Albert Camus, La Peste


Quatrième de couverture :
– Naturellement, vous savez ce que c'est, Rieux?
– J'attends le résultat des analyses.
– Moi, je le sais. Et je n'ai pas besoin d'analyses. J'ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j'ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d'années. Seulement, on n'a pas osé leur donner un nom, sur le moment... Et puis, comme disait un confrère : "C'est impossible, tout le monde sait qu'elle a disparu de l'Occident." Oui, tout le monde le savait, sauf les morts. Allons, Rieux, vous savez aussi bien que moi ce que c'est...
– Oui, Castel, dit-il, c'est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste.

Albert Camus (1913-1960)
La peste (1947)

Le nouveau groupe parisien a lu La peste en juin 2022.
Nous avions lu Le premier homme en mars 2010 et le groupe de Tenerife en février 2020.

Françoise
Je n'ai pas du tout aimé ce livre. J'ai eu l'impression de lire une longue dissertation de philosophie : Camus traque le Bien et le Mal et son manichéisme est si pénible à suivre que je n'ai pas réussi à terminer le livre (il me reste un tiers). Et puis son écriture est "serrée" c'est-à-dire souvent surplombante, désincarnée, engluée dans les finasseries rhétoriques. Cette littérature de la Guerre froide m'a parue complètement datée. J'attends votre point de vue pour y voir un éventuel pont avec la situation sanitaire que nous venons de vivre. Je ferme le livre !
Nathalie Je n'ai pas malheureusement lu que le premier tiers du roman. Le docteur Rieux est surpris par les rats qui meurent. C'est ensuite le tour des hommes. Rieux et d'autres médecins alertent le préfet. Celui-ci ne veut pas inquiéter la population. Les médecins ne veulent pas prendre de mesures drastiques car ils n'arrivent pas à concevoir la catastrophe. Personne n'a envie d'y croire. Puis la ville est mise en quarantaine et les habitants n'ont plus le droit de la quitter. Il est impossible de ne pas faire un parallèle avec le début de la crise COVID. L'écriture est de facture classique mais elle ne me gêne pas. J'ai envie de poursuivre le roman que pour l'instant j'ouvre à moitié.

Monique
J'ai trouvé au départ cette écriture académique, à mille lieues des Noces que j'adore. Par exemple, dans Noces, Camus décrit les vibrations du corps dans l'eau. Vous vous rendez compte ? Là, c'est très différent. La Peste, pour moi, c'est une allégorie du Mal. Camus était alors en sanatorium… La Seconde Guerre mondiale venait de s'achever…

Nathalie
… D'ailleurs on parlait de "peste brune"….

Monique
La Peste, c'est comment les hommes se confrontent au Mal. Camus a très bien choisi ses personnages. Rieux, c'est l'homme de devoir qui se sacrifie pour une cause.
Camus montre la progression de l'épidémie dans la ville. Rien n'est nommé. C'est un livre puissant. Il y a beaucoup de similitudes avec la situation que nous connaissons aujourd'hui. Et puis, Camus a la grande intelligence d'alterner des moments de respiration. Par exemple, le moment où Rieux se baigne avec Taurou ou bien l'histoire de Grand avec sa belle Amazone…

Nathalie
C'est un livre sur l'héroïsme ordinaire de ceux qui luttent contre la maladie, malgré les risques pour leur propre santé.

François
La bataille a un double sens : c'est l'épidémie et c'est le nazisme…
Monique
Oui et cela a encore du sens aujourd'hui. Voyez la guerre en Ukraine. Mitterrand disait que le nationalisme c'est la guerre. C'est pourquoi j'ouvre ce livre en grand !

Nathalie
Ce roman nous parle toujours aujourd'hui, notamment avec la crise COVID, mais pas seulement.

Monique
Il paraît que Camus a fait de nombreuses recherches sur les épidémies de peste passées.
François
Je crains de ne pas savoir parler de La Peste. Il y a bien une écriture sujet-verbe-complément et en même temps il y a des passages incroyables. Camus disait : "Je suis né pour avoir un corps". La scène au cimetière c'est le retour des camps ! Ou bien, à la fin, lorsque Grand brûle son livre. Il y a des moments complètement fous. Finalement, c'est un livre assez attachant. Même cet évêque… Il y a aussi des tunnels. Je saute des pages. Cela fait débat télévisé, c'est rhétorique. Par exemple, il oppose Grand avec sa quête de la pureté et Cottard qui dézingue tout le monde. Cela pose la question du roman. Pour moi, le génie dans le roman c'est de mettre en jeu l'inconscient. Les mauvais romans, c'est ceux qui en sont exempts ou bien ceux qui psychologisent ! Je l'ouvre aux trois quarts.
J'aimerais savoir si les jeunes sont autant marqués par ce livre.

Nathalie
On comprend très vite que celui qui est le narrateur est le médecin. Le style correspond tout à fait au style de médecin de cette époque, précis, direct, sans pathos, qui va à l'essentiel, sans fioritures. C'est un regard de médecin sur les évènements et les êtres humains, distancié et observateur.

Jean-Paul
J'ai lu La Peste, il y a très longtemps. A l'époque, on nous le présentait comme une allégorie. La peste, c'est le vecteur d'un problème que les gens ne connaissent pas. C'était un peu la version officielle…. Cela se passe à Oran. Pourtant, jamais on ne voit la population arabe. Quid du reste de l'Algérie ?

Monique
Ce n'est pas le problème de Camus. Pour lui, la population est indifférenciée.

Jean-Paul
De plus, les femmes sont absentes. Elles ne sont jamais nommées. Elles sont toujours la femme de quelqu'un.

Monique
Il y a la mère de Rieux.

François
C'est un double de la mère de Camus.

Jean-Paul
Est-ce que cela veut dire que les femmes ne sont pas responsables ?

François
Camus, c'est un grand séducteur et c'est un grand macho. Rappelez-vous ce qu'il dit lors de la remise du Prix Nobel : "Je préfère ma mère à ma patrie".

Monique
Attention, cette citation est tronquée !

Jean-Paul
En tout cas, les femmes dans ce livre n'agissent pas !

Nathalie
Il faut se remettre dans le contexte de la société des années 1940, et ce que pouvaient voir et ne pas voir de nombreux hommes de l'époque.

Monique
Le sujet du livre, c'est d'abord la lutte contre la maladie...

Margot
Moi, je n'ai pas lu le livre. C'est quand même significatif qu'il ne parle que d'une femme en particulier, la mère de Rieux !

Jean-Paul
Le livre est assez binaire ! J'ai l'impression de revoir le folklorique de Marseille… C'est une écriture simple, assez facile à lire. Il n y a pas de grande tirade. Qu'a-t-il voulu dire ?

François
Tu as raison Jean-Paul. Camus a un côté très agaçant, très raisonneur, très moralisateur.

Jean-Paul
Ce livre qu'on a toujours présenté comme un chef-d'œuvre, avec le recul, il m'a paru daté parce que c'est trop carré : la lutte du Bien et du Mal.

Monique
Mais c'est important de le lire aujourd'hui !

Nathalie
La Peste raconte comment l'être humain peut réagir face à une catastrophe.

Monique
C'est juste et ce n'est pas juste. C'est vrai qu'il y a de grands discours sur l'humanité. Mais il y a aussi quelque chose de tripal et de plus fort que le reste. Ce médecin, il est proche du peuple parce qu'il a connu la misère. Ce n'est pas rien comme réflexion !

Jean-Paul
C'est un roman…

Margot
Non, c'est la vérité et c'est de la fiction.

Jean-Paul
Ce médecin, Camus le fait trop parfait…

Monique
Moi, je connais des médecins comme lui.

Nathalie
Idem. Et pour ma part, j'aime bien le concept de Lutte du Bien et du Mal.
Jean-Paul
Il est trop vertueux à mon goût. Dans La Peste, cela n'existe pas quelqu'un qui dévie ou qui a plus de doutes… Je ne l'ouvre qu'à moitié.

Monique
Non, il y a bien une différence entre le Bien et le Mal.

Jean-Paul
Alors je suis un déviant…

Nathalie
Qu'il s'agisse de moments de crise ou non, il y a ceux qui font leur travail consciencieusement et ceux pour qui il paraît indifférent de le faire correctement ou non, voire s'enfuir face à la difficulté ! Même chose dans les activités bénévoles, il y a ceux qui respectent les engagements qu'ils prennent et ceux qui confondent bénévole et facultatif et sur lesquels on ne peut jamais compter !

Françoise
La vie c'est plus compliquée. Vous savez moi au travail, j'en ai parfois marre et je baisse la garde. Vous êtes des Robespierre !

Nathalie en riant
Non, des Saint-Just !

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 


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