James Baldwin, Si Beale Street pouvait parler, Stock, 256 p.
trad. Magali Berger, préface de Geneviève Brisac

Quatrième de couverture :

Si Beale Street pouvait parler, elle raconterait à peu près ceci : Tish, dix-neuf ans, est amoureuse de Fonny, un jeune sculpteur noir. Elle est enceinte et ils sont bien décidés à se marier. Mais Fonny, accusé d'avoir violé une jeune Porto-Ricaine, est jeté en prison. Pendant que les deux familles se mettent en quête de preuves qui pourront le disculper, Tish et Fonny n’ont d’autre choix qu’attendre, portés par leur amour, un amour qui transcende le désespoir, la colère et la haine.

Ce roman bouleversant a le goût doux-amer des blues tant aimés de James Baldwin qui montre ici encore son prodigieux talent.

James Baldwin (1924-1987)
Si Beale Street pouvait parler
(1974, trad. en français en 1975)

Le nouveau groupe parisien a lu ce livre en juillet 2021. Nous avions lu Harlem Quartet en 1991 et La Chambre de Giovanni en 2013.


Valérie
Il me manque 37 pages, je le finirai… J'avais lu de Baldwin La Chambre de Giovanni. Je n'avais pas apprécié l'ambiance. Je commençais donc la lecture avec un a priori négatif.
Si j'ai aimé l'écriture de Si Beale street pouvait parler, je suis toutefois restée indifférente à son thème : la condition des Noirs américains dans ce Harlem des années 1970. Est-ce toujours aujourd'hui un quartier "noir" et pauvre ?

Françoise
Aujourd'hui Harlem n'est plus le quartier pauvre et "noir" décrit dans le roman. C'est plutôt un quartier branché. Surtout le sud depuis que Clinton s'y est installé.

Valérie
Certes les Noirs aux États-Unis vivaient sous la coupe des Blancs, leurs conditions de vie étaient très difficiles, mais ce sujet abordé ainsi dans un roman ne me touche pas. Je suis mal à l'aise avec le fait que ce soit un Noir qui écrive pour les Noirs (je suis noir, j'écris pour les Noirs...).
En revanche, l'histoire d'amour un peu fleur bleue m'a plu. J'ai été sensible à l'entraide qui existe dans cette famille, chacun travaillant pour aider Fonny à sortir de prison. J'ai aussi aimé l'épisode de la réunion des femmes pendant laquelle est annoncé que Tish est enceinte. La haine à l'égard de la jeune fille, dont fait preuve la mère de Fonny à cette occasion, est très bien rendue.
Je trouve cette remarque très juste : "Ni l'amour ni la haine ne vous rendent aveugle : c'est l'indifférence qui obscurcit votre vue."
En revanche, je ne suis pas bien certaine de comprendre ce que signifie ce passage qui attire pourtant mon attention : "Il n'était le nègre de personne. Et ça, c'est un crime dans cette pourriture de pays libre. Vous êtes censés être le nègre de quelqu'un. Et si vous n'êtes le nègre de personne, vous êtes un mauvais nègre : c'est ce que conclurent les flics quand Fonny s'installa hors de Harlem."

François
Il renvoie au passé esclavagiste des États-Unis.
Valérie
Même si j'ai eu plaisir à lire ce roman, je ne continuerai pas avec Baldwin. Pour cette raison "j'ouvre à moitié".
Nathalie
J'ai découvert Baldwin avec le film documentaire de Raoul Peck, sorti en 2016, I am not your negro, qui retrace la lutte des Noirs américains pour les droits civiques, basé sur des écrits de James Baldwin sur la période des meurtres de Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King. Dans ce documentaire, non seulement on entend certains textes de lui, mais on le découvre s'exprimer sur le sujet. Et j'avoue que je suis tombée amoureuse ! J'ai trouvé cet homme extraordinaire et d'un incroyable courage. Ces hommes et ces femmes, qui devaient affronter quotidiennement l'arbitraire des jugements et la violence qui résultent du racisme, leur courage m'impressionne. Baldwin, dans ce roman, nous montre ce qu'est de vivre avec la peur, tout le temps, dès qu'on sort dehors. Cette peur qui empêche d'être soi-même… Baldwin décrit très bien cette réalité. D'ailleurs, quand il a quitté les États-Unis pour la France, il a raconté combien il appréciait son "invisibilité" qui lui permettait de devenir lui-même, un être à part entière, et pas cette image fabriquée par les Blancs. C'est en France qu'il apprend à se connaître, à être.
Dans ce roman, Baldwin explique très bien et avec vraiment très peu de mots la violence des rapports sociaux (j'admire beaucoup cette économie de moyens), comment, quand tu es noir et que tu vis aux États-Unis, à Harlem, "ça" peut te tomber dessus n'importe quand. Ce regard porté sur les noirs… Cela nous fait, par ricochet, nous interroger sur notre rapport à l'autre, notre regard sur l'autre, notre façon de l'y enfermer. Et puis cela fait écho à la réalité américaine d'aujourd'hui et, dans une moindre mesure mais quand même, à la nôtre.
J'ai apprécié l'écriture. J'ai aimé l'histoire d'amour, l'innocence de ces jeunes gens découvrant l'amour, s'aimant passionnément. Je trouve très beaux ces personnages, les membres de la famille de Tish, la solidarité qui règne dans cette maison, la force incroyable de la mère qui se rend, seule, à Porto Rico afin de rencontrer la jeune femme qui accuse de viol Fonny et tenter de la faire revenir sur son accusation. J'aime beaucoup cette rencontre. Ce qui se passe alors entre ces deux femmes, ce face-à-face est très fort. L'auteur analyse très finement leurs comportements. On pourrait parler aussi de la famille de Fonny qui semble en être l'antithèse. C'est un roman que je n'oublierai pas.
Françoise
C'est la première fois que je lis le roman d'un auteur noir qui écrit sur la condition noire. Baldwin n'est pas dogmatique. J'ai très bien ressenti la peur de Fonny. Sa peur, par exemple, quand il recherche un appartement. Sa peur d'être discriminé. Sa peur face à l'officier de police : il sait, après l'épisode chez la marchande de tomates, qu'il sera désormais dans le collimateur de Bell, flic haineux. On trouve très présente cette peur dans un livre : Race : histoires orales d'une obsession américaine de Studs Terkel (1992). Studs Terkel, c'est un journaliste de radio américain qui fait une série d'entretiens auprès de la communauté noire et de la communauté blanche de Détroit d'abord à la fin des années 1960, puis au début des années 1990. Aux deux époques, ses interlocuteurs font le même constat : les Noirs ont peur des Blancs et les Blancs ont peur des Noirs.
L'histoire racontée dans Si Beale street pouvait parler traduit fidèlement une réalité. Dans ce roman traversé par l'amour, j'ai trouvé très émouvante cette famille qui veut sauver de la prison le petit ami de leur fille Tish comme s'il était leur propre fils.
J'ai aussi pensé à Une colère noire : lettre à mon fils de Ta-Nehisi Coates (2015). Il s'agit d'un Noir américain qui s'adresse à son fils et qui lui dit comment il doit se comporter parmi les Blancs. En effet, il en était souvent ainsi : les jeunes Noirs américains, lors d'une conversation avec un aîné, étaient mis en garde. On leur disait comment se comporter au milieu des Blancs afin de ne pas s'attirer de graves problèmes, comment par exemple ils devaient se tenir quand ils croisaient un policier.
Je trouve deux défauts au livre de Balwin. Le premier : du point de vue romanesque, dans le but "d'emmener" son lecteur, il charge trop la barque. Voilà encore un auteur qui ne fait pas assez confiance à son lecteur qu'il sous-estime. L'épisode portoricain est raté. Il ne tient pas debout. Le second : le rôle que Baldwin fait tenir à cette pauvre Tish. Par exemple, la façon avec laquelle Fonny lui fait la leçon à la suite de la scène où elle prend sa défense (où elle le protège) devant le policier. Très en colère, il lui demande de ne jamais recommencer, car c'est à lui de la protéger, elle. Cette attitude misogyne est bien sûr révélatrice de la place de la femme dans la société des années 1970. Baldwin ne fait pas exception.
François
Magnifique roman (que j'ouvre en grand) ne serait-ce que par l'usage que Baldwin fait de la littérature qui sert bien à donner la parole à ceux qui ne l'ont pas ou à dire l'indicible.
Dès les premières pages, on devine que celle qui prend la parole, Tish (on lui a déjà un peu confisqué son nom), en a gros sur la patate. Et c'est à travers la vitre d'un parloir de la prison qu'elle annonce à Fonny qu'elle attend un enfant de lui et qu'à cette occasion débute l'histoire de leur amour dans ce New York et cette Amérique "où les noirs sont regardés comme des zèbres dont la parole ne compte pas".
Et c'est bien le grand charme et la grande force de ce roman de faire entendre poétiquement, c'est-à-dire humainement, cette parole qui devient celle de tout le ghetto. Tish n'a pas sa langue dans sa poche pour dire ce quotidien hanté par la peur. La parole confisquée à l'extérieur y circule avec son lot de joie et de tristesse communicative qui tient du gospel ou de certaines opérettes, mais sans le moindre clinquant. "À l'école et dans la quartier, on nous appelait Roméo et Juliette.".
Le bébé qu'attend Tish est un peu le messie qui va régénérer toute la communauté. L'annonce de sa naissance a des accents presque christiques. Tout se sait dans le quartier. La rue et la maison ne font qu'un. L'amour et la haine se déchaînent pour un oui ou un non. L'abjection fait ressortir le pire et le meilleur. "L'amour de l'Amérique n'est un don de Dieu pour personne". La force (tranquille) de Baldwin est de suggérer que c'est toute l'Amérique qui est gangrenée par un racisme ambiant qui se rappelle toujours à notre bon souvenir, peut-être avec quelque lueur d'espoir ces derniers temps.
Ana-Cristina
Je trouve que le ton est juste (comme une voix bien placée). C'est un roman sans fausse note. Même des phrases de ce type ne semblent pas ridicules ou déplacées : "Ils avaient du cœur" (p. 76), "je me suis fais un peu de fric, baby" (p. 75), "Qu'il faudrait Lui écraser les couilles, s'Il était un homme".
Baldwin fait bien comprendre ce que c'est que de vivre quand le monde extérieur vous est hostile, quand y règnent l'arbitraire et la haine qui vous enveloppent jusqu'à vous étouffer. Quand ce monde auquel vous ne pouvez pas échapper va jusqu'à remettre en cause votre droit de respirer. Bell, l'officier de police, représente ce monde. Et pourtant l'air circule tout de même. L'oxygène c'est le dévouement de la famille de Tish, le sacrifice du père de Fonny, l'amour de Tish et de Fonny, la gentillesse des Espagnols du restaurant. Baldwin a peint de beaux personnages. Même les figures les moins sympathiques ont une silhouette, une densité, une complexité, sauf Bell qui est une ordure un point c'est tout.
J'ai aussi été émue. La réaction de la mère quand Tish lui annonce qu'elle est enceinte est émouvante. Cet épisode prouve que Baldwin est un romancier très subtil.
J'aime ce roman, beaucoup, mais pas passionnément.
J'ouvre aux trois quarts.
Monique  
C'est une histoire terrible que nous relate James Baldwin, un témoignage magnifique sur les conditions de vie des Noirs américains et qui résonne d'autant plus fort que l'Amérique d'aujourd'hui n'a guère changé. Ce racisme ancré dans l'esprit et la chair de certains Blancs suprémacistes, de ces flics new-yorkais qui jouent aux caïds et se vengent sur les noirs de la médiocrité de leur condition.
Cette horreur est totalement présente dans ce livre ; elle est dite de cette voix nerveuse, anxieuse, dépouillée, tendue, pressée, comme le dit si bien Geneviève Brisac dans son introduction. Je la ressens cette voix comme un cri de douleur et de révolte face à l'impuissance et l'injustice faite à ces hommes et ces femmes qui veulent vivre comme les autres ; un cri tout à l'urgence de témoigner et de dire encore et encore l'indicible.
Ce livre, c'est surtout une voix qui s'élève comme un cri. J'ai beaucoup aimé cette voix, ce talent pour décrire le courage, la dignité de ces hommes et femmes noirs, dans le cadre d'un récit qui illustre tellement bien l'impuissance des Noirs à faire valoir leurs droits, face à la force du système qui les dépasse et les broie.
La force de ce récit est sa grande humanité, c'est une vie de tous les jours, de tous les temps, comme tant d'autres, avec une alternance de situations, de scènes d'une grande douceur comme l'amour qui lie Tish et Fonny ; comme la jolie histoire de la rencontre de Sharon et Joseph à Albany ; la façon bouleversante dont Sharon accueille l'annonce de la grossesse de sa fille, sa grande humanité, la justesse des gestes, des mots échangés, leur simplicité ; la soirée familiale qui suit remplie d'amour avec de multiples détails qui campent le décor : les bruits, les gestes tendres du père, les pensées des uns et des autres, les voix qui montent de la rue… Et des scènes d'une grande violence, lorsque p. 108-109 Ernestine poursuit Mrs Hunt et ses filles jusque dans l'ascenseur pour leur lancer au visage son indignation, sa vérité. La scène chez la marchande de tomates où Tish est agressée par le petit Blanc, la bagarre qui s'en suit, Bell, le flic humilié par la marchande, qui se promet tôt ou tard de
coincer Fonny. Et surtout, la scène de Fonny en prison, l'horreur de cette prison sale, répugnante la peur, l'angoisse de Fonny : terrible passage.
Toutes ces scènes se succèdent dans la tension du fil du récit qu'est la tentative désespérée de disculper Fonny de cette machination raciste et de le sortir de prison. C'est très bien fait, les portraits des personnages sont saisissants, Mrs Hunt à la maison, en visite chez Joseph, ou à l'église, ses filles, le flic Bell, qui "s'avance à la John Wayne, en longues enjambées assurées, pour purifier l'univers, et il croit à tout ce bla bla bla : c'est un pauvre con vicieux et infantile. Comme ses héros, il a l'estomac confortable, un gros cul et, dans sa petite tête ronde, ses yeux sont aussi vides que ceux de George Washington…" (p. 220)
La fin du livre est absolument poignante, l'écriture se fait haletante on sent l'amour, la mort, le désespoir et en même temps la volonté de vivre et de vaincre. Cette fin comme un évanouissement de Tish qui accouche, ou un rêve, où l'on ne sait si tout va se résoudre ou se perdre. Tish accouche, l'enfant crie, crie, crie, comme si la vie triomphait de tous les obstacles ; Fonny sculpte en sifflant et souriant, mais on ne sait si c'est une illusion, un rêve ou une réalité. Magnifique témoignage.
J'ouvre en grand.
Anne (avis transmis)
J'ai aimé ce beau livre qui traite de la violence raciale. Nous ne sommes plus aux périodes de l'esclavage et le racisme se montre ici moins immédiatement violent, mais plus pernicieux. Si aujourd'hui il n'est plus "normal" de mal traiter un être humain désigné comme étant le mauvais, l'autre - car il faut un bouc émissaire aux hommes pour se donner l'illusion qu'ils font partie des bons - dans ce récit c'est la loi pervertie qui est persécutrice. Baldwin dénonce le fonctionnement social, les effets pervers du système. Voilà ce qui arrive quand il est devenu interdit de pendre tout bonnement un homme pour sa couleur, eh bien on l'attendra quand même au tournant ! La loi devient un piège qui tue progressivement. Dans cette histoire, la persécution se rencontre dans tous les recoins invisibles de la vie quotidienne, l'erreur judiciaire est banale, à peine un fait divers... Comme dans les séries noires, se crée une attente inquiétante, ici autour d'un procès kafkaïen, un suspense bien ficelé et émouvant. J'ai trouvé intéressant qu'au centre du récit se trouve un personnage présent/absent, Fonny, et que l'on parle plus de lui qu'on ne le voit ; mais quand on le voit, on voit trois choses, l'amour, l'art, la prison, la terrible prison. A l'extérieur aussi c'est la prison, une famille piégée par sa condition sociale.
Mais il y a le bonheur. Dans la prison, dans les personnages, à l'extérieur de la prison, se trouve l'amour. Un fragment de bonheur existe et résiste. Il est en fait un défi omniprésent. Est-il un peu idéalisé ? Peut-être pas. Il faut penser que dans notre monde de sauvages, la vie tient néanmoins le coup et, si les civilisations persistent, c'est grâce à la pulsion de vie. Baldwin, en dénonçant les méfaits, montre aussi le lien profond des hommes à la vie. Les deux amants se tiennent tout le temps par la main. Pas sur un mode symbiotique, mais dans un mouvement de connivence et de lien vital à l'autre.
Sur le plan littéraire, j'ai été sensible à beaucoup de très beaux passages comme le terrible moment où Fonny dans sa prison est surpris par la jouissance, mais d'une façon plus globale je n'ai pas constamment été "prise" par l'écriture, "quelque chose", que j'ai du mal à définir, ne m'a pas semblé à la hauteur du thème traité. Il y a des petites choses qui m'ont donné le sentiment que la situation n'était pas tout à fait crédible dans l'enchaînement des situations. Des détails que je ne saurai rapporter ici m'ont semblé affaiblir le texte (est-ce une question de traduction ?). Peut-être aussi suis-je en général gênée par les dialogues quand ils prennent trop de place. Ils enlèvent de la force aux récits (pourtant pas dans Céline…). Si l'écriture ne m'a pas tout à fait satisfaite, sa simplicité, sa clarté, son côté direct, néanmoins m'ont touchée. J'ai trouvé que les émotions s'enchaînent bien et font avancer le texte d'une façon qui a bien soutenu ma lecture. C'est un bon roman que j'ouvre aux trois quart. Je lirai d'autres livres de James Baldwin et après avoir regardé des interviews de lui, j'ouvre grand mon cœur à sa personnalité.

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

 

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