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LA
LITTÉRATURE IRANIENNE : quelques éléments
Censure
et littérature
L'impact du régime sur la littérature s'exerce
par la censure : chaque livre avant impression devant obtenir l'autorisation
de publication, les maisons d'édition par conséquent examinent
minutieusement chaque ouvrage. Puis l'autorisation de distribution reste
entre les mains du Bureau du livre du ministère de la Culture.
Le mot ''censure'' n'étant jamais prononcé en Iran, on parle
plutôt d'''audit''. Certains ouvrages ou auteurs sont jugés
''impubliables'', en raison de leur message ''anti-islamique'', ''contre-révolutionnaire''
ou ''subversif'' : la censure peut concerner les thèmes contre
les traditions ou contre les lois islamiques et entraîne des suppressions
complètes de quelques parties, ou se contente de quelques petits
changements. Par conséquent, les romanciers iraniens évitent
les sujets risqués et les scènes problématiques :
par exemple, les détails d'une relation intime n'ont pas de place
dans le roman iranien.
"On
dit souvent en Iran qu'il y a une liberté d'expression, mais
qu'il n'y a pas de liberté après l'expression.
C'est tout à fait vrai. En Iran, vous pouvez parler. Ensuite
vous allez sûrement en prison, mais vous avez pu parler. (...)
Quelquefois, un ministre éclairé autorise des livres.
Un ou deux après, il arrive qu'un autre ministre fasse interdire
les mêmes livres. On assiste à un jeu du chat et de la
souris très dangereux mais qui, au total, ne ferme pas complètement
la porte. (...) Toute cette dissimulation mentale, le ketman consiste
à courber l'échine quand il n'y a pas le choix - attitude
qui ne signifie pas abdiquer, en l'occurrence, mais résister
en son for intérieur - tout cela est profondément enraciné
dans la tradition chiite et iranienne." (Bernard
Hourcade, spécialiste de l'Iran, (revue Europe,
"Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012).
La
poésie persane
L'Iran est renommé pour sa poésie, qui peut être épique,
historique, philosophique, amoureuse, mystique...
Le
Cantique des oiseaux est un recueil de poèmes célèbre
de Farîd-ud-Dîn
Attâr (1142-1220). Les poètes Saadi
(1210-1292), Hafez
(1325-1389) et Rûmi
(1207-1273) sont révérés.
Goethe,
que nous avons lu il y a quelques semaines, découvrit Hafez, auteur
du Divan, en 1814 et, inspiré de sa poésie persane
à thèmes soufis, écrivit Le Divan occidental-oriental
(en
ligne ici) : son dernier recueil poétique majeur comprend
douze livres parus de 1819 à 1827, chacun comportant un titre oriental
et un titre en allemand.
La prose
Les voyages jouèrent un rôle important dans la découverte
de nouveaux genres littéraires. Le roman est un genre importé
d'Europe, et tout particulièrement de France : les premiers romans
persans paraissent au début du XXe siècle. Trois écrivains
se distinguent : Sâdegh
Hedâyat (1903-1951 : largement traduit et publié
en Fance), Mohammad
Hejäzi (1899-1974) : aucun livre traduit) et Bozorg
Alavi (1907-1997 : un
livre paru en France, qui finira sa vie comme universitaire à
Berlin).
Le père de la nouvelle persane moderne est Mohammad Ali Djamalzadeh,
avec une première nouvelle II est doux le persan et un premier
recueil de nouvelles, Il était une fois, publié à
Téhéran en 1921. Ses récits, à la structure
narrative simple, sont rédigés dans une langue populaire
et, ainsi, diffèrent des modèles habituels.
Les nouvelles se développent grâce aux revues littéraires.
Elles renvoient quant à elles à une tradition narrative
dans des genres plus ou moins courts, comme les contes populaires (voir
une traduction de Contes
par Leili Anvar,
spécialiste de la littérature persane).
Rappelons
que les Mille et une Nuits est un recueil anonyme de contes populaires
d'origine persane, indienne et arabe, constitué de nombreux contes
enchâssés.
Sur la nouvelle, Nasim Vahabi apporte de très intéressants
éclairages tout récents (2021) dans une introduction à
une Anthologie
de nouvelles iraniennes contemporaines (Gallimard) : voir ici
ce texte très instructif.
Un
classique iranien cité dans Le goût des kakis
Le classique iranien évoqué dans la nouvelle "Le
Père-Lachaise" est La
chouette aveugle, publié en 1936 par Sadegh Hedayat,
considéré comme l'un des plus grands écrivains de
l'Iran moderne : on lui doit pour la première fois en Iran une
véritable écriture romanesque, car avant lui la littérature
n'était presque exclusivement que représentée par
la poésie. Il est mort à Paris en 1951, enterré au
cimetière du Père-Lachaise (85e division).
Des
écrivaines iraniennes (des plus anciennes
aux plus récentes)
"La
figure de la femme dans la littérature persane traditionnelle et
contemporaine", tel est le titre d'un article de Khadidjeh Nâderi
Beni dans la Revue
de Téhéran (n° 140, juillet 2017) qui distingue
cinq portraits ou rôles féminins à travers les uvres
littéraires : celui de mère, de femme-divine, de femme diabolique,
de femme-victime, damante, et enfin de femme soumise. Pas très
réjouissant...
Des poétesses célèbres
- Fatemeh (1817-1852),
appelée aussi Tâhereh la Pure, fut une poétesse (dont
des poèmes sont traduits
en français), pionnière du mouvement féministe
en Iran du XIXe siècle. Première femme apparaissant non
voilée en public, elle fut une figure du mouvement
Bahai qui se prononça pour lémancipation
féminine et apporta son soutien aux féministes iraniennes.
Après 4 ans d'emprisonnement, Fatemeh finira exécutée
pour avoir tenté de tuer le roi Nasseredin
Shah (qui fut reçu en grande pompe par la reine Victoria au
château de Windsor en 1889). Quand on lui annonça son exécution
par pendaison, elle se fit belle et déclara fièrement :
"Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais jamais vous n'arriverez
à empêcher l'émancipation des femmes !" Elle
fut finalement étranglée avec son foulard de soie par un
soudard ivre et son corps fut jeté au fond d'un puits et recouvert
de pierres.
- Parvin
Etesâmi (1907-1941) respecte la tradition classique littéraire
persane. Loriginalité de son oeuvre réside dans une
autre forme de poésie, celle du monazereh, ou dialogue,
mettant en jeu des êtres humains, des bêtes, des plantes,
des objets, des notions.
- Forough
Farrokhzâd (1935-1967), morte à 32 ans a aussi réalisé
des films, joué sur scène. Le film de Kiarostami Le vent
nous emportera est titré d'après l'un de ses poèmes.
Plusieurs
livres sont traduits en français, ainsi que ses
uvres complètes. Elle est lune des figures les
plus marquantes de la poésie persane au XXe siècle ; la
poésie persane classique ne manquait pas de femmes poètes,
mais celles-ci, même quand elles parlent de la condition féminine,
écrivent toujours à la manière des hommes ; Forough
Farrokhzâd introduit vraiment un changement. L'article suivant fait
le point sur son apport exceptionnel : "Retour
sur luvre de Forough Farrokhzâd et sa reception",
Mahsa Hashemi Taheri, La Revue de Téhéran, n°
109, décembre 2014.
Voir aussi "Deux
grandes figures féminines de la poésie iranienne contemporaine
: Parvin Etesâmi et Forough Farrokhzâd", Afsaneh
Pourmazaheri et Nahid Zandi, La Revue de Téhéran,
n° 55, juin 2010.
La première romancière et nouvelliste de la littérature
persane moderne
C'est en 1969 que sort en Iran le premier roman dont à la fois
l'auteur, le narrateur et le personnage principal sont... une femme. Il
s'agit de Sou Va Choun (Le deuil de Siavosh) de Simine
Dâneshvar (1921-2012), best-seller de qualité qui reçoit
un accueil jubilatoire du public et est réédité quinze
fois de suite. L'auteure introduit une révolution dans la prose
persane : pour la première fois de l'histoire de cette prose, la
femme iranienne est représentée à travers le regard
d'une femme et non celui d'un homme. Jadis vues par les hommes, les femmes
iraniennes dans la littérature étaient souvent dépossédées
de leurs corps et émotions, ou réduites à un statut
social idéalisé d'épouse, de veuve ou de mère.
Une héroïne des lettres
Shahrnoush
Pârsipour, née en 1947, emprisonnée quatre fois
durant plus de cinq ans, a une uvre remarquable, avec 10 romans,
des nouvelles, ses Mémoires de prison, a traduit des oeuvres
anglaises et françaises vers le persan, est l'auteure d'essais,
etc. Elle émigra aux États-Unis où elle poursuivit
une carrière très active de romancière. Son roman
Femmes
sans hommes (le titre a peu à voir avec le contenu...)
a été adapté au cinéma.
Sur les écrivaines iraniennes contemporaines, deux livres et deux
articles :
Après la révolution, et surtout à partir des années
90, un phénomène remarqué est celui de "l'explosion
de l'écriture féminine", telle que la décrit
Christophe Balaÿ, traducteur de tous les livres de Z. Pirzâd
(revue Europe,
"Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012).
- Les
mots et les enjeux : le défi des romancières iraniennes
de Leyla Fouladvind, L'Harmattan, 2014.
Résultat
de sa thèse de
sociologie soutenue en 2012 à lEHESS, le livre se fonde
sur huit écrivaines dont Zoyâ Pirzâd (et Farkhondeh
Aghayi, Tahereh Alavi, Fattaneh Hadj Seyyed Djavadi, Chahrnouche Parsipour,
Moniro Ravanipour, Parinouche Sanii et Fariba Vafi).
Elle avait écrit auparavant
La femme poétique : l'image de la femme chez les poètes
persans (1885-1964), Éditions Universitaires Européennes,
2010.
Et a traduit du français en persan La
mort en Perse d'Annemarie Schwarzenbach, éd. Nachr Tarikh,
Téhéran, 2008.
- Les
mots sont mes armes : les femmes écrivains iraniennes et la liberté
de mouvement de Farzaneh Milani, Lettres personnes, 2012, publié
d'abord aux États-Unis en 2011 (Words,
Not Swords : Iranian Women Writers and the Freedom of Movement).
Elle avait déjà écrit Voiles
et paroles : la voix émergente des femmes écrivains iraniennes
en 1992.
- "Iran
: La littérature féminine", Habibi Faranguis,
Confluences Méditerranée, n° 67, 2008.
- "Le
discours littéraire des Iraniennes", Katâyoun Vaziri,
La Revue de Téhéran, n° 93, août 2013
Relevant du témoignage plus que de la littérature, voici
d'autres livres de femmes sur l'Iran, dont certains furent des
best-sellers ; aucun n'est écrit en persan, aucun par une femme
vivant en Iran (contrairement à Zoyâ
Pirzâd) :
- 2000
: Persepolis
de Marjane Satrapi, franco-iranienne vivant à Paris, dont Persepolis,
BD autobiographique, qu'elle a portée à l'écran.
- 2016 :
Désorientale de Négar Djavadi, scénariste,
réalisatrice et écrivaine franco-iranienne, vivant à
Paris.
- 2003 : Lire
Lolita à Téhéran de Azar Nafisi, professeure,
romancière iranienne exilée, devenue américaine.
- 2014 : Vivre
et mentir à Téhéran de Ramita Navai, journaliste
anglo-iranienne vivant à Londres.
- 1988 : Jamais
sans ma fille de Betty Mahmoody, américaine, connue surtout
pour ce livre et sa lutte pour les droits des enfants.
Les commentaires
de Farzaneh Milani, qui enseigne la littérature persane et les
women's studies à l'Université de Virginie, incitent, dans
le livre cité plus haut (Les
mots sont mes armes), à considérer avec prudence
deux
de ces livres Lire
Lolita à Téhéran et Jamais
sans ma fille.
Elle montre en effet que ces deux ouvrages, d'une part font l'impasse
sur l'activité voire l'activisme d'Iraniennes, et d'autre part
dressent un tableau empreint d'erreurs ; par exemple, le club de lecture
qu'animait Azar Nafisi n'était pas interdit comme elle le présente
(clandestin).
En revanche, elle approuve l'introduction de Marjane Satrapi à
Persepolis,
qui est bien plus nuancée sur l'état de la société
iranienne.
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