Quatrième de couverture : "Comment
sétaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le
monde. Comment sappelaient-ils ? Que vous importe ? Doù
venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce
que lon sait où lon va ? Et que disaient-ils ? Le maître
ne disait rien, et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce
qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut."
Dentrée de jeu, cest sous le signe de lincertitude
et de lironie que Diderot place le roman quil publie de 1778
à 1780. Jacques et son maître devisent en voyageant, mais
bientôt le récit des amours de Jacques sinterrompt,
ouvre à dautres histoires et à dautres rencontres
dans ce livre admirablement virtuose où la parole circule de narrateur
en narrateur. La parole, mais aussi bien la réflexion sur notre
liberté et sur le fatalisme qui fait de Jacques un manuel de gai
savoir en même temps que ce roman toujours neuf dont lesthétique
de la rupture, de la provocation et du rebond fonde encore la modernité.
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Denis Diderot
Jacques le fataliste
Le nouveau groupe parisien a lu
Jacques le fataliste en juin 2022.
Françoise
Je n'ai lu que 20 pages, je n'ai pas du tout accroché, sans doute
parce que je n'aime pas du tout la philosophie.
Margot
Je n'ai pas d'avis. J'ai lu 50 pages. Ce qui m'a horripilée d'emblée,
c'est l'intrusion de l'auteur. C'est ce que j'avais détesté
avec Nabokov. Au début, d'après la couleur, je ne voyais
pas la différence entre le maître et le serviteur. Pourtant,
je me souviens de l'avoir lu, il y a 25 ans j'étais totalement
emballée.
Monique, entreet
C'est vrai qu'il faut s'accrocher au début. Comme toi, j'ai été
déconcertée par les intrusions du narrateur, mais je ne
regrette pas d'avoir poursuivi. Quel livre ! Un récit truffé
d'histoires aux détails piquants, relatés à travers
toutes sortes d'anecdotes qui rebondissent sans cesse et dont l'ensemble
constitue un tableau vivant plein d'enseignement sur les murs de
l'époque. Cette chevauchée de Jacques et son Maître
fait penser à celle de Don Quichotte, mais j'y ai surtout retrouvé
Molière et l'insolence de ses valets, le passage sur le poète
de Pondichéry "Non seulement vos vers sont mauvais mais vous
n'en ferez jamais de bons" ressemble à la réplique
d'Alceste à Oronte dans le Misanthrope "Franchement, ils (vos
vers) sont à mette aux cabinets" ; le marchandage entre l'hôtesse
et le chirurgien rappelle l'échange entre Frosine et Harpagon dans
l'Avare ; la passion immodérée de Jacques pour la dive bouteille
et les plaisirs de la chair ont des accents rabelaisiens. Donc toutes
sortes d'emprunts ou des clins d'il à des valeurs sûres
que Diderot met à profit avec une grande intelligence.
Nathalie
Et alors qu'elle est ta conclusion ?
Monique
On peut croire que sa philosophie, c'est le fatalisme. En réalité,
ce fatalisme est une critique profonde du clergé.
Margot
C'est vrai que le discours sur le fatalisme apparaît plaqué.
Monique
L'historien Pierre Chartier, dans la préface du livre explique
que pour le clergé, le fatalisme est punissable car il récuse
un dogme majeur du christianisme, le fait que comme Dieu, l'homme est
libre et que c'est à ce titre qu'il peut ou doit combattre le Mal
pour mériter son salut.
Christine
Puisque tout est écrit, est-ce qu'on peut avoir des remords ?
Jean-Paul
Sur le fond, pour moi ce n'est pas un roman. Ce qui est perturbant, c'est
l'intervention de l'auteur. En fait, ils sont trois à parler !
Il y a une critique des structures du roman de l'époque. Il y a
un qui est nommé Jacques et il y a l'autre personnage, le maître.
En fait, Jacques, c'est le nom générique des valets. Du
coup, ce sont deux anonymes qui se parlent ! Le livre, c'est flash-back
sans arrêt. On cherche ce que Diderot a voulu dire. C'est un noceur,
c'est un jouisseur ? Il paraît en avance sur son temps. Est-il fataliste
ou pas ? Moi, je ne le crois pas. La preuve c'est lorsque le valet est
attaqué par les brigands, il réussit à dévier
le cours des évènements. Il conserve son libre-arbitre puisqu'il
réussit à dévier de la trajectoire inscrite dans
le grand Livre.
Monique
Parce que c'est une forte personnalité et que tout fataliste que
le présente Diderot, il ne peut s'empêcher de réagir,
se mettre en colère, se battre
Jean-Paul
C'est une critique de cette théorie de la prédestination
formulée par la religion.
Margot
Le livre agit grâce à une écriture sous contrainte.
Diderot avance masqué.
Nathalie
A mon avis, ce n'est pas innocent
Jean-Paul
Le titre est trompeur. Diderot a une arrière-pensée : on
peut dévier le cours des évènements. Et en plus,
il y a une inversion des rôles : on ne sait plus qui est le maître
et qui est le valet. C'est le valet qui donne une leçon à
son maître. Jacques c'est la tête pensante.
Christine
D'ailleurs, c'est le valet qui a une montre et c'est le maître qui
agit comme un automate.
Jean-Paul
Le valet invite le maître à penser
Monique
Dans les apartés, Diderot propose toutes sortes d'ouvertures, de
suites possibles au récit, il en profite aussi pour critiquer la
société, le clergé bien sûr mais aussi les
aristocrates, les littérateurs médiocres
Jean-Paul Surtout, Diderot subvertit la croyance en la fatalité
puisque ses personnages gardent leur capacité d'agir.
Christine
Je ne suis pas du tout d'accord. Le fatalisme c'est quelque chose d'apaisant
car c'est une réponse à la question sur le sens de la vie.
Bien sûr que les personnages se rebellent à l'ordre des choses
mais c'est parce que le déterminisme enlève toute responsabilité
aux individus et finalement les libère et leur permet d'agir.
Monique
Pierre Chartier présente Diderot comme "un mécréant
notoire, esprit vif et remuant, libertin aux divers sens du mot, sensuel
et savant, frondeur et inventif, figure de proue du parti encyclopédique
et l'un des philosophes les plus en vue qui était depuis ses années
de formation et bohème parisienne, étroitement surveillé
par la police du roi". On ne peut s'étonner après une
telle présentation que Diderot ait réussi avec brio ce récit
truculent et parodique, étonnamment moderne, qui est aussi une
réflexion sur la condition humaine, la relation Maître et
valet, ou Valet et Maître, l'un ne pouvant se passer de l'autre,
tout en étant une satire du clergé. J'ouvre aux trois-quarts.
Christine
Cet aspect, on le voit surtout dans l'épisode des dévotes.
Jean-Paul
Je l'ouvre aux trois-quarts car la structure me gêne. Je suis d'accord
avec Monique, c'est difficile d'entrer dans cette histoire.
Monique
Tu sais, ces apartés c'est comme si Diderot gardait son libre-arbitre
pour préciser son discours.
Nathalie
Est-ce une parodie de roman ? En tout cas, vous nous avez convaincus de
le lire !
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert
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beaucoup
¾ ouvert
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moyennement
à moitié
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un
peu
ouvert ¼
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pas
du tout
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