Le Joujou du pauvre
Marlene
Dumas, Le Joujou du Pauvre, 2000
Huile sur toile, 190 x 130 cm exposition au musée d'Orsay Je veux donner lidée dun divertissement innocent. Il y a si peu damusements qui ne soient pas coupables ! Quand vous sortirez le matin avec lintention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent lenclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux sagrandir démesurément. Dabord ils noseront pas prendre ; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils senfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de lhomme. Sur une route, derrière la grille dun vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur dun joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie. Le luxe, linsouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, quon les croirait faits dune autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. À côté de lui, gisait sur lherbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu dune robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais lenfant ne soccupait pas de son joujou préféré, et voici ce quil regardait : De lautre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un il impartial découvrirait la beauté, si, comme lil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère. À travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, lenfant pauvre montrait à lenfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, cétait un rat vivant ! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même. Et les deux enfants se riaient lun à lautre fraternellement, avec des dents dune égale blancheur. Charles BAUDELAIRE Voix
au chapitre a programmé BAUDELAIRE en décembre
2021 |