Mohamed Mbougar Sarr entrant chez Drouant à Paris pour recevoir son prix Goncourt le 3 novembre 2021


La plus secrète des mémoires
, co-édition Philippe Rey/Jimsaan, 2021, 448 p.

Quatrième de couverture : En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de "imbaud nègre", depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?
Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…
D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

Prix 2021 : Prix Goncourt, Prix Transfuge du meilleur roman de langue française, Prix Hennessy du livre, Prix FETKANN ! Maryse Condé (mention spéciale du jury)

Mohamed Mbougar Sarr (né en 1990)
La plus secrète mémoire des hommes
Nous avons lu ce livre pour le 7 janvier 2022. Le groupe breton l'a lu pour le 3 mars. Le groupe de Tenerife l'avait lu pour le 30 novembre 2021.
"Un vrai écrivain suscite
des débats mortels chez les vrais lecteurs.
"
(p. 17)
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Nathalie(avis transmis)
Il est des soirs où le besoin de venir partager nos avis ne me manque pas, soit parce que j'ai adoré, soit parce que cela m'est tombé des mains. Il en est d'autres, où la seule idée de savoir ce qui va se passer me réjouit d'avance et donc, je suis bien navrée de ne pas être parmi vous ce soir (!) car une petite voix me chuchote que la réception du roman ne va pas faire l'unanimité.
Pour ma part, alors que je venais de lire les 60 premières pages, je me suis mise à l'offrir à tous ceux que j'aimais (et si j'ai bien compris, je n'ai pas dû être la seule car certaines de mes amies en ont eu deux sous le sapin !). J'étais complètement enthousiaste et je n'arrêtais pas de rire dans ma barbe. Mais une fois que j'ai eu fini le roman, je me suis dit que j'avais peut-être fait des cadeaux empoisonnés !
Oui, les premières pages sont géniales parce que drôles et caustiques : j'ai vraiment aimé ce point de vue critique à la fois sur les procédés d'écriture et sur le statut d'écrivain en général, mais aussi plus fin sur celui des écrivains francophones de la diaspora africaine. Je trouvais qu'ils en prenaient pour "leur grade" et comme cela venait d'un des leurs, c'était encore plus drôle. "Un vrai écrivain suscite des débats mortels chez les vrais lecteurs" : rien que ça, ça annonçait la couleur. Et de poursuivre ainsi avec les réactions enthousiasmantes des "pseudo-lecteurs" tellement drôles à la publication de Anatomie du vide (mais que contredit totalement l'absence d'achat qui s'ensuit !). J'ai trouvé ça culotté et plutôt original. Le fait aussi qu'on puisse essayer de mettre un nom derrière les écrivains de la diaspora m'a beaucoup amusée. Bref, j'étais partante ! Je trouve aussi qu'il y a des passages de grâce dans ce roman, vraiment, des passages magnifiques comme par exemple celui du passage sur le serment d'amour que se donnent les corps "deux corps se parlent, s'entendent, se reconnaissent, puis sans le vouloir, sans même s'en rendre compte, ils se jurent fidélité en silence" (p. 82), des phrases bien tournées, des scènes "choc" qui s'incrustent dans le cerveau (le passage du puits) ou des idées originales comme celle du secret de la conception de l'enfant la nuit avec la fausse prostituée.
Mais malgré cela, peu à peu, bien que relativement entraînée par le récit des aventures épiques, littéraires, mystiques et sexuelles des personnages, j'ai commencé à couler et j'ai décroché vraiment aux trois quarts du roman pour plusieurs raisons : je ne savais plus qui parlait, où, à qui, et de quoi, je trouvais que sur la longueur le portrait d'Elimane sonnait faux. En effet, la technique des portraits contradictoires - sorte de boule à facettes de la personnalité de chacun - devenait parfois absurde, et surtout il me fallait faire un effort surhumain pour comprendre le récit. De même, l'artifice du livre dont on parle toujours mais dont on n'a jamais le contenu m'a très vite lassée, etc.
Ce sont donc plutôt les personnages féminins qui ont eu grâce à mes yeux, parce que ce sont des femmes fortes, des femmes puissantes comme on le dit en ce moment. Les hommes m'ont semblé mous, peu intéressants, stéréotypés et machistes.
J'ai trouvé aussi que le "conte" à l'africaine était peu convaincant, d'autant plus que l'écrivain place certains de ses personnages dans un monde plutôt rural et très traditionnel, mais les fait parler comme s'ils maîtrisaient l'art de la rhétorique. Les lieux restent abstraits, on a l'impression qu'il prend un peu de tout et qu'il mélange. Je l'ai encore plus ressenti justement avec l'épisode du génocide que vit la famille de Musimbwa.
Je ne sais pas qui est Mohamed Sarr, je n'ai rien lu, rien entendu, je ne sais pas quel âge il a. Il me semble aussi que c'est la deuxième fois que nous lisons un roman dans lequel l'auteur évoque les "concours littéraires" et qui obtient de fait, un prix littéraire (vous m'aiderez sûrement à retrouver le titre que j'ai perdu). De fait, je me demande si ce prix ne vient pas corroborer l'entre-soi des écrivains et surtout ce qui est condamné dans le roman : le blanchissage ou "la blanchification" (sic) de l'écriture africaine francophone.
Bref, vous aurez compris, c'est une grosse déception et je n'ouvre qu'un quart. Je passe la plume à mon amie Valérie.
Valérie (avis transmis)
Je n'achète jamais le Goncourt "adulte", je lui préfère celui décerné par les lycéens sans compromis aucun. Mais cette année mon amie nantaise, Nathalie, me l'a offert, et même sans cela sans doute l'aurais-je acheté ou emprunté pour le lire. Ce n'est pas une situation habituelle que ce prix récompense un auteur africain, d'Afrique Noire.
J'attaque donc la lecture de La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, j'en suis à la moitié et je n'ai pas encore tranché : j'aime, je n'aime pas ?
Le style est généralement ampoulé avec des ruptures stylistiques comme "baiser", "gnon", "truc" perdus au milieu d'une phrase élégante. Leur emploi ne se justifie même pas par le fait qu'ils pourraient se trouver dans un dialogue, dans la bouche d'un des personnages, ils sont totalement intégrés à la narration. J'ai souvent recours au dictionnaire, je n'aime pas rester sur des carences lexicales, j'apprécie d'enrichir mon vocabulaire. L'emphase est présente certes et parfois pesante mais soyons honnête, à côté de cet aspect il faut reconnaître des passages d'une réelle beauté tant dans le sublime que dans l'horreur. Ainsi le portrait du père d'Elimane : "Il m'a imposé son odeur de son vivant ; il me l'inflige encore depuis sa tombe. Fétide haleine. Crachats visqueux. Incontinence urinaire. Sécrétions anales. Hygiène sommaire. Inévitable pourrissement de l'ensemble. Mon père était une vieille charogne irregardable." (p. 125). Une autre pépite parmi tant d'autres, à la page 151 où le portait de Mossane nous est livré : "Sa beauté avait éclaté comme une sédition de soleil après une dictature millénaire de nuit. Elle était femme, pleinement femme déjà, quand nous lambinions au bout de l'adolescence."
Je trouve également le récit inégal, touffu qui perd la lectrice que je suis. De nombreux personnages, plusieurs plans temporels, un découpage qui n'a pas emporté mon adhésion. Certains choix narratifs me rappellent les romans africains traditionnels de la "première période", dits sociologiques. En effet les pages sur l'enfance d'Elimane, la vie au village s'inscrivent dans cette veine. L'évocation de la relation colonisé-colonisateur et le rôle de l'école des Blancs est un motif récurrent dans la littérature africaine des Indépendances. Puis on suit le héros étudiant à Paris, sa passion pour l'écriture, son amitié avec Thérèse et Charles qui deviendront ses éditeurs.
Je m'interroge sur la sincérité artistique de ce jeune auteur. Son récit est une mise en abyme et se moque et critique les écrivains qui courent après les prix. Son narrateur affirme être libéré du jugement d'autrui, de toute angoisse, s'il n'est pas compris ce n'est pas grave puisqu'il ne le souhaite plus. Provocation ? Désir de créer un retentissement médiatique autour de son livre ? Je n'arrive pas à me décider.
Certains procédés me semblent artificiels comme celui qui consiste à écrire toute la confession de Mossane sans ponctuation afin de traduire la folie de la jeune femme sans doute... L'intelligence du lecteur est méprisée me semble-t-il alors que le narrateur affirme : "Le lecteur, qui est toujours perspicace (…). Le lecteur sait aussi comment - et où - Ellenstein finit." (p. 260)
Autre incongruité voire anachronisme, le trio amoureux formé par les trois amis : Elimane, Thérèse et Charles. Un jeune étudiant africain de cette époque participant à des parties fines j'ai peine à y croire. Cela ne correspond pas au personnage, à sa quête de pureté et à son intégrité morale. Dissonance. Même si Elimane est lui-même la résultante d'un trio, celui de Mossane, Assane et Ousseynou.
Malgré tout, les points forts existent et j'ai eu envie d'en savoir plus sur les personnages et les événements, une forme d'avidité qui m'a poussée au bout du livre. Rien que cela c'est un succès ! Les passages de nature philosophique ou les propos sur le rôle de la littérature sont intéressants, même si souvent convenus : "Est-ce que les choses ont changé aujourd'hui ? Est-ce qu'on parle de littérature, de valeur esthétique, ou est-ce qu'on parle des gens, de leur bronzage, de leur voix, de leur âge, de leurs cheveux, de leur chien, des poils de leur chatte, de la décoration de leur maison, de la couleur de leur veste. Est-ce qu'on parle de l'écriture ou de l'identité, du style ou des écrans médiatiques qui dispensent d'en avoir un, de la création littéraire ou du sensationnalisme de la personnalité ?" (p. 307) J'ai beaucoup aimé également l'atmosphère onirique et mortifère autour de la mort de Denise, le registre fantastique surgit sans que le lecteur y soit préparé et installe un malaise et une peur irraisonnée.
Mon opinion initiale se confirme à la fin du roman, c'est un livre touffu je le répète, où il est parfois difficile de voir une unité. Est-ce ce côté polymorphe qui a séduit le jury ? Je n'en sais rien, mais sa construction en rend même la rédaction du compte rendu complexe : j'ai l'impression que mon texte part dans tous les sens. Assurément la maîtrise de la langue française qui pourrait faire pâlir d'envie plus d'un auteur a été reconnue à l'unanimité, c'est indéniable.
Je ne peux m'empêcher de constater qu'encore une fois l'art n'échappe pas à la politique et qu'il est de bon aloi en 2021 de sacraliser un écrivain d'Afrique Noire. Mohamed Mbougar Sarr le sait qui fait dire à l'un de ses personnages : "Que pesait la question de (…) La littérature devant la politique ?" (p. 353)
Séverine(avis transmis)
Ce roman ne m'attirait aucunement et s'il ne s'était agi du groupe, je ne l'aurais pas ouvert. Et grand bien m'en aurait pris ! Je suis tout de même parvenue jusqu'à la page 321. J'avais en fin d'année l'ambition folle d'outrepasser mon ennui et de le finir… et puis 2022 est arrivée avec son lot de résolutions dont celle de ne plus m'infliger des lectures qui ne me plaisent pas et me font perdre mon temps. Je sais, c'est radical… Ce roman avait un mauvais point dès le début : il parle de littérature… je n'aime pas du tout ça ou alors rarement… Toutefois, je me suis laissé prendre un temps par cette enquête… mais c'est tout de même longuet… et quand j'ai laissé, c'était pour découvrir une sombre histoire de vengeance de l'écrivain disparu dégommant les critiques malveillants… bref… Probablement que ce roman aurait eu meilleur écho chez moi si l'histoire avait été plus ramassée, plus enlevée… je rate peut-être quelque chose à ne pas finir : verra-t-on T.C. Elimane ? Mais tant pis… En tout cas, j'ai trouvé que c'était un Goncourt assez ironique : on a l'impression d'une véritable mise en abyme. Le gratin germanopratin qui l'a choisi est évoqué dans le livre (p. 72). Faut croire que ça a dû leur plaire de répondre au message du roman : adouber un auteur africain. Et une chose que je lui accorde, il est assez lucide sur le fait du succès assuré des livres très "genrés", politiquement corrects (je ne sais pas quel terme employer… il en parle mais je n'ai pas noté la page) qui mettent en avant les minorités sexuelles, les femmes, les immigrés, etc. (d'ailleurs article assez intéressant récemment dans Télérama sur la déferlante de la littérature féministe qui pourrait s'avérer anti-productive pour la cause), bref des sujets "bankables" dans l'ère du temps… je sais, je suis méchante… il y a probablement un véritable talent littéraire mais il ne m'a pas charmée… à voir si ce Goncourt-là aura le succès de l'édition 2020 (que je n'ai d'ailleurs pas lu) qui apparemment truste encore les meilleures ventes plus d'un an après ! Sur ce, je ferme donc ce roman.
Hâte de voir vos commentaires et ce qui aura séduit ceux qui ouvriront un peu, beaucoup, passionnément.
Fanny(avis transmis)
J'en suis aux trois quarts de ma lecture avec une impression contrastée qui me suit depuis le début.
J'oscille entre trouver que le récit sonne juste au niveau de ce que l'auteur dit de l'humanité et l'impression qu'il s'agit parfois d'une juxtaposition de poncifs. C'est au minimum le signe que je me laisse embarquer par le récit.
Je trouve que ce livre est également un exercice de style car il passe d'un registre à l'autre (témoignages, récit, journal) et en changeant de cadre et de narrateur dans le récit. Il y a un côté mystique, sorcier. Sur ce point aussi, j'oscille entre forme de fascination portée par le plaisir de la lecture et l'idée que c'est peut-être un peu surfait.
Sur le style, je trouve agaçant les moments où l'auteur utilise des termes un peu pompeux (je suis toujours sur une lecture sur mon téléphone et je n'arrive pas à retrouver les passages pour vous les citer), c'est très présent sur le début du roman je trouve. Je trouve le style plus fluide et agréable lorsqu'il reste sur un vocabulaire plus simple.
Pour le moment j'ouvre à moitié, mais je vous dirai dans quelques jours si mon avis évolue avec la fin du récit.
Katell(avis transmis)
C'est un vrai bon livre de littérature, un bon Goncourt (pas tout à fait au niveau de Nicolas Mathieu à mon sens, mais bien quand même).
Cependant, je vais plagier l'épilogue : "Il débute somptueusement, je suis persuadée de lire un chef d'œuvre véritable. Mais après quelques centaines de pages, surtout au milieu, tout change : le livre s'égare et s'éparpille dans des voies peu compréhensibles." Les passages assez embrouillés entre Siga D et/ou la poétesse haïtienne, j'avoue parfois n'avoir pas très bien compris qui parlait, ce que ça apportait, le passage sur les "suicides" des différents critiques (là, après cet effet d'annonce, c'est un cul-de sac), les pages en Amérique du Sud... Il n'empêche, le début est magistral (un vrai roman d'apprentissage), c'est très bien écrit, et tout se qui se passe en Afrique, autour d'Elimane "Madag" est captivant, du père, des co-épouses. Finalement, le livre aurait gagné a être resserré autour de la quête d'Elimane. On peut cependant saluer la naissance d'un grand écrivain.
J'ouvre aux trois quarts.
Jacqueline(avis transmis)
Malgré mon intérêt pour tout ce qui est littérature africaine, (surtout de langue française), j'ai eu un peu de mal à rentrer dans ce roman dont le style m'a paru au début un peu lourd. Je n'ai guère été sensible à la peinture/caricature du milieu littéraire "africain à l'étranger" même si, au fur et à mesure, je m'intéressais aux différents protagonistes, à leur quête et si j'ai apprécié que cela se termine par une ode au retour à une culture moins artificielle...
J'ouvre à moitié pour le grand mérite d'avoir rappelé l'histoire oubliée du Devoir de violence qui a été réédité, réclamé en bibliothèque où il avait disparu et qui m'a paru un objet littéraire beaucoup plus intéressant, qui joue avec beaucoup d'ironie sur l'interculturel sans que je puisse dire à qui je le recommanderais...

Toujours notre triple formule inaugurée en septembre 2021 : après avoir lu les réactions transmises, notre tour de table alterne entre les physiquement présents et les simultanément à l'écran...
Claire
J'étais prévenue : c'est un livre difficile, si tu as du mal au début, persévère. J'étais dans les dispositions suivantes communes avec Séverine : s'il faut en baver, j'arrête, je ne me force pas, surtout avec mon petit qi lecture. Eh bien... miracle de Noël, j'ai lu le livre sans difficulté. Et un très grand plaisir. Bon, on change de narrateur, de lieu et de temps, mais c'est très AMUSANT ! Un peu comme dans un manège qui donne des émotions. J'ai aimé le mécano, parfois d'une phrase à l'autre, dans une phrase même, par exemple :

"Tu t'es trompée, crus-je entendre le père gémir, du canapé, même si Siga continuait à parler."
Tu t'es trompée
: le père mourant parle en 1980 à sa fille Siga au Sénégal.
Crus-je
: c'est Diégane qui se trouve sur un canapé à Amsterdam en 1998 et écoute Siga qui rapporte ce que dit son père...

Et l'effet sur le lecteur n'est pas le même qu'avec un récit classique, on est capté par l'enchâssement.
J'ai aimé la VARIÉTÉ : des tons, de l'écriture, des personnages, des lieux, des temps, des types d'événements (littéraires, historiques, érotiques, mystiques...).
J'ai été portée par les PÉRIPÉTIES de toutes sortes, le souffle pour nous faire faire des découvertes renouvelées : ce fut un vrai PLAISIR NARRATIF.
J'ai apprécié certains ressorts : par exemple le rejet de l'instruction de l'école des Blancs, la franche haine d'une fille pour son père, jusque sur son lit de mort : "si je ne hais plus mon père, que restera-t-il de lui en moi ?", les relations sexuelles libres, affranchies, y compris une relation à trois et un libertinage cool. Les réflexions sur la littérature et notamment la question : un écrivain noir peut-il échapper à la couleur de sa peau ?" m'ont intéressée.
J'ai été surprise par des événements, mais aussi par des mots : des phrases péléennes, un fauve au ressui, à larges andains, gamahucher gourmandement, les transports de l'épectase, le lévirat, un daron, un shibboleth, des pouvoirs sotériologiques...
Notre auteur prévient les objections : "un poète qui use d'archaïsmes par afféterie se repère vite : c'est comme les femmes au lit, on voit tout de suite quand elles simulent". Pour ma part, ce fut du plaisir. Par contre, le terme de "biographème" pour les titres, je n'ai pas trop compris l'intérêt de cette dénomination affétériste et sans parler de quelques subjonctifs mal foutus comme tout ("il proposa qu'on dinât"). Je suis dans les réserves. Le plus emmerdant, c'est la question de la vraisemblance qui s'est posée pour moi à plusieurs reprises : par exemple, le père de Siga agonise et sur son lit de mort lui fait un récit de 60 pages d'une grande éloquence - ça me gêne ! Le genre du journal par lequel ouvre le livre ne m'a pas non plus semblé parfaitement fonctionner.
L'humour est très sympa, dans une scène érotique : "je lui arrachai des soupirs ou, plus justement, des proto-soupirs", le Christ qui descend de la croix pour voir ça, ou le discours intérieur d'un étage à l'autre dans un ascenseur. Et ce qui exaspère Séverine, la critique étant bien moquée dans le livre :

Et Y est bisexuel athée le jeudi et mahométan cisgenre le vendredi : son récit est magnifique et émouvant et si vrai !
Z. a tué sa mère en la violant, et lorsque son père vient la voir en prison, elle le branle sous la table du parloir : son livre est un coup de poing dans la gueule.

Il y a des morceaux de bravoure littéraire : certains sont très réussis, d'autres plus poussifs (la comparaison filée femme/ville). Des comparaisons claquent (les chairs qui s'entrechoquent "en faisant le bruit de deux babouches qu'on frappe l'une contre l'autre"), d'autres effets sont blablateux.
Je retiens les rebondissements et les encastrements qui ne sont pas des effets de virtuosité, mais sont au service de l'avancée du roman et du plaisir du lecteur. À l'avant-dernier chapitre, apparaît une dernière narratrice à la première personne (après tous les autres, un ultime je) et au dernier chapitre un dernier tournemain : la narration est à la deuxième personne (tu). Non, pas de lassitude, jusqu'au bout.
Mes réserves sont réelles ; mais réduites par rapport à l'admiration pour le livre, sa richesse, et au plaisir de cette découverte. Je ne lésine pas, j'ouvre en grand.
Danièle    (à l'écran)
Dès le début j'ai été conquise par le style magnifique, poético-philosophique, et la profondeur des réflexions sur la littérature et la vie en général. L'auteur a en outre le sens de la formule. Il pose des questions fondamentales pour les écrivains africains : Faut-il continuer à se nourrir seulement de la littérature occidentale ? [Elimane et Assane ont eu] "le même rêve : devenir des savants dans la culture qui a dominé et brutalisé la leur". Ou faut-il fonder sa propre histoire littéraire, qui passe par un retour aux sources ? Peut-on dépasser ce face à face ?
Mais au-delà de ce questionnement, c'est le rapport universel à l'écriture et à la littérature qui hante l'auteur. P. 55, il essaie une magnifique recherche de définition de la littérature par ce qu'elle n'est pas : "avoir une belle plume ne suffit pas [...] posséder une vaste culture ne suffit pas [...] l'intelligence ne suffit pas [...] écrire exige autre chose, dans cette nuit sans certitude d'aube". Cela donne l'idée de son impalpabilité et de sa richesse infinie, un appel vers toujours autre chose sans savoir encore quoi. Pas de recette, pas de modèle, mais des appropriations oui, comme Elimane, le poète insaisissable, les a voulues dans son livre Le labyrinthe de l'humain. Peut-on écrire le livre idéal ? Réponse désespérée p. 119 : "Tout livre visant à l'absolu s'élit à l'échec. [...] Désir d'absolu, certitude du néant : voilà l'équation de la création".
Le fil conducteur du roman est mené par le narrateur principal, Diégane Latyr Faye. Il rêve (et l'auteur avec lui) d'être un grand écrivain reconnu à sa juste valeur : la difficulté est à la hauteur de ses ambitions. En tout cas, l'auteur nous plonge ainsi dans une mise en abyme risquée pour lui, qui pourrait se trouver taxé d'outrecuidance, mais concrétisée par le prix Goncourt, qu'il a finalement obtenu pour ce livre-même ! Bravo !
Au-delà de la littérature, l'auteur nous fait part tout simplement de son questionnement sur la vie. J'ai aimé le thème obsédant du silence, de l'absence de réponse : p. 135 "Chaque homme sur terre doit découvrir sa question […] pour faire face au silence d'une pure et intraitable question […] qui ne posséderait aucune réponse. Une question dont le seul but serait de rappeler à celui qui la pose la part d'énigme que sa vie porte. Chaque être doit chercher sa question. Pour toucher du doigt l'épais mystère au cœur de son destin : ce qui ne lui sera jamais expliqué, mais qui occupera pourtant dans sa vie une place fondamentale". Certains trouveront cela un peu pompeux, sans doute. Mais cela me parle.
Cela explique aussi la continuité du lien parents-enfants, qui va au-delà du dicible : "une part profonde de ce qu'avait été mon frère s'était déposée en Elimane comme un limon au fond d'un lac, le lac du sang. Elimane […] continuait l'histoire de son père […] : il n'enlèverait pas la part d'Assane en lui, une part qui n'est pas seulement physique mais mythologique - la part du néant dont chaque homme émerge." (p. 170)
Dans la thématique du silence s'inscrivent les relations au sein de la famille : c'est ainsi que les secrets divulgués dans les narrations font avancer le roman, cherchant à combler le vide à la façon d'une énigme à résoudre.
Le livre commence donc à devenir un roman, très agréable à lire, avec le testament d'Ousseynou Koumakh, p. 124.
Puis il se transforme en thriller avec la recherche du poète disparu, d'Elimane. C'est là que mon intérêt s'est émoussé, malgré mon envie de savoir la fin. J'ai trouvé cette recherche d'Elimane un peu artificielle et parfois redondante.
De même, j'aime bien d'habitude, dans mes lectures, être bousculée par l'auteur (par exemple dans Confiteor, où le lecteur doit collaborer avec l'auteur pour comprendre ses raccourcis et ses pensées fulgurantes). Ici, je me suis souvent perdue, mais sans vraiment de plaisir, dans la complexité des parcours, le grand nombre de personnages importants, la chronologie bouleversée et le mélange de narrateurs dont on ne reconnaît l'identité que dans le courant du discours. Sans doute parce que je n'en comprenais pas toujours l'intérêt, sauf peut-être de justifier le titre de l'énigmatique œuvre Le labyrinthe de l'humain.
Il n'empêche que je trouve que ce roman est digne du Goncourt, ne serait-ce que par son style (j'ai souvent eu envie de prendre en note de magnifiques passages), mais aussi par les questions qu'il soulève, et qui vont à mon sens au-delà du thème de l'africanité. J'ouvre aux ¾.
Etienne
Ainsi donc le hasard a fait que je lise en même temps Les détectives sauvages et La plus secrète mémoire des hommes dont l'incipit, mais aussi le titre du dernier est tiré du premier.
Je récuse les termes de "roman-monde" ou "roman total" que je trouve complètement ridicule. Mbougar Sarr est assez ambitieux et il développe plusieurs thématiques assez intéressantes.
Pour commencer, la forme m'a déplu, beaucoup trop rythmée et romanesque à mon goût (et contrastant par là avec celle de Bolaño). Il y a aussi une certaine tendance à vouloir à tout prix "boucler" les arcs narratifs de chaque protagoniste, à résoudre tout, que tout soit parfaitement imbriqué. C'est un peu paradoxal quand on essaye de sceller du sceau du mystère son œuvre. À titre personnel, j'aurais préféré qu'on se perde complètement sur les traces de T.C. Elimane, que la tension persiste. Il en résulte un roman qui se lit (très) vite et cela n'est jamais très bon de mon point de vue, il en perd sa consistance.
Cela étant dit, j'ai trouvé assez courageux d'avoir l'ambition de traiter de thèmes comme par exemple l'acte de foi dans l'écriture. Avec toutes ces questions : peut-on écrire un seul livre ? Quel engagement nécessite la création d'une œuvre ? Quelles séquelles peut laisser un acte créateur ? L'œuvre vit-elle sa vie indépendamment de l'auteur ? T.C. Elimane accouche de son premier et unique livre et cela le dévaste complètement, ce dernier le détruit en quelque sorte. Diégane quant à lui a écrit un livre insipide et autocentré et est obsédé par l'œuvre de son aîné : afin de trouver une raison d'écrire de nouveau, il se détruit par l'œuvre dont il n'a pas encore accouché. Mais dans tout cela il y a une forme de beauté autonome dont l'auteur rend compte en interview. J'ai aimé la plongée dans ces tiraillements internes qui doivent être le lot de tout écrivain/écrivaine qui se respecte : la littérature comme métaphore de la vérité, polymorphe, temporelle, impalpable.
Le second grand thème est celui du déracinement et de la légitimité et des attentes que l'on a aux yeux de son pays d'accueil ou d'origine. C'est évidemment complètement aliénant, mais une possibilité d'apaisement est entrevue avec cette "troisième voie" de la littérature dans le cadre du narrateur.
Alors évidemment, ma lecture a souffert de la comparaison avec celle de son mentor et je ne peux pas dire qu'il s'agisse d'un coup de cœur pour toutes les raisons sus-citées ; mais je suis heureux d'avoir lu quelqu'un qui se revendique de Bolaño et qui a l'ambition de ne pas faire un énième texte sur la vie d'un Africain déraciné ou une autofiction médiocre. J'ai entendu qu'on l'avait taxé d'être trop ambitieux, cela ne me dérange pas, j'aurais préféré au contraire qu'il soit plus radical.
Je l'ouvre à moitié.
Monique L (à l'écran)
C'est un roman étourdissant, qui traite du choix entre l'écriture et la vie, entre Afrique et Occident. C'est surtout un chant d'amour à la littérature. Il est question d'un livre essentiel qui peut changer la vie de ses lecteurs et qui semble avoir été écrit pour chacun d'entre eux.
C'est un cheminement déroutant au milieu de témoignages, de récits et d'écrits. Le glissement d'un narrateur à l'autre, d'une époque à l'autre est déconcertant.
Très souvent, en commençant un chapitre, je me suis demandé qui parlait et ne trouvait la solution qu'après plusieurs pages.
Ce récit mélange croyances et réalité.
"Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant tout y est."
Il est très difficile de parler de ce livre tant il est riche par les sujets abordés : réflexions sur le passé, les jugements sur les écrivains noirs, leurs difficultés à être reconnus par le milieu littéraire français, le colonialisme, la shoah, une critique du monde de l'édition.
"Ne retombe plus jamais dans le piège de vouloir dire de quoi parle un livre dont tu sens qu'il est grand".
Ce livre intelligent m'a parfois semblé me manipuler, m'embrouiller. Certaines images ou figures de style m'ont paru exagérées.
Je trouve l'auteur parfois un peu trop suffisant par rapport aux éditeurs et auteurs non africains. On peut l'excuser mais… Livre ouvert aux ¾.
Renée
C'est pour moi un très beau roman sur l'écriture, la nécessité d'écrire pour certains. Le livre commence avec l'écrivain et son œuvre et se termine par ces mots : "l'alternative devant laquelle hésite le cœur de toute personne hantée par la littérature : écrire, ne pas écrire." La boucle est bouclée. Le début, tout ce qui concerne l'écriture, ses difficultés, est magnifique, éblouissant.
Mais l'histoire court sur une centaine d'années avec beaucoup de personnages, qui se racontent, qui racontent ce qu'un autre a raconté, dans un chaos d'époques, de territoires, dans laquelle on se perd un peu. Habituellement j'adore, mais là, il faut lire tout à la suite pour suivre. Je me suis un peu lassée.
L'écriture est épatante, la culture également : il défend une langue exigeante, la singularité littéraire, tant pis si c'est élitiste.
J'ai trouvé prémonitoire son analyse des succès littéraires, il cite quasiment ce qui lui est arrivé après le Goncourt : son statut d'auteur noir écrivant en français attire les médias.
Et moi-même, je ressens une certaine ambiguïté : est-ce que j'ouvre en entier parce que c'est un Noir méritant ou bien parce que c'est un grand livre ? Dilemme ridicule.
J'ouvre en entier parce que je salue un grand écrivain qui atteint l'universel.
Geneviève
J'en suis à la page 235.
Je me suis beaucoup reconnue dans ce qu'a dit Fanny, dans son ambivalence. Je n'ai aucun mal à le lire, je suis absorbée, c'est un plaisir ; mais prise dans un torrent, je bois parfois la tasse : trop c'est trop. Profusion d'adjectifs, d'hyperboles alors que j'aime les écritures sèches...
Mais il y a une énergie, un flot totalement convaincant.
Je ne peux pas m'empêcher de remarquer la répétition de certains thèmes autour de la femme notamment : ventre, chaleur, volcan… Des poncifs tels que la femme-araignée par exemple, c'est assez convenu. Mais c'est désamorcé par l'attitude réflexive, une forme d'ironie qui désamorce le côté fleuri, voire kitsch.
Le manque parfois de réalisme ne me gêne pourtant pas : oui, le père mourant parle pendant 60 pages, mais ce qu'il dit est si prenant qu'on joue le jeu. L'histoire des jumeaux relève de la mythologie, elle est fascinante.
Je pense que je vais lire le livre jusqu'au bout. Je ne suis pas perturbée par les changements de narrateur, emportée que je suis par le torrent.
C'est complètement original : une expérience de lecture qui en vaut la peine. J'ouvre aux ¾ en raison de mes petites réticences (excès, poncifs), mais il y a une énergie exceptionnelle et un univers.
Brigitte (à l'écran)
J'ai beaucoup apprécié ce livre. Je n'avais jamais entendu parler de ce jeune écrivain avant qu'il soit couronné par le Goncourt. J'admire sa culture, son intelligence, son écriture.
Le sujet du livre : qu'est-ce que la littérature ? On ne connaîtra jamais la réponse à cette question, mais bien toutes les façons de l'aborder, pour finalement en conclure que la littérature : c'est la vie.
Pour atteindre son but, il interroge les cultures africaines et occidentales, le thème de la colonisation et son impact sur ces deux cultures, mais aussi la critique littéraire, l'attitude du lecteur, etc. Tout cela avec beaucoup de maestria.
J'ai cependant quelques réserves.
Certains passages, mis en exergue, sont trop théoriques.
Dans son trajet à travers le XXe siècle, il aborde forcément la Seconde Guerre mondiale et la Shoah ; selon moi cet aspect est beaucoup moins réussi, notamment l'épisode de l'Argentine ; l'auteur aborde là des thèmes qui lui tiennent moins à cœur et les traite de façon un peu artificielle. Même s'il est intéressant de voir intervenir Gombrowicz et Sabato, l'auteur n'est pas vraiment à l'aise sur ce sujet. Cette partie est trop longue et me paraît superflue.
Dans l'ensemble, c'est une très belle découverte. J'ouvre aux ¾.
Annick A
C'est un livre palpitant et foisonnant. Les thèmes abordés très riches : questionnement sur la littérature franco-africaine, rôle de l'écrivain, violence des critiques, réflexion sur le colonialisme et l'importance de la mémoire individuelle et des peuples. De très beaux passages sur l'exil. Je n'ai pas du tout été gênée par sa construction labyrinthique qui permet un certain suspens. Je ne me suis pas sentie perdue, j'ai apprécié cette façon d'être baladée.
Contrairement à la plupart d'entre vous, ce n'est pas le début que j'ai préféré avec ses phrases que j'ai trouvé interminables et dans un style pompeux. Son journal m'a plutôt ennuyée. La partie que j'ai trouvée la plus intéressante par la question qu'elle soulève est celle sur le testament d'Ousseynou Koumakh. Tokô Ngor est un beau personnage et il perçoit très vite l'enjeu du colonialisme et la décision à prendre pour ses neveux à savoir se former à l'école des Blancs : "Il faut penser à votre avenir. Et ce qui arrive, c'est que ce pays va appartenir aux Blancs. Peut-être qu'il leur appartient déjà. C'est triste à dire, mais ils nous dominent. (…) Ce qui est certain, c'est qu'il faut se préparer à cet avenir où on ne sera plus jamais seuls, plus jamais comme avant. J'en avais souvent parlé avec Waly, votre père, Dieu ait son âme. C'était son souhait le plus profond. Que ses futurs enfants, un d'eux au moins, aille à l'école des toubabs, pas pour faire comme eux, mais pour se défendre quand ils diront que leur façon de voir est non seulement la meilleure, ce qui est discutable, mais la seule, ce qui est faux."(p. 146) Ce passage soulève la question de l'identité. L'école des Blancs oui, mais jusqu'où ? Le risque d'en oublier ses racines?
Un terrible passage sur "la solitude de Madag", presque insoutenable, est à l'origine de la vocation d'écrivain de Musimbwa.
L'auteur laisse ouverte la question sur la personnalité d'Elimane : un mystificateur ? Un assassin mystique ? Un dévoreur d'âmes ? Ou un écrivain malheureux ?
C'est un livre puissant et profond, un grand livre. Je l'ouvre aux ¾.
Catherine (à l'écran)
J'ai presque terminé le livre, mais je l'ai lu un peu vite et je n'ai pas beaucoup de recul. C'est un livre original, ambitieux, riche.
J'ai eu du mal au début à "entrer" dans le livre : ça n'est pas la partie que j'ai préférée, j'ai trouvé ça un peu lent et parfois un peu pompeux. Ensuite, je me suis laissé complètement porter par l'histoire. J'ai aimé les changements de narrateur, les rebondissements, la recherche d'Elimane à travers les continents par les différents protagonistes. J'ai particulièrement aimé les chapitres qui se situent au Sénégal, consacrés à l'oncle (ou au père, on ne sait pas) d'Elimane, Ousseynou, et à la mère, Mossane. C'est cette partie du livre qui m'a paru la plus originale et la plus marquante : avec les jumeaux, chacun suivant un destin opposé, l'un chez les Blancs, l'autre dans son village, avec la disparition d'Assane partant faire la guerre en France, l'enfance d'Elimane, son départ et son silence, la mère devenant folle, sous son manguier devant le cimetière. J'ai beaucoup aimé l'écriture de cette partie.
La suite m'a paru plus inégale : Siga, Thérèse Jacob, l'enquête de Brigitte Bollème, l'Amérique latine, Dakar et Aïda, on s'y perd un peu et par moments, mon attention s'est un peu relâchée, mais en même temps, j'ai aimé me perdre dans cette histoire, c'est aussi ce qui fait la richesse et l'originalité du livre.
En dehors de l'histoire proprement dite, c'est un livre très intéressant par tous les thèmes abordés, l'écriture et la littérature avant tout, le plagiat, les critiques, la colonisation...
C'est une découverte et ça a été globalement un vrai plaisir de de lecture. J'ouvre aux ¾. Je l'ai offert à deux personnes, je n'ai pas encore eu de retour...
Annick L (à l'écran)
Je suis très partagée face à ce roman tout à fait original.
Je n'ai pas du tout été intéressée par la première partie qui se passe dans le petit monde littéraire de ces jeunes écrivains africains francophones qui cherchent leur voix/voie singulière, ni par les aventures sexuelles de Diégane, une sorte d'éducation sentimentale. J'ai trouvé ça trop nombrilique, à la limite de l'autofiction. Mais à partir du moment où le récit commence à tourner autour de la quête de la figure tutélaire de T.C. Elimane, l'écrivain maudit, avec un retour aux sources en Afrique, dans ce village emblématique des traditions qui ont construit leur identité et leur culture j'ai vraiment plongé dans la lecture. Mais mon élan a été plusieurs fois été arrêté par des digressions qui m'ont paru inutiles par rapport au cœur de l'intrigue : l'épisode qui se situe pendant la Seconde Guerre mondiale au cours duquel l'éditeur juif va être arrêté et déporté, et le long passage en Argentine qui va permettre à l'auteur de mettre en scène quelques célébrités (pédantisme ?). Les changements de narrateur et de registre ne m'ont pas gênée car tout est porté par un véritable souffle, une énergie qui entraîne le lecteur.
C'est un livre très intéressant par les sujets universels qu'il brasse : l'engagement d'une vie au service de la littérature et la recherche d'une notoriété, le poids de la colonisation qui pèse encore sur l'éducation des jeunes intellectuels africains, en quête d'émancipation et d'affirmation de leur identité propre, le rapport à la langue française et à sa culture d'origine...
J'ai admiré l'ambition de cette œuvre, mais je n'ai pas aimé la forme, souvent enflée, boursouflée : le roman aurait pu subir une petite cure d'amaigrissement, à mon goût fort subjectif ! Et, du coup, je me suis souvent ennuyée. Donc j'ouvre à moitié, à cause de mon ambivalence.

Françoise
Je suis dans le camp qui a aimé le début.
Comme Geneviève, j'aime les écritures sèches, mais j'ai été conquise. Bluffée. Enthousiaste tout de suite.
Il y a eu pour moi des moments en creux : l'Amérique latine. Au fait que devient Charles ?

Le chœur
Il finit dans les camps.

Françoise, distraite
Ah bon.
Je n'ai pas trop gobé l'histoire de la prostituée (alias Mossane), tirée par cheveux. Mais globalement, je suis enthousiaste.
Je l'avais déjà lu avant qu'il ait le Goncourt et j'étais très contente qu'il l'obtienne, car c'est un objet littéraire exceptionnel. Je n'ai jamais rien lu de tel. J'ai vu que c'est le Goncourt qui a été le plus vendu depuis Duras.

Claire
C'est celui de l'an dernier L'anomalie !
Françoise
Malgré les défauts - je me suis perdue parfois - c'est tellement riche. Je suis très impressionnée. Comme Renée, en dépit des défauts j'ai quand même envie d'ouvrir en grand ; si j'étais honnête, j'ouvrirais aux ¾. Mais j'ai aimé cette mise en abyme, et le fait qu'il nous fasse pénétrer dans des mondes inconnus (de moi).

Claire
Je rappelle que Rozenn fut la première en septembre à nous parler de ce livre, prétendant qu'il lui avait redonné le goût de lire (on a du mal à croire qu'elle l'ait perdu…)
Rozenn   (à l'écran)
Mais si, je vous assure, je n'avais plus de goût à lire.
Ce livre m'a époustouflée. Je lis toujours trop vite. J'ai lu ce livre une première fois sur Kindle et j'ai été emballée. C'est à ce moment-là que je vous en ai parlé.
Je l'ai offert à ma fille (prétentieux ! je ne lirai pas ça !).
Je pensais que beaucoup m'avait échappé et j'ai voulu le relire plus lentement, en version papier... ; mais je suis repartie à toute allure, à nouveau emballée.
C'est vrai qu'il y a une petite faiblesse de rythme : le passage qui se déroule en Argentine m'a paru plus lent, un peu plaqué.
Mais l'ensemble est éblouissant, original. J'ai pensé à Tristram Shandy* pour l'audace, la nouveauté, l'ampleur, le mouvement.
L'humour aussi, les décalages...
La diversité aussi : polyphonie, multiplicité des genres... Énonciateurs entremêlés.
Et plusieurs niveaux de lectures possibles : romanesque, politique, social, ethnographique aussi.
Quand je l'ai relu, j'ai surligné tout ce qui me plaisait : je surlignais tout.

(Inséré après-coup) Et depuis notre réunion, en feuilletant, je reparcours après coup ce que j'avais surligné et j'entrevois maintenant la structure globale comme une construction fractale (les choux-fleurs, les côtes bretonnes...)
Un livre qui peut être lu en entier ou par morceau ; chaque morceau reprenant la forme du tout, pouvant être lu indépendamment.
Et à chaque fois, chaque lecture, chaque personnage poursuit une quête singulière.

En gros et en détail, j'adore !
J'ai lu Le devoir de violence (inspirateur du livre d'Elimane) : au début, c'est confus, c'est compliqué, et puis le livre devient passionnant. Il est question de colonisation, mais aussi de la violence entre Africains.
J'ai lu aussi Batouala : la préface contre le colonialisme (de l'édition que j ai trouvée - une curieuse édition scolaire pour le secondaire) écrite par l'auteur est intéressante (1920).
Après avoir proposé La plus secrète mémoire des hommes, j'ai lu De purs hommes, qui est très, très bien, mais pas aussi étonnant que celui que nous avons lu.
J'ouvre au moins deux fois en grand.

*lu dans le groupe en 1995 avant la création de ce site


Le groupe de Tenerife s'est retrouvé
autour du livre le 30 novembre 2021
Nieves et José Luis ne sont pas du tout emballés...

Nieves    
Peut-être avec l'âge je deviens quelque peu pointilleuse, mais j'avoue que les dernières lectures que j'ai faites ne m'ont pas apporté un grand plaisir. Ce Prix Goncourt, qui a reçu énormément de louanges de la part de la presse française et internationale, m'a déçue au fur et à mesure que j'avançais dans sa lecture et je me demandais souvent combien de pages me manquaient encore…
Pourquoi je me suis dégonflée progressivement ? Je trouve trois explications :
› D'abord, la profusion de thèmes entremêlés tout au long du récit : la vie d'une famille sénégalaise, la vie des intellectuels africains dans la métropole et leurs relations sociales, le monde des éditeurs et critiques littéraires, la colonisation et sa faillite, la guerre mondiale et, en particulier, la réflexion sur la littérature et la liberté de l'écrivain…
› Puis, une langue avec un excès de cultismes qui contribue à brouiller davantage l'intrigue et rend encore plus difficile de trouver un fil conducteur. À mon avis, si on veut en trouver un, ce serait celui d'un polar non-conventionnel où le jeune écrivain Diégane L. Faye, fasciné à un très jeune âge par le livre Le labyrinthe de l'inhumain, plus en vente dans les librairies, fait l'indicible pour le retrouver ainsi que son auteur T.C. Elimane, porté disparu depuis des années. La difficulté ici c'est que l'enquête marche à contre-pied et quand on entrevoit une piste possible, elle se dissout rapidement pour repartir à zéro. Ça devient donc un peu fatigant.
› D'autre part, la fameuse recherche de l'essence littéraire devient pour moi également présomptueuse. Les écrivains africains, des étudiants, même des éditeurs ou des critiques littéraires qui ont pu lire le livre semblent tous épatés par ce roman étrange, ils pensent que Elimane a trouvé le sens de l'écriture et autour de cela il y a pas mal de phrases grandiloquentes :
"Un grand livre ne parle jamais que de rien"
"Être un grand écrivain n'est peut-être rien de plus que l'art de savoir dissimuler ses plagiats et références"
"La littérature… il ne restait et ne resterait jamais que la littérature; l'indécente littérature comme réponse, comme problème, comme foi, comme honte, comme orgueil, comme vie".
Pourtant, j'avoue qu'il y a certains passages qui m'ont semblé intéressants, comme ceux qui font référence à la relation des écrivains africains avec le modèle d'écriture occidentale : "Elimane était ce qu'on ne devait pas devenir", c'est-à-dire, un grand connaisseur des auteurs européens qu'il essaie d'imiter raison pour laquelle il sera accusé de plagiat. Alors"Inventez votre propre tradition, fondez votre histoire littéraire".
Et il y a encore d'autres fragments de nature philosophique qui donnent à réfléchir comme celui-ci : "Le temps est assassin ? Oui. Il crève en nous l'illusion que nos blessures sont uniques. Elles ne le sont pas. Aucune blessure n'est unique. Rien d'humain n'est unique. Tout devient affreusement commun avec le temps".
En définitive, je ne me pose pas de questions si profondes sur la quintessence de la création littéraire. Il me suffit une bonne histoire qui m'apprenne quelque chose de l'histoire, de la société ou des conflits humains sans tourner en rond sur un sujet dont on ne voit pas d'issue.
José Luis 
"Un vrai écrivain, avait-elle ajouté, suscite des débats mortels chez les vrais lecteurs, qui sont toujours en guerre ; si vous n'êtes pas prêts à caner dans l'arène pour remporter sa dépouille comme au jeu du bouzkachi, foutez-moi le camp et allez mourir dans votre pissat tiède que vous prenez pour de la bière supérieure : vous êtes tout sauf un lecteur, et encore moins un écrivain". C'est grâce à des paragraphes comme celui-ci que j'ai pu supporter ce livre. Souvent, surtout dans le premier tiers, des réflexions concernant la littérature, le métier d'écrivain et sa responsabilité sociale, la place et rôle des auteurs africains de langue française par rapport à "la métropole", l'activité lectrice, etc., mais aussi la condition humaine elle-même, se font jour. Des réflexions brillantes, percutantes, qui donnent l'impression au lecteur, en tout cas au lecteur que je suis, d'avoir dans ses mains non pas un roman (en papier ou en format e-book), mais un essai. Et c'est justement ce côté essai qui m'a intéressé dans ce long texte de presque 500 pages. Pour le dire de manière plus précise, et sans doute un peu brutale, c'est la présence assez fréquente dans le livre de ce type de considérations, qu'on rumine le temps de les souligner ou qu'on attend, que même on guette, pendant que la lecture avance, qui m'ont permis de supporter ce prix Goncourt dont les mérites pour en être couronné ne me paraissent point évidents. En tout cas, je ne pense pas qu'on puisse dire de ce roman ce qu'on y est dit du célèbre Le labyrinthe de l'inhumain dont l'histoire ainsi que celle de son créateur constituent le centre du livre : "Journal, je ne t'écris que pour une seule raison : dire combien Le Labyrinthe de l'inhumain m'a appauvri. Les grandes œuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elles ôtent de nous le superflu. De leur lecture, on sort toujours dénué : enrichi, mais enrichi par soustraction". Eh bien, je suis loin de m'avoir senti appauvri... ni enrichi, d'ailleurs, car j'ai trouvé ce livre surtout indigeste, long, boursouflé... et, permettez-moi de le dire, peu et, souvent, mal écrit, comme si l'objectif de l'auteur était avant tout remplir la page, plutôt que faire œuvre d'écriture.
Décidément je suis incapable ces derniers temps de trouver un livre à mon goût. C'est peut-être de ma faute, comme je l'écrivais déjà la dernière fois en responsabilisant de cette difficulté un supposé coup de vieillesse qui serait venu me rendre visite de manière inattendue.


Le groupe breton a lu
La plus secrète mémoire des hommes
pour le 3 mars 2022

BrigitteCindyMarie-Odile
Édith Jean •Laurence •Marie-ThéSuzanne

Et aussi : •Sylvie


Suzanne(avis transmis)
J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cet écrivain qui nous met à l'épreuve.
Dans ce roman, ce qui se conçoit ne s'énonce pas nécessairement de façon explicite, j'y ai trouvé une sorte de compréhension inconsciente. Le lecteur n'en est pas moins mis à l'œuvre : il lui faut retrouver le fil de cette histoire à travers différents narrateurs, différentes temporalités. Une fois les protagonistes situés, passer d'un narrateur à l'autre m'était aisé, le thème du Labyrinthe de l'inhumai", roman dans le roman, lui, ne sera pas révélé, son auteur Elimane Madag apparaît-disparaît à travers les histoires et vies des différents personnages qui l'ont découvert, certains l'ont rencontré, ont été très proches, mais l'énigme persiste. Qui était Elimane ? Pourquoi ce livre les bouleverse-t-il ? En quoi est-il essentiel ? "Désir d'absolu, certitude du néant : voilà l'équation de la création littéraire" ; la littérature est omniprésente dans ces pages, nous y découvrons de jeunes écrivains, Diegane, Siga D, Muzimbwa, écrivains critiques à l'égard de leurs aînés africains, mais conscients de leurs failles : qu'auraient-ils fait à leur place ? Être africain, être écrivain n'est pas si simple !
Que pèse la question de l'écriture devant la souffrance sociale ? La littérature devant la politique ? Ces questions sont évoquées par Diegane. La littérature reste au centre de la vie de ces jeunes écrivains, écrire est leur quête : "écrire exige toujours autre chose", mais " il n'y a pas de dernier mot". "C'est au moment où elle s'échappe que notre vie nous appartient", dira Siga D, fascinée par les derniers moments des hommes.
Toutes ces questions taraudent aussi le lecteur ayant déjà, comme moi, un parcours de vie bien avancé. Les personnages du roman sont aussi ancrés dans leur présent, ils font beaucoup l'amour, et ne semblent pas marqués par la culpabilité du "péché missionnaire".
J'ai apprécié le style de ce roman, les expressions poétiques telles que "Nous avons défait l'amour en fragments étincelants" et aussi l'humour de l'auteur.
Mossane prostituée d'un soir non reconnue par Ousseynou, son amoureux transi et aveugle, là je n'y crois pas, même si amoureux et transi vont bien ensemble.
Je me suis posé la question du titre et ai émis l'hypothèse d'un inconscient collectif derrière ce titre : "La plus secrète mémoire des hommes".
Il y a du grain à moudre dans ce roman, même si j'y ai trouvé dans sa structure des similitudes avec Confiteor, il ne l'a pas détrôné dans mon Panthéon littéraire.
Marie-Odile
Il m'arrive de croire que je ne sais plus lire, que je n'y arriverai plus jamais. Heureusement, des livres comme celui-ci apparaissent pour me rassurer. La plus secrète mémoire des hommes m'a happée et entraînée dans un plaisir de lecture immense. Pour moi, ce texte extrêmement riche à travers son originalité touche au plus profond de l'humain, qu'il parle de littérature, de plagiat, d'amour, de souvenir, de colonisation, d'exil, de politique, de magie, de mystère, de secret, de suicide, de quête ou d'enquête, d'horreur meurtrière ou de villages paisibles…
J'ai aimé que l'auteur fasse confiance à son lecteur, n'aie pas peur de le perdre dans le labyrinthe de son récit. Car il est fréquent qu'un narrateur s'efface devant un autre qui s'efface à son tour. Il m'a parfois fallu lire quelques pages d'un chapitre avant de répondre à la question : mais qui raconte là ? Point d'agacement, au contraire, le plaisir de chercher et de trouver, car les indices sont là bien en évidence, les dates aussi dans la chronologie bouleversée.
Il m'est apparu que dans ce roman, un écrivain en contient un autre : l'auteur, Mbougar Sarr (La plus secrète mémoire des hommes), le narrateur, Diégane Faye (L'anatomie du vide), le personnage, Elimane (Le labyrinthe de l'inhumain). Écrivains gigognes en quelque sorte. Il y a aussi toute une trame de personnages féminins au centre de laquelle je mettrai Siga D. bien sûr. Toutes écrivent ou cherchent à écrire, des livres, des articles, des poèmes, des mots au charbon sur les murs. Mais c'est celle qui ne sait pas lire qui finalement remet à Faye le carnet qu'il fera disparaître dans le fleuve.
Je me suis plongée sans retenue dans l'histoire de famille : la rivalité des jumeaux, l'aveugle, le fils marchant dans les pas de son père "devenant savant dans la culture qui a dominé et brutalisé la leur"… Je me suis intéressée à la question du départ puis à celle du retour, parfois promis, souhaité, parfois refusé, différé, inaccompli, énigme ou trahison pour ceux qui restent sur la terre natale.
Je me suis accommodée de l'invraisemblable rencontre-accouplement Ousseynou-Mossane, si nécessaire pour que la filiation d'Elimane soit incertaine.
Je n'ai pas été gênée par l'irrationnel de certains événements troublants, pouvant s'expliquer peut-être par la consommation de drogue mais peut-être pas, ou pas toujours. Les absents sont parfois présents et Madag revisitera Diégane Faye après sa mort.
Je me suis étonnée du vocabulaire à large spectre, du familier à l'érudit (schibboleth, cénobitisme), des expressions inédites, littérature et sensualité se superposant souvent : "Nous avons défait l'amour en fragments étincelants", "j'entrai en frôlant la poitrine littéraire", "j'ai lu le récit sensuel de ses hanches".
J'ai parfois souri car humour il y a : "il m’a répondu que je mentais, et que je devrais apprendre à réfléchir moins et baiser plus, ce à quoi je répondis : J’y réfléchirai".
J'ai dévalé des vérités affirmées, sortes de maximes "On ne se débarrasse jamais de son histoire quand celle-ci nous fait honte. On ne l'abandonne pas en pleine nuit comme un enfant non désiré". J'ai escaladé des phrases sibyllines "le livre essentiel ne s'écrit pas".
J'ai été éblouie par le souffle ininterrompu de pages consacrées à l'écriture "J'écrirai donc comme on trahit son pays" (p. 319), ou à l'amour présenté sous la métaphore de la ville (p. 350-351) "Toute révolution commence par le corps et le corps d'Aïda est une ville qui se soulève" (Aïdaville !).
J'ai pleuré en lisant le mail de Musimbwa.
J'ai été impatiente de connaître enfin le secret de l'énigmatique Elimane, après tant de retenue, de révélation approchée mais (trop ?) différée par de longs détours. Je n'ai pas été déçue par la fin.
J'ai réfléchi au sens du Labyrinthe : tout comme le Roi sanguinaire, Elimane tue son passé pour être plus puissant. Et comme tout écrivain, "il n'avait peut-être qu'une seule œuvre en lui, une seule et grande œuvre. Il se peut au fond qu'un écrivain ne porte qu'un seul livre essentiel."
J'ai eu l'impression, certes prétentieuse, que La plus secrète mémoire des hommes "s'adressait à moi. Comme s'adresse toujours à nous tout livre essentiel". J'ai cherché à découvrir ma propre question sans réponse, à la manière du "Pourquoi lui ?" d'Ousseynou.
J'ai aimé ce roman d'un bout à l'autre, pour sa sincérité, son audace, ses interrogations et sa complexité.
Je l'ouvre en grand et le place, dans mon Panthéon littéraire, sur la même étagère que Mouawad ou Cabré...
Brigitte
Pour avoir écouté Mohamed Mbougar Sarr dans les médias, avoir lu des articles sur son parcours et son personnage avant que le choix de Voix au chapitre ne porte sur son prix Goncourt, c'est curieuse que j'ai ouvert ce livre. Je m'attendais à une lecture intense, un de ces livres qui nous nourrit. Je n'ai pas été déçue.
Je pense que Sarr, intellectuel, nous amène à entendre que lire et écrire sont source de vie... mais attention aux embûches : les dégâts collatéraux comme le plagiat ("le revers du paradis n'est pas l'enfer mais la littérature" p. 93). Diégane (que j'identifie à l'auteur) nous engage avec lui sur les traces du "Rimbaud nègre", Elimane, et le chemin emprunté est tortueux et complexe.
Parlant d'Elimane : "Qui était-il ? Un écrivain absolu ? un plagiaire honteux ? un mystificateur génial ? un assassin mystique ? un dévoreur d’âmes ? un nomade éternel ? un libertin distingué ? un enfant qui cherchait son père ? un simple exilé malheureux, qui a perdu ses repères et s’est perdu ?" (p. 326)
Devant tout ces qualificatifs il ne faut pas perdre le fil du cheminement, les femmes apparaissent, disparaissent et réapparaissent ; on saute de la scène champêtre, citadine, sensuelle, libertine à la rencontre improbable, l'Amour, l'attachement ("un corps scellé est une servitude aveugle" p. 91), la séparation (p. 92). On saute d'Afrique en Europe, en Amérique du Sud. On le suit, on l'attend. On se décourage et on espère avec lui. Voire on est horrifié par ses découvertes.
Selon moi, ce livre fait partie des ouvrages qui me marquent et que j'aimerais relire car il pose des questions que je trouve ô combien essentielles et d'actualité. Pour ne citer que quelques-unes :
- la politique "elle [ma mère] était conservatrice par inquiétude. Mon père, lui, était révolutionnaire par remords." (p. 337) 
- le sens de la vie "le sens de la vie ne se découvre qu'à la fin [...] chaque être doit chercher sa question pour toucher du doigt l'épais mystère au cœur de son destin" (p. 135)
- le mystère de l'homme, l'émigration : "les valeurs bafouées qui poussent un homme à partir" (p. 374)
- la relation père-fils : "Notre relation ressemblait à une rage permanente, mais chaque accalmie valait la traversée de la tempête." (p. 338)
Je médite certaines phrases. Quelques exemples :
"Je veux dire que rien n'attriste un homme comme ses souvenirs, même quand ils sont heureux" (p. 96) 
"Rien de beau ne s'écrit sans mélancolie" (p. 115) 
Pour terminer, avez-vous remarqué ce que l'auteur dit des discussions ou débats autour d'un livre. Ouvrez la page 66 !
Cindy
Je suis en Savoie et je peux vous dire que cette fois j'ai laissé de côté mes lectures de guides de randos. Pourquoi ?
J'ai retrouvé un grand bonheur de lecture avec Mohamed ! Et dès les premières pages.
Je n'ai pas terminé le livre, mais quand même, je l'ouvre en grand !!!
Grand livre littéraire. Histoires insolites qui s'entrecroisent dans un labyrinthe infini, avec toujours en suspension cette quête qui ne quitte pas Diégane.
Un grand roman humain avec des suspenses et aussi un "chant d'amour" qui entraîne le lecteur à se poser des questions universelles sur la vie, les rapports entre les cultures, la géo-politique, les choix… Le temps !
Marie-Thé
Rencontre avec un grand livre, remarquable. J'ai beaucoup aimé voyager dans l'espace et dans le temps, rencontrer une multitude de personnages. Lecture agréable et accessible aussi ; par contre, synthèse difficile d'une œuvre foisonnante.
Avant de m'embarquer, je dirai que j'ai aimé retrouver Dakar où j'ai vécu deux ans il y a déjà longtemps, j'ai été une "toubab" là-bas ; les lieux, les images, les sons, les odeurs, j'ai tout reconnu. Et puisque je suis dans les souvenirs, certains passages durs m'ont rappelé Frantz Fanon. Et j'ajoute qu'avant Mohamed Mbougar Sarr, un autre auteur noir avait reçu le prix Goncourt en 1921, c'est René Maran.
Au cœur du livre, pour moi, est la littérature. Avec la littérature est l'écriture, et ces quatre "piliers" : l'auteur, l'œuvre, le lecteur, le critique, tous sont liés.
J'ai aimé suivre les auteurs (ou écrivains), chacun cherchant sa place. Elimane d'abord, entre deux cultures. "Il a donné tous les gages culturels de la blanchité ; on ne l'en a que mieux renvoyé à sa négreur" ; "La colonisation sème chez les colonisés [...] le désir de devenir ce qui les détruit. Voilà Elimane : toute la tristesse de l'aliénation", etc. (p. 422). T. C. Elimane : "auteur africain honteux", puis "effacé" (en premier par ses compatriotes) ; "Rimbaud nègre" disent certains critiques, mais "comment croire qu'un Africain ait pu écrire comme cela en français ?" ; "On l'avait tué comme écrivain." À relire parmi tant d'autres les critiques du Figaro p. 93-94, je suis effarée.
Il y a Siga D. aussi, mais dans un autre registre, rejetée au Sénégal : "les rudes vérités, chez nous, ne se disent pas mais se suggèrent et, parfois, se dissimulent au nom du salut de l'honneur public." Je pense ici au livre de Mohamed Mbougar Sarr De purs hommes, ayant provoqué des réactions violentes à Dakar...
Le groupe de jeunes auteurs africains autour de Diegane m'interpelle, j'y retrouve la trace de M. Mbougar Sarr. J'ai été sensible aux questions qu'ils se posent sur l'écriture dans "un pays que hantait toujours l'encombrant spectre de Senghor." (Je viens de relire quelques magnifiques élégies, pour Ph. Senghor, pour G. Pompidou). Et puis, ne pas "courir [...] derrière l'immense littérature occidentale." Je comprends, mais ensuite, la violence des comparaisons m'a dérangée : "nous serons gazés [...].On nous transformera en savon noir" Ou ceci : "viol de notre histoire par une autre histoire tueuse" (métaphore, massacre de la mère de Musimbwa).
Je remarque que l'évocation d'une œuvre parcourt le livre, du début à la fin. L'écrivain et son œuvre : "leur destination se confond avec leur origine." ; "Une œuvre fondamentale à écrire, entre deux vides" (et ne pas écrire le livre de trop). Et moi je vais essayer de ne pas écrire la phrase de trop.
Finalement peu sont épargnés, les critiques (sauf deux) finissent au fond du lac des Enfers. Le "lectorat africain [...] paresseux [...] avide d'être représenté alors qu'il est irreprésentable." Je retiendrai encore : "il ne suffit pas de tuer pour détruire", "l'immortalité des disparus, la permanence de l'oublié". Dans un genre différent : "Mon père banalisait, ma mère dramatisait." (toute ressemblance...) Et Dd nouveau ceci : "Le même rêve : devenir des savants dans la culture qui a dominé et brutalisé la leur." Pourquoi ?
J'aime l'image de la femme africaine, l'humour tout de même présent dans ces pages, des phrases comme : "j'attends parce que j'aime."
Par contre, l'Amérique du Sud, bof. Le passage libertinage, dérangeant.
Enfin, livre de lumière et de ténèbres. À découvrir absolument... Tout comme le texte de Roberto Bolaño au début.
Édith(avis écrit avant les échanges)
Je suis passée par des moments de "jubilation" et des moments de "découragement" quand je me suis "élancée" dans La plus secrète mémoire des hommes. Je savais que la lecture allait me demander de la constance vue l'épaisseur et je me doutais du côté "tous azimuts" du texte. Je n'ai pas été déçue !
Il m'a fallu à la moitié du livre esquisser une rapide généalogie des personnages et rechercher surtout le fil de l'histoire à travers Diégane Faye - contemporain - et vraisemblablement les yeux et la conscience de l'auteur Mohamed Mbougar Sarr.
J'ai été bluffée par la richesse du vocabulaire, surtout dans les premiers chapitres, allant même jusqu'à penser à une forme de pédantisme, d'esbroufe de la langue, MAIS j'ai accepté et je suis allée rechercher le sens de chacun des mots !
Un Africain de culture africaine et européenne, de langue française, qui possède et maîtrise autant ma langue, il y a de quoi se sentir "petite" !!! et humble.
Les années traversées littérairement par Diégane, du fait de ses rencontres (Brigitte Bollème, Aïda et son choix d'Algérie, Siga Dà Amsterdam, Beatrice, les deux éditeurs Charles et Thérèse, Mossane…), me sont familières par les lieux et les dates. J'ai été décontenancée par la découpe du livre qui me déstabilisait, par les sauts dans le temps.
Oui, j'ai un peu souffert pour ne pas décrocher et j'ai - malgré parfois ma lassitude - suivi le voyage de Diegane commencé ce 27 août 2018, moment de son écriture, premières lignes de son récit : "d'un écrivain et de son œuvre, on peut au moins ceci : l'un et l'autre marchent ensemble dans le labyrinthe le plus parfait qu'on puisse imaginer, une longue route circulaire, où leur destination se confond avec leur origine : la solitude".
Sentiment d'appartenance à la même mémoire historique évoquée par Mougbar Sar : je suis de son temps et son texte me relie à une mémoire proche, la mienne.
Son voyage littéraire et géographique (la littérature est monde) - est pour moi trajectoire de recherche de Slimane l'auteur oublié - et devient (c'est mon sentiment), ce qui m'a aussi fait trace durant la découverte du texte, le double littéraire (Éliane) de Diégane lui-même porte-parole et récit de Mougbar Sar.
Selimane, l'auteur recherché, est la voix tonitruante, douloureuse, interrogative, savante, de Mougbar : ainsi sa manière de parler du colonialisme, de l'exil, de la langue, y compris celle des origines au profit du français, du retour impossible (ici l'Afrique et le Sénégal), le sexe, le corps, la peau… et même l'érotisme. Autant de thèmes récurrents pour Mbougbar Sarr, de l'exilé africain donc noir (sénégalais) et colonisé…
Je pourrais ici recopier les nombreux passages surlignés au crayon pendant la lecture.
Je viens de reprendre le livre fini depuis plus de deux semaines. Et j'ai de la difficulté à retrouver la trame complète du si long récit. Trop touffu et multiple, je ne me vois pas repartir au début ! De ce fait, je le laisse après avoir rapidement revu les surlignages et les post-it de la lecture pour m'y retrouver. Et j'attends avec impatience l'échange à venir.
C'est un grand livre qui essaie (et réussit ?) à parler de ce qu'est la littérature, le rapport de chacun au texte. Néanmoins j'ai beaucoup apprécié les récits plus "linéaires et chronologiques" concernant la bio de la famille d'Elimane. Je l'ouvre aux trois quarts. Et je le recommande. Sans Voix au chapitre, je n'aurais pas entrepris la lecture, "époustouflée" que j'étais, lors du Goncourt, des interviews de l'auteur.
Jean(avis transmis)
En retraçant l'histoire de T.C. Elimane, auteur de Le labyrinthe de l'inhumain, disparu en 1938, Mohamed Mbougar Sarr rend hommage à un autre écrivain oublié, Yambo Ouologuem (1968), malien, premier romancier africain primé par le Renaudot (1930), pour son livre Le Devoir de violence. Yambo Ouologuem disparaît en 1968, suite à des critiques acerbes et probablement injustifiées. Accusé de plagiat car "trop exceptionnel", "trop érudit" pour avoir été écrit par un "nègre", il a été admis que ce ne pouvait être qu'une fraude littéraire. Le contexte de la décolonisation et des indépendances des années 60/70 lui ont valu le reproche ultime d'être un traître à l'identité africaine.
LE ROMAN raconte le dédale dans lequel se lance un jeune écrivain qui tente de retrouver les traces laissées par T.C. Elimane, écrivain africain mythique, nommé le "Rimbaud nègre" et auteur d'un seul livre Le labyrinthe de l'inhumain.
Diégane est hanté par sa quête d'Elimane, il partage son enthousiasme avec Musimbawa, Fausti, Eva et "la sensuelle et énergique Béatrice Nanga". Le jeu de pistes s'engage, à l'écoute des récits de différents interlocuteurs ou de ceux retransmis par un tiers, et par le Journal estival de Diégane. Ils seront guidés par Aïda, jeune métisse algéro-colombienne, Brigitte Bollème et ses compères critiques littéraires, Charles Ellenstein et Thérèse Jacob, éditeurs, ou encore Denise, "avec de longues jambes fines et un beau cul". D'autres personnages entre en scène et deviennent acteurs du roman (Ousseynou Khoumak, l'oncle d'Elimane, l'homme aux trois femmes, qui n'aima que Mossane, des écrivains Ernesto Sábato et Witold Gombrowicz, etc..). Sont introduits, çà et là, des noms de grands auteurs du XXe siècle, questionnant par-là le rapport qu'entretiennent création littéraire et société : "Que pesait la question de l'écriture devant celle de la souffrance sociale ? La quête du livre essentiel devant l'aspiration à la dignité essentielle ? La littérature devant la politique ? Elimane devant Fatima ?" (p. 353)
LA CONSTRUCTION DU RÉCIT : La plus secrète mémoire des hommes brasse les identités, les lieux, les conteurs, le passé, le présent, les écrits, les SMS, les réflexions sur la littérature… au risque de s'y perdre !
Dans sa forme, le récit comporte trois parties, chacune est une mosaïque d'éléments disparates : récits, lettres, journaux, monologues, témoignages, qui forme un labyrinthe d'où il est impossible de démêler la vérité et la fiction.
Aussi, si l'intrigue est bien la recherche d'informations sur Elimane, celle-ci apparaît comme prétexte... pour parler, entre autre, de littérature, et plus encore d'une authentique et universelle quête existentielle sur la condition humaine. On y trouve toutes les questions personnelles et universelles qu'on a pu se poser au cours de sa vie.
Et c'est le sentiment de se retrouver soi même dans les personnages qui maintient l'intérêt d'un livre qui déroute par ailleurs : les histoires sont enchâssées les unes dans les autres, façon 1001 nuits (où les personnages sont en miroir les uns par rapport aux autres) ou encore façon Les Jardins aux sentiers qui bifurquent (Jorge Luis Borges), ou les vies entrecroisées dans Confiteor (Jaume Cabré).
C'est une quête mythique, où les personnages sont réalistes, grâce au temps consacré à parler d'eux. La restitution des échanges entre des femmes qui vont raconter leurs expériences avec Elimane, ou les expériences d'autres femmes qui l'ont connu donne la crédibilité aux faits que décrits Mohamed Mbougar Sarr.
Reste que l'utilisation d'adjectifs ronflants - "prolégomènes" au lieu de "préludes" p. 85 à propos d'un amour en germe - adjectifs qui allongent les phrases à l'infini, auxquels s'ajoutent des références littéraires dont l'utilité n'est pas toujours évidente pour un lecteur profane, tout cela plombe la lecture à certains passages.
POUR CONCLURE, l'intérêt essentiel de cette œuvre est dans le questionnement sur l'existence, existence faites de peurs enfantines terrifiantes laissées par la guerre (de la Shoah aux massacres au Zaïre), de mort à expliquer, d'absence sidérante, de parentalit? compliquée, tout cela en passant par le sexe et l'amour dans toutes les combinaisons possibles.
Questionnement aussi sur l'aliénation du colonialisme, les massacres ethniques la transmission de la haine, et la démagogie des élites africaines. Un livre à lire.

Sylvie
Pour ce qui est du livre de La plus secrète mémoire des hommes, je l'ai commencé et je me suis trouvé prise dans son mystère sur ce livre qu'il recherche. Mais j'avoue que je trouve ça long.... J'ai lu vos commentaires qui étaient très riches et ouvraient une possibilité de lecture. Mais je me suis un peu engluée dans la lenteur et mon quotidien a repris le dessus. Sans doute n'ai je pas l'esprit assez disponible pour ce genre de livre. Ce n'est pas l'heure. Je garde cela pour un autre moment, mais je recommencerai cette lecture plus tard grâce à vos points de vus éclairants.


Parcours

- Né en 1990 au Sénégal. Son père est médecin-chef de la région de Matam, sa mère "au foyer", sa famille sérère (troisième ethnie du Sénégal, après les Wolofs et les Peuls ; environ un Sénégalais sur six est d'origine sérère).

C'est avec le français que j'ai commencé à apprendre à écrire et à lire. Mes langues sont aussi le wolof et le peul, et un jour j'écrirai dans une autre langue que le français. (Le Parisien)

Aîné de 7 garçons, il grandit à Diourbel à 150 km de Dakar. Voici la dédicace de son premier roman, Terre ceinte :

À Malick, mon père,
à Astou Mame Sabo, ma mère,
à Baba, Së
ñ bi, Mara, Khadim, Souhaïbou, Cheikh
et toute ma famille.
Et à ma Mellie.
Mais ce roman, je le dédie surtout à Marie Madeleine Mboyil Diouf, ma grand-mère qui est partie peu de temps avant sa parution.
Elle ne savait pas lire. J'aurais aimé le lui lire et traduire en sereer.

- L’islam au Sénégal est la religion majoritaire (95 % de la population) ; il provient de la branche du soufisme ("Je me rendis auprès d'un mystique soufi qui acepta de parfaire ma formation religieuse.", p. 138 dans le roman). Les Sérères ou Sereer ont aussi une "culture traditionnelle, où Roog Sène est l'esprit suprême et les pangols les esprits des ancêtres" (p. 175).

- Si sa fratrie n'était composée que de garçons, Mohamed dira : "Ce sont mes grand-mères, ma mère, mes tantes, mes cousines qui m’ont initié aux récits, aux histoires, aux légendes, aux contes, aux jeux de mémoire" (Vox populi).
Il est d’abord orienté vers des études militaires.

- 2002-2009 : études secondaires au prytanée militaire de Saint-Louis ; c'est un établissement dépendant du ministère des forces armées qui accueille les
meilleurs élèves du Sénégal - uniquement des garçons... - distingués lors d'un concours très sélectif (c'était à l'origine "l'École des enfants de troupe", créée en 1923 et destinée à répondre aux besoins de l'Afrique-Occidentale française en cadres).
Il y est rédacteur en chef du journal La Vie de l’enfant de troupe. Il gagne la compétition du meilleur discours jeune sur le thème de la violence et des arbres, discours qu’il lira par la suite à l’Assemblée nationale et plus tard à Addis-Abeba (précise A Dakar). En 2008 et 2009, il est lauréat au concours général deux années consécutives
(1er prix de philosophie, 1er prix d’histoire, 2e prix de Géographie...) : n'en jetez plus ! Mais finalement... :

J’ai hésité à devenir officier avant de me décider pour la littérature. Les deux vocations ont des points communs, d’abord une certaine discipline morale. En littérature, cette éthique vous fait refuser toutes les facilités et ce qui réduit un roman à un produit de consommation. (L'Obs)

- 2009 à 2012 : désertant donc le projet militaire, direction classes préparatoires au lycée Pierre-d'Ailly de Compiègne (hypokhâgne et khâgne).

Au moment de choisir mes études après le baccalauréat, alors que j’hésitais entre plusieurs matières, un ami m’a parlé des classes préparatoires littéraires françaises. Ma prépa à Compiègne ne m’a pas toutefois pas aidé à choisir une discipline précise. J’ai d’abord voulu être historien, pensant que cela me permettrait d’avoir une réflexion capable d’aider mon pays. Le continent africain me paraît souffrir d’une méconnaissance de son histoire. J’avais aussi le sentiment de devoir rendre quelque chose au Sénégal, car toute ma scolarité au collège et au lycée a été financée par le contribuable sénégalais. Je me suis finalement spécialisé dans l’étude de la littérature, notamment en entrant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) pour y faire un doctorat en "arts et langage". (Demain Dakar)

Apparemment pas de réussite à Normale sup, mais licence de lettres. Et au fait pourquoi Compiègne ?

Un ami de mon oncle, qui vivait en France, pensait que je ne supporterais pas l’ambiance cannibale des grandes prépas parisiennes. Je lui en sais gré ! J’ai été très bien accueilli, je tiens à le souligner. (L'Obs)

- 2012-2014 : master sur Léopold Sédar Senghor à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales) sous la direction d’Yves Hersant (Centre de recherche sur les arts et le langage) ; le sujet de sa thèse, qu’il a depuis abandonnée, portait - précise Pierre Assouline - sur la naissance du roman postcolonial dans la littérature africaine francophone à travers livres parus en 1968 : ceux d’Ahmadou Kourouma (Les soleils des indépendances), de Malick Fall (La plaie) et Yambo Ouologuen (à qui notre livre est dédié).

- 2014 : lauréat du concours de nouvelles de Radio France Internationale (RFI), organisé pour la seconde année consécutive et parrainé par l'écrivain français Stéphane Hessel, décédé en 2013. Sa nouvelle La cale se réfère à cet espace des bateaux négriers qui servaient à entasser les esclaves transportés lors de la traite négrière.

- 2014 : publication de son premier roman Terre ceinte, évoquant le terrorisme. Il revient à cette occasion parmi les Enfants de troupe (voir ici)... Il tient alors un blog chosesrevues.over-blog.com, aujourd'hui fermé, sur l’écriture, le style, et où il publie des textes de nature variée.

- 2015 : dans la revue de l'éditeur de son roman, Présence africaine, il publie deux articles :"La Couleur de l'infortune" (une fiction à propos des albinos) et "FESMAN 66 : Des images et des questions" (l'analyse "politique" de l'expostion au musée du quai Branly "Dakar 66 : chroniques d'un festival panafricain")

- 2017 : dans le cadre des Jeux de la Francophonie, médaille de bronze en Côte d’Ivoire au concours de nouvelles, avec Ndënd, l'histoire d’un musicien.
Publication de son deuxième roman
Silence du chœur sur la migration africaine pour lequel il s'est rendu en Sicile pour observer la situation, rencontrer des gens.
Il vit entre autres d’une bourse d’État sénégalaise entre Paris, anime des ateliers d'écriture (précise Jeune Afrique).

- 2018 : troisième roman De purs hommes sur le rejet de l'homosexualité en Afrique de l'Ouest. L'un des personnages est licencié (début seulement de ses ennuis), car il a enseigné Verlaine, interdit à l'université...

- 2018 : bourse de la Fondation Lagardère qui a soutenu la création du roman que nous lisons.

- 2019 : avec une bourse d'aide à la création de la région Île-de-France, résidence d'écriture au Musée de l'Immigration (suite à son Prix littéraire de la Porte dorée) ; on peut voir :
› sur le site du musée ses activités dans un centre social
sur le site de François Bon l'atelier d'écriture qu'il mène
et un article : "Quelques réflexions d’un ancien résident", revue Hommes & Migrations, n° 1329, 2020
.

- 2021 : avec
La plus secrète mémoire des hommes, il obtient le prix Goncourt, dont il est le plus jeune lauréat après Patrick Grainville en 1976.
Il est nommé ambassadeur de la lecture dans le cadre de la lecture grande cause nationale pour 2022
Il devient commandeur de l’Ordre national du lion (rapporte Pressafrik), distinction que les amis des bêtes aimeraient voir introduite en France...

Maigres potins

ll habite aujourd'hui à Beauvais. Il vit dans l’Oise depuis son arrivée au lycée de Compiègne, sa compagne est française, il ne songe pas à demander la nationalité française :

Je ne suis pas en couple avec la France, plutôt en relation libre. Être étranger est la position idéale pour toujours redécouvrir ce pays, même si ça ne simplifie pas les choses, notamment quand vous devez prendre l'avion ! (L'Obs)

• Publications et prix
À 31 ans, il a publié 4 romans !
Terre ceinte,
Présence Africaine, 2014
Silence du chœur,
Présence Africaine, 2017
De purs hommes, Philippe Rey/Jimsaan,
Les trois premiers romans évoquent tour à tour :
- le terrorisme (Terre ceinte)
- la migration africaine (Silence du
chœur)
- puis l'homosexualité en Afrique de l'Ouest (De purs hommes).

2018

 

 

 

 

La plus secrète mémoire des hommes, Philippe Rey/Jimsaan, 2021

- Nouvelle : La Cale, Cadrans.org, en ligne ici.
- Roman : Terre ceinte, éd. Présence Africaine, 2014 – Prix Ahmadou Kourouma 2015 ; Grand Prix du roman métis 2015 ; Prix du roman métis des lycéens 2015.
- Articles et nouvelles : dans Présence africaine, n° 191, 2015 : "La Couleur de l'infortune", p. 119 à 132 ; "FESMAN 66 : Des images et des questions", p. 251 à 258.

Ndënd
, nouvelle primée aux Jeux de la Francophonie en 2017.

- Roman : Silence du chœur, éd. Présence Africaine, 2017 – Prix littéraire de la Porte Dorée 2018 ; Prix Littérature-Monde du Festival Étonnants Voyageurs 2018 ; Prix du roman métis des lecteurs de Saint-Denis de la Réunion 2018 ; Prix Solidarité de la mutuelle Harmonie Mutuelle 2018.
- Roman : De purs hommes, co-éd. Philippe Rey/Jimsaan, 2018 ; Livre de poche, 2021.
- Roman : La plus secrète mémoire des hommes, co-éd. Philippe Rey/Jimsaan, 2021 – Prix Goncourt ; Prix Transfuge du meilleur roman de langue française ; Prix Hennessy du livre ; Prix FETKANN ! Maryse Condé, Mention spéciale du jury.
De gauche à droite : le prix Goncourt Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Claudel et Tahar Ben Jelloun, tous deux membres du jury, le 3 novembre 2021, à Paris.

- Préface de Un homme pareil aux autres, René Maran, éd. du Typhon, 2021. René Maran fut le premier auteur noir distingué par le Goncourt avec Batouala en 1921.
Voir ici
sur le site de la librairie M
ollat, Mbougar Sarr qui présente ce livre (vidéo 6 min).
Passionnante émission de radio toute récente à écouter :
"René Maran, le premier Goncourt noir", par Stéphanie Duncan, Autant en emporte l'histoire, France Inter, 19 décembre 2021, 54 min).
Voir aussi l'étude de l'histoire du livre par Laura Gauthier Blasi et Tina Harpin : "Un homme pareil aux autres de René Maran au prisme des études génétiques", Continents manuscrits, n° 17, 2021.


• Le roman La plus secrète mémoire des hommes

"Quelle est donc cette patrie ? Tu la connais : c'est évidemment la patrie des livres : les livres lus et aimés, les livres lus et honnis, les livres qu'on rêve d'écrire, les livres insignifiants qu'on a oubliés et dont on ne sait même plus si on les a ouverts un jour, les livres qu'on prétend avoir lus, les livres qu'on ne lira jamais mais dont on ne se séparerait non plus pour rien au monde, les livres qui attendent leur heure dans une nuit patiente, avant le crépuscule éblouissant des lectures de l'aube. Oui, disais-je, oui : je serai citoyenne de cette patrie-là, je ferai allégeance à ce royaume, le royaume de la bibliothèque." (dit Siga D., p. 319)
Les précisions qui suivent sont données par l'auteur lui-même.

- Le dédicataire
- L'auteur cité en exergue
- Le premier narrateur jeune écrivain
- L'écrivain disparu, Elimane
- La composition du roman
- La vraisemblance
- La magie
- Le sexe
- Trois continents : Afrique, Europe, Amérique
- La réception du livre

- Le dédicataire
Mbougar Sarr s’est inspiré de la figure de Yambo Ouologuem (1940-2017), auteur malien récompensé en 1968 par le Renaudot pour Le devoir de violence. Des accusations de plagiat, notamment de Graham Greene, André Schwarz-Bart ou encore Guy de Maupassant, ont brisé net la carrière de l’auteur.
Le livre a été retiré de la vente par son éditeur Le Seuil ; il ne fut réédité qu’en 2003 par le Serpent à Plumes, pour se trouver rapidement à nouveau indisponible. À l’occasion du cinquantième anniversaire de sa parution initiale, Le Seuil l’a réédité en 2018, après la mort de son auteur en 2017.
Après quelques tentatives malheureuses - il publiera également en 1969 Mille et une bibles du sexe et Lettres à la France nègre -, il se replie dans l’amertume et le silence.

Ouologuem est rentré au pays, humilié et n’a plus parlé. C’est un sort injuste, car il n’a plagié personne. Il s’agissait d’un jeu littéraire plein d’ironie. Mais un auteur africain a-t-il le droit de jouer avec les classiques de l’ancien colon ? (Mohamed Mbougar Sarr, L'Obs)

Un de mes professeurs de collège est le premier à m’en avoir parlé, il disait en posséder un exemplaire, mais il ne le retrouvait pas. Au bout de plusieurs années, il le retrouve enfin et me le donne : déchiré et avec des pages manquantes. Donc même cette découverte est éminemment romanesque. J’étais fasciné d’emblée. J’ai cherché la version intégrale au Sénégal pendant des années et ce n’est que quand je suis arrivé en France pour poursuivre mes études que j’ai réussi à mettre la main sur un exemplaire. À partir de ce moment-là, je l’ai lu et relu, ce qui a nourri ma fascination. (L'Orient littéraire)

"Pourquoi êtes-vous fasciné par la figure de l’écrivain Yambo Ouologuem ?"

Elle marque toute personne qui découvre son histoire. Il n’a pas 30 ans quand il publie Le devoir de violence, qui sera attaqué autant par les Africains que par les Français. Ma fascination s’est nourrie de sa lecture et de ces questions : dans quel état d’esprit était-il ? Qu’a-t-il fait après ? Pourquoi s’est-il tu ? Et je me suis peu à peu orienté vers une thèse de littérature qui porte sur trois romans magnifiques parus en 1968, le sien, et ceux de Ahmadou Kourouma (Les soleils des indépendances) et de Malick Fall (La plaie), qui inaugurent à mon sens la naissance du roman postcolonial dans la littérature africaine francophone. Et quand on travaille sur Yambo, on se rend compte que sa vie était romanesque. Mais je m’empresse de dire que La plus secrète mémoire des hommes n’est pas sur lui, disons qu’il en est une inspiration, une silhouette tutélaire. Ce n’est pas sa vie que je romance. Je ne cherche pas à faire une exofiction, genre très à la mode.

"En quoi Le devoir de violence vous a-t-il marqué ?"

Dire que c’est un texte important dans l’histoire de la littérature africaine, et même de la littérature mondiale, est une banalité. Tout le sens du scandale qui s’est abattu sur lui vient de ce qu’il est arrivé à la croisée de plusieurs textes, de plusieurs époques, de plusieurs auteurs. Il est original aussi sur le plan littéraire, par le style, par la langue, par l’érudition. Yambo est un prosateur magnifique, très libre, très insolent, très différent de ceux qui ont écrit avant lui, en tout cas dans l’espace africain francophone. Il y a le personnage, le mythe. Mais le cœur du sujet, c’est la littérature. (Libération)

"Cette histoire a-t-elle inspiré l'écriture de La plus secrète mémoire des hommes ?"

Cette histoire d'accusation de plagiat après la publication de Devoir de violence est l'une des origines de mon roman, même si ce n'est pas du tout la vie de Ouologuem qui est reprise. Il ne s'agit pas ici d'une exofiction, disons qu'en arrière-plan, il y a sa figure. Je suis depuis longtemps fasciné par l'histoire de cet homme dont la vie est très romanesque. Son roman est très beau, très courageux et a un style éblouissant. Courageux et solitaire, car il détonnait par rapport à l'histoire des idées de l'époque. Le devoir de violence a été à la fois condamné par les tenants de la négritude, Senghor ou Hampaté Ba, et, après le scandale du plagiat, par tout un ensemble de journalistes et écrivains du monde littéraire français. Senghor l'a trouvé "effroyable", parce que c'était une vision du continent africain qui était en complet décalage avec ce que la négritude essayait de développer, à savoir que le continent africain était une terre édénique avant l'arrivée de la colonisation européenne.
Yambo Ouologuem s'est contenté de dire qu'avant cette colonisation-là, il y avait eu la colonisation arabe et d'autres encore, internes au continent. Évidemment, cela ne cadrait pas avec l'idée d'une revalorisation, à laquelle travaillait la négritude, et qui était tout aussi légitime. Ces deux légitimités se sont affrontées mais la première était difficile à admettre.
(L'Express)

"Aviez-vous songé à une biographie ?"

La biographie n’a pas ma prédilection. Les meilleures à mon goût sont toujours imaginaires. Je m’inscris dans une tradition qui serait celle de Borges, Bolaño ou Schwob. Une biographie est toujours incomplète et on ne peut la combler qu’en décidant de franchir le pas de l’imaginaire. Cette liberté-là permet parfois d’être plus exact, paradoxalement. Je me suis très vite détaché des sources biographiques ou de l’exactitude factuelle pour chercher une autre vérité par la fiction. Au-delà de Yambo, les questions qu’il soulève sont universelles. (Libération)

L'histoire de ce livre, Le devoir de violence, et de son auteur, Yambo Ouologuem, est longuement racontée par Jean-Pierre Orban, dans "Livre culte, livre maudit : histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem", Continents manuscrits, hors série, 2018, en pdf 58 p.

- L'auteur cité en exergue : Bolaño, avec un extrait des Détectives sauvages

Mohamed Mbougar Sarr fait partie de ceux que Libération appelle "la confrérie secrète autour de Roberto Bolaño"... dont Virginie Despentes et Patti Smith, pour ne citer que celles que nous avons lues.

"Ce livre s’articule autour de la quête d’un groupe de jeunes romantiques sur les traces d’une poétesse disparue. Je peux dire qu’il m’a affranchi et m’a autorisé à mettre la littérature au centre du roman. L’inventivité de la langue, l’humour, l’ironie de Bolaño m’ont donné le courage de me risquer sur ce territoire". (Le Temps)

"Vous avez placé en exergue une citation assez complexe de Roberto Bolaño et qui contient différents niveaux d’interprétation."

Bolaño est une figure très importante pour moi. Il m’a marqué et même transformé comme lecteur et comme écrivain. Il m’a montré de quelle façon je pouvais donner aux interrogations qui étaient les miennes une forme romanesque. Ma rencontre avec ses écrits est un moment-clé pour moi, un moment de bascule. Ce qu’il dit dans cette citation, c’est que l’œuvre littéraire voyage, que ce voyage est long et comporte plusieurs étapes. Mais c’est elle qui demeure et non son auteur, ses lecteurs ou ses commentateurs. Donc c’est à elle seule qu’il faut accorder de l’importance. Mais l’œuvre est vivante et comme toute chose vivante il arrive qu’elle meure. Qu’est-ce qui rend une œuvre vivante ? Pourquoi est-on obsédé par certains livres ? Pourquoi vous transforment-ils ? Ce sont pour moi des questions fondamentales. La littérature représente un voyage sublime mais promis à l’échec. Néanmoins, ce voyage en vaut la peine, il permet de découvrir des choses inconnues et merveilleuses, il est empreint de beauté, de mélancolie, de nécessité. C’est pourquoi il faut le mener pleinement. La citation de Bolaño dit tout cela. Avec Elimane, on traverse une histoire mondiale où la figure de l’écrivain nous sert de guide, mais sans savoir où il nous mène. Néanmoins, on pressent qu’à la fin du voyage se trouve l’échec. Il ne peut rien y avoir au-delà de la beauté. C’est pourquoi il faut lire et écrire avec courage, il faut porter la littérature dans le monde avec courage. Bolaño qui est un grand lecteur de Baudelaire commente l’un de ses poèmes, "L’invitation au voyage", en ce sens. La littérature est en mesure de nous offrir du nouveau et nous devons l’exiger d’elle. (L'Orient littéraire)

On entend souvent cette formule : quel est l’écrivain qui a changé votre vie ? Il y en a plusieurs forcément. Mais le plus récent qui a changé ma vie comme lecteur, mais aussi comme écrivain, parce que c’est aussi un maître d’écriture et un maître de lecture, c’est Bolaño. J’ai tenté de mettre dans ce roman tout un ensemble d’obsessions qui étaient déjà chez lui magistralement exprimées. Je m’enorgueillis de faire partie d’une sorte de petite confrérie qui compte de plus en plus de membres, et tant mieux, qui lisent Bolaño. Et pour La plus secrète mémoire des hommes, il a été la figure centrale. Tous ses grands textes portent sur des écrivains qui cherchent le sens de leur engagement poétique, qui cherchent des écrivains disparus ou légendaires. De ce point de vue, je ne revendique aucune forme d’originalité. (Libération)

- Le premier narrateur
Le livre s'ouvre sur le journal de
Diégane Latyr Faye :

Diégane est un jeune écrivain qui a un groupe d’amis à Paris. Ensemble, ils commencent en littérature. Étant africains ou d’origine africaine, ils se retrouvent confrontés à une certaine marginalité à l’intérieur du milieu littéraire français. Ils se demandent quelle est leur place, s’ils doivent écrire pour plaire, se plier à un certain conformisme, se rebeller, comment échapper aux attentes et aux assignations exotiques, et tout simplement ce qu’il faut écrire à cet âge-là si l’on veut être un petit peu singulier. (Le Monde)

Par certains aspects, évidemment oui, il me ressemble, c’est mon double littéraire. Mais par d'autres, il est tout à fait différent. Comme moi, il est venu faire ses études en France. Comme moi, il a commencé une thèse de littérature. Comme moi, c'est un doctorant fainéant. Comme moi, il tente d'écrire. Comme moi, il a des modèles qui l’écrasent un peu, et dont il ne sait pas se débarrasser. Comme moi, il se demande quel est le sens de son engagement littéraire. Il y a beaucoup de choses qu'il fait tout de même que je n'aurais pas osé faire. C'est précisément parce que je n'ai pas eu le courage de m'engager dans une sorte de grande quête comme cela que j'ai écrit ce texte. (RFI)

- L'écrivain disparu, auteur du Labyrinthe de l’inhumain : T.C. Elimane
"Le sens de ce nom en arabe, c’est la foi. Pourquoi cela ?"

J’ai longuement hésité avec plusieurs noms. Je voulais que le nom soit en accord avec le personnage. Madag, son second nom qui est un nom traditionnel, est en cohérence avec son destin et c’est celui qu’il finit par choisir. Il signifie le voyant ou le devin en langue sérère qui est ma langue maternelle. Elimane est un être de foi, sa religion est la littérature. Il a tenté de vivre et de se sauver dans et par la littérature. Il y a plusieurs clés à ce personnage, mais j’ai choisi d’en laisser certaines dans l’ombre. (L'Orient littéraire)

Et ces initiales, T.C. ?
Pour savoir quels noms elles représentent, il faut aller page 234...

- La composition du roman
"Avez-vous conçu l'architecture très pensée de ce livre dès le départ ou s'est-elle imposée au fil de la plume ?"

Au fil de la plume. Je travaille comme cela en général. Je n'ai pas de plan précis quand je commence, c'est pour cela que l'écriture a été très longue, près de trois ans. Tout ce que je voulais mettre à l'intérieur de ce roman a pris du temps avant de s'agencer de façon à peu près satisfaisante. Je voulais aussi signifier à travers mon personnage de romancier que finalement les mêmes problématiques perdurent. La grande question du roman en réalité est le temps, que j'ai essayé de rendre à travers des voix qui s'expriment dans des temporalités différentes et qui se croisent. En réalité, nous ne laissons pas tranquilles les fantômes du passé. Ce n'est pas le passé qui nous hante, c'est nous qui hantons le passé. (L'Express)

"Votre roman est construit non seulement de façon polyphonique, mais également par le biais d’une multiplication des genres littéraires et avec de fréquentes ruptures chronologiques qui déstabilisent et brouillent les repères. Était-ce une façon de dire que la vérité est impossible à atteindre, que seule la multiplication des points de vue permet de s’en approcher ?"

Oui, c’est tout à fait ça. Multiplier les techniques d’écriture, les genres, les points de vue, est la seule façon d’aborder l’énigme d’un personnage. Chaque point de vue est une hypothèse, une tentative d’interprétation. La vérité d’un homme n’est pas unique, elle est relative aux époques et aux individus. L’identité est kaléidoscopique, et je voulais que le roman le soit aussi. Je recherchais une cohérence entre l’idée philosophique, le thème du roman et sa forme, sa construction. Quant aux ruptures chronologiques, elles correspondent à la réalité de notre manière de penser et de notre psychisme. Le passage du temps, sa linéarité est sans cesse contredite par les tiraillements de notre mental entre passé, présent et futur. Des ruptures temporelles se produisent en permanence dans nos flux de conscience : la mémoire est mise en branle par des objets ou des événements qui nous font revivre le passé ; les projets que nous formulons nous projettent dans l’avenir. (L'Orient littéraire)

"Avez-vous choisi de multiplier les formes de narration – journal, lettres, récits, flash-back – pour mieux reconstituer les fragments d’un parcours ?"

Il est intéressant de voir comment on touche aux vérités d’une vie qui dépendent du regard de celui qui la relate. D’où cette polyphonie de voix et cette multiplicité de genres. Lorsqu’on enquête sur une existence, on est confronté à un foisonnement, à la fois très agencé et déstructuré. L’enquêteur navigue entre ces différents blocs de vérité, de narration et de temporalités. À quel moment telle chose est dite et quel sens cela a pour celui qui l’énonce à ce moment-là ? Le tout permet de composer un portrait très éclaté. (Libération)

"La plus secrète mémoire des hommes se déploie de manière labyrinthique, avec des récits polyphoniques et polymorphes qui tentent de percer le mystère de T.C. Elimane. Pourquoi avoir choisi ce type de narration ?"

Avec cette structure en spirale descendante, faite de plusieurs récits qui s’emboîtent les uns dans les autres, je voulais montrer qu’en réalité, dans la construction d’un roman, il y a une part de jeu avec la bibliothèque qu’on porte en soi, qu’on ne peut pas l’exclure complètement. Si on le fait, c’est toujours avec plus ou moins d’habileté en cachant d’où l’on vient. Moi, je ne voulais pas cacher d’où je viens, ma généalogie littéraire. (Le Monde)

La table des matières : trois livres, 7 parties, 4 biographèmes

Dédicace
Exergue
 
 
LIVRE PREMIER
 

Première partie - La Toile de l'Araignée-mère
Deuxième partie - Journal estival
Premier biographème - Trois notes sur le livre essentiel (extraits du journal de T.C. Elimane)

 
DEUXIÈME LIVRE
 
Première partie - Le testament d'Ousseynou Koumakh
Deuxième biographème - Trois cris en plein tremblement
Deuxième partie - Enquêteuses et enquêtées
Troisième biographème - Où finit Charles Ellenstein
Troisième partie - Nuits de tango par marée haute
 
TROISIÈME LIVRE
 
Première partie - Amitié-amour x littérature/politique = ?
Quatrième biographème - Les lettres mortes
Deuxième partie - La solitude de Madag
 
Épilogue
Remerciements
 
 
Biographème nous renvoie à Roland Barthes : si j'étais écrivain, et mort, comme j'aimerais que ma vie se réduisît, par les soins d'un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons : des "biographèmes" (voir le texte de Barthes ici et ce que Mbougar Sarr dit par ailleurs au sujet de Barthes)


- La vraisemblance
Dans le livre, Elimane, auteur fictif, rencontre de vrais écrivains en Amérique du Sud : Gombrowicz, Sábato, Victoria Ocampo.
"Avez-vous toujo
urs ce souci de la véracité du contexte ?"

Quand vous placez une intrigue ou un personnage dans un paysage vraisemblable ou même exact, la confusion se crée. Par exemple, on sait que Gombrowicz et Sábato ont été très amis à Buenos Aires, dans un cercle qui comprenait les sœurs Ocampo, les Borges, etc. En y ajoutant Elimane, on finit par se demander s’il n’a pas vraiment été là aussi… Je prête des phrases à des jurés du Goncourt qui n’ont pas été prononcées à l’époque. Tout ça fait un effet de réel qui rend intéressant et ludique le travail de la narration. Mais avant, il faut tenter d’être exact sur le contexte littéraire, historique et politique. C’est aussi ça infuser de la densité au roman : on lui donne une chair réelle, avant de prendre des libertés par la fiction, mais aussi en introduisant des choses plus fantastiques, magiques, qui font que le texte devient plus mouvant, plus tourbillonnant. (Libération)

- La magie
Elimane est un "voyant", une veine aussi fantastique et culturelle ?

C’est lié évidemment à ma culture, à mon enfance, à la famille et à l’ethnie dont je suis originaire où l’on compose encore aujourd’hui avec cette réalité ou cette surréalité-là. Cela fait partie du quotidien des gens avec une vraie signification. Les voyants ou en tout cas considérés comme tels existent toujours. Dans le roman, Elimane est issu d’une famille de voyants, lui-même en étant un. C’est une hypothèse parmi d’autres sur le sens de son existence. Alors pourquoi n’a-t-il donc pas vu ce qui l’attendait ? Mais même quand on est voyant, on ne voit pas tout. Il y a des choses qui demeurent voilées et c’est en avançant dans la vie qu’on les voit peut-être, tout simplement. Je ne veux pas verser dans l’ésotérisme, mais pour moi, il y a une sorte d’attention qu’il faut prêter aux choses, aux êtres, qui va simplement au-delà de l’attention factuelle. Je trouve intéressants les textes littéraires où il y a, à un moment donné, un trouble à l’intérieur du déploiement linéaire et rationnel de ce qu’on appelle le réel, où il y a irruption de quelque chose qui ne relève pas des catégories habituelles de perception et d’appréhension. Ce qui fait que, à un moment donné, même pendant une seconde, on sent que le réel est beaucoup plus épais qu’on ne le dit, avec une profondeur donnée par la possibilité du fantastique ou du surnaturel. C’est culturel, mais c’est aussi très littéraire. (Libération)

C’est une dimension très présente dans l’imaginaire profond de ma culture, admise naturellement. Cet animisme méprisé est inscrit en moi. Littérairement, il a une valeur poétique et donne de la profondeur au réel. J’appartiens à une fratrie de sept garçons dont l’imaginaire a été formé par les contes, les jeux de langue, les récitations de ma mère et des grands-mères, tantes, cousines, c’est pourquoi le récit est souvent porté par des femmes. (Le Temps)

- Le sexe
Avec qui couche Diégane ? Comment et pourquoi Elimane en vient-il à fréquenter des soirées libertines ? Il faut lire le livre pour le savoir...

La vie érotique n’est jamais purement gratuite. Ce n’est pas un monde clos ou à part. C’est une porte d’entrée existentielle comme une autre. J’ai appris de mon ami et mentor l’écrivain togolais Sami Tchak, que la sexualité est toujours un point de sens. C’est pour cette raison qu’autant le narrateur qu’Elimane ont une vie érotique qui dit quelque chose d’eux. Pour Diégane en effet, c’est une sorte d’oscillation entre la cérébralité et un désir qui est là, mais qui n’arrive pas toujours à s’exprimer clairement. C’est ce que la romancière Siga D. lui dit au fond : arrête de jouer l’écrivain tout le temps et sois présent à ta sensualité, vis-la pleinement au lieu d’y réfléchir dès la première caresse. (Libération)

Aviez-vous en tête que Yambo Ouologuem dont s'inspire le personnage d'Elimane a publié aussi un livre érotique en 1969 ?

Ce texte, Mille et une bibles du sexe, se trouve peut-être en arrière-plan. C’est un livre très étrange dans la tradition des grands textes libertins français du XVIIIe siècle. C’est également ça l’originalité de Yambo : il a exploré des domaines qui ne l’étaient pas tout à fait à son époque, qui plus est par des Africains. (Libération)

- Trois continents : Afrique, Europe, Amérique
"Ces récits dessinent la trajectoire de T.C. Elimane, du Sénégal colonisé au Buenos Aires des années 1950, en passant par le Paris de l’Occupation. Plus que dans une géographie, il semble se déplacer dans la littérature elle-même…"

C’est une illustration de l’idée que je me fais de la littérature comme un univers ouvert à tout le monde. Il s’agissait aussi de montrer que l’histoire du XXe siècle peut être vue à travers les histoires d’écrivains et que, par ces écrivains, ces livres, on pouvait aussi accéder à des écrivains africains. L’Afrique n’est pas à mettre à part dans l’histoire de la littérature. Elle appartient à cette République mondiale des lettres. Et puis j’avais envie de sortir du face-à-face entre Afrique et Occident, en déplaçant la trajectoire d’Elimane sur le continent sud-américain. Et, par-delà, sur le continent Littérature, qui est le seul qui vaille pour les écrivains. (Le Monde)

- La réception du livre
"Pensez-vous que le milieu littéraire perçoit de manière différente l'auteur qui vient du Sénégal et celui natif de Toulouse par exemple ?"

En effet, je ne pense pas être sur le même plan qu'un auteur français. Cela n'a rien d'idéologique, mais quand on fait de la sociologie littéraire, on se rend compte qu'en réalité la perception et les attentes de nos éditeurs ou du public ne sont pas les mêmes. Il y a un ouvrage très intéressant de la chercheuse Claire Ducourmont qui s'appelle La Fabrique des classiques africains. Elle y montre comment beaucoup d'écrivains aujourd'hui classiques ont été quasiment fabriqués par l'industrie littéraire française à travers un ensemble de stratégies et de mises en avant, éventuellement extra-littéraires, plus ou moins partagées par les auteurs eux-mêmes d'ailleurs. Quand on est un écrivain africain, on est catalogué, on doit prendre en charge un certain nombre de thèmes. Ainsi, un jour à Saint-Malo, alors que je venais de recevoir le prix littérature monde pour mon deuxième roman, une lectrice bienveillante m'a dit : "J'aime beaucoup les écrivains africains car ils nous parlent du monde." Que veut dire cette phrase ? Elle est chaleureuse, mais elle signifie aussi peut-être : "Je vous lis car j'attends de vous que vous nous parliez du monde". Bref, nous sommes une marque, un label, et c'est dangereux. Comme s'il y avait une armée d'écrivains africains qui devaient tous écrire la même chose. (L'Express)

• Radio

- France Culture
La Grande table, par Olivia Gesbert : "Mohamed Mbougar Sarr dans le labyrinthe littéraire"
, 23 septembre 2021, 27 min.
Les Matins, par Guillaume Ermer : entretien avec Mohamed Mbougar Sarr, 2 novembre 2021, 12 min.

- France Inter
Boomerang, par Augustin Trapenard : "L'art de Mohamed Mbougar Sarr", 28 septembre 2021, 33 min.
Le 7/9, avec Léa Salamé : "Le roman vous met toujours en face de vous-même", 4 novembre 2021, 9 min.
Le Masque et la Plume, par Jérôme Garcin : "La plus secrète mémoire des hommes", 3 décembre 2021, 10 min.

- RFI
› 
Littérature sans frontières, par Catherine Fruchon-Toussaint : "Mohamed Mbougar Sarr, pour une littérature sans masque et sans frontières", 28 août 2021, 29 min. Puis Mohamed Mbougar Sarr parle de ses liens à la France, de l'exil et de son pays natal le Sénégal, 8 min.
Invité du matin, avec Frédéric Rivière : "Je vois une grande vitalité de la création dans l'espace francophone", 9 novembre 2021, 9 min.

• Vidéo

- Mohamed Mbougar Sarr présente son livre, Librairie Mollat, septembre 2021, 5 min
- La grande librairie, France 5, 5 novembre 2021, 13 min (réinvité après le Prix Goncourt).

• Interviews presse écrite

- "Allier polyphonie et polygraphie sur l’exil", propos recueillis par Marie Poinsot, Hommes & migrations, n° 1323, 2018 (après son deuxième roman sur les migrants).

La littérature a un privilège décisif que les sciences humaines n’ont pas : elle peut avoir la prétention de dire ce qui se passe dans les cœurs. En pouvant inventer un passé à un homme, rentrer dans sa tête, rendre ses interrogations, angoisses, désirs, explorer sa part obscure, la littérature donne aux individus une incarnation, une épaisseur historique et psychologique à laquelle les autres grandes disciplines scientifiques ne peuvent, pour des raisons évidentes, avoir.

- "J'ai été élevé par des femmes, avec des récits", propos recueillis par Isabelle de Montvert-Chaussy, Sud Ouest, 8 octobre 2021.
- Mohamed Mbougar Sarr : "J'essaye de tendre vers une singularité", propos recueillis par Marianne Payot, L'Express, 6 novembre 2021.
- "Mohamed Mbougar Sarr et 'le troisième continent'", propos recueillis par Frédérique Roussel, Libération, 27 août 2021.
- "Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021 : 'L'Afrique n'est pas à mettre à part dans l'histoire de la littérature'", propos recueillis par Gladys Marivat, Le Monde, 4 novembre 2021.
- "À la recherche du 'Rimbaud nègre'", propos recueillis par Georgia Makhlouf, L'Orient littéraire, 4 novembre 2021.
- "On a tous besoin d'imaginaire", propos recueillis par Sandrine Bajos, Le Parisien, 28 novembre 2021 : le président de la République a décrété la lecture grande cause nationale pour 2022, le Centre national du livre (CNL) a décidé de nommer comme ambassadeur de la lecture Mohamed Mbougar Sarr.

• Articles sur La plus secrète mémoire des hommes

Ils sont très nombreux. Voici un florilège limité mais divers :

- "En remontant le cours des œuvres", Pierre Benetti, En attendant Nadeau, 25 août 2021.

Il nous mène dans des lieux et des époques pour les abandonner aussitôt, fait dans l’emphase et soudain dans la sobriété. Cela peut s’appeler maladresse ; mais cela peut aussi signifier une énergie romanesque singulière, qui n’a pas froid aux yeux, quitte à nous dérouter ou à nous laisser pantois.

- "La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr" : le feuilleton littéraire de Camille Laurens, Le Monde, 26 août 2021.

Pour reprendre le titre d'une fiction de Borgès, plusieurs fois cité, ce "jardin aux sentiers qui bifurquent" qu'est le roman propose des récits enchâssés dans lesquels le glissement d'un narrateur à l'autre, d'une époque à l'autre, n'est souvent signalé par aucune marque particulière. Nous éprouvons ainsi ce vertige attachant que suscitent les grands livres, complexes mais pas compliqués, où il n'est pas nécessaire de "tout comprendre".

- "Dans le labyrinthe avec Mohamed Mbougar Sarr", Pierre Assouline, La République des lettres, 25 septembre 2021.

L'auteur a ceci de diabolique qu'il désamorce toutes les critiques qu'on pourrait lui adresser puisque le narrateur se les adresse déjà à lui-même et qu'il y répond. Car l'enquête brasse large.

- "L'ultime mise en abyme", par Frédéric Beigbeder, Le Figaro, 29 octobre 2021.

Dans une scène d'anthologie, le jeune héros, Diégane Faye, aborde une célèbre romancière africaine en lui proposant de téter sa poitrine, avant de fumer de l'herbe dans sa chambre d'hôtel. Disons que c'est du Balzac légèrement réactualisé. La phrase qui nous a définitivement convaincus se trouve page 25 : "La vie n'est rien d'autre que le trait d'union du mot peut-être. Je tente de marcher sur ce mince tiret."

- "Mohamed Mbougar Sarr, la transmission", Christiane Chaulet Achour, Diacritik, 8 novembre 2021. Christiane Chaulet Achour, universitaire spécialiste des littératures francophones a lu Le devoir de violence avant La plus secrète mémoire des hommes.

Ce roman a une structure assez recherchée : il se déploie en trois "livres", chacun d’eux étant subdivisé en parties et en biographèmes notion dont on sait l’importance chez Roland Barthes. Ils permettent ici de cerner l’écrivain disparu, Elimane : ils désignent l’intrusion de la vie des deux écrivains dans la coulée de l’écriture — quête d’une écriture et enquête sur le disparu.

- "10 choses à savoir sur… Mohamed Mbougar Sarr", Arnaud Gonzague, L'Obs, 11 novembre 2021.

=> À l'étranger :

- "Mohamed Mbougar Sarr, l’écriture face au réel", Isabelle Rüf, Le Temps (Suisse), 15 octobre 2021.

Après une initiation érotique brutale, la célèbre écrivaine africaine, "l’Araignée-mère", ouvre au jeune auteur l’univers d’où est issu, comme elle, l’auteur mythique du Labyrinthe de l’inhumain. Ce retour sur une Afrique rurale, imprégnée de forces surnaturelles, prise entre le désir d’assimilation au modèle colonial et la résistance du mode de vie traditionnel, se déroule comme une vision, troublante de vérité.

- "Mohamed Mbougar Sarr au cœur d’une polémique homophobe au Sénégal", Jérémie Vaudaux, Libération, 3 décembre 2021.

- "Goncourt, Nobel, Booker Prize... La récompense du dominant au dominé", Umar Timol, Jeune Afrique (hebdomadaire panafricain, édité à Paris), 9 décembre 2021.

-
"Splendeurs et misères d'un prix Goncourt", Odile Tremblay, Le Devoir (Québec), 16 décembre 2021.

- DÉJÀ UN COLLOQUE INTERNATIONAL SUR L'AUTEUR en mai 2023 à l'Université de Mannheim (Allemagne). Le titre : "Le labyrinthe littéraire de Mohamed Mbougar Sarr".

• Les éditeurs de Mohamed Mbougar Sarr

- L'éditeur de ses deux premiers romans
La maison d'édition Présence Africaine est créée en 1949, deux ans après la création de la revue Présence Africaine. Cette revue panafricaine semestrielle a été fondée par Alioune Diop, intellectuel sénégalais qui a joué un rôle de premier plan dans l'émancipation des cultures africaines, professeur, sénateur de la IVe République française..., avec les soutiens d'Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright, Albert Camus, André Gide, Jean-Paul Sartre, Théodore Monod, Georges Balandier ou Michel Leiris, Joséphine Baker, James Baldwin, Picasso... n'en jetez plus !
En 1956, Présence Africaine réunit dans le grand amphithéâtre Descartes de la Sorbonne le premier Congrès des écrivains et artistes noirs. La Société africaine de culture (SAC) se constitue à l'issue de ce premier congrès ; rebaptisée Communauté Africaine de Culture (CAC), elle est aujourd’hui présidée par le lauréat du Prix Nobel de littérature, Wole Soyinka.
En 1962, ouvre rue des Écoles à Paris la librairie Présence Africaine.
Au Sénégal indépendant en 1960, Alioune Diop et son équipe organisent avec Léopold Sédar Senghor le premier Festival mondial des arts nègres à Dakar, inauguré en 1966.
L’objectif de Présence Africaine est de fournir aux penseurs, écrivains et chercheurs d’Afrique et de la diaspora, un espace de création et une caisse de résonnance permettant à leurs productions littéraires et scientifiques, de connaître de meilleures conditions de diffusion et d’accessibilité à travers le monde.

Présence Africaine est une maison extraordinaire, avec un catalogue légendaire qui m'a formé dans mes lectures. C'était un honneur de publier chez eux, ils font un pont littéraire entre l'Afrique et l'Europe. (Mbougar Sarr, Sud Ouest)

- La co-édition des deux romans suivants de Mbougar Sarr
Françaises, les Éditions Philippe Rey créées en 2002 sont spécialisés dans la littérature étrangère, par exemple Joyce Carol Oates ou Patrick Chamoiseau que nous avons lus. En littérature française, Philippe Rey publie des auteurs débutants et francophones issus d'Afrique, des Antilles, de Madagascar, d'Haïti.

Mohamed Mbougar Sarr et le co-éditeur français Philippe Rey

Sénégalaises, les Éditions Jimsaan ont été créées en 2013 par trois écrivains sénégalais : Felwine Sarr, Nafissatou Dia et Boubacar Boris Diop (Toni Morrison dit le plus grand bien de son roman Murambi, le livre des ossements).

Cette maison s'est donné pour mission de donner de la visibilité à la littérature africaine et de publier un certain nombre de textes sénégalais oubliés. Pour moi c'était important de publier au Sénégal, j'avais besoin d'un relais fort au Sénégal. Jimsaan a accepté de publier mon livre et m'a proposé de le faire en co-édition avec Philippe Rey. Je voulais absolument qu'il soit lu au Sénégal. (Mohamed Mbougar Sarr, Litera05, 11 mars 2020)

Felwine Sarr, qui est à l’initiative de la co-édition avec Philippe Rey, confirme :

Le défi des maisons africaines est d’avoir plus de moyens pour construire un réseau de distribution et rendre accessible à nos auteurs tout l’espace francophone. (voir la présentation de cet éditeur et écrivain dans Livre Hebdo, 1er mars 2022)

- Les traductions

Deux semaines après l'attribution du Goncourt, l'on sait déjà que La plus secrète mémoire des hommes sera lue dans 32 langues...
Voir l'article "La Fouesnantaise Marie Lannurien a négocié le prix Goncourt en 32 langues", Ronan Larvor, Le Télégramme, 15 novembre 2021.

Mohamed Mbougar Sarr peut peut-être espérer, comme l'auteur africain de La Mélancolie du sable dans son roman, être traduit en silbo, l'espagnol sifflé...

• Les livres aimés

Votre première émotion littéraire ?

Ce sont les contes africains que me racontaient ma mère et mes grands-mères quand j'étais enfant. Ils m'ont ouvert l'appétit pour l'imaginaire et les histoires. Puis la lecture est venue très naturellement quand j'ai su lire. On ne se plonge pas dans un livre que pour s'instruire mais aussi pour le plaisir et s'évader. J'ai commencé avec des bandes dessinées, j'étais abonné au Journal de Mickey et à Picsou magazine. J'étais très curieux, je lisais aussi des articles de presse. (Mohamed Mbougar Sarr, Le Parisien, 2021)

Et parmi vos influences ?

Beaucoup de choses me plaisent et me fascinent dans le XIXe siècle : l'ambition que l'on donne à la littérature, une certaine idée du style, les grands romans ou immenses épopées romanesques, l'émergence d'une vraie modernité esthétique, l'autonomisation vis-à-vis de la morale (Seneplus, 2017)

Je lis Balzac avec gourmandise, il y a en lui un tel appétit de narration. J'aime la poésie, Sylvia Plath, Marina Tsvetaeva ; j'aime Dostoïevski pour ses questionnements philosophiques ; Faulkner pour cette pure technique de l'éclatement et sa technicité…

Roberto Bolaño, un auteur chilien, m’a fait réaliser que je pouvais me permettre certaines libertés et surtout prendre pour sujet la littérature sans que mon livre soit aride. Il a changé ma vie et poussé mon écriture. (Sud Ouest, 2021)

Le Monde, juste cette semaine où nous lisons son livre, demande à 16 écrivains "Quel livre aimez-vous le plus offrir ?". Voici la réponse de Mohamed Mbougar Sarr :

Avant d’essayer de convertir mon entourage au culte de Roberto Bolaño, j’ai beaucoup offert Le Cri des oiseaux fous (Lanctôt, 2000), mon livre préféré de Dany Laferrière. J’avais déjà tenté de répandre la parole de Dahij, de Felwine Sarr (L’Arpenteur, 2009). J’ai tant offert Sami Tchak (Hermina, Gallimard, 2003, et Le Paradis des chiots, Mercure de France, 2006) que je serais en droit de lui réclamer des parts sur ses droits. Quant à Ananda Devi (Le Sari vert, Gallimard, 2009) et Ken Bugul (Riwan, Présence africaine, 2005), c’est sans doute moi qui devrais les rémunérer ; elles m’ont ouvert bien des portes. La Chute, de Camus (Gallimard, 1956), constitua pendant longtemps mon cadeau idéal (peu cher, aussi bref qu’il vous habite longuement). J’ai eu mon époque Quatrains (Omar Khayyam), et mon moment Poésie verticale (Roberto Juarroz). Je crois aussi que j’ai dû offrir un nombre incalculable de Discours sur le colonialisme (Césaire), pour que mes amis le connaissent par cœur.

Je pense toutefois que le livre que j’ai le plus offert demeure L’Insoutenable Légèreté de l’être, de Kundera. J’ai eu l’impression, en terminant ce roman, de comprendre – il était temps – quelque chose à/de l’amour. J’ai détesté mais compris – peut-être admiré – Tomas, figure de l’infidèle ou, pour être plus précis, des fidélités transitoires. Tereza m’a agacé autant que touché, par sa foi en l’absolu de l’amour, dont on se demande si elle est naïve ou sublime. Je n’oublierai jamais Sabina – ô Sabina – nue devant son miroir, avec son chapeau melon, élaborant sa théorie du désir et de la légèreté. On voit immédiatement pourquoi Tomas et Sabina sont incompatibles : ils sont par trop proches sans être semblables. Quant à Tereza, elle pourrait incarner leur rédemption par sa pureté ; mais la pureté, parce qu’elle a quelque chose de kitsch, dégoûte toujours en amour. Voilà établie, en trois personnages, la complexe équation de l’amour moderne. Et Kundera la pose l’air de rien, avec cet art de la digression dont il a fait le cœur même de son art du roman. A ce propos, je préfère aujourd’hui lire les essais de Kundera ; mais L’Insoutenable Légèreté de l’être a beaucoup compté pour moi, l’été de mes 22 ans.

J’offrais évidemment ce livre parce que je l’aimais – la dernière partie, "Le sourire de Karénine" (le chien de Tereza et Tomas, pas le mari cocu d’Anna), est si belle qu’elle m’a tiré des larmes. Les problèmes soulevés dans le roman me paraissaient nouveaux, c’est-à-dire dits dans une forme nouvelle, qui me séduisait. Au fond, cependant, je crois que je l’offrais car j’avais l’intuition que l’amour resterait à jamais la grande crise : ce qui nous préoccupe et nous angoisse le plus en tant qu’êtres humains, devant la fuite du temps. Cette intuition demeure. Je regarde autour de moi et tout le monde parle d’amour, de sa beauté, de sa cruauté, de sa pesanteur et de sa grâce, de la peur de sa fin, de son mystère. J’ai envie de leur dire : lisez L’Insoutenable Légèreté de l’être, toutes les questions y sont.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

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