, entre 1860 et 1914, des centaines d'artistes venus du monde entier. Étudiants dans les ateliers parisiens, ils quittent ponctuellement la capitale pour s'exercer sur le motif des paysages bucoliques des bords du Loing. En 1860, une gare est créée à Bourron-Marlotte Grez et permet de rejoindre Paris en deux heures : Grez-sur Loing forme un point d'attraction comparable à Barbizon, proche de la capitale grâce au train, et situé au milieu de la nature.

Plusieurs communautés se succèdent à Grez-sur-Loing et l'hôtel Chevillon devient le point de rencontre de colonies d'artistes qui forment autant de cercles de partage et d'échange.
Le peintre Camille Corot (1796-1875), fondateur de l'École de Barbizon (Millet, Daubigny...), et l'un des premiers découvreurs des bords du Loing, fait connaître la beauté de ce paysage.

Les frères Goncourt Jules (1830-1870) et Edmond (1822-1896), écrivains et critiques littéraires, résident fréquemment à l'hôtel Chevillon dès le début des années 1860 et participent aussi à la reconnaissance des lieux dont ils vantent la simplicité et la beauté : "Nous voici dans une auberge de paysans, en pension à 3,50 francs par jour, habitant des chambres blanchies à la chaux, buvant du vin du cru, mangeant beaucoup d'omelettes. Mais il y a un verger, d'aimables figures de cabaretiers, une rivière à deux pas, où dans l'eau claire, l'on voit des poissons, un bateau, des lignes, une ruine à côté".

Le peintre Giuseppe Palizzi (1812-1888, dont les trois frères sont aussi peintres) fréquente aussi l'hôtel à la même période et décide même de s'y installer à demeure : un atelier est installé sur un terrain attenant et contribue à attirer de nombreux peintres qui y résident lors de séjours plus ou moins longs.
Deux auberges distinctes se partagent les visiteurs et la vie s'anime chaque soir à la belle saison : à l'Hôtel Beauséjour, dit Pension Laurent, l'ambiance bourgeoise convient plutôt aux couples et, à l'hôtel Chevillon, la vie de bohème attire les jeunes artistes en quête d'inspiration, des plaisirs de la campagne et de la table.
Sur les bords du Loing, le courant impressionniste se consolide en style et mode de vie : des tableaux de petit format, des traits de pinceau marqués, des points de vue inédits, un usage original de la lumière et des couleurs, une société d'artistes bohèmes vivant en marge des conventions sociales.

Mari de la première traductrice de Dr Jekyll et Mr Hyde en France, Will Hicock Low (1853-1933), dessinateur et écrivain américain, a raconté comment Grez-sur-Loing est devenu un des points de rassemblement des artistes britanniques et américains : formés notamment à l'atelier parisien dirigé par Carolus-Duran (1837-1917), peintre classique français, nombre d'entre eux séjournent à l'Hôtel Chevillon, dont John Lavery (1856-1941), connu pour ses multiples peintures de Grez-sur-Loing. John Singer Sargent (1856-1925), qui fit un portrait de Stevenson et de sa femme, y vint aussi.
Le peintre irlandais Frank O'Meara (1853-1888), auteur de paysages classiques du courant impressionniste, réside plus de dix ans à Grez-sur-Loing et devient une figure emblématique de cette communauté d'artistes anglo-saxons.

Des peintres venus des pays scandinaves forment aussi une colonie nordique remarquable composée de peintres suédois comme Oscar Törnå (1842-1894) et Carl Larsson (1853-1919) ou d'écrivains comme August Strindberg (1849-1912). À partir des années 1890, des peintres japonais rejoignent aussi les rives du Loing comme Kuroda Seïki (1866-1924) et Asai Chû (1856-1907) qui jouent un rôle majeur dans la circulation de la peinture occidentale vers l'Asie.

En août 1876, Stevenson rencontre sa future épouse, née Fanny Van de Grift, artiste-peintre américaine qui séjournait à Grez-sur-Loing (et était inscrite avec sa fille de 17 ans à l'Académie Julian). Isobel Osbourne, la fille de Fanny Stevenson, raconte la vie communautaire animée qui prend place dans l'Hôtel Chevillon : "Les meilleurs de nos moments à Grez étaient les conversations, soit dans la grande salle à manger aux murs nus ou dehors sous la tonnelle près de la rivière, la nappe blanche mouchetée d'ombres de feuilles de vigne et l'air lourd du parfum des roses..."

Mis en vente par la famille Chevillon en 1917, l'hôtel change de nom plusieurs fois et cesse son activité dans les années 1950. Grâce à l'initiative d'une association suédoise, la résidence est restaurée et ouvre à nouveau en 1994. Le nouvel intérêt suscité par le passé historique de ce lieu contribue à la naissance de la Fondation Grez-sur-Loing qui loue des appartements et des ateliers, par le biais de fondations, institutions ou académies, à des artistes en résidence.

En souvenir de cette rencontre, une fondation écossaise accorde encore aujourd’hui à un écrivain écossais de moins de 44 ans (l’âge de Stevenson à sa mort) une bourse de séjour à l’hôtel Chevillon.

(Nombreuses informations tirées du site Odysseo, images de ce passé revisité à Grez ici)


Quand Voix au chapitre lit Stevenson : http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/stevenson_dr_jekyll.htm