Quatrième
de couverture :
Nora est mariée à Torvald Helmer, avocat sur le point d'être
nommé directeur de banque. Au fil des années, elle est devenue
dépendante de son époux, esclave de sa condition de femme.
Nora possède cependant un grand secret, avec lequel elle estime
tenir son époux. Alors qu'elle a tout misé sur le compromis,
elle ne supporte plus la mascarade de sa vie conjugale. Henrik Ibsen est né en 1828 en Norvège
où il est mort en 1906. Poème dramatique écrit lors
de son exil en Italie, Brand (1866) annonce Peer Gynt (1867), oeuvre éminemment
philosophique. Sensibilisé aux idées féministes,
Ibsen écrit, en 1879, Une maison de poupée, qui bouleverse
lEurope. Avec ces pièces et les suivantes, Ibsen contribue
à donner à lart dramatique une puissance nouvelle
en dotant le drame bourgeois dune gravité éthique
et dune profondeur psychologique. Quatrième de couverture : En Norvège, dans "une maison confortable et de bon goût", une famille se prépare à fêter Noël. Mais le douillet et rassurant cocon se fissure quand le secret de Nora, la jeune et joyeuse épouse, menace soudain d'être dévoilé à son mari. Dès lors, toute allégresse recule, et les enfants aux joues rouges s'effacent devant des personnages qui surgissent tour à tour amie de jeunesse, médecin, créancier , semant le doute et l'inquiétude. En ébranlant ainsi la certitude lisse de son héroïne qui pensait avoir toujours agi comme elle le devait, Ibsen crée l'une des grandes figures du théâtre nordique, dont on continue d'interroger la volte-face et la destinée.
Quatrième de couverture : Dans cette maison où la femme est et n'est qu'une poupée, les hommes sont des pantins, veules et pleutres. Sans doute Nora incarne-t-elle une sorte de moment auroral du féminisme, alors qu'être, c'est sortir, partir. Et Ibsen, grâce à ce chef-d'oeuvre, accède au panthéon de la littérature mondiale. Mais si sa poupée se met, sinon à vivre, du moins à le vouloir, au point de bousculer au passage l'alibi de l'instinct maternel, c'est qu'autour d'elle les hommes se meurent. Ibsen exalte moins Nora qu'il n'accable le mari, l'avocat Helmer, ou Krogstad par qui le chantage arrive. Maison
de poupée, trad. Terje Sinding, publiée dans le
tome 1 : Les douze dernières pièces, Tome 1, Imprimerie
nationale, 1991
|
Henrik Ibsen (1828-1906)
|
C'est la première fois que nous
lisons une pièce de théâtre
depuis 36 ans que le groupe existe...
RÉACTIONS
DU GROUPE BRETON
réuni le 23 juin,
d'abord présentés sommairement par Claire
Aucune dentre nous ne lit
spontanément du théâtre. Ah si, Sylvie se livre à
ce type de lecture. Pour Claude, ancienne du groupe qui a fait un heureux
come-back, est-ce vraiment un livre ? Cest du théâtre,
fugitif, qui se perd, alors que le texte est là, on peut y revenir.
Yolaine a écouté (et regardé) la pièce (une
captation sur YouTube) - lécoute dun texte étant
pour elle de plus en plus dailleurs une modalité de lecture.
Marie-Odile a visionné une mise en scène aussi, avant de
lire la pièce. Claire a évoqué pièce vue à
Paris, film de Losey et pièce dElfriede Jelinek, la suite,
une fois Nora partie...
Le plaisir davoir lu la pièce, avec facilité, a dominé
parmi les réactions, plaisir même de À à Z
pour Marie-Thé, avec, unanime, létonnement ressenti
à ce quun homme en 1879 ait pu écrire cette fin à
la pièce, cet envol de Nora suite à un retournement de situation
sidérant. Les situations ont clairement semblé dactualité.
Alors quon est loin de lépoque dIbsen où
les femmes étaient mineures (interdites demprunt seules par
exemple), quel livre moderne finalement ! Le désir de devenir soi-même
et dêtre reconnu comme tel dépasse dailleurs
les relations homme-femme.
Brigitte a souligné le choix du titre ; une et non la maison de
poupée montre lélargissement possible : une maison
de poupée parmi dautres...
Les propos et échanges ont plutôt concerné linterprétation
des comportements des personnages et la façon dont le lecteur découvre
leur complexité.
Les différences de réactions concernent principalement Nora :
elle agace ou elle fait sourire (lalouette apparemment écervelée).
Son retournement passe très bien ou pour dautres est à
la limite de la vraisemblance. Nora part pour de bon ? Qui nous dit rien
quelle ne va pas revenir ?...
Autre exemple de différence : le plaisir des unes a été
réduit par lunivers oppressant, cruel, avec ces personnages
enfermés dans des mensonges, alors quEdith pensait à
certains moments à Feydeau...
Toutes saccordent à propos dun entremêlement,
une progression de laction, bien menés.
Avant dattaquer la pièce, nous fîmes bombance dans
le jardin dEdith à Pontivy, avec la chatte Momoche étalée
aux pieds et à la cuisine bien sûr... François.
Les
cotes d'amour de la séance bretonne
suivies de quelques individuels Brigitte T Cindy Édith Marie-Thé Sylvie Claire Claude Yolaine Chantal Marie-Odile |
Brigitte
T
C'est avec plaisir que j'ai lu Une maison de poupée de l'auteur
norvégien Ibsen, courte pièce de théâtre - genre
littéraire que je lis trop peu dirais-je aujourd'hui. Le fil conducteur
pour moi a été de chercher à comprendre le titre.
Nous sommes fin du XIXe siècle dans un pays protestant. Nous sommes
dans un milieu bourgeois et a priori conformiste. Donc, encore bien loin
des mouvements féministes et des mouvements de libération
des femmes.
Dans la période de Noël, fête de famille, Nora, femme
fragile (?), poupée de son mari, de son père, de son
ami le docteur, de ses enfants ; femme qui danse, chante, s'amuse, se
déguise. Nora pourrait paraître superficielle. Mais Nora
retrouve une amie d'enfance, croise à nouveau la route d'un homme
qui connaît son secret. Alors elle montre une autre face de sa personnalité
et s'émancipe, elle travaille (sans tout dire à son mari
ce qui est contraire à la morale) et assume son acte "caché"
à son mari pour le sauver quelques années auparavant. Nora,
se révèle féministe et fait le choix irrévocable
de quitter son mari qui ne veut pas la voir telle qu'elle est, écouter
ses opinions et lui donner une place égalitaire dans leur couple.
Elle dit "il y a ceux que l'on aime et ceux avec qui l'on se plaît".
Et elle veut plus uniquement se plaire avec son mari. Elle décide
de rompre, de rendre la liberté à son mari et à elle-même.
Ainsi, elle part laissant tout après elle. Elle veut un miracle :
"que notre vie commune devienne un vrai mariage". Alors
je ferme le livre et je me dis
mais qu'est devenue Nora ?
À noter que j'ai lu cette pièce dans la collection
Folio
théâtre, traduite par Régis Royer linguiste spécialiste
français des civilisations d'Europe du Nord. Après ma lecture,
j'ai repris sa préface très riche qui permet d'appréhender
qui est Ibsen et dans quel contexte socio-culturel il vivait lorsqu'il
a écrit cette pièce fin du XIXe.
Marie-Thé
J'ai adoré ce livre, des premières pages au coup de théâtre
final, atmosphère, personnages, intrigue... J'ai aimé découvrir
et suivre cette famille bourgeoise norvégienne de la seconde moitié
du XlXe siècle, très surprise car l'action pourrait se dérouler
aujourd'hui !
Je remarque que lorsque le rideau se lève, lorsque les façades
se fissurent, les personnages montrent qui ils sont réellement.
J'ai beaucoup à Bergman, dans Laterna
magica par exemple : toujours paraître exemplaires face
au monde extérieur, mais l'envers du décor, la vie en famille,
etc. était tout autre.
Si au début Nora m'a beaucoup agacée (j'ai même eu
un moment l'impression que j'allais retrouver Lizzy, le personnage féminin
de L'histoire
de ma femme), et si ma sympathie allait plutôt à
Torvald, j'ai vite changé d'avis. Avec Helmer, alias Torvald, cynique,
monstrueux, égoïste, etc., le "miracle suprême
" n'est pas prêt de se produire. D'ailleurs, il n'existe de
miracles qu'en religion...
J'ai particulièrement aimé le basculement des situations :
ceux qui avaient tout n'ont plus rien et inversement.
Je note l'importance, à mes yeux, du besoin de reconnaissance :
Nora "fière" d'avoir tout fait pour sauver Torvald qu'elle
aimait tant, et qui face à son mari ou à Madame Linde a
pu se sentir rabaissée : pas de situation... Besoin de reconnaissance
aussi de Krogstad dans une société qui l'a jugé et
condamné.
Évidemment les réflexions misogynes sont nombreuses.
Je note encore cette idée d'expiation, chez le docteur Rank par
exemple, lorsqu'il voit dans ses souffrances une expiation des excès
du père : "Et tout ça pour expier la faute d'un
autre."
Enfin, à Torvald disant "Le temps de la récréation
est passé, voici maintenant le temps de l'éducation."
Nora répondra : "Il faut que je veille à m'éduquer
moi-même." Après beaucoup de suspense, le rideau
tombe !
Édith
En fait j'ai découvert ce texte et je ne pense pas avoir déjà
vu une pièce d'Ibsen.
Lecture très agréable, facile et rapide, avec les trois
actes "avalés" car un suspense s'installe malgré
tout et j'ai été curieuse d'en savoir la fin. La mignonne
et naïve Nora toute dévouée à son mari, toute
enfantine pour le bonheur de celui-ci, m'a fait sourire tout au long des
dialogues : par ses dialogues mièvres dans le premier acte, d'abord
mutine et "écervelée", puis affolée jusqu'au
désir de disparaître, puis révoltée et déterminée
dans son choix. Je ne parle pas des minauderies de Helmer son époux
! Un peu à la Feydeau
J'ai lu l'introduction (éd. Le
Livre de poche), une fois l'intrigue
découverte, avec beaucoup d'intérêt, traversée
par des sentiments proches des bacheliers face à leurs fiches de
lecture. Mais de fait, cette documentation, qui précise différents
aspects de l'uvre, atténue
largement l'écriture d'un propos personnel
je ne pourrais
pas en dire mieux. Je vais donc me contenter d'écrire ces propos
: j'aime les pays du nord de l'Europe et j'ai eu le plaisir de les visiter.
J'aime les ambiances du siècle passé (le XIXe) ; Ibsen
comme Kierkegaard, Bergman et bien d'autres m'évoquent de suite
paysages, ambiances froides et lumineuses suivant les saisons, rigueur,
mélancolie, folklore et analyse métaphysique. J'ai adoré
le film.
Pour la pièce de d'Ibsen, Maison de Poupée, ce fut
le cas : j'y ai retrouvé et apprécié l'ambiance festive
(de Noël), la bigoterie, la moralité, la désuétude
des modes de relation homme et femme, le rapport à l'argent, etc.,
d'autant que je lisais en même temps Les Buddenbrook, avec
des similitudes dans l'approche des personnages féminins, l'argent,
les rôles sociaux hommes-femmes, les enfants, la politique
Ce dix-neuvième siècle et ses femmes "enjuponnées",
dévergondées parfois, mais le plus souvent dominées
par l'ombre tutélaire de l'homme me réjouissent par leurs
luttes - j'ai beaucoup lu sur le sujet.
Nora, le personnage de La maison de poupée, rompt le douillet
nid de sa maison de poupée, rompt les codes, s'émancipe.
Un nouveau langage s'est installé. Tout ne serait que langage mots
pour le dire ? L'action suivant les mots engage.
J'ouvre en grand pour la découverte, le plaisir du texte, et j'en
ai parlé autour de moi : signe du plaisir.
Chantal(empêchée
de participer car le bateau quittant l'île de Groix où elle
demeure était bloqué, a transmis son avis après la
réunion)
Décontenancée pour commenter, évaluer, une pièce
de théâtre conçue pour être VUE ! De plus, mon
livre et sa traduction d'un Monsieur Prozor, datent de 1959 avec une préface
de 1889 ! Première lecture difficile donc. Tout me paraissait obsolète,
daté. Je mettais en cause la traduction, trop caricaturale, je
voulais comparer avec vos éditions à vous.
Et, à la deuxième lecture, je me dis : tout ça est-il
si dépassé en 2022 ? Pas si sûr. La société,
la nôtre, veut toujours assigner une place, un rôle, aux femmes.
Et l'affranchissement individuel si cher à Ibsen sont aussi difficiles
de mon point de vue.
L'invraisemblance vient du fait de faire tenir sur deux jours le revirement
de situation, la prise de conscience et la résolution inébranlable
de Nora. Mais ça c'est la loi du théâtre ! Et du coup,
toutes ces allées et venues continuelles dans un lieu restreint
m'ont paru pénibles.
De même, le personnage du Dr Rank... était-il indispensable ?
Peut-être, pour lui montrer qu'un autre amour serait possible hors
de sa cage dorée. Peut-être l'évocation de sa mort
prochaine (à Rank) vient-elle appuyer sur une vérité
: la vie est brève ma belle !
Mais, ce qui est indéniable c'est le talent d'Ibsen pour nous faire
sentir, 140 ans après, la condition des femmes de cette époque.
Femmes pauvres contraintes de placer leurs enfants pour travailler, femmes
riches formatées, bonnes épouses, bonnes mères, coquettes
et frivoles et aguicheuses à l'occasion (pour leur mari exclusivement).
Parfaitement exprimé par Nora : poupée-enfant pour son père,
devenant poupée-femme pour son mari, et faisant elle-même
trois poupées !
Tout cela et la façon de les traiter... alouette qui gazouille,
écureuil qui remue, petit étourneau qui dépense tant
d'argent... Pouah !
Le rôle de Mme Linde : montrer à Nora qu'on peut être
seule, veuve, sans regret ? Qu'il faut cesser de croire aux balivernes
religieuses sur les mères qui transmettent leurs défauts
à leurs enfants ?
J'ai aimé le dernier acte, confrontation finale entre les deux
époux, terrible. Le calme de Nora, l'incompréhension totale
et incurable du mari.
Cette pièce, dans le public scandinave, a suscité des satires
et des polémiques violentes. Le traducteur dit que sur certaines
cartes d'invitation il était noté "on est prié
de ne pas s'entretenir de Maison de poupée" !! Et en
Allemagne pour pouvoir être joué, Ibsen dut changer la fin
de la pièce, Nora revenant sur sa décision de quitter le
foyer !
Voilà. Je l'ouvre ½.
DEUX
AUTRES "LECTURES" du texte avant les échanges :
|
-
Nous sommes allés au théâtre
voir
Une maison de poupée, mise en scène et adaptation
de Philippe
Person, à la Manufacture
des Abbesses ; cette adaptation supprime des personnages
(enfants, docteur, bonne) : dossier de presse ici. - Nous avons regardé le film Une maison de poupée de Joseph Losey (1972), avec Jane Fonda et Delphine Seyrig, adapté, comme la pièce vue, du texte d'Ibsen. |
Annick
L(avis
transmis)
Je suis un peu débordée
en ce moment mais je voulais quand même partager avec vous ma réception
de ce texte remarquable. Remarquable car je reste sidérée
par le fait qu'un auteur, vivant dans cette société bourgeoise,
conformiste et patriarcale de la fin 19e, ait pu publier en 1879 cette
uvre si dérangeante par le regard porté sur le statut
mineur réservé aux femmes. Je m'interroge aussi sur la capacité
d'Ibsen à se mettre dans la peau de celles-ci, du moins celles
qui ne supportaient plus cette forme d'oppression (une amie, une compagne
?). La dramaturgie elle-même est construite avec une rigueur formidable,
avec une montée progressive de l'angoisse de la "pauvre"
Nora, jusqu'au retournement dramatique, inattendu de sa part, elle qui
semblait si à l'aise dans ce modèle stéréotypé
de la femme enfant.
J'avais déjà vu au moins deux fois des mises
en scène de cette pièce mais la confrontation au texte d'Ibsen
a été une révélation. Et le travail de la
troupe dont nous sommes allés voir le spectacle m'a paru rétrospectivement
très fidèle.
Merci pour cette belle expérience de confrontation d'un texte de
théâtre avec l'une de ses interprétations.
Maëva(avis
transmis)
Jai sillonné cette lecture (traduction
d'Éloi Recoing, éd.
Babel) avec envie, désireuse de comprendre où
se cachait l'empreinte féministe annoncée dans la pièce.
Je cherchais au fil des pages où se trouvait lindépendance
et légalité quand Nora sépoumone à
défendre son mari, à le placer sur un piédestal et
à ne parler que de lui : "penser que nous - que Torvald
a une telle influence", p. 37. Dautant plus que les hommes
ne se privent pas pour sortir des phrases crispantes qui renforcent un
sentiment de gêne : "cest devenu intenable ici à
moins dêtre une mère" p. 41, "il ne
supporte pas la vue dun dé à coudre" p. 69
ou "Vouloir, vouloir ? Ne suis-je pas ton mari ?"
p. 114.
Tantôt fichée dans son rôle dépouse, puis
de mère, puis dobjet de désir exhibé aux yeux
de tous, Nora montre un petit côté exaspérant à
pépier des niaiseries. Elle n'existe qu'à travers les autres
dans un quotidien qui valorise l'apparence. Cest pour cette raison
que le retournement de situation se montre aussi salvateur. Quand Nora
déclame : "nous soldons les comptes Torvald" p
128, je ne peux pas mempêcher de penser : enfin !
Nora quitte alors sa position de personnage passif pour déserter
un homme égoïste et la sécurité financière
quil assure. Cette réaction est dautant plus surprenante
quon croit au suicide évoqué en filigrane dès
lacte II, même si cette voie paraît, aujourdhui,
extrême pour réparer la seule faute davoir emprunté
de largent dans le dos de son mari... Néanmoins, je croyais
vraiment que Nora allait se suicider et obtenir ainsi le statut de martyre,
se sacrifiant ainsi jusquau bout pour lêtre aimé,
bien que la relation manque damour en tout point. Le fait quelle
délaisse cette voie de dévouement pour arpenter une route
controversée pour l'époque termine agréablement la
pièce et donne un autre regard sur ce personnage.
Au niveau de la construction, certains passages mont paru un peu
trop explicatifs, comme si on me tenait par la main pour que je comprenne
bien que Nora, associée à un animal, était donnée
en spectacle. Le passage sur la maison de poupée en fin de livre
ma également paru un peu lourd, puisque jestime que
cette image est assez claire pour quil ny ait pas besoin de
la souligner à outrance dans le texte, jaurais aimé
davantage de subtilité. Néanmoins, hormis ces passages un
peu répétitifs, jai grandement apprécié
la lecture et je suis restée accrochée à lintrigue.
Je regrette seulement de ne pas avoir pu découvrir cette pièce
au théâtre ! Peut-être une autre fois.
Jouvre aux ¾.
Séverine(avis
transmis)
Tout d'abord, j'ai été contente de lire du théâtre
car je le fais rarement. Je dois dire que je suis rentrée assez
bien dans le livre avec l'envie de savoir où on allait aller avec
ce couple que j'ai trouvé horriblement horripilant. Lui, à
donner des noms d'oiseaux stupides à sa femme qu'il traite comme
une enfant sans cervelle, et elle, sorte d'Emma Bovary dépensière
(et la comparaison s'arrête là car elle n'a pas d'amant et
semble au début aimer son mari
) et surtout exaspérante
d'égoïsme. Mais en fait, tous les personnages sont égoïstes.
Chacun ne pense qu'à lui, à ses intérêts :
elle, suffisante qui étale son bonheur d'épouse et de mère
comblée et ne veut que préserver sa petite vie bourgeoise
avec une haute idée sur le mariage, lui, qui ne pense qu'à
son poste à et à son statut social, leur ami médecin,
malade imaginaire (?) qui squatte chez eux, Mme Linde qui vient voir Nora
pour avoir du boulot (même si elle apparaît comme une sainte
),
Korgstad, usurier pointilleux sur un contrat à être un tantinet
sadique
Bref, je les ai trouvés tous plutôt gratinés
Je ne sais pas ce qu'Ibsen a voulu faire, mais si c'est dénoncer
toutes ces attitudes petitement humaines
(car fait-on mieux ? pas
sûr
), c'est réussi. Un bémol, j'ai du mal à
croire au revirement rapide de Nora, mais cela est peut-être dû
au format court de la pièce de théâtre. En cela, je
n'adhère pas trop à cette note féministe, car je
pense que c'est ce qu'Ibsen a voulu faire : le portrait d'une femme qui
se révolte contre sa condition de "poupée", qui
comprend que son mari ne l'aime pas au point d'accepter qu'elle ait contracté
des dettes
même pour lui permettre de se la couler douce en
Italie ! En tout cas, on peut dire que pour l'époque, mais aussi
encore aujourd'hui, le fait qu'une femme renonce à ses enfants
est assez osé. Rien que pour ça, j'ouvre aux trois quarts.
Catherine(avis
transmis)
Je ne pourrai pas être parmi vous ce soir pour la dernière
séance du groupe lecture avant l'été. Donc
voici un avis rapide:
J'ai successivement lu puis vu la pièce, et vu le film mercredi.
C'était très intéressant car ça m'a donné
trois visions différentes. La mise en scène que nous avons
vue avait supprimé certains personnages (le docteur Rank, les enfants)
alors que le film, outre les images, rajoute des scènes qui ne
figurent pas dans la pièce. Leur vision des personnages est de
plus assez différente.
Si j'en reviens au livre, j'ai beaucoup aimé cette pièce
que je n'avais jamais lue auparavant, j'ai aimé les personnages
féminins surtout, la modernité de cette pièce, l'évolution
du personnage de Nora. Le côté très écervelé
qu'elle a au début (qui est d'ailleurs favorisé par son
entourage, son mari avant tout qui aime ce rôle de femme-enfant
charmeuse et immature) et la force qu'elle acquiert au fur et à
mesure du déroulement. Il y a une peinture de la société
de l'époque, du poids des conventions sociales, du rôle de
la femme (le personnage du mari, et toutes ses sentences sur les femmes,
au secours) très intéressante. La condition des femmes pauvres
est aussi esquissée avec Hélène, obligée d'abandonner
son enfant car illégitime, pour travailler et survivre. Le personnage
de Christine est assez fouillé aussi, à l'opposé
de celui de Nora, tout au moins au début.
Il y a des accessoires rigolos tout au long de la pièce, les macarons,
la lettre qui tombe dans la boîte à lettres, et que Nora
ne peut pas attraper, le costume avec le tambourin.
J'ai aimé la chute brutale et le fait que la pièce s'arrête
là mais si on admire Nora pour son audace (surtout pour l'époque!),
je trouve que c'est tellement brutal qu'on a un peu de mal à y
croire (on en a parlé mercredi d'ailleurs). Dans le film, le personnage,
joué par Jane Fonda, a d'emblée un peu d'épaisseur
et rend ce dénouement plus crédible. C'est intéressant
de voir la prise de conscience de Nora du gouffre qui la sépare
de son mari. Elle a commis un acte répréhensible devant
la loi mais dont elle est fière, pour sauver son mari, qui lui
a demandé des sacrifices et son mari le lui reproche au nom de
conventions sociales et de considérations morales rigides. Et donc
elle le quitte et part seule sans ses enfants. L'affirmation qu'elle est
un être autonome, qu'elle a des devoirs envers elle-même,
de se connaître, de s'éduquer, est d'une incroyable modernité
pour l'époque. C'est pour cela qu'elle renonce à ses enfants.
Elle ne se sent pas capable de les élever réellement. Elle
le dit très bien, ils sont ses poupées comme elle a été
la poupée de son père puis de son mari. Elle veut être
elle-même.
Il y a beaucoup d'autres choses à dire mais je n'ai pas beaucoup
de temps et vous le ferez mieux que moi. J'ouvre en grand.
Etienne
(en
direct comme les suivants)
Je ne connaissais pas du tout et étais content de lire du théâtre.
J'ai vu la pièce avec le groupe sans avoir lu le texte : je
l'ai aimée, ses ressorts, les thèmes abordés, l'ai
trouvée originale. Sur la brutalité du revirement, je rejoins
ce qui a été dit : c'est bizarre, comment est-ce possible
? Est-ce que dans le texte, ça arrive aussi brutalement, me suis-je
demandé (puisque la pièce vue est une adaptation). Je l'ai
lu dans l'édition
GF, qui a un dossier très intéressant. J'ai réalisé
au fur et à mesure à quel point le texte est fabuleux. La
pièce s'anémie, le texte est plus riche, car bourré
d'indices. Par exemple au début de l'acte II :
NORA
Est-ce qu'ils me demandent souvent ?
LA BONNE D'ENFANTS
C'est qu'ils ont tellement l'habitude d'avoir leur maman avec eux.
NORA
Oui, Anne-Marie, mais désormais, je ne pourrai plus être avec eux aussi souvent qu'avant.
LA BONNE D'ENFANTS
Bon, les enfants s'habituent à tout.
NORA
Tu crois ? Ils oublieraient leur maman si elle s'en allait pour toujours ?
LA BONNE D'ENFANTS
Grands dieux ! Pour toujours ?
NORA
Écoute, dis-moi, Anne-Marie Je me suis souvent demandé Comment as-tu eu le cur de confier ton enfant à des étrangers ?
LA BONNE D'ENFANTS
Mais il a bien fallu quand j'ai dû être la nourrice de la petite Nora.
NORA
Oui, mais comment as-tu pu le vouloir ?
LA BONNE D'ENFANTS
Alors que je pouvais trouver une si bonne place ? Une pauvre fille à qui il est arrivé malheur, elle doit s'en réjouir. Parce que ce sale bonhomme ne faisait rien pour moi, n'est-ce pas ?NORA
Mais ta fille, alors, elle t'a sûrement oubliée ?
LA BONNE D'ENFANTS
Oh non ! sûrement pas. Elle m'a écrit pour sa confirmation, et aussi quand elle s'est mariée.
NORA, lui passant les bras autour du cou.
Ma vieille Anne-Marie, tu as été une bonne mère pour moi quand j'étais petite.
LA BONNE D'ENFANTS
Petite Nora, la pauvre, n'avait pas d'autre mère que moi, n'est-ce pas ?
NORA
Et si les petits n'en avaient pas non plus, je sais bien que tu serais Bêtises, bêtises, bêtises. (Ouvrant le carton.) Va les voir. Maintenant, il faut que je
Demain, tu verras comme je serai ravissante.
Il
y a des interactions par rapport aux enfants et on sent que ça
chemine, avec moins ce côté écervelé, ça
mature.
Le rôle du Dr Rank (supprimé dans la pièce qu'on a
vue) m'a semblé important : il va mourir tout seul et prend sa
destinée en main. Et il y a une discussion avec Nora sur la décision.
Quant à la scène de la répétition de la danse,
au théâtre elle paraît un peu grotesque, pas sensuelle,
genre danse des canards. Dans le livre, c'est autre chose, une scène-clé,
elle est en transe, sensuelle. J'ai donc préféré
la lecture au théâtre.
J'ai aimé la portée féministe. Mais ça va
au-delà : c'est un livre sur le consentement à la vie. Christine
accède à l'amour, alors que Nora a une famille sans amour.
Le dossier évoque le fait de "faire litière" -
expression que je ne connaissais pas - aux droits de la personne humaine.
Il y a une prise de hauteur plus globale. Pour être heureux, il
faut s'aimer. J'ouvre en grand !
J'ajoute que dans cette pièce sur la dépendance, chaque
rapport humain obéit à cette loi implicite et parfois certaines
dynamiques peuvent se trouver inversées. Par exemple, Nora est
dépendante matériellement de son mari, mais par le passé
ce dernier s'est retrouvé dans une situation de maladie (je l'ai
personnellement interprétée comme une dépression,
un burn-out, je peux me tromper mais une tuberculose me paraît moins
probable) et c'est là que Nora a tout pris en main : le voyage,
son coût, le soutien moral (j'ai l'impression de le lire entre les
lignes). Son mari s'est ainsi retrouvé infantilisé ici à
tel point qu'il ne se pose pas la question du coût du voyage. L'ordre
"naturel" des choses s'est évidemment renversé
par la suite.
Fanny
J'ai fait le choix inverse d'Etienne : lecture puis théâtre,
mais je partage assez ton point de vue. Une pièce féministe ?
J'attendais
je ne voyais pas
au début j'y ai vu comme
un vaudeville. Le revirement donne tout son sens, toute son ampleur à
la pièce.
J'avais hâte de voir la mise en scène. J'ai aimé la
pièce, mais un peu déçue : le docteur participe à
la peinture sociale, et c'était dommage de le supprimer ; Krogstad
jouait très bien - un cran au-dessus des autres.
J'ai lu le livre il y a trois semaines et ai oublié un peu, même
si des choses reviennent en vous écoutant ; mais dans plusieurs
mois, je ne me souviendrai peut-être plus que de la chute.
Monique L
C'est un plaidoyer contre les stéréotypes, contre la possessivité,
pour une communication sérieuse dans un couple et pour l'émancipation
de la femme. Le trait peut paraître parfois forcé, mais cela
n'a rien de choquant pour moi au théâtre.
De nos jours, les rôles assignés à la femme et au
mari sont certes moins caricaturaux, mais peut-on dire que ce qui est
dénoncé ne correspond à aucune vérité
actuelle ? Personnellement je ne le pense pas, même si les
comportements évoluent. Les clichés et injonctions de la
femme parfaite perdurent : bonne mère, bonne épouse,
femme attirante, de bonne humeur, toujours là où on l'attend,
qui sait s'oublier pour les siens, etc.
HELMER - Il n'y a personne qui offre son honneur pour l'être qu'il aime.
NORA - Des milliers de femmes l'ont fait.
Nora et Torvald forment à eux deux le parfait couple de bons bourgeois
qui présente bien. Ils ne sont pas du tout conscients que leur
mariage n'est qu'apparence et fausseté. Nora vit de la manière
dont son mari la fantasme : femme-enfant, femme-objet, petit animal domestique,
trophée à exhiber, une poupée qu'il faut protéger
et guider. L'oppression que subit Nora est insidieuse ; elle est traitée
comme un agrément. Torvald adore Nora, cette femme pleine de vie
dont il entretient les enfantillages. Nora se montre frivole, légère,
naïve et dépensière, alors qu'elle se démène
pour rembourser les dettes accumulées dans le dos de son mari.
Elle est moins écervelée qu'on veut le faire croire. Dans
leurs échanges, Nora et Torvald n'abordent jamais de sujets personnels
ou profonds. Cette absence de communication les conduit à une situation
intenable : Nora doit vivre avec son lourd secret.
Nora n'a sans doute jamais eu envie de remettre en question son statut,
car sa situation est confortable. Sa rébellion se produit lorsque
son couple traverse une crise et qu'il devient nécessaire de redéfinir
leur relation. Nora fait preuve d'un grand courage en quittant une relation
correspondant à ce que la société attendait d'elle,
mais aussi en abandonnant son confort et toutes ses habitudes de vie.
Une question subsiste : que devient-elle après avoir franchi
définitivement le seuil de sa maison, abandonnant enfants et mari
?
Pour contraster, le couple que forment Kristine et Nils est très
différent. Kristine est indépendante financièrement
et psychologiquement. Elle aspire à l'amour, à partager
le fruit de son travail et à élever des enfants. Je me suis
posé la question si son geste était vraiment désintéressé.
Je pense qu'elle fait ce choix en toute conscience, car cela répond
aux besoins profonds qu'elle cherche à combler.
J'avoue ne pas avoir compris le rôle du Docteur.
J'ouvre aux ¾.
Brigitte
(à
l'écran)
J'ai
lu une édition ancienne (1906). Dans la
préface, Albert Savine, admire la façon dont Réjane
avait interprété le rôle de Nora (en 1894).
Je
ne connaissais pas ce texte, je l'ai découvert avec beaucoup d'intérêt.
Il s'agit donc d'une uvre du XIXe siècle ; on a néanmoins
l'impression permanente de lire un texte très moderne, si l'on
fait abstraction du mode de vie de la famille Helmer. Bien qu'un peu datée,
la pièce reste intemporelle. La présentation en est tout
à fait classique, alors que le fond ne l'est pas du tout en 1879,
ni même en 1893.
Le personnage iconique de Nora, correspondait-il à des femmes réelles
vivant en Norvège à la fin du XIXe siècle ? Il trouve
certainement encore sa place dans notre monde moderne. C'est le propre
des chefs-d'uvre.
Je voudrais insister sur deux points en particulier :
- on ne sait pas ce que devient Nora ; elle part seule ; elle va devoir
réinventer complètement sa vie. Le lecteur (ou le spectateur)
reste dans l'incertitude et le questionnement ; à lui d'imaginer
la suite.
- J'admire tout à fait la façon magistrale dont Ibsen traite
le personnage d'Helmer, le mari de Nora. On peut, bien sûr, y voir
un homme niais qui ne comprend rien à la situation. Il apprécie
sa femme ; il la trouve charmante ; elle sait rester à sa place
; elle s'occupe affectueusement de leurs deux enfants ; il lui est reconnaissant
d'avoir pris très à cur de le soigner quand il était
malade
Tout va bien dans le meilleur des mondes.
Mais on peut aussi voir en lui le bourgeois moyen du XIXe siècle,
qui vit dans une société où la femme est uniformément
considérée comme plus faible que l'homme tant physiquement,
qu'émotionnellement, intellectuellement
C'est une vérité
reçue, un lieu commun, jamais remis en cause depuis des générations.
Et, voilà que brutalement, sans y avoir été préparé
le moins du monde, Nora (ou plutôt Ibsen) le projette dans une situation
totalement inédite. Quand il comprend la vérité de
la situation, c'est pour lui un véritable séisme, tous ses
repères s'effondrent, il est radicalement remis en cause ; le voilà
brutalement projeté dans l'inconcevable, l'impensé. Il lui
faut repartir à zéro pour survivre.
J'admire profondément cette façon qu'a l'auteur de nous
confronter à une telle conjoncture. L'effet fut sans doute bien
plus puissant à la fin du XIXe, où les esprits étaient
certainement moins ouverts que maintenant à l'émancipation
féminine.
Claire
Je n'ai jamais lu de pièce
hors du projet de la voir au théâtre. J'ai lu le texte comme
un roman - d'ailleurs, il y a peu de didascalies, cali, cali. Ce que je
vais dire est très naïf, mais quel talent pour faire avancer
la narration rien qu'avec du dialogue : il se passe plein de choses, il
y a de la tension, du suspense, un entrelacement des histoires des personnages
et des éléments d'information diffusés au compte-gouttes
pour le lecteur et un "coup de théâtre" - expression
particulièrement appropriée
Dommage, j'ai ressenti
un peu d'invraisemblance au revirement de Nora qui m'a auparavant exaspérée
: son discours acéré me semble celui d'une autre. Ou j'ai
loupé de quoi croire à cette Nora-là. Je ne trouve
pas comme Séverine les personnages entièrement égoïstes
: Nora est dans la merde à cause de ce qu'elle a fait pour son
mari - au fait, quelle cruche d'avoir mis la vraie date - et Madame
Linden (qui va se remettre à la colle avec son ex) ne pense qu'à
une chose :
MADAME LINDEN - Me voici tout à fait seule au monde, effroyablement vide et abandonnée. Il n'y a aucune joie à travailler pour soi-même, n'est-ce pas ? Krogstad, donnez-moi quelque chose et quelqu'un pour qui travailler.
J'ai ensuite vu pièce et film, tous deux
des adaptations, et le fait - comme le signale Catherine - que pour la
première il y a réduction (seulement 4 personnages) et au
contraire développement pour la deuxième a pour moi fait
partie du plaisir, du plaisir des surprises : on voit dans le film des
scènes ayant eu lieu avant les faits, des scènes dans d'autres
lieux (norvégiens), notamment extérieurs : ah les traîneaux
tirés par les chevaux, ah le défilé des robes aux
tailles très cintrées... J'ai ensuite regardé des
extraits d'autres mises en scène qui rendent flagrante l'importance
de la lecture de la mise en scène, aussi subjective que nos lectures
respectives d'un même livre
: Yolaine en Bretagne a vu une
mise en scène où le Docteur Rank tripote Nora - c'est sûr
que ça change la donne
Et enfin, j'ai lu la pièce de Jelinek, Ce
qui arriva après le départ de Nora où, dans
les années 20, elle est ouvrière en usine et où aux
rapports de pouvoir hommes/femmes s'ajoutent ceux patrons/employés.
Je suis d'accord avec Brigitte sur l'aspect intemporel et l'actualité
du thème du féminisme. Et aussi avec Etienne sur le fait
qu'il s'agit de davantage : devenir soi-même. Je comprends
que Nora ait eu un retentissement au-delà de la pièce (voir
ci-dessous son rôle symbolique dans le mouvement des femmes,
et dès le début du XXe siècle en Asie). J'ai été
encore plus épatée de découvrir que cette pièce
figure au registre international "Mémoire
du monde de l'UNESCO" - je ne savais pas du tout ce que c'était.
Bref, j'ouvre aux ¾ pour le livre et grand ouvert pour l'expérience
très riche partagée livre-théâtre-film. À
refaire pour un autre auteur !
Geneviève
Oui, c'était une expérience très intéressante
d'avoir eu les trois versions : livre, théâtre, film. Je
n'avais pas lu la pièce avant d'aller au théâtre,
mais je l'ai lue avant le film. J'ai découvert, comme l'a dit Catherine,
que le choix de mise en scène avait été de resserrer
la pièce en supprimant des personnages importants (le docteur,
les enfants, la nounou).
J'ai été conquise par le film, entre autres pour des raisons
un peu infantiles : les traîneaux, la neige... Le confort de
vie et le détachement des réalités matérielles
transparaissent bien dans le film, le côté jouets, marionnettes,
que sont aussi les enfants.
J'ai eu le sentiment que Nora était fière d'avoir fait une
fausse signature - sa manière à elle d'exister, de se comporter
comme une adulte et de sauver sa famille. Pourtant, elle s'effondre lorsque
Krogstad lui dit qu'elle peut être condamnée : la confrontation
au réel constitue un point de bascule dans le récit, un
pas vers la révolte. Elle qui pensait au suicide pour se sacrifier
lorsqu'elle imaginait que son mari prendra toute la faute sur lui, change
de perspective lorsqu'elle comprend qu'il ne se préoccupe que de
son propre sort. La question de la dépendance financière
de la femme est tout le temps présente dans la pièce, de
manière très explicite, notamment dans la bouche de l'amie
de Nora, que le veuvage a confrontée à la réalité.
J'ai adoré l'article
sur le rôle de Seyrig et Fonda - qui se rebiffent et veulent réécrire
le scénario ; j'ai aussi été intéressée
par le fait qu'elles ont suscité notamment l'agressivité
du réalisateur mais aussi de l'équipe technique, scandalisée
de cette initiative féminine...
J'ouvre le livre complètement, pour sa modernité mais aussi
pour la triple expérience de la pièce, du texte, et du film.
Renée(à
l'écran)
Formidable pièce de théâtre qui a pris peu de rides
depuis 150 ans.
Je l'avais vue très jeune, je n'ai jamais oublié la leçon
d'Ibsen : il faut trouver et suivre son propre chemin. Dans le même
sens je ne sais plus qui a écrit : "deviens qui tu es".
Pendant le premier acte, on ne parle que d'argent : on comprend plus tard
pourquoi Nora est heureuse par la promesse d'en avoir. Rapprochement avec
notre époque où, également, on parle énormément
d'argent.
Pendant le deuxième acte, Nora attendait deux miracles, d'abord
que sa dette s'efface d'un seul coup, puis d'être soutenue par son
mari, qu'il la comprenne et assume sa faute avec elle. On sent l'inquiétude
remplacer la joie.
Le troisième acte est formidable : c'est un véritable tsunami
dans la tête de Nora, sa prise de conscience est radicale. Lorsque
Helmer au lieu de la soutenir, ne parle que de honte, celle qui va rejaillir
sur lui et sur elle, elle passe par une période de sidération
("regard vague", air absent), qui ne dure pas :
la rupture est inévitable
À ses arguments, Helmer réplique par des "je, je,
je... moi moi moi". Il est méprisant sans en être
conscient : lorsqu'elle lui demande une conversation "sérieuse",
il répond "est-ce que c'aurait été une occupation
pour toi ?", "voici maintenant le temps de l'éducation".
Je ne pense pas qu'elle se suicide comme Hedda Gabler après l'explosion
de sa famille. Chez Ibsen, il y a souvent une destruction : Hedda
Gabler brûle le manuscrit de son ami, puis elle se suicide. Nora
détruit complètement sa vie confortable, mais c'est pour
se reconstruire au contraire. Elle a un courage extraordinaire. Nora est
très sympathique, au contraire d'Hedda qui est froide et hautaine.
Bien sûr, la relation homme-femme a évolué depuis,
mais il reste des séquelles, tout n'est pas gagné encore,
nous sommes à la merci de petits retours en arrière. Je
me souviens qu'il y a 15 ou 20 ans avaient paru un peu partout des articles
et des livres laissant clairement entendre que les enfants auraient moins
de problèmes si les mères restaient à la maison ;
je me souviens d'avoir poussé un cri d'alarme au cours d'une réunion
de mon groupe de lecture : "attention à nos filles !"
J'ai adoré relire cette pièce et l'écouter
en vidéo mise en scène par Stéphane Braunschveig
au Théâtre
de la Colline en 2009. Le texte est très fidèle à
l'original. J'avais vu Hedda Gabler aux
Ateliers Berthier avec Isabelle Huppert en 2005.
J'ouvre en grand car pour moi c'est un incontournable de la littérature
européenne.
Annick
A
J'ai vu deux fois la pièce d'Ibsen il y a plusieurs années
notamment au Théâtre
de la Colline
en 2009 dont j'avais beaucoup aimé la mise en scène et le
jeu des acteurs, tout particulièrement celui de Nora.
Concernant le texte même, je le trouve remarquable par sa position
féministe audacieuse à cette époque, par son questionnement
sur la place des femmes dans la société et la réflexion
sur le devoir envers soi-même. C'est une construction resserrée,
avec une montée en puissance de la tension dramatique, à
travers laquelle le caractère des personnages se révèle
peu à peu. Nora est un beau personnage en évolution. Je
ne suis pas d'accord avec le constat d'invraisemblance de son retournement,
considéré comme trop soudain. Car bien des indices dans
la pièce nous préparent à sa décision finale.
Bien sûr, l'emprunt qu'elle fait seule pour sauver son mari, mais
aussi la scène où elle s'apprête à demander
au docteur Rank la somme nécessaire pour mettre fin à sa
dette. Rank lui révélant qu'il l'aime, elle renonce à
lui demander l'argent pour ne pas lui en être redevable. Cela souligne
la noblesse de son caractère soi-disant frivole et son souhait
d'indépendance. Elle joue la poupée pour répondre
à ce que son mari attend d'elle, parce qu'elle l'aime et l'admire,
mais quand la lâcheté et l'égoïsme d'Helmer se
révèlent, son emprise amoureuse tombe et lui permet de se
positionner vis-à-vis d'elle-même.
J'ai vu le film, mais j'ai de beaucoup préféré la
pièce. J'ouvre en entier.
Laura
J'ai fait l'erreur de ne pas lire la pièce avant d'aller au théâtre.
Lorsque je l'ai lue, je n'avais plus d'imaginaire, sauf pour le docteur,
supprimé dans la mise en scène. Donc j'ai eu cette étrange
impression d'avoir vu la pièce deux fois (c'est une fois de trop
pour moi, je l'avoue), je revoyais surtout l'acteur qui jouait le mari,
et c'était plutôt épuisant. C'est à ce moment-là
que je me suis dit que oui, son jeu était peut-être un peu
exagéré. De fait, dans ma lecture, je n'ai apprécié
que le docteur, pour lequel j'ai pu former le caractère qui me
convenait, en quelque sorte. Je l'ai trouvé bien plus doux, gentil
et attentionné. Même s'il tente toujours certaines avances
envers Nora, je ne trouve pas cela déplacé pour autant :
Nora en est pleinement consciente, et n'a pas l'air de s'en plaindre.
À mes yeux, le personnage du médecin est le seul qui soit
capable d'éprouver sincèrement de l'amour et de se résigner
face au fait qu'il ne pourra jamais approcher Nora de plus près,
mais jamais cesser de l'aimer non plus. C'est un amour qui me semble bien
plus vrai que celui que peut éprouver Mme Linde : elle, j'ai
surtout eu la sensation qu'elle cherchait seulement à se rendre
utile, que ce soit pour l'avocat et sa famille, ou pour quelqu'un d'autre.
Et, ce qui m'a le plus touchée concernant le docteur, c'est le
fait que tout un chacun semble absolument et parfaitement indifférent
à sa mort. En réalité, le docteur porte son propre
deuil : il est remplacé par Mme Linde dans la famille, et rédige
lui-même son faire-part de décès.
Quant à la misogynie, je l'ai trouvée trop surjouée
au théâtre. J'ai ressenti le même effet à la
lecture. Les petits noms donnés m'ont paru excessifs, et le tout
bien trop voyant : j'ai trouvé que le trait était grossi,
au risque de tomber dans un scénario grossier. De plus, le revirement
de Nora ne m'a pas semblé naturel, elle qui pouvait simplement
évoquer l'idée de suicide. Puis, je me demande comment elle
a pu prendre véritablement conscience de sa situation par elle-même,
alors qu'elle a toujours grandi et vécu dans un milieu semblable,
empreint de paternalisme et de misogynie. D'accord, les lois sont injustes
à ses yeux et devraient être réécrites. Mais
cela ne fait pas tout : opter pour la résignation m'aurait semblé
plus vraisemblable ; Nora n'est pas une militante bien qu'elle soit tenace
(travailler pour rembourser la dette).
J'ouvre à moitié, mais mon avis est biaisé du fait
d'avoir vu la pièce. Je la relirai dans quelques années.
Jacqueline
Je ne connaissais pas Ibsen, même si j'avais déjà
entendu faire référence à Nora et j'étais
très contente de le découvrir au théâtre.
Le départ en vaudeville, met d'autant plus en valeur le retournement
final. Je ne l'ai pas trouvé invraisemblable parce qu'il est préparé
par quantité de fines touches dont on ne comprend l'importance
qu'après....
J'ai vu le film sans avoir encore lu le texte et découvert alors
le rôle du docteur qui m'a beaucoup touchée (j'ai pensé
à cette scène poignante de La Recherche où
Swann proche de la mort croise les Guermantes indifférents). Ce
rôle m'a paru important dans la pièce, comme témoin
constant de l'histoire du couple, mais aussi par la touche d'humanité
qu'il y apporte. J'ai regretté le parti pris de le retirer dans
la mise en scène que nous avons vue. J'ai regretté, par
contre, aussi que le film de Losey débute par l'exposition inutile
de faits antérieurs...
J'ai enfin lu le texte d'Ibsen avec d'autant plus de plaisir que pièce
puis film, avec leurs facettes diverses, m'en avaient fait découvrir
les richesses (le film m'a paru très fidèle dans les dialogues).
J'ouvre en grand.
La maison de poupée
en BD Elfriede Jelinek a écrit en 1977 une pièce intitulée Ce qui arriva quand Nora quitta son mari : l'intrigue se situe dans les années 1920, Nora est ouvrière dans l'industrie, doublement entravée et manipulée, par les hommes et par sa condition sociale. |
La publication de la pièce Les traducteurs en français |
- La pièce est jouée l'année
de la publication à Copenhague et en Suède ;
violentes querelles. La scène finale a un effet de scandale
: |
Ibsen, l'auteur de La
maison de poupée Nora a-t-elle existé
? |
- Qu'en dit d'abord Ibsen ? Au moment de
la composition dUne maison de poupée, il rédige
en 1878, Notes pour une tragédie contemporaine
dont voici des extraits : - En 1911 au Japon, a lieu la première représentation de la pièce et en 1912 Seito, revue de littérature féminine, consacre un numéro spécial à Nora pour revendiquer des rapports plus égalitaires avec les hommes, contre le système patriarcal. Les Japonaises eurent du mal à se faire entendre, essuyant critiques et moqueries de la presse, notamment dans la rubrique intitulée "Femmes plaisantes et déplaisantes révélées par la littérature", le néologisme de prétendues Nora désignant de façon sarcastique les "femmes nouvelles" (voir l'article de Yoko Niimura, "Nora, Seito, Xin Qingnián", Ebisu, n° 48, 2012). - En 1915 en Chine (voir le
site de Brigitte Duzan à ce sujet d'où sont tirées
les informations suivantes), la revue Xin Qingnián
("La jeunesse") considère Nora comme le symbole
de lémancipation vis-à-vis du mariage traditionnel,
avec des introductions à la pensée de féministes
occidentales et des traductions décrivaines étrangères.
Cest ce journal qui lance une polémique en publiant
en 1918 une traduction en chinois de la pièce Une maison
de poupée. Le personnage de Nora bravant les conventions
pour abandonner mari et enfants devient instantanément le
sujet de toutes les discussions et lemblème de lémancipation
de la femme. - En 1949, dans son livre fondateur, Simone
de Beauvoir évoque l'héroïne d'Ibsen qui
a accepté "bon gré mal gré" pendant
huit ans que "l'homme pense à sa place",
mais qui "comprend" que le mariage doit être
"la mise en commun de deux existences autonomes, non une retraite,
une annexion, une fuite, un remède". Elle ajoute : "C'est
ce que comprend Nora quand elle décide qu'avant de pouvoir
être une épouse et une mère, il lui faut devenir
d'abord une personne" (Simone de Beauvoir, Le Deuxième
sexe) - En 1969, on retrouve cette référence dans l'ouvrage théorique du Women's Liberation Movement, Sexual Politics de Kate Millett, qui écrit en particulier : "La Nora Helmer d'Ibsen est la véritable instigatrice de la révolution sexuelle [ ] Maison de poupée et Salomé [d'Oscar Wilde] sont des drames de l'affrontement [ ] Nora devait affronter tous les conformismes et les préjugés chevaleresques masculins, qui la réduisaient à la dimension d'un jouet d'enfant, dans l'espoir qu'elle resterait éternellement ce petit être, cet animal familier de la maison [ ] Lorsque Wilde eut échoué en 1895, il restait à Nora et à sa bande de révolutionnaires quelques bonnes années d'insurrection devant elles (Kate Millet, La politique du mâle, trad. Elisabeth Gille, Stock, 1971) |
La pièce est inscrite au registre international "Mémoire du monde de l'UNESCO" (voir la liste ici) en France, on a la Déclaration des droits de l'homme, la tapisserie de Bayeux, etc. |
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
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