Lyonel
Trouillot en
2010
Quatrième de couverture : « Cinq
jeunes gens rêvent en vain davenir dans le misérable
quartier de la rue de lEnterrement, à Port-au-Prince. Confrontés
à la violence des rapports sociaux et aux dégâts causés
par des décennies doccupation militaro-humanitaire, ils nont
pour viatique que le fantasme dimprobables révolutions, les
enseignements du petit professeur ou les injonctions
de man Jeanne, farouche gardienne des règles dhumanité
élémentaire règles que les nantis
et les représentants interchangeables des ONG planétaires
qui viennent sencanailler au Kannjawou, le bar local,
bafouent allègrement, habitués quils sont à
détourner le regard de lenfer ordinaire dun peuple
simplement occupé à ne pas mourir. |
Lyonel
Trouillot (né en 1956)
|
AnlonAnnick
A Claire Danièle
Séverine
Émilie Henri Françoise D Jean Suzanne Ana-Cristina Anne Catherine Chantal Christelle Christine Fanny Faustine Geneviève Margot Marie-Odile Yolaine Anne-Marie Annick L Édith Etienne Françoise H Jacqueline Katherine Marie-Thé Monique L Monique M Nathalie B Rozenn |
Rozenn
Jaurais bien aimé échanger avec vous sur ce livre
qui ma séduite et passionnée mais je suis à
Caen.
Séverine (avis transmis)
Mon avis sera bref car jai décidé darrêter
ma lecture, narrivant pas à accrocher et ayant trop de choses
à lire (probablement plus à mon goût !). Ça
me semblait bien parti : jaimais les messages passés
en filigrane de la présentation des personnages et lengagement
de lhistoire. Mais je me rends compte quen voulant en parler,
je ne sais même pas quoi dire tant jai déjà
oublié le peu que jai lu
cest dire ! Je
pense, en fait, que lhistoire de ces personnages mennuie
et cest bien triste car ils sont peut-être fort intéressants
et lhistoire de leur pays aussi. Je suis probablement passée
à côté de cet auteur
ou ne lai pas lu
(ou tenté de le lire) au bon moment
Je retiendrai juste une
citation que je vais me garder de côté : "Ce
ne sont jamais ceux qui nont rien qui veulent tout, tout de suite.
Mais ceux qui ont un peu. Un peu beaucoup. Déjà beaucoup.
Déjà beaucoup trop. Ceux qui savent déjà ce
que cest quavoir. Un peu de biens. Un peu de pouvoir. Un peu
beaucoup de biens. Un peu beaucoup de pouvoir."
Je louvre un quart, ne serait-ce que pour cette citation.
Catherine
Ce n'est pas un livre gai. J'ai aimé la rue de l'Enterrement, le
cimetière omniprésent, les voleurs de cercueils, les rapports
entre les cinq protagonistes, les scènes de leur enfance. Il ne
se passe pas grand chose mais l'ambiance étouffante et désespérante
dans laquelle vivent les habitants pauvres de ce pays est très
bien rendue. J'ai trouvé intéressant tout ce qui touche
à l'histoire d'Haïti, que je connais très mal, les
deux occupations, avec la perte de souveraineté qui en découle
pour le pays. J'ai été, comme d'autres, étonnée
par la vision qui est donnée des ONG qui sont considérés
par les habitants de la rue comme des occupants. J'ai aimé la place
importante que prennent les livres dans le récit ; la seule note
d'espoir qui persiste est liée à la littérature et
à la transmission de la culture. Le personnage de Man Jeanne, en
revanche ne m'a pas vraiment convaincue, il m'a semblé un peu convenu.
Contrairement à Bain
de lune, il n'y a aucune référence mystique, aucune
évocation du vaudou ; peut-être est-ce parce que cela
se passe à Port-au-Prince et non à la campagne. J'ai trouvé
ce livre bien écrit avec beaucoup de phrases qui interpellent.
Il y a une ambiance, une histoire qui m'ont touchée. Je l'ouvre
aux ¾.
Annick A
J'ai du mal à en parler. Le thème et les questions sont
intéressants, mais la manière de les aborder est superficielle,
notamment la manière dont il parle des ONG. Le narrateur fait partie
du groupe des cinq, tout en étant extérieur, cela fait de
lui un voyeur et me l'a rendu antipathique. Le regard extérieur
empêche le lecteur d'entrer dans l'histoire. Je n'ai pas beaucoup
aimé, c'est un livre désabusé avec un regard noir.
Il aurait mérité d'être traité autrement. Ce
n'est pas mal écrit, avec des phrases intéressantes. J'ouvre
¼.
Danièle
Je rejoins Annick. Le roman veut faire nous faire entrer dans l'histoire
d'un peuple très pauvre qui a continuellement été
dominé, soumis à des dictatures, et encore maintenant avec
l'Occupation des ONG. L'auteur parle des deux grandes Occupations, avec
un grand O. Mais, par manque de connaissance de l'histoire d'Haïti,
je n'ai pas toujours compris ses allusions, et le style était souvent
trop elliptique pour qu'il puisse m'aider à y entrer. (Les
notes communiquées par Claire m'ont aidée a posteriori
à m'en faire une idée plus précise).
J'ai eu du mal à cerner les personnages, qui m'ont souvent déroutée.
Tout en étant en quelque sorte des intellectuels (étudiants
en psychologie ou en linguistique), ils s'enferment dans un univers limité,
fermé par l'avenue du cimetière, comme par peur de s'aventurer.
J'ai eu le sentiment de personnages désincarnés, ce qui
m'a empêchée d'éprouver de l'empathie pour eux et
pour leur situation. Ce qui n'a pas tardé à me procurer
un sentiment de culpabilité, devinant que je devais passer à
côté des véritables intentions de l'auteur, dont le
lyrisme indigné me faisait sentir le poids et la rage. Le petit
professeur a pris forme au moment de sa mort, dans des passages très
émouvants, mais pas les autres personnages, qui restent inconsistants.
J'ai été choquée par la vision des ONG, considérées
comme une force occupante au même titre que les dictatures. Cela
ne correspond pas à l'idée que je m'en faisais. Cela aurait
mérité d'être objectivé et développé.
J'ouvre un quart, je suis déçue, tout en éprouvant
une sorte de mauvaise conscience...
Henri
Je suis comme vous. J'ai assez vite décroché, malgré
plusieurs heures de train qui constituent des conditions idéales.
Je n'ai pas eu de plaisir de lecture. Le style et le format des phrases
courtes m'ont agacé, c'est reproduit, ce n'est plus un style. Je
suis cependant reconnaissant au groupe, car on n'est pas là pour
se faire plaisir...
Le mérite du livre est qu'il reste une sorte de matière
désabusée. Toute forme d'interface avec les autres pays
ou entre les personnages est désabusée. Je reconnais la
valeur de témoignage du livre, qui renforce l'image de ce pays
pauvre. Le plus pauvre du monde, n'est-ce pas. Certaines phrases c'est
vrai ramassent le contenu. J'ouvre à moitié peut-être
par culpabilité.
Françoise D
Je suis partagée. Je l'ai lu facilement, mais sans grand enthousiasme.
On a envie de l'aimer, par capital sympathie pour l'auteur et pour le
pays. Cela m'a beaucoup fait penser à Bain
de lune et pour moi les deux livres se complètent. Le style
et l'écriture me semble un peu faciles. J'ouvre à moitié,
à l'image de mon sentiment partagé.
Claire
Je me souvenais de l'enthousiasme d'Étienne quand il nous l'a proposé
et étais très partante, ai démarré sur des
chapeaux de roues, puis me suis dit il ne se passe rien, ça n'en
finit pas la description d'une situation, je rejoins Séverine dans
le décrochement. Mon avis se résume page 170 : "je
préfère les histoires qui touchent vite au cur du
propos". C'est idiot car cela peut être passionnant
qu'il ne se passe rien. Je me suis demandé pourquoi j'ai décroché
: d'accord avec Annick, les personnages n'ont pas de chair ; le narrateur
n'a pas de nerfs, pas d'émotion et me rejette à distance
; rien ne me retient dans le thème qui me barbe alors qu'il devrait
me passionner ; il y a aussi ce passé composé qui rend le
récit mou. Le passage de l'incendie, avec l'évocation des
livres qui brûlent, est réussi. Mais les deux dernières
pages, c'est la cata. J'ouvre au quart par intérêt pour découvrir
les raisons de l'enthousiasme d'Étienne.
Geneviève
Ce qui est intéressant, comme souvent dans le groupe de lecture,
c'est que j'ai bien ressenti ce qu'ont décrit ceux qui ont peu
aimé le livre, mais j'en ai tiré des conclusions inverses.
J'ai lu le roman facilement, mais avec le même sentiment de flottement
au début que beaucoup ont décrit. Je n'ai pas été
gênée par le fait qu'il ne s'agisse pas d'un récit
à proprement parler, avec un déroulement d'événements
et surtout une intrigue. C'est précisément la restitution
d'un monde enfermé dont les habitants ne parviennent jamais à
sortir, d'où d'ailleurs l'usage du passé composé
et non du passé simple, qui aurait dynamisé le récit.
Certes, le seul personnage qui a vraiment de l'épaisseur est Wodné
avec la peur qui l'envahit, mais la manière dont cette peur finit
par paralyser sa compagne Joëlle et son adorateur, le "petit
professeur", est très intéressante. Le narrateur est
lui aussi transparent ou, plutôt, il se veut neutre, ce qui permet
ce regard extérieur qui englobe le quartier, l'université
et la boîte où se retrouvent les expatriés. L'auteur
choisit de ne pas décrire ces "expats", encore moins
analyser leur rôle dans l'île en tant que personnes, mais
de les saisir dans une de leurs réalités : celle d'une
"boîte" où ils se retrouvent le soir et où
se crée un petit monde toujours en partance, entre deux histoires
d'amour éphémères. Ayant fait plusieurs missions
en Afrique, je retrouve cet "entre soi" de ceux qui sont entre
deux mondes, et qui s'oppose à ceux qui vivent là et sont
condamnés à ne jamais en sortir. J'ai été
touchée par l'histoire de la "petite brune", perdue entre
son monde et son amour imaginaire. Seules les deux dernières pages
sont un peu faiblardes, mais il était difficile de sortir de ce
monde immobile...
Christelle
Je n'ai pas tout à fait fini. Peut-être que je m'arrêterai
avant les deux dernières pages... Comme il ne se passe pas grand-chose,
j'aurai quand même une vision globale du livre pensé-je.
Les trois premières pages, je les ai reprises car j'ai eu des difficultés
avec le style haché. Finalement, j'ai beaucoup aimé le style,
ces phrases courtes concises, traduisant les souvenirs, souvent par bribes,
du narrateur. On semble être entre rêve et espoir : des
rêves il y en a, oui, au départ, mais l'espoir, lui, est
absent. Cette absence est très dure. Une phrase résume selon
moi la malheureuse dynamique du groupe : "Julio
... Il avance lentement, comme vers une fatalité. Nous semblons
tous glisser dans la fatalité." Partir comme seule
issue ? Ce n'est pas évoqué. Le titre signifie la fête
en haïtien, mais la seule qu'on voit, c'est celle des expats. J'aurais
aimé plus de clarté haïtienne, or là on est
dans la pénombre continuelle. Nous donner un seul point de vue
m'a paru parfois excessif, mais ça permet d'appréhender
l'état d'esprit de ces jeunes et d'y réfléchir. Je
vais continuer et j'ouvre aux ¾.
Fanny
En le lisant, je m'attendais à un enthousiasme du groupe et suis
donc étonnée. J'ai eu du plaisir, bien que ce ne soit pas
joyeux. J'ai aimé le style. J'ai eu un peu de mal à certains
moments, notamment pour entrer dans le livre : est-ce le manque d'épaisseur
des personnages ? Est-ce parce qu'ils sont nombreux ? Mais je vois plus
le livre comme une balade. Le narrateur ne m'est pas antipathique, et
le fait que son point de vue soit extérieur ne m'a pas gênée.
J'ai aimé certains passages, par exemple quand il est enfant au
milieu du cyclone, c'est imagé, joli. Je rejoins ceux qui l'ont
déjà dit : j'ai beaucoup aimé certaines phrases au
fil du récit j'ai trouvé qu'elles sonnent justes et résonnent
au-delà du roman. La fin de m'a pas marquée, c'est vrai
que ça tombe à plat. Je n'étais pas allée
au bout du livre de Yanick
Lahens, c'est différent celui-là. J'ouvre aux ¾.
Monique L
Je m'attendais aussi à de l'enthousiasme de la part du groupe.
Ce qui me marque le plus dans ce livre, c'est la langue et le style qui
me touchent profondément. C'est une langue magnifique, fluide,
poétique. L'auteur a le sens de la formule et de la métaphore.
Ce récit est dramatique, plein d'humanité, parfois cocasse.
J'ai trouvé une certaine douceur malgré le sujet. Le narrateur,
qui tient son journal pour ne pas oublier, nous raconte les petites et
grandes histoires des habitants de son quartier, leurs illusions et leurs
renoncements. Ce qui relie ces personnages c'est le pouvoir des mots qui
leur permet d'analyser et de décrire le monde qu'ils sont impuissants
à transformer : "Sentinelle
des pas perdus. Sans pouvoir rien y changer, nous passons beaucoup de
temps à deviser sur les itinéraires."
C'est un plaidoyer contre l'oppression et l'occupation d'Haïti à
qui on dénie le droit de s'administrer lui-même. L'auteur
y exprime l'absence d'espoir, même parfois le désespoir,
mais aussi le besoin de rêver et d'espérer. Il y déplore
son impuissance et le manque de perspectives pour la jeunesse.
La peinture des personnels des organismes internationaux ou humanitaires
est terrible et tellement réaliste ! Ils sont vécus comme
des occupants.
Tous les personnages ont une personnalité bien campée, même
les personnages secondaires. Je me suis sentie au milieu d'eux pendant
toute ma lecture. J'ouvre en entier.
Jacqueline
(qui nous a fait du féroce d'avocat et des mini tartes des Caraïbes
délicieuses aux oignons pimentés)
Intéressée par la littérature haïtienne, j'avais
autrefois emprunté du même auteur Ne
m'appelle pas Capitaine que je n'avais pas fini et là aussi,
j'ai eu un peu de mal au démarrage. Mais, il y avait le groupe
lecture
et puis surtout man Jeanne ! Man Jeanne qu'on ne voit
pas mais dont on entend la voix et c'est extraordinaire !
Je suis arrivée à la création du centre culturel :
"Sophonie est allée
voir man Jeanne, lui a exposé son idée. Man Jeanne a jugé
que c'était bien. "Des
jeunes avaient fait des choses comme ça au temps de la première
Occupation. Il en était sorti des gens bien. Pas tous. Il est des
gens, tu as beau les exposer au meilleur, ils choisiront toujours le pire.
Mais, on va le leur créer ce Centre aux gamins."
Elle a organisé la collecte, nous a ensuite donné l'argent
quelle avait recueilli pour acheter les premiers livres. Wodné
voulait des ouvrages formateurs, des sortes d'initiation à l'instruction
civique et la conscience sociale. Sophonie préférait une
juste part des choses. Pourquoi les enfants pauvres ne pouvaient-ils descendre
vingt mille lieues sous les mers, voyager en ballon et se battre à
l'épée pour venger leurs amis ? Si tu n'as pas de rêves,
au nom de quoi veux-tu faire la guerre au réel ?"
(p. 43) Il y a la problématique d'Haïti,
mais moi qui lis à des enfants je vois que c'est aussi la mienne...
je suis, alors, entrée dans le livre. Pour moi c'est un très
grand livre, par la manière dont c'est écrit, avec des phrases
courtes mais percutantes. Je me suis retrouvée à Haïti.
La petite brune m'a renvoyée à Vers
le Sud de Dany Laferrière. Le père Anselme exproprié
de ses terres faisait écho à Bain
de lune, comme la situation de ces jeunes à celle du jeune
Fignolé, musicien militant disparu de Port-au-Prince dans La
couleur de l'aube de Yanick Lahens...
Un récit trop distancié ? Mais il s'agit plutôt
de ne pas s'appesantir.
J'ouvre en grand, un peu plus qu'en grand. C'est un très beau livre
sur l'écriture au travers de l'engagement du narrateur dans ce
journal. C'est aussi un beau livre sur l'engagement militant avec l'histoire
du "petit professeur" ; et je retiens aussi : "Tu
sais comment on devient un militant ? Faut commencer par être humain
et un humain ça parle des autres en s'excusant".
Ce livre pose toujours un regard bienveillant, sur tous ses personnages,
et ce n'est pas un hasard s'il se termine par une déclaration d'amour...
Annick L
J'ai adoré ce roman. Et j'ai été surprise par les
critiques que j'ai entendues
Par exemple moi j'ai bien aimé le parti pris du narrateur modeste,
en retrait, qui laisse la place à ceux qu'il met en scène.
J'aime aussi ce style, les phrases courtes, comme des impressions jetées
au fil du texte. D'autant que cette unité est rompue par quelques
scènes particulièrement marquantes, dont on peut apprécier
la force d'évocation : par exemple celle du suicide du professeur
; ou la scène de la danse solitaire de" la petite brune",
Sandrine, qui cherche à séduire de nouveau son amant haïtien
d'un soir dans le bar des expatriés ; ou quand les jeunes de la
bande des cinq vont sur la plage privée et font en direct l'expérience
du cloisonnement social qui organise la géographie de leur ville.
Par ailleurs, j'ai été interpellée par le tableau
très sombre qu'il brosse des humanitaires : j'approuve le travail
des ONG en général et je pensais qu'ils avaient un rôle
positif à Haïti. Qu'ils soient vécus comme des occupants
m'a fait réfléchir. Bref j'ai été intéressée.
J'avais lu un autre roman de cet auteur, Rue
des pas-perdus, aussi pessimiste mais écrit très
différemment. Ici, au début du livre, ça paraît
flotter, on passe d'un sujet à l'autre, sur lesquels le narrateur
revient, de façon obsédante, et peu à peu une cohérence
se crée. La construction est remarquable. Bien sûr c'est
désespéré, il ne se passe rien, mais c'est aussi
un parti pris : le lecteur se retrouve enfermé dans cet immobilisme
et je comprends que pour certains lecteurs ce soit insupportable. Moi
je trouve ça astucieux de plonger le lecteur dans cette réalité.
J'ai bien aimé le parallèle qui a été fait
avec le roman de Yanick
Lahens, les deux romans sont complémentaires en effet, même
si cette romancière écrit dans un flux plus luxuriant, voire
délibérément exotique. Mais leur vision converge
quant à l'absence d'espérance pour les habitants de ce petit
pays exsangue. J'ouvre en grand.
Etienne(c'est
le premier livre proposé par Etienne dans le groupe, après
plusieurs tentatives infructueuses...)
Je suis tombé par hasard sur ce livre dans une librairie. La première
bonne surprise : pas de côté folklorique (vaudou, exotisme
).
Jai limpression que ceux qui ont apprécié en
ont parlé mieux que ce que je pourrais le faire. Étonnamment
je suis d'accord concernant ce que vous n'aimez pas. Mais comme Geneviève,
c'est ce que j'ai aimé ! J'ai adoré ce rapport réel/imaginaire,
cette impression de contour flou des personnages. Cette bande, a-t-elle
une existence ? Elle m'a d'abord fait penser à Pennac, puis,
non ! C'est de la rage. J'ai été pris aux tripes par
ce cri de rage, qui est désabusé en même temps.
Claire
Tu peux nous faire un cri de rage désabusé ?...
Etienne
Il y a une instrumentalisation observée, un regard critique sur
les ONG, mais la critique n'est pas acerbe. S'il y a beaucoup de thèmes
abordés, ce n'est pas décousu, on passe avec fluidité
de l'un à l'autre. Le constat amer est magnifié par l'écriture,
dont j'ai apprécié les uppercuts : une écriture
sèche, scandée. Et il y a aussi de la tendresse entre eux,
ce qui donne une petite lumière quand même. J'ouvre en grand.
Les deux dernières pages ? Oui c'est vrai. Mais la lenteur
avec ce marasme m'a énormément plu.
Fanny
Je reviens sur la culpabilité, c'est drôle que vous en ressentiez.
Françoise
C'est à cause de ce capital de sympathie.
Annick A
Le sujet ne suffit pas, ça reste superficiel.
Geneviève
Il ne s'agit pas d'une analyse mais d'un roman.
Claire
Ce qui me frappe dans les interviews, c'est qu'il
ne parle pas d'écriture, mais uniquement du "sujet" justement.
Etienne
Alors que l'écriture est formidable.
Fanny
Les enfants, je n'arrivais pas à leur donner un âge, à
savoir s'ils étaient des enfants ou pas. Mais ça ne m'a
pas gênée.
Danièle.
Oui, c'est vrai, on ne sait pas quel âge ils sont.
Annick A
De toute façon, je ne suis pas arrivée à me représenter
les personnages. C'est vrai qu'il y a un beau passage sur les enfants :
"Les enfants sont capables
d'étranges analogies, et malheur à qui prétend savoir
où les attendre. Un enfant, c'est jamais une horloge arrêtée,
sauf lorsque le malheur les a frappés trop fort et qu'ils n'osent
plus bouger. Les enfants, ils voyagent tout le temps, montent au ciel,
descendent vers les fonds de mer, dansent avec les couleurs, les mots,
marient les vivants et les morts, les jeunes et les vieux, remplacent
le réel par le rêve quand le réel est mauvais, te
montrent un rêve en te disant : "Tiens,
voilà le réel"
et te regardent avec un air de défi, des fois que tu voudrais prétendre
que leur rêve n'a pas raison. Et puis soudain ça devient
pragmatique, plus réaliste que toi, te disent que le père
Noël, s'il existait il est bien mort vu qu'il ne passe jamais à
la rue de l'Enterrement. Et s'il est pas mort - on peut pas savoir, y
a pas de tombe à son nom sous la poussière du grand cimetière
- c'est qu'il est occupé ailleurs."
(p. 135)
Françoise
Et l'histoire du cercueil ! (Le voleur de cercueil se fait interpeller
par les flics alors qu'il sort du cimetière avec un cercueil sur
la tête, il leur répond qu'il va changer de cimetière
car il ne se plaît pas du tout dans celui-ci... et les flics le
laissent partir...!)
Henri
J'ai été agacé par le style fait deux phrases courtes :
quand le style est trop évident, ce n'est plus du style. C'est
comme Maylis
de Kerangal.
Monique
Le rôle de man Jeanne est important, car elle ouvre sur l'histoire
du pays.
Annick L
Oui, mais c'est vrai qu'on ne peut pas se la représenter.
Fanny
J'ai l'impression que ce sont surtout les expats que l'on visualise le
mieux à travers la description physique que l'auteur en fait.
Entre la première et la deuxième partie, j'ai eu l'impression
que beaucoup de temps s'était déroulé.
Henri
À propos de la culpabilité : Danièle se sent solidaire
d'un groupe et pense passer à côté de quelque chose
et quant à moi, j'avais de bonnes conditions et à chaque
fois que je le reprenais c'est une corvée.
Etienne
Je me souviens que tu as dit que tu es bien élevé et que
tu as l'habitude de finir ton assiette
Annick L
Par rapport au groupe c'est ce que j'avais ressenti lors de la soirée
sur La
saga de Youza qui m'a vraiment barbée alors que la plupart
d'entre vous avaient beaucoup aimé.
Claire
Même certains qui ont aimé ont eu du mal au début...
Cela me rappelle Carole
Martinez qui nous disait qu'elle faisait exprès d'être
chiante au début pour faire un écrémage...
Annick A
Au début pour ma part, j'y suis entrée, mais c'est
après...
Danièle
On n'imagine pas leur journée... que font-ils ?
Catherine
Rien !
Annick L
Quand même ces jeunes ont monté un centre culturel pour les
enfants du quartier où on leur fait découvrir le pouvoir
des mots et des livres. D'ailleurs tout le roman leur rend un hymne vibrant.
Fanny
J'ai retrouvé la phrase que je cherchais : "Les
romans. Cest une des choses qui nous lient. Lui, un presque riche
qui avait dans son enfance le luxe de choisir lequel de ses deux parents
il préférait, habite un quartier où poussent encore
des fleurs, une maison à étage avec une chambre damis,
possède une voiture quil utilise rarement, une bibliothèque
qui compte plus douvrages quil y a de tombes dans le premier
carré du grand cimetière qui ferme notre rue. Et moi, un
petit gars de la rue de lEnterrement qui na jamais eu pour
parents que son frère Popol, na pas toujours mangé
à sa faim, à qui personne na jamais enseigné
l'art de tenir une fourchette. Dans son enfance, il lisait pour tromper
lennui. Moi, souvent pour tromper la faim." (p. 27)
Françoise
Et puis, la vision du narrateur n'est pas forcément "la vérité".
Geneviève
L'occupation violente ou douce, avec la gouvernance du pays prise en main,
c'est bien une réalité.
Annick L
Cette analyse est développée dans les
articles que Claire a sélectionnés.
Monique
Le coût des ONG est exorbitant. C'est très cher pour le service
rendu.
Annick L
Ça fait tourner les ONG. Et, pour les humanitaires eux-mêmes,
la question de savoir ce qui les pousse à s'engager dans ce type
d'actions est posée dans le livre à plusieurs reprises.
Annick A
Le narrateur fait partie du groupe des cinq, il observe. Je trouve qu'il
s'extériorise, s'autorisant des jugements à longueur de
temps.
Etienne
C'est toujours bienveillant.
Annick A
Vous trouvez ça bienveillant ? Le chapitre sur la petite brune
est violent.
Fanny
C'est touchant.
Françoise
C'est ambigu concernant cette pauvre fille paumée.
Christelle
C'est le seul moment d'humanité. Là il y a une entraide.
Fanny
Ce n'est pas complaisant.
Henri
Quand il y a une grande distance, on ne peut pas communiquer. Le narrateur
est lui désengagé, passif. Les militants "sont des
humains", les ONG sont de passage. Ça ne marche pas dans le
groupe.
Jacqueline
D'ailleurs le groupe n'existe plus.
Geneviève
Ça me rappelle les cités des quartiers HLM, il n'y a pas
de sortie : à l'université on vivote, on est dans un
entre-deux social, comme l'est ce groupe. Peu à peu ils abandonnent
l'idée de changer de monde et s'enferment dans le ressentiment
et le sentiment d'injustice.
Jacqueline
Il y a un passage avec une comparaison entre ceux qui ont fait des études
et les autres.
Henri
Le bouquin est puissant sous cet aspect. C'est pourquoi je dis qu'on n'est
pas là pour le plaisir...
Geneviève
A ce propos j'ai envie de vous parler d'un livre, mais que je ne propose
pas au groupe.
(Finalement, nous programmons le livre en question Souvenirs à marée basse de Chantal Thomas...)
Danièle (le lendemain)
Comme dhab, super soirée, toute de contraste. Mais je dois
dire que les réflexions de ceux qui ont aimé mont
fait comprendre des choses, et en particulier, que ce que jai pris
pour du vide ou de linconsistance, reflétait en fait létat
desprit des personnages, presque comme une défense devant
labsence dissue. Intéressant !
AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN
réuni le 27 septembre 2019
Anlon
Émilie
Ana-Cristina Anne
Faustine Margot
Anne-Marie
Françoise H Monique M
Nathalie B
Ana-Cristina
Le livre m'a plu tout de suite, dès la première page, vraiment.
Il m'aurait plu encore davantage je crois si j'avais pu le lire sans interruption,
dans un seul mouvement.
J'ai beaucoup aimé le style, poétique, très sincère,
sans pose. L'auteur ne se sent pas obligé d'expliquer ce dont il
parle. Je lui en sais gré. Pourtant je ne connaissais quasiment
rien de l'histoire d'Haïti. Mais Lyonel Trouillot en dit suffisamment
pour que je comprenne de quoi il parle. De plus, ses propos sont universels.
Il y a beaucoup de tendresse, dans ce qu'il écrit, de la douceur,
qui rend le livre encore plus poignant. A la fin de la page 16, j'ai déjà
envie de pleurer. Je sens que l'auteur devrait crier et il ne fait que
murmurer. "Les coups
de pioches des voleurs de cercueils" résonnent
comme dans une histoire pour enfants écrite pour qu'ils aient un
peu peur. J'aime l'expression : "Les
pilleurs de talent".
L'équilibre est rompu entre la place donnée à la
vie et la place donnée à la mort. Alors, il faut, pour continuer
à vivre, compenser, c'est-à-dire trouver un équilibre
plus intime, moins cosmique, moins général tout simplement.
Les généralités, les grands discours ne valent rien
quand il s'agit de s'en sortir au quotidien. L. Trouillot écrit
(p. 87) : "Ce
peut être une erreur de penser aux grandes choses en oubliant les
petites." Je pense que nous avons tous notre "rue
de l'Enterrement", puisque nous avons tous une vie qui nous mène
inévitablement à la mort. La question est de savoir comment
on y vit dans cette rue. Il est difficile d'être avec ceux de la
rue. Être dans sa rue ne veut pas dire ignorer les autres, les refuser.
L'équilibre entre le dedans et le dehors est toujours difficile,
voir impossible ; la vie est sa recherche. Joëlle a-t-elle raison ?
Faut-il prendre le risque de partir pour aller là où on
pense pouvoir exister ? Ou est-ce un leurre ? Je suis pour le
leurre. On ne quitte jamais sa "rue de l'Enterrement", mais
s'il y a une chance, ne serait-ce que minime, de pouvoir enfin exister,
même si c'est "ailleurs", il ne faut pas hésiter.
Page 42 : "j'éprouvais
du mal à choisir entre ce qui est et ce qui sera. Entre le don
et le possible." "Le don" est représenté
par Sophonie, "le possible" (ce qui est possible de faire),
par Joëlle.
J'ai trouvé très émouvant l'épisode de l'incendie
(p. 167-168). Le "petit professeur" représente la
meilleure part d'Haïti, tout comme man Jeanne. Cet épisode
symbolise pour moi l'histoire d'Haïti. Les pompiers qui arrivent
vraiment vraiment vraiment longtemps après le feu, éteint
par les habitants. J'aime beaucoup le personnage du "petit professeur".
A propos de lui et de sa place dans cette rue, voici deux vers d'un poète
russe, qui lui vont comme un gant :
"Le cur parle
si bas qu'on le distingue à peine
Dans le chaos hurlant des passions humaines."
Et en lisant "l'enterrement d'Anselme"
, là j'ai
pleuré. Surtout en lisant le "pas touche" que
le voleur de cercueils a pris soin d'écrire sur le cercueil.
Il y a certains passages que je n'aurais sans doute pas aimé lire
sous la plume d'un autre auteur. Des remarques un peu "gentillettes",
ici, ne me dérangent pas. Par exemple un (voir plusieurs) passages
qui rappelle la maxime "la
vérité sort de la bouche des enfants". Non,
dans ce livre, tout me paraît juste, à la bonne place.
Anne-Marie
J'ai été impressionnée par ce que j'ai appris d'Haïti,
j'ignorais que cette île avait subi de telles épreuves, entre
les guerres, les deux occupations étrangères, les épidémies,
inondations, etc.
Ce n'est pas étonnant que ce peuple ait appris la résignation.
Mais j'ai vu sur internet plusieurs interview de l'auteur, à propos
de ce livre, et lui n'est pas résigné, c'est au contraire
un homme engagé, et ce qu'il nous dit c'est sa colère, son
refus de la "compassion idiote" comme il dit, la compassion
des ONG peut-être, qui ne comprennent pas bien.
Il montre le contraste entre la fête que font les occupants (Kannjawou
des Blancs, en quelque sorte) et la misère des habitants. Mais
il dit aussi, et c'est très important pour lui, le pouvoir des
mots et de la littérature : les mots permettent de garder
du rêve et les livres sauvent du désespoir.
J'ai absolument adoré ce libre foisonnant, qui est partagé
entre la tendresse et la colère politique.
Il y a une résignation molle au malheur des habitants, un accommodement
permanent au malheur. Leur seule vie est d'exister les uns pour les autres
qui viennent du même monde (la solidarité n'est pas illimitée).
Le bar Kannjawou est la rupture, le lieu de croisement des riches/blancs
qui s'encanaillent et les habitants. Pour les habitants, le kannjawou
est une grande fête donnée pour tout le monde. Le terme est
ici dévoyé.
Le texte est à la fois poétique et très violent.
Mais la violence est dite sans hurler.
Françoise H
Je partage les propos précédents. J'ajouterai que l'auteur
fait passer un message en l'incarnant : il n'y a pas de théorie,
on fait un voyage avec des personnes que l'on pourrait croiser. L'auteur
connaît ses personnages.
Margot
J'ai ressenti la même chose et c'est un bonheur de découvrir
cet auteur. Je suis contente de ne pas avoir connu l'histoire de l'île
avant de lire ce livre, ma lecture en aurait été teintée.
La rue de l'enterrement, qui n'est pas vraiment une rue, est le milieu
entre les vivants et les morts, les pauvres et les plus pauvres. Il y
a une puissance de l'inertie qui les contraint tous. Ce livre est sans
pathos, on ne s'étend pas dans la tristesse, comme dans l'amour.
Le "livre" est très présent : bibliothèque,
journal, petit professeur, centre culturel.
C'est écrit par fragments et on apprend au fur et à mesure
qui sont ces personnages. Les pilleurs de tombes sont extraordinairement
vivants, très concrets.
Il y a des pages magnifiques (p. 73, 115, 123-124).
Faustine
Je rebondis sur un élément : la manière dont le livre
est écrit m'a fait me remémorer les feuilletons télé
où l'on suivait un personnage de l'enfance à l'âge
adulte. À travers le temps qui passe et le quotidien des différents
personnages, on apprend à connaître ce pays. Les petites
histoires font comprendre la grande Histoire. On apprend au fur et à
mesure du texte les liens qui unissent les personnages, leur âge,
leur vie et leur évolution. J'ai aimé ces petites touches
qui m'ont permis d'entrer dans cette rue et d'être avec ses habitants.
Également, malgré l'horreur de ce qui est raconté,
l'écriture est douce.
Nathalie B
Malgré toutes difficultés, voire les horreurs, vécues
par les habitants, l'auteur emploie pour les dénoncer la douceur.
Ce qui rend finalement son récit encore plus troublant et plus
fort. Il décrit tous ses personnages avec une grande tendresse,
par petites touches, et ils nous apparaissent avec toute leur humanité
si proches de nous. J'ai été émue et admirative par
leur courage et leur force de vie face à des conditions d'existence
si épouvantables. Même si trop de coups les empêchent
de se révolter.
J'ai été très intéressée par le terme
"Les occupants" qui sont en fait les membres des ONG censés
venus aider la population. Et cela renvoie à un sentiment qui parle
à tous. Comme par exemple, quand un groupe arrive dans un lieu,
une entreprise rachetée par exemple, pour prendre les commandes,
sans se soucier de l'histoire de l'entreprise, de ceux qui l'ont faite
et qui sont toujours là. Le même sentiment d'occupation peut
être vécu. Le roman de Trouillot décrit très
bien les sentiments humains que l'on retrouve partout. J'ai beaucoup aimé
la justesse du ton par lequel le roman nous parle à l'oreille de
ce qui se passe au loin et qui est pourtant si proche.
Par ailleurs j'ai trouvé la composition de son roman très
fine, avec ses petits chapitres.
Émilie
Tout est très réaliste, les personnes et l'évolution
de leurs liens sont universels.
L'histoire est un peu statique, comme une photo. Ce n'est pas tout à
fait un roman. Mais rien ne bouge non plus dans la vie des personnages.
L'écriture retranscrit donc bien l'ambiance.
Le style n'est pas artificiel, l'auteur est fidèle à ce
qu'il veut dire.
Mais j'ai lu le livre au début de l'été et il ne
m'en reste pas grand-chose, je n'y pense plus. Alors que les livres que
j'ai beaucoup aimés me restent en tête et j'en ai des réminiscences.
Monique M
J'ai aimé ce livre, ce regard acéré sur l'injustice
faite à ce pays occupé par des forces étrangères,
un pays vaincu, exploité jusque dans sa chair, où persistent
les coutumes ancestrales, les croyances, les superstitions et où
s'exprime la force vive d'une jeunesse privée d'avenir.
Je trouve que le parti-pris de décrire l'action à travers
le regard d'adolescents donne beaucoup de puissance au livre. Ce regard
a une acuité particulière, c'est à la fois un regard
lucide, désabusé, et un questionnement sur ce bloc hostile
que constitue les occupants ; des occupants, aux murs superficielles,
dévoyées, si éloignées de celles de ces ados.
J'aime ce jeune homme, le petit dernier de la bande, scribe et narrateur,
dont on sent le goût de vivre, la soif de connaissance, il est la
voix de l'auteur : "Il
écrit la rage, le temps qui passe, les petites choses, le pays,
la vie des morts et des vivants qui habitent la rue de l'Enterrement".
Et c'est à travers ce regard d'enfants qui n'ont rien, vivent à
deux pas du cimetière, dans des logements insalubres, que l'on
découvre l'occupation, le débarquement des troupes étrangères,
la misère sordide et l'impuissance des habitants. : "C'était
comme si les gens s'étaient couchés" dit
l'auteur. Dans ce décor de misère, deux personnages de lumière
: MAN JEANNE la "Juste", la gardienne, l'âme et la mémoire
des valeurs ancestrales de l'Ile, celle qui a dit "Écris
petit" et LE PETIT PROF, celui qui apporte aux enfants
la connaissance par la lecture et la vision d'un ailleurs porteur d'humanité
et d'espoir.
J'ai aimé le style, l'écriture ardente, engagée,
souvent poétique ; on sent que l'auteur aime profondément
ce pays, le connaît de façon intime, en respecte les valeurs,
les tentatives de survie. Il éprouve pour eux de la tendresse,
connaît les liens qui unissent ces familles où les enfants
"ont un seul parent
ou pas de parent du tout" ; il connaît la solidarité
et les valeurs fortes portées par les anciens, évoque les
superstitions (les pilleurs de cercueils veulent s'approprier le talent
d'un défunt en volant une partie de son corps). Tout cela est fluide,
vivant, terrible (la petite brune, Marc le prédateur, l'impuissance,
la misère
).
J'ai été fascinée par la justesse et la puissance
de certaines phrases et passages, comme s'il les avait écrites
avec la révolte de son âme d'adolescent et même avec
son sang :
P. 29 : "Un
pays occupé est une terre sans ciel et sans ligne d'horizon".
P. 57 : "Se peut-il
que tous les pas de notre enfance, quand Sophonie libérait les
lézards et les libellules
n'aient été que des
pas perdus".
P. 65 : "Joëlle qui veut aller voir le "milieu
du vent, cette folie furieuse qui ne laisse rien à sa place, fait
monter au ciel les choses de la terre
"
P. 73 : Les deux enfants assis sur le muret face au Kannjawou observant
le comportement dévoyé des occupants : "Après
avoir garé leur 4x4 les clients se bousculent déjà
à l'entrée. Marchent vite. Avides, têtes chercheuses,
fauves lâchés. N'arrêtent pas de danser en avançant
vers la piste. S'embrassent. S'admirent dans une sorte d'entre-soi. Constituant
un monstre compact et cependant à plusieurs têtes, plusieurs
jambes, plusieurs bouches, tournant sur lui-même, rapaces contre
rapaces, frénésie contre frénésie. Je te mange,
tu me manges
corps pressés de consommer les corps, l'alcool,
quelque chose qu'ils peuvent palper, ingurgiter, malaxer, mâchonner
jusqu'à l'overdose".
P. 35 :
"Les enfants, c'est cette force
incontrôlable qui marche dans le milieu du vent
un enfant
c'est jamais une horloge arrêtée, sauf lorsque le malheur
les a frappés trop fort et qu'ils n'osent plus bouger".
P. 14 : "Quand
aucun expert ne viendra nous dicter nos chemins comme si nos vies étaient
des fautes d'orthographe".
P. 39 : Le jeune cadre éméché dont le véhicule
tue un passant en le projetant dans le fossé et que l'on se contente
de renvoyer sur le continent : "Un
corps dans l'avion, un dans le fossé ; un corps vivant et un corps
mort ; un qui aura le choix d'oublier ou de se souvenir, un autre dont
personne ne se souviendra".
P. 48 : Marc le prédateur, "fantôme
bombant le torse sous sa guayabera, que la honte ne tue pas mais dont
la dernière volonté est d'être là demain. Profiter.
Bouffer le cul, le con, le cur de l'autre. Bouffer l'air, le temps,
les fleuves, les villes, les routes, les gratte-ciels, les sentiers, les
périphériques, la Grande Ourse et la Petite Ourse, les archipels,
les continents, les ponts, l'eau qui passe sous les ponts, les humains
qui se jettent dans l'eau. Empiffrer le monde. Leur modèle, c'est
l'ogre." Admirable description !
P 158 : La poésie des croyances de Man Jeanne "Qui
meurt en une saison triste emporte dans sa tombe une tristesse éternelle
qui se mêle à la terre, la salit, la défait et rend
son cur stérile".
Tout cela relaté par cet irrésistible petit dernier de la
bande qui écrit le soir dans sa mansarde près du cimetière
où résonne comme un leitmotiv, le bruit des pelles et des
pioches des voleurs de cercueils. Ce livre est saisissant.
Anne
Le livre est poétique ("pilleurs de tombes") avec aussi
de l'humour.
Étant en période de deuil, je me suis demandé quelle
était la différence entre ces gens dans la misère
qui créent autour de la mort et moi qui me bats avec l'administration.
Je ne dirai pas que l'auteur est un homme d'amour, mais un homme plein
d'intériorité, qui élabore autour de sa haine.
Il n'y a pas de révolte, mais écrire est un moyen de se
révolter. Le livre est très intense, les relations y sont
intenses. L'auteur est empathique, on le sent avec tous les personnages.
Anlon(avis
transmis)
J'ai trouvé le style aussi pauvre que l'intrigue maigre, donc je
ferme ce livre dont je n'ai lu que le tiers.
Synthèse
des AVIS DU GROUPE BRETON réuni le 10 octobre 2019, rédigée
par Chantal, et suivie de quelques avis détaillés
Jean Suzanne
Chantal Christine
Marie-Odile Yolaine
Edith
Marie-Thé
Plusieurs aspects du roman ont rassemblé tout le monde :
- l'écriture, belle écriture, avec des images très
fortes ; un rythme syncopé, phrases très courtes, chapitres
courts, pour les uns rendant le texte répétitif, pour les
autres le rendant très musical
- le "dépaysement" certain ressenti devant ce pays lointain,
ces gens aux comportements différents, par exemple devant la mort
- ce roman est un hommage vibrant à la culture, à la force
des mots, aux livres, avec l'espoir qu'ils pourront changer le destin
de ce pays
- l'humour qui tout au long allège un peu la noirceur de la situation
- enfin, l'aspect documentaire a été relevé par tous,
nous incitant à chercher et essayer de mieux connaître le
passé et l'actualité d'Haïti, ce qui a donné
lieu à de longues discussions, à la fois sur le passé
de luttes, d'occupations, et sur le présent où la pauvreté
s'est encore aggravée suite au séisme de 2010
- et la grande question suscitée par ce texte : le rôle des
ONG et de l'ONU : quelle limite, bien ténue entre aide humanitaire
et "emprise "sur la vie des Haïtiens ? Sont-elles notre
"bonne conscience" ?
Réserves émises par certains : c'est un roman ambigu, plus
un témoignage qu'un roman, et un témoignage uniquement à
charge sur la nocivité des "occupants" étrangers
que sont les ONG et L'ONU.
Enfin, pour d'autres, ce roman est un plaisir littéraire, la lecture
en est "jubilatoire" ! l'écriture "flamboyante"
!En conclusion, si le regard de l'auteur est sans concession sur la situation
de son pays, il pose toujours un regard "aimant" sur chacun
des personnages, haïtien ou étranger de passage.
Et... la couleur de peau du petit professeur fut une autre grande question
: certains l'ont vu noir, d'autres blanc, d'autres noir clair !!!!
Et dernier constat unanime. Et désespéré : ENCORE
un livre de souffrance !!!
Yolaine
Bien aimé la forme, cette rêverie qui sapprofondit
au fil des pages et de laccumulation des souffrances qui sabattent
sur Haïti, et le fond, ce melting-pot où les plus pauvres
ne sont pas forcément ceux quon croit, mais sans que le narrateur
ne se départisse de sa bienveillance et de son désir de
paix. La dénonciation des humanitaires est quand même un
peu cruelle mais me paraît salutaire. Je ne lai pas ouvert
en entier parce que cest un livre un peu difficile, le plaisir de
la lecture nest pas immédiat.
Marie-Thé
J'ai adoré. L'écriture est merveilleuse, j'ai vu dans ces
pages envoûtantes un cri, la souffrance d'un peuple, d'une terre
déchirée, outragée par ces puissances étrangères
censées panser les plaies... J'ai bien sûr pensé à
Aimé Césaire, à Frantz Fanon, qui mettaient si haut
la dignité de l'homme. C'est intense, bouleversant, ce livre dit
la colère, le combat, mais aussi les espoirs, les projets, les
rêves d'un groupe face à la misère et à l'injustice.
J'ai été très sensible à l'évolution
de ce groupe, à la création du centre pour des gamins, "pour
inventer l'avenir", pour avoir des amis "à
défaut de parents", la culture, les livres, l'écriture,
j'ai rêvé avec eux... Si avec "la
bande des cinq", j'ai espéré moi aussi,
j'ai été découragée par Wodné, pour
lire finalement ceci : "Les
quatre autres, nous devenons au fil des jours, sans trop vouloir le reconnaître,
les plus riches parmi les pauvres, ou les pauvres les mieux lotis. Il
leur manque les mots, les connexions. Ou, s'ils bougent, c'est sur un
bateau dont ils ignorent la vraie destination."
"Kannjawou",
ce mot chantant veut dire "grosse
fête", collective. Mais : "Un
pays occupé est une terre sans vie." Et avec des
espoirs abandonnés, l'individualisme remplace la solidarité,
etc., etc. "Il ne restait
plus rien à préserver. Ni rêves, ni dignité."
Avis très réducteur, je pourrais continuer longtemps, très
longtemps... Je terminerai quand même par ceci : "Quel
soi-même on finit par être, au bout de quel parcours ?"
J'ouvre en grand.
Marie-Odile
J'ai lu Kannjawou il y a un bon moment, sans prendre une seule note, et
je ne l'ai plus en ma possession... Je dirai juste que je l'ouvre aux
¾.
J'ai aimé l'atmosphère de ce texte. J'ai trouvé les
personnages attachants, dans un mélange de résignation et
de lucidité. Je me suis interrogée sur l'âge du narrateur,
peut-être en raison d'une certaine naïveté dans l'expression.
J'ai aimé le pittoresque de cette rue de L'Enterrement, la frontière
ténue entre les vivants et les morts. Lorsque le voleur de cercueil
se fait passer pour un mort qui a décidé de changer de cimetière,
laissant les policiers effrayés, j'ai ri !
A travers les allusions aux "deux Occupations", c'est une part
de l'histoire d'Haïti qui m'est apparue. J'ai trouvé intéressant,
car inhabituel, le point de vue sur les ONG et leurs représentants.
On est loin du regard valorisant. Pas d'illusions, pas de complaisance,
une certaine amertume atténuée par l'intérêt
porté aux individus...
Voilà le peu qui me revient.
J'ai lu dans la généreuse documentation
que Lyonel Trouillot a écrit des textes chantés par Toto
Bissainthe que j'avais complètement oubliée et que j'ai
réécoutée avec une certaine nostalgie quarante ans
après...
Édith
Grand OUVERT autant pour le fond que pour la forme. Un régal de
lecture !
"Cette habitude du journal
elle m'est venue depuis l'enfance. Pour mes 6 ans, Sophonie m'avait offert
un carnet... Ecrire n'est pas une chose courante à la rue de l'Enterrement."
Le ton est donné et déjà je suis dans le texte en
appétit
avec les mots acquis par l'école et la culture
pour dire au plus près sa vérité son ressenti. Je
vais connaitre par les "mots" du journal de l'auteur comment
cinq jeunes des quartiers du bas de la ville organisent leur vie avec
l'occupant, autour de Man Jeanne et le bar Kannjawou. "La fête"
!
La 4e de couverture est le résumé très fidèle
du contenu du livre
Mais il faut par la lecture "tranquille"
si je le peux, au regard de la densité du texte, traverser les
192 pages pour en sortir éblouie.
Éblouie oui, car tout au long de la lecture (dévorante)
mes yeux ont envie de "sauter" les lignes et les mots, les images,
les remarques
, tellement le texte va vite d'une courte phrase à
l'autre - même trois mots pour faire phrase - d'une sentence drôle,
émouvante, poétique simplement, pétillante, profonde,
lourde du constat du malheur d'être "occupé". Humour
des situations et parfois tristesse à peine voilée sur les
situations des différents partenaires.
L'auteur m'a entraînée dans sa fougue de conter le désespoir,
l'humour je le redis et sa philosophie du quotidien dans un lieu occupé,
le malheur d'être né pauvre, le bonheur de grandir avec MAN
JEANNE, la mémoire des lieux, la sagesse incarnée, la bonté
aussi. POPOL, SOPHONIE, JOËLLE, Le PETIT PROFESSEUR, WODNÉ,
ANSELME, HANS et VLADIMIR ses fils, Monsieur LAVENTURE, La PETITE BRUNE
dite Sandrine, RÉGIS et MONSIEUR VALLIÈRES et sa femme ISABELLE.
Et l'OCCUPANT MARC
Et HALEFORT (truculence du chapitre p. 115-116
avec les zombis) dans la rue de l'Enterrement, car au bout il y a le cimetière
des pauvres. La vie et la mort
, les cortèges et leurs suiveurs,
la vérité des morts dites par les vivants qui ont les mots.
P. 159 à 165, touchantes pages du suicide et du testament du petit
professeur. Des phrase que j'ai lues et relues : p. 160 à
propos du passé pour le lien avec le présent, p.162 l'évocation
des livres vivants, Hugo, Zola, évoqués par leurs uvres
en proie aux flammes "c'est
le langage qui meurt là-haut. Le bon usage du langage et du cur".
Et le plaisir pour moi lectrice d'entendre la douleur et la joie paradoxalement
de vivre rue de l'Enterrement. Mais aussi àtravers eux, un pan
de l'histoire douloureuse de HAITI.
Il est des chapitres courts qui sont autant de scènes truculentes
ou nostalgiques. Tout au long de la lecture, j'ai soulignés des
passages d'une force de réflexion jubilatoire. J'ai apprécié
comment Trouillot place l'acquisition des mots comme la seule possibilité
d'exister vraiment, dans la mesure où il est alors possible de
se situer dans leur réalité haïtienne, de dire leurs
observations, de dénoncer de s'opposer. Chance d'avoir fait des
études pour Sophonie, Joëlle et Wodné, et choix divergents
malgré tout. La révolution culturelle impossible, malgré
la mobilisation de Wodné, l'action entravée par l'usure
et la répétition
de la jeunesse à l'âge
adulte et l'impuissance du pays
Les amours de Wodné et du petit professeur si différent
dans leur rapport à Joëlle. Un tantinet de point de vue féministe
de l'auteur
résignation de Joëlle à l'emprise
de Wodné, même si elle a vite connu la peur de ce dernier
et sa manière brutale de s'affirmer dans ses prises de pouvoir.
Episode racontant le voyage pour aller au cur du cyclone( cimetière).
Et après, le suicide du Petit Professeur etces phrases p. 164
: "je ne verrai jamais
plus son sourire
.Mais on tente de ces choses vaines pour s'opposer
à la violence des faits, refuser la réalité
..Comme
si nous n'étions nés que pour subir, soumettre notre vouloir
à sa méchanceté" (la réalité).
Je relis pour finir ces lignes p .167 une définition terrible du
colon :
"Nul n'est savant comme
un colon. Un jour, il t'apprend comment planter les choux. Un autre comment
éteindre le feu. Mais les choux ce n'est pas toi qui les manges
et le feu il t'a déjà brûlé
"
Quand on met en face l'histoire d'Haïti et de leur lutte pour leur
indépendance
Que peuvent les livres ?
Et pourtant j'ai souvenir qu'au moment du tremblement de terre à
Port-au-Prince il y a quelques années, beaucoup pariaient sur la
force de ce peuple qui lit produit des livres et vit sa culture.
Je recommande ce livre et vais l'offrir à ma fille qui a vécu
un an en Haïti au moment des émeutes de la faim et juste avant
le séisme si destructeur de la ville et des habitants.
Katherine (internaute
d'origine québécoise attendant qu'une place se libère
dans un de nos groupes)
J'ai été très émue par cette uvre et
la magnifique poésie de Lyonel Trouillot ; je vous remercie
pour cette découverte, ce fut un réel plaisir !
QUELQUES REPÈRES SUR LYONEL
TROUILLOT ET SES UVRES
- Parcours
- uvres
- Contexte historique dans le livre Kannjawou
- Presse sur Kannjawou : radio, vidéos, articles
PARCOURS
- Né en 1956 à Port-au-Prince
(Haïti). Passe 7 ans de son adolescence aux États-Unis, de
retour à Haïti en 1975 à 19 ans.
- La famille Trouillot est une famille d'avocats,
d'où les études de droit qu'entreprend Lyonel en Haïti,
qu'il abandonne en deuxième année pour se consacrer à
l'écriture. C'est aussi une famille d'intellectuels, démangée
par l'écriture... : un frère (Michel-Rolph) anthropologue
et historien, une sur (Jocelyne) devenue rectrice de l'université
Caraïbe à Port-au-Prince et auteure de livres pédagogiques
et de livres de littérature jeunesse, une autre sur (Évelyne)
poétesse et romancière, un oncle (Henock) romancier et historien...
- Lyonel se fait remarquer par ses écrits
dans différents journaux et revues dHaïti et de la diaspora
(nombreux poèmes et textes critiques). Il est très engagé
dans la résistance à loppression de son pays, quil
a toujours refusé de quitter (sauf en 1980-1982 où il s'installe
à Miami à cause de la répression politique). Dans
les années 1990, il anime Cultura, une revue littéraire
lancée dans le cadre du projet franco-haïtien de promotion
du livre et de la lecture.
-Professeur
de littérature à lInstitut français dHaïti
et à lUniversité Caraïbe (dont sa sur est
rectrice), il poursuit parallèlement ses activités littéraires
en publiant une uvre poétique et romanesque (poèmes
composés en créole et romans écrits en français).
UVRES
Très variées : romans, nouvelles, récits, poésie,
littérature pour la jeunesse, direction d'ouvrages, articles, co-fondation
de revues haïtiennes, textes de chansons (interprétées
par Tambou Libète, Manno Charlemagne, Toto Bissainthe, Jean Coulanges
et Atis Endepandan).
En France, ses romans sont publiés par Actes Sud :
- Rue
des Pas-Perdus, 1998 ; poche Babel 2002
- Thérèse
en mille morceaux, 2000 ; poche Babel 2012
- Les
Enfants des héros, 2002 ; poche Babel 2007
- Bicentenaire,
2004 ; poche Babel 2004
- L'Amour
avant que j'oublie, 2007 ; poche Babel 2009
- Haïti, 2008, avec des photographies de Jane Evelyn Atwood
- Lettres
de loin en loin, 2008, correspondance avec Sophie Boutaud de la
Combe, Française employée des Nations unies
- Yanvalou
pour Charlie, 2009 ; poche Babel 2011
- La
belle amour humaine, 2011 ; poche Babel 2013
- Parabole
du failli, 2013 ; poche Babel 2016
- Kannjawou,
2016 ; poche Babel 2018
- Ne
m'appelle pas Capitaine, 2018.
Toujours chez Actes Sud, des "non fiction" aussi
:
- Le
doux parfum des temps à venir, 2013
- Dictionnaire
de la rature, avec Alain Sancerni et Geneviève de Maupeou,
2015
- Anthologie
bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à
nos jours, co-éd. Atelier Jeudi soir, 2015
Pour de très nombreuses informations sur cet auteur et son uvre, voir le site Île en île (consacré aux auteurs francophones des îles et de leur diaspora).
CONTEXTE HISTORIQUE
dans le livre Kannjawou
Des événements en jeu dans le roman :
- 2010 : séisme en Haïti
- 2004-2017 : présence de la Mission des Nations unies pour la
stabilisation en Haïti avec une aide internationale durablement installée
- 1915-1934 : occupation d'Haïti par les États-Unis
- 1934-2010 : dictatures récentes, dont celles des Duvalier (1957-1986)
Voir ci-dessous pour un historique développé.
Et pour lire l'histoire récente évoquée par Lyonel
Trouillot lui-même (avant la publication de Kannjawou), voir
"Haïti,
une occupation molle", propos recueillis par Louis Weber, Savoir/Agir,
n° 29, 2014.
Des personnages réels :
- Le révolutionnaire nationaliste Charlemagne
Péralte (1885-1919)
- La chanteuse Lumane
Casimir (1917-1953)
PRESSE sur le livre Kannjawou
Radio : "Six ans après le séisme : Haïti dans lil de Lyonel Trouillot", Caroline Boué, La Grande Table, France Culture, 12 janvier 2016, 29 min
Vidéos
- La Grande Librairie : Destination
Port-au-Prince avec Lyonel Trouillot, 15 janvier 2016, 13 min
- Festival Étonnants Voyageurs : rencontre
autour de son ouvrage Kannjawou au 29 mai 2016, 7 min
Quelques articles (variés)
- "Le
petit monde du Grand Cimetière", Corinne Renou-Nativel,
La Croix, 20 janvier 2016
- "En
Haïti, nous navons pas la maîtrise de notre pays",
entretien avec Jean-Louis Le Touzet, Libération, 22 janvier
2016
- "Lyonel
Trouillot décrit la jeunesse haïtienne face à son avenir",
Valérie Marin la Meslée, Le Point, 2 février
2016
- "L.
Trouillot, Kannjawou", Elena Pessini, Studi Francesi,
n° 181, 2017.
Chronologie
d'Haïti depuis 1492
- 1492 : Christophe Colomb découvre l'île d'Hispaniola (Saint-Domingue).
Les populations natives de l'île sont décimées.
- 1697 : le développement de l'industrie sucrière est à
l'origine de "l'importation" de près de 500 000 esclaves
africains. Le traité de Ryswick avalise l'occupation par la France
de la partie ouest de l'île.
- 1789-91 : insurrections d'esclaves dirigées par Toussaint Louverture.
- 1794 : abolition de l'esclavage dans les colonies françaises
par la Convention.
- 1795 : l'Espagne cède à la France la partie est de l'île
(traité de Bâle).
- 1801 : Toussaint Louverture est proclamé gouverneur général
de Saint-Domingue. Il instaure un régime autoritaire et ne reconnaît
que formellement l'autorité de Bonaparte.
- 1802 : Bonaparte envoie une expédition, sous les ordres du général
Leclerc, rétablir l'ordre colonial. Toussaint Louverture est déporté
en France. L'île se soulève entièrement, sous la conduite
de Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe.
- 1804 : proclamation de l'indépendance d'Haïti, au lendemain
de la déroute des armées françaises. Dessalines est
nommé empereur.
- 1806 : Jean-Jacques Dessalines est assassiné.
- 1808 : les Espagnols récupèrent la partie orientale de
l'île cédée à la France en 1795.
- 1807-1820 : guerre civile. Henri Christophe se proclame roi dans le
Nord du pays. Au sud, une république est fondée par le mulâtre
Henri Pétion. Jean Pierre Boyer, le successeur de Pétion,
réunifie le nord et le sud en 1820 et conquiert la partie espagnole
en 1822.
- 1825 : la France obtient d'Haïti qu'une indemnité de 150
millions de francs soit versée pour liquider le contentieux créé
par la rupture des liens coloniaux. Il faudra plus de 100 ans à
Haïti pour rembourser cette écrasante créance.
- 1844 : Saint-Domingue est définitivement séparée
en deux États : la République d'Haïti et la République
dominicaine.
- 1847-1859 : Faustin Soulouque prend le pouvoir à Haïti et
se proclame empereur.
- 1915-34 : intervention militaire des États-Unis après
une longue période d'instabilité.
- 1950 : dictature du colonel Magloire.
- 1957 : François Duvalier, devient président de la République
à la suite d'un scrutin contesté. Il se proclame président
à vie.
- 1964 : François Duvalier, surnommé "Papa Doc"
s'appuie sur les Noirs contre les élites mulâtres. Son pouvoir
repose sur la milice des "tontons macoutes", au détriment
d'une armée affaiblie.
- 1971 : à la mort de François Duvalier, son fils Jean-Claude,
"Bébé Doc", 19 ans, lui succède.
- 1986 : un soulèvement populaire renverse Jean-Claude Duvalier
qui se réfugie en France. Le général Henry Namphy
prend le pouvoir à la tête d'une junte militaire.
- 1987 : les élections présidentielle et législative
sont annulées à la suite des massacres perpétrés
le jour du scrutin.
- 1988 : Leslie Manigat est élu président de la République.
Les élections ont été boycottées par l'opposition.
Nouveau coup d'État du général Namphy. Le chef de
la Garde présidentielle, le général Prosper Avril,
renverse le général Namphy.
- 1989 : Prosper Avril restaure partiellement la constitution de 1987.
- 1990 : le général Avril démissionne. Un accord
entre l'armée et les partis politiques permet à Ertha Pascale
Trouillot, présidente de la Cour suprême, d'assumer l'intérim
de la présidence jusqu'aux élections. Le père Jean
Bertrand Aristide est élu président de la République
avec 66,7% des suffrages.
- 1991 : Jean Bertrand Aristide est renversé par un coup d'État
dirigé par le général Raoul Cédras. Les États-Unis
et la CEE suspendent leur aide économique.
- 1993 : renforcement des sanctions contre Haïti. Embargo sur le
pétrole et les armes. Raoul Cedras accepte les propositions d'un
médiateur préconisant le retour du président Aristide.
Face à la mauvaise volonté des militaires, l'ONU rétablit
les sanctions.
- 1994 : des sénateurs nomment le juge Émile Jonassaint
président provisoire de la République. L'embargo commercial
total décidé par l'ONU entre en vigueur. 16 000 boat-people,
victimes de la misère et de la répression, tentent de gagner
les côtes américaines. Le Conseil de sécurité
de l'ONU autorise les États-Unis à utiliser "tous les
moyens nécessaires " pour chasser la junte. À la suite
d'une médiation de l'ancien président américain Jimmy
Carter, et sous la pression de l'US Army, les militaires acceptent de
quitter le pouvoir en octobre. Les soldats américains de l'opération
"Soutenir la démocratie" débarquent à Port-au-Prince
(20.000 hommes). Retour du président Aristide, après deux
ans d'exil aux États-Unis.
- 1995 : les troupes américaines cèdent la place à
la mission des Nations unies en Haïti (Minuha). Elle sera remplacée
par la Mitnuh qui quittera le pays en 1997, laissant sur place 300 moniteurs
qui poursuivent la formation de la police haïtienne. Celle-ci remplace
l'armée haïtienne, dissoute en avril. En décembre,
René Préval, ancien Premier ministre et partisan de l'ancien
président Jean-Bertrand Aristide, est élu président
de la République. Le taux d'abstention atteint 75%.
- 1996 : scission de la formation au pouvoir, Lavalas (l'avalanche en
créole). Jean-Bertrand Aristide, résolu à se présenter
à l'élection présidentielle de 2000, s'oppose au
programme de réformes de son ancien allié René Préval,
et crée son propre parti politique, la Famille Lavalas.
- 1997-1999 : instabilité politique due en grande partie à
la rivalité entre les partisans de la famille Lavalas et ceux de
l'Organisation politique Lavalas (OPL).
- 2000 : attribués aux partisans de la Famille Lavalas, de nombreux
actes de violence entachent la campagne électorale en vue des scrutins
législatif, sénatorial et locaux. Assassinat de Jean Dominique,
directeur de Radio Haïti-Inter et commentateur politique le plus
célèbre de l'île. Selon des résultats partiels,
la famille Lavalas remporte le premier tour des élections générales.
L'Organisation des États américains (OEA) met en doute la
régularité du scrutin. Le deuxième tour des législatives
prévu le 25 juin est reporté. Menacé, le président
du Conseil électoral a fui le pays le 18 juin. Second tour des
élections boycotté par l'opposition. L'OEA a refusé
de cautionner ce scrutin. La famille Lavalas remporte 18 postes de sénateur
sur les 19 qui étaient à renouveler, ainsi que 60 des 83
sièges de la Chambre des députés. L'élection
présidentielle, boycottée par l'opposition, est remportée
par Jean-Bertrand Aristide avec 91,7% des suffrages. L'opposition estime
que seulement 5% des électeurs inscrits ont participé au
scrutin.
- 2001 : à la veille de l'intronisation d'Aristide à la
présidence, l'Union européenne et la Banque inter-américaine
de développement imposent des sanctions financières à
Haïti pour manquements à la démocratie. Un journaliste,
Brignol Lindor, menacé pour avoir invité des personnalités
de l'opposition dans le cadre d'une émission qu'il anime, est tué
à coups de machettes. Une tentative de coup d'état avorté
fait huit morts. L'opposition accuse le pouvoir d'être l'auteur
d'un "montage" destiné à la réduire au
silence.
- 2002 : l'Organisation des États Américains (OEA) vote
une résolution prévoyant des élections au cours du
deuxième trimestre 2003.
- 2003 : grève générale lancée par le "groupe
des 184", large coalition de la société civile, incluant
le patronat, à Port-au-Prince. Amiot Métayer, un chef de
bande au service du président Aristide, dont l'OEA réclamait
l'arrestation est assassiné à Gonaïves. Son groupe
impute cette exécution au pouvoir et passe dans l'opposition sous
le nom de Front de résistance révolutionnaire de l'Artibonite.
Ce meurtre entraîne quinze jours d'émeutes dans la troisième
ville du pays. Les évêques haïtiens proposent la création
d'un "conseil électoral consensuel". Accepté par
le président, ce plan est rejeté par l'opposition.
- 2004 : l'opposition présente une "alternative de transition"
sur deux ans prévoyant le départ d'Aristide et son remplacement
par un président de transition choisi parmi les juges de la Cour
de cassation. Le patronat recommande à la population des actions
de désobéissance civile. Les Gonaïves, quatrième
ville d'Haïti, tombe aux mains du Front de résistance révolutionnaire
de l'Artibonite. L'opposition politique et la société civile,
regroupées au sein de la Plate-forme démocratique, prennent
leurs distances avec le mouvement insurrectionnel armé. Les insurgés
se dotent d'un "commandant en chef" en la personne de Guy Philippe,
un ex-commissaire de police. Un plan international de réglement
de la crise est présenté à Aristide qui l'accepte.
L'opposition continue d'exiger sa démission. Les insurgés
s'emparent de Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, et contrôlent
près de la moitié du pays. Aristide signe une lettre de
démission et quitte Haïti. Le président Bush donne
l'ordre à des Marines de se déployer en Haïti. Le Conseil
de sécurité de l'ONU vote une résolution permettant
l'envoi d'une force internationale intérimaire. Guy Philippe, le
chef militaire des insurgés, entre triomphalement dans la capitale,
accompagné d'une cinquantaine d'hommes armés. Deux jours
plus tard, sous la pression des États-Unis, les insurgés
déposent les armes. Plusieurs entités de la société
civile désignent leurs représentants à un futur Comité
des sages dont la création est prévue par le plan international
de réglement de la crise en Haïti. Le Brésil annonce
sa participation à la force multinationale de paix de l'ONU en
Haïti. Gérard Latortue, économiste, qui a fait la majeure
partie de sa carrière à l'Organisation des Nations unies
pour le développement industriel (ONUDI), est choisi comme Premier
ministre par le Comité des Sages. Le Conseil de sécurité
vote la création de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation
en Haïti (Minustah). Placée sous commandement brésilien,
elle compte 6000 soldats et 1500 policiers. Jean-Bertrand Aristide trouve
asile en Afrique du Sud.
- 2004 : le cyclone Jeanne ravage le pays, faisant plus de 2 000 morts
et 250 000 sans-abri. Le nord de l'île est dévasté
et en proie à l'insécurité. Port-au-Prince et Les
Gonaïves sont le théâtre d'affrontements très
violents entre bandes armées et forces de l'ordre, faisant plus
de 50 morts.
- 2005 : réunis à Cayenne à l'initiative de la France,
les bailleurs de fonds d'Haïti approuvent 380 programmes d'aides
rapides à mettre en uvre pour accélérer la
reconstruction. Face à la recrudescence de la violence, le Conseil
de sécurité des Nations unies renforce les effectifs de
la Minustah pour assurer le bon déroulement des élections
prévues pour la fin de l'année. L'Union européenne,
qui avait gelé en 2001 son aide au développement en faveur
d'Haïti, débloque 72 millions d'euros pour soutenir les efforts
de démocratisation. Le gouvernement porte plainte, devant un tribunal
fédéral de Miami, contre l'ancien président Jean-Bertrand
Aristide pour détournement de plusieurs dizaines de millions de
dollars de fonds publics et pour "avoir encouragé et protégé
le trafic de drogue".
- 2006 : l'ancien président René Préval remporte
l'élection présidentielle avec 51% des suffrages. Le parti
du président Préval arrive en tête des élections
législatives. Investiture du gouvernement de coalition de René
Préval. Il s'agit du premier exécutif élu depuis
la fin du régime d'Aristide en 2004.
- 2007 : les troupes de l'ONU lancent une offensive contre les gangs du
bidonville de Cité-soleil à Port-au-Prince.
- 2008 : la flambée des prix alimentaires provoque des émeutes
de la faim. Plusieurs cyclones dévastent Haïti, tuant au moins
800 personnes, et laissant des centaines de milliers de sans-abri. L'effondrement
d'une école à Port-au-Prince fait plus de 90 morts.
- 2009 : Bill Clinton est nommé émissaire spécial
des Nations unies pour Haïti. Le FMI et la Banque mondiale approuvent
un allégement de la dette équivalant à 1,2 milliard
de dollars EU en faveur d'Haïti.
- 2010 : un séisme de magnitude 7
sur l'échelle de Richter frappe le pays. Le bilan, selon les autorités,
est de 222 050 morts, 310 900 blessés, plus d'1 million de sans
abri et 1,5 million de sinistrés. Conférence internationale
des donateurs pour Haïti à New-York. Plus de cent pays et
les principales organisations internationales promettent des dons de près
de dix milliards de dollars échelonnés sur 18 mois. Une
épidémie de choléra frappe le pays. A la mi-décembre,
109.000 personnes ont été affectées et 2.400 personnes
sont mortes de la maladie. L'ouragan Tomas aggrave les conditions de vies
des réfugiés du tremblement de terre. 1,3 millions de personnes
vivent dans les mêmes conditions qu'en février. Élection
présidentielle dans un climat de tension. La rue s'enflamme après
l'annonce, par la Commission électorale, que Mirlande Manigat et
Jude Célestin s'affronteront au second tour, laissant Michel Martelly
hors course.
- 2011 : l'ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, "Baby Doc",
rentre en Haïti après 25 ans d'exil. Après une médiation
de l'OEA, le parti du pouvoir, Inité, retire la candidature de
Jude Célestin pour le deuxième tour de l'élection
présidentielle. Le Conseil électoral décide alors
d'inverser les résultats provisoires du premier tour. L'ex-président
Jean-Bertrand Aristide rentre en Haïti après sept ans d'exil
en Afrique du sud. Le second tour de la présidentielle se déroule
dans le calme. Michel Martelly a remporté l'élection présidentielle
avec 67,57% des suffrages exprimés contre 31,74% pour Mirlande
Manigat, selon les résultats préliminaires du Conseil électoral.
Les résultats donnent lieu à des explosions de joie à
Port-au-Prince (historique extrait de l'Express).
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet : | ||||
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ouvert
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ouvert ¼
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