Trad.
de l'allemand Jörg Stickan, Attila, 2009 ; rééd. Points,
2010 ; rééd. Le
Tripode, 2014, 296 p. ; rééd. Le Tripode format
poche, 2017, 320 p. Quatrième
de couverture :
Bandini, le héros de John Fante, a trouvé son héritier. C'est un branleur. Mais un branleur de génie ! 1952. Dans une cafétéria juive à l'angle de Broadway et de la 86e rue, Jakob Bronsky, tout juste débarqué aux États-Unis, écrit un roman sur son expérience du ghetto pendant la guerre : Le Branleur ! Au milieu des clodos, des putes, des maquereaux et d'autres paumés, il survit comme il peut, accumulant les jobs miteux, fantasmant sous sa couette sur le cul de la secrétaire de son futur éditeur M. Doublecrum... L'Amérique, ce "paradis", est une jungle où la valeur d'un homme se juge à son portefeuille et où tout est marchandise : l'homme, la femme, le sexe, et aussi la littérature. Récit drôle et cruel, évoquant Roth ou Bukowski, Fuck America est en grande partie autobiographique : le livre s'inspire des conditions de vie de l'auteur à son arrivée aux États-Unis dans les années cinquante, alors qu'il travaillait comme serveur dans un delicatessen juif de New York. |
Edgar Hilsenrath (1926-2018)
|
Julien,
Romain |
Monique(avis
transmis)
Ce livre est un coup de poing ; dès le prologue, avec les lettres
au Consul on est plongé dans l'atmosphère du roman :
un refus de visas, et un piège terrible se referme sur les personnages
et scelle leur destin. Ils finiront tout de même par émigrer
en Amérique. Ce ne sera pas l'Amérique en couleur qu'ils
imaginaient, mais une Amérique en noir et blanc, un blanc sale
qui leur collera à la peau. La construction du livre est remarquable :
1938, lettres de demande de visas au Consul des États-Unis en Allemagne
et leur refus ; 1953, la vie à New-York : les petits
boulots et chambres sordides, l'obsession du sexe comme un refuge, un
recours, l'écriture du livre pour combler le trou de mémoire,
pour guérir, ses affabulations, ses délires parmi les autres
émigrants tous misérables, son regard sur la femme américaine,
les émissions psy, l'idée géniale de faire descendre
Mary Stone de l'écran et de raconter à travers des séances
de psychanalyse, les 6 millions de morts et les multiples histoires de
ceux qui ont survécu. L'écriture à l'humour noir
ravageur, la façon de décrire les bas-fonds de New-York,
avec un langage cru, qui colle à la réalité sordide
des lieux, les situations de misère humaine, sont criant de vérité.
On est à Times Square dans le plus miteux des cafés entre
filles des rues qui tapinent, clochards et maquereaux. Il mange sa bouillie
au blé dur. À travers les vitres, de l'autre côté
de la rue, l'Amérique tapageuse le nargue avec les affiches, les
lumières de Broadway qui n'en finissent pas de scintiller. On sent
l'humain, le type qui essaie de s'en sortir, d'échapper à
sa condition. Ce langage cru, provocateur, obscène, est une claque,
un crachat au visage d'une Amérique qui refuse en 1938 d'accueillir
des personnes en danger de mort et qui, friquée, impérieuse,
ostentatoire en 1953, laisse sans sourciller une partie de son peuple
plonger dans une misère humaine et sociale inacceptable. La force
du livre vient de cette capacité de dénonciation envers
les nazis comme envers une société américaine indifférente
où la réussite sociale, les idéaux des ancêtres,
la culture Coca-Cola, la voiture flambant neuve, les costumes de prix,
la maison dans les quartiers chics de l'East Side, les revenus supérieurs
à 150 dollars par semaine sont les valeurs respectables. "Dans
ce pays, la pauvreté et la solitude sont une infamie !"
dit l'agent matrimonial. Le coté foutraque, abracadabrantesque,
totalement déjanté de ce type plein d'illusions, de flegme,
de filouterie qui se bat comme il peut dans une société
qui ne veut pas de lui au présent comme au passé est très
attachant. Son obsession du sexe ressemble à une recherche de sécurité,
un besoin de s'extraire de cette solitude misérable. Il dit le
bar des émigrants et non des émigrés, comme s'ils
étaient encore là d'où ils viennent, d'où
ils ont fui. C'est très politique, c'est un récit de la
Shoah bouleversant, un regard acéré, au plus près
de la vie quotidienne de ces émigrés qui se battent pour
survivre, et un regard lucide et sans pitié sur la société
américaine qui les a accueillis. J'ouvre aux ¾.
Romain (avis
transmis)
Je l'ouvre à moitié. Après un ou deux chapitres,
je pensais que je le fermerais vite, mais j'ai insisté et j'ai
changé d'avis. C'est la première fois que je lis Hilsenrath
et je découvre ce style sec, franc, direct, vulgaire, qui m'a d'abord
refroidi, comme la narration très étrange de Bronsky qui
se parle à lui-même. Mais ce malheureux Bronsky malchanceux
qui échoue et qui rate tout est paradoxalement attachant, car il
est épatant et héroïque dans sa résignation
et son courage à supporter tant de misères et de galères.
Il est comique quoique absurde. Surtout j'ai aimé le décalage
entre la bassesse et la vulgarité de sa vie, de ses fréquentations,
de ses besoins et désirs assumés franchement et puis son
projet d'écriture d'un roman, activité à l'inverse
bien plus noble et artistique. Ainsi au fil de sa descente aux enfers,
je me demandais s'il survivrait toujours un chapitre de plus pour écrire
son livre. Puis la chute explique la forme, la narration schizophrène,
on comprend que Bronsky creuse dans son inconscient et dans sa mémoire
en écrivant. J'ai aimé que sa quête de l'écriture
soit vitale moins pour la gloire et la réussite que parce qu'il
cherche à digérer son passé et continuer à
vivre en dépassant ses traumas. J'en lirai d'autres d'Hilsenrath,
peut-être plutôt en allemand par contre.
Antoine
Quelle couverture immonde ! Pourtant c'est un des meilleurs bouquins que
j'ai lus cette année. Je me suis poilé - on ne peut parler
de ce livre sans être vulgaire. Le rythme est hyper nerveux, le
narrateur répète toujours deux fois la même chose,
on tourne les pages rapidement. En fait, c'est le livre d'un énorme
obsédé. Je crois que plus un auteur a des vices, plus il
les assume : "Plus j'écris, plus ma bite me démange".
Les blagues juives m'ont beaucoup fait rire. Il y a un chapitre noir :
est-ce son histoire à lui ou bien se dédouble-t-il ?
Du coup, on se met à la place des Juifs qui se font déporter.
La force du livre c'est cette alternance entre humour hyper trash, récit
d'un rescapé de la Shoah et critique en règle des États-Unis.
Je pense que je vais lire tous les livres d'Hilsenrath ! Je l'ouvre en
grand !
Margot
Ce livre m'a énervée un maximum ! Je dirai d'abord le profond
malaise généré par ce livre sans compter le temps
perdu à le lire jusqu'au bout.
Le thème choisi, un descendant d'une famille juive laissée
pour compte par l'ambassade américaine en 1939 et prise dans la
tourmente de l'histoire de la Shoah - ce thème impose d'emblée
le silence et, de ce fait, devrait taire toute critique du "roman".
L'angle choisit du descendant qui finit par gagner les USA et donne à
voir la misère d'une survie de jeune immigré à NY,
renforcerait encore une sorte de respect tant le thème serait assez
peu traité en littérature. Il briserait le mythe du rêve
américain. Hélas, Dos Passos, Steinbeck, Faulkner et les
écrivains de la Beat Generation, l'ont fait bien avant. Les Américains
eux-mêmes ont su piétiner leur propre légende et une
femme en priorité : Carson Mc Cullers qui élève
toutes les formes de pauvreté, de l'exil et de misère au
rang de la littérature.
L'idée du livre qui vient s'écrire, se composer dans le
livre même que l'on lit à l'instant présent de la
lecture titille la fibre littéraire des très grands. On
pensera à Cervantes ou encore à l'épopée de
Tristram Shandry. Cet objet livre qui s'écrit sous nos yeux infuserait
à son tour le respect de la création d'autant plus que le
personnage central donne naissance là, sous nos yeux, à
un auteur qui de ce fait sort du cadre de la fiction et par la fiction
émerge sur la scène internationale. Clap Clap, on devrait
applaudir ! Eh bien non ! Je brave les interdits et les faux
respects pour vous proposer une critique vive et à double tranchant.
Entrons dans le gras de la fesse donc !
Flaubert l'avait dit en son temps : le thème ne fait pas l'uvre,
ni l'auteur, ni même le roman et dans ce cas, ce terme de roman
est usurpé. Un livre tout au plus, mal écrit. Une syntaxe
pauvre faite de répétitions plus que lassantes, une écriture
linéaire en diable et d'une platitude à crever d'ennui,
sans musique, ni rythme avec un vocabulaire misérable et s'il y
a là plus de 300 pauvres mots inlassablement triturés dans
tous les sens, ce sera bien tout le luxe de cette plume qui n'a décidément
rien à dire, et ne réserve aucune surprise, aucun élan,
aucun trouble et ne laisse strictement aucune trace tant elle n'a pas
de marque. Quant à la "grossièreté" qui
se voudrait audace et qui s'ajoute à la misère stomacale
et sexuelle de l'immigré, d'autres hélas l'ont écrit
beaucoup beaucoup mieux, plus violemment, avec un humour ravageur, je
pense à Calaferte - La guerre - à Céline
- Voyage au bout de la nuit - au sulfureux et obscène
William Burrough dont Festin nu a fait trembler l'Amérique
et a tant tardé à trouver un éditeur, et à
Faulkner avec la diversité de ses langues de haine et de rage de
Absalon ! Absalon ! Aussi en ce qui me concerne, le titre du livre
qui s'écrit dans Fuck America, signe tout entier l'auteur
: un branleur. Non, je ne penche pas vers une préciosité
littéraire et une morale bourgeoise bien-pensante qui supporteraient
mal l'humour de la misère et ses cohortes d'indécences sexuelles.
Il ne suffit pas dire "enculer", "trou du cul", "fourrer
sa bite, bite, bite", pour avoir une plume hardie. Là encore,
je pense à Philippe Roth - Portnoy et son complexe dont
je tairai ce qui l'a fait tirer à plusieurs millions d'exemplaire
et publier dans toutes les langues, il est au programme de lecture - et
aussi à Moravia avec son célèbre dialogue Moi
et lui où le personnage discute, tance, compose, cède,
aux ardeurs incompressibles de sa bite qui le mène par le bout
du nez.
Quant aux femmes auteures, elles ne sont pas en reste, il y a eu en son
temps Pauline Réage avec son célébrissime Histoire
d'O, qui fit scandale et provoqua maints dîners de ministres,
mais je pense surtout à Jelinek dans La pianiste, La
maison de poupée qu'elle a réécrit, et Lust
surtout dans laquelle elle fracture les lieux communs, l'humour gras,
le sexe et le langage qui porte tout cela. Sur cette question de l'obscénité
sexuelle poussée à son comble littéraire et politique,
je pense aussi à Le bleu du ciel de Georges Bataille :
un inégalé et certainement insurpassable tant il met profondément
et durablement dans un grand état de malaise, sans parler de son
Gilles de Rais qui pulvérise les tabous. Hilsenrath qui
dispute les étagères littéraires est à peine
plus que du pipi de chat qui se serait trompé de trottoir.
Oui, il m'a beaucoup énervée. Avoir appris lors de nos échanges,
qu'il a écrit son livre en 1980 confirme mon hypothèse qu'il
s'agit d'une construction a posteriori qui mélange tous les ingrédients
qui ont fait le succès des très grands. J'ouvre ce livre
en grand. Eh oui. Il a le mérite de montrer pleinement ce qui n'est
ni écriture, ni littérature. Une fois fini ce livre, pour
la première fois depuis longtemps je me suis sentie orpheline de
livre. J'avais besoin de lire, lire, lire, à tout prix.... Mais
quoi ? Un livre, un vrai, un roman, une écriture. Avec le livre
suivant au programme, Du côté de chez Swann, je me
suis sentie de nouveau entourée d'amis, même si c'est encore
loin d'être ma tasse de thé.
Françoise
Qu'est-ce qu'on fait après la Shoah ? Hilsenrath fait comme s'il
l'avait vécue, tout en éludant son explicitation pendant
les trois quarts du livre où le narrateur s'évertue à
écrire son livre. Et seule la fin éclaire cette difficulté,
la pertinence du livre est de fait dans sa construction en forme de flashback
final. J'ai été plus émue que si j'avais lu un vrai
témoignage. J'ai apprécié un récit qui ne
se prend jamais au sérieux, alors même qu'il repose sur des
angoisses existentielles profondes : sexe, création. La loufoquerie
du narrateur m'a fait penser à l'inspecteur Colombo, avec son côté
bras cassé, mais il suscite aussi l'émotion face au tragique
de l'histoire.
Anne-Marie
Effectivement, la loufoquerie traverse cet ouvrage. Croisant par exemple
la classique thématique du Juif à New York. Pas très
bien écrit certes, mais ce n'est pas important à mes yeux.
Un livre amusant, sans style, mais qui se termine par un coup de poing,
plus drôle que choquant. De manière inédite, la Shoah
est racontée avec "douceur et élégance".
Ouvert aux ¾ car la première partie est un peu longue.
Julien
Le livre montre un mécanisme de l'être humain post-trauma.
Être primitif, animé par ses besoins et pulsions : trouver
un travail, avoir une vie sexuelle, écrire son livre. Des dialogues
à la manière d'un questionnaire (répétitions
comiques). Me rappelle la phrase de Bergson "l'humour est un mécanisme
plaqué sur l'être humain". J'ai également
pensé à Miller (Tropique du cancer), en moins cérébral
(passage Mary Stone). À un moment, le narrateur devient le témoin
par procuration du trauma, demandant et obtenant des nouvelles de sa mère
en fauteuil roulant dont il suit le cheminement dans des trains dont on
devine la destination. J'ouvre le livre à moitié, la fin
relatant la déconstruction de la souffrance se réalise trop
tard.
Katherine
Il me reste encore 40 pages à lire. J'ai bien aimé ce roman
ni guindé ni précieux - cela change un peu de Jane Austen
par exemple... À regarder la couverture et le titre, je m'attendais
à une grosse bouffonnerie à la South Park. De caricature
en caricature, la lecture au premier degré m'a fait rire jusque
sur les quais du métro, un pur divertissement. On n'explore pas
la psychologie des personnages. Je n'y ai pas vu de critique sociale.
Ainsi, l'introduction qui est un épisode d'une grande gravité
(visa refusé) est immédiatement transformée sous
une forme humoristique. J'ouvre en grand ce livre efficace qui se dévore.
David
Je n'y ai vu aucune arrière-pensée. Au premier degré,
je trouve qu'il s'agit d'une uvre littéraire, avec son style
propre, certes, mais pas de haute volée. Je l'ai lue avec un grand
plaisir. Ça se lit très vite, à cause de la théâtralité
des dialogues, à cause de l'histoire. C'est comme une pièce
de théâtre qui vous a fait marrer. On y va une première
fois mais y va-t-on une deuxième et une troisième fois
?
La thématique, les périodes de loose, elle ne peut que toucher
les gens sensibles. Je n'en ai pas connu, mais on s'y retrouve car Hilsenrath
ne triche pas. Cette manière aussi cash, j'ai pensé à
Septentrion de Louis Calaferte. Ce n'est pas un livre surfait.
Il y a une mise en scène du je, de la misère sexuelle, de
l'impossibilité d'écrire
L'épisode final est
comme le retournement du livre : c'est l'envers du décor qui vous
ramène avec plus de gravité au tout début du livre
(la réponse du Consul à la demande de visa pour les États-Unis).
On a vu une mise en scène et le squelette de ça, c'est le
trauma.
Margot
vécu ou pas ! La vérité c'est qu'il y a nombre
de rescapés de la Shoah qui n'ont plus pu vivre ensuite. Primo
Levi
Cet humour, ça ne me touche pas du tout. Le mystère
de la crypte ensorcelée d'Eduardo Mendoza, oui, là,
j'ai beaucoup ri ! Avec Fuck America, J'ai l'impression que
c'est surfait !
David
C'est quand même drôle cette histoire de chemises échangées
qu'enfile le narrateur pour travailler dans le restaurant, non ?
Margot
Oui.
Anne-Marie
Que le narrateur retourne en Allemagne, c'est le comble de l'absurde
À mettre en regard avec la réponse du Consul qui est un
truc glaçant !
Antoine
Oui la construction, je la trouve super !
Anne-Marie
Et ces dialogues complètement mécaniques, ils ont une fonction
aussi. Ils révèlent le malaise du narrateur.
David
Oui, il y a quand même un sens derrière cela. Ce n'est pas
niais. Je l'ouvre en grand.
Jean-Paul
Margot, tu compares Fuck America à d'autres uvres
Hilsenrath a quand même un style percutant ! Cette absurdité
de la réponse du Consul, ça renvoie aussi à la situation
d'aujourd'hui
Anne-Marie
La politique de quotas mis en place par les États-Unis est antérieure
aux années 1930
Jean-Paul
Quand même ! Aux États-Unis, dans les années 1930,
on connait la situation des Juifs en Allemagne ! Hilsenrath voit toute
la société américaine par le menu. Il y a quelque
chose qui fait rire aussi : c'est le nom du livre que s'évertue
à écrire le narrateur, il s'appelle Le Branleur,
alors que le narrateur lui, s'interdit tout plaisir solitaire et a au
contraire le besoin de posséder des femmes. Oui Margot, on peut
lire un tas de livres sur la Shoah, le génie d'Hilsenrath, c'est
de mettre en scène la déconstruction des individus qui en
réchappent. Le narrateur exprime tout au long du livre sa souffrance.
Il s'accomplit enfin avec la rédaction du livre : on comprend tout
ce qu'il y avait au milieu quand on lit la fin !
David
Je reviens sur cette histoire de pulsion sexuelle. Je bande parce que
je suis vivant. Ça peut paraître anecdotique. Ça ne
l'est pas du tout. Oui bander, c'est primaire et c'est aussi le symbole
d'une ode à la vie !
Antoine
Je suis choquée par toutes tes comparaisons Margot. C'est comme
si tu disais : "Les rillettes sont une insulte au foie gras".
Tu vois bien que ça n'a pas de sens.
Margot
Oui, tu as raison. Je me suis laissé un peu emportée par
mon énervement.
David
Dans le livre, on retrouve quand même ces choses infimes que racontait
Primo Levi sur son expérience à Auschwitz. Quand trouver
un bout de tissu pour un détenu, c'est un moyen de se couvrir et
de repousser la mort. Je repense à cette histoire de costard échangé,
on retrouve chez Hilsenrath cette même tension, ce même struggle
for life.
Jean-Paul
Oui et en même temps, le constat d'Hilsenrath c'est que "Survivre
n'est pas assez".
Margot
Ce livre, c'est trop de choses qui composent une chose réussie.
Hormis l'histoire du costard, j'ai l'impression que tout ne sonne pas
juste.
Anne-Marie
Pour moi, Hilsenrath est resté fondamentalement allemand :
la preuve c'est qu'il écrit ce livre en allemand.
Jean-Paul
J'ouvre ce livre en grand. Je suis assez content d'avoir fait découvrir
cet auteur au groupe qui a visiblement apprécié dans l'ensemble.
Je voudrais juste rajouter que si le thème de la Shoah est traité
de façon non conventionnelle, la construction de cet ouvrage amène
à beaucoup de réflexion sur cette période pas si
éloignée des relents nauséabonds de notre époque.
Par ailleurs si le ton parfois humoristique et outrancier n'enlève
rien au propos du livre, on reproche à Benigni d'avoir réalisé
un chef-d'uvre avec La vie est belle.
Nathalie (avis
transmis)
Le prologue, par ces lettres du Consul, nous plonge immédiatement
au cur du roman. L'auteur traduit, en nous donnant à lire
ce qui n'est pas écrit, le refus d'accorder l'entrée en
Amérique, ce qui a eu de telles conséquences pour la famille
de Jakob (et celle de l'écrivain lui-même) et pour tant d'autres.
Cette lettre administrative revisitée avec causticité par
Hilsenrath pour donner à voir "la vérité cachée
entre les lignes" nous dévoile la violence de l'écrit
qui renvoie à la cruauté des faits et aux responsabilités
des uns et des autres, tout en nous obligeant à sourire... Une
phrase m'a frappée, dite au début et à la fin du
livre sur l'après-horreur vécue : "Nos yeux n'ont
plus d'éclat". "Sa prose économe, concision
extrême, mots justes, phrases comme des squelettes, nettoyées,
sans chichis, phrases qui tapent dans le mille" (p. 78)
qui est le style auquel il prétend, est pour moi mission réussie.
Cette façon d'écrire donne une force à son texte,
dénué de pathos, qui dit ce qui doit l'être. Pour
en informer les générations futures, car c'est à
elles que s'adressent Hilsenrath, les autres, comme son personnage Jakob
le dit lui-même, savent ce qu'ils ont fait. Mais l'histoire ne nous
apprend rien, et il ne faut que quelques générations pour
oublier et recommencer... Sous prétexte de se défendre et
parce qu'on a peur (c'est ma propre inquiétude face à ce
que nous vivons aujourd'hui dans notre pays qui parle). Dans le même
temps, Hilsenrath nous montre l'autre facette de l'Amérique durant
les années 50. Une Amérique où tout se jauge à
l'aune de ce que vaut son portefeuille. D'autres l'ont dit avant lui,
puisqu'il écrit ce livre en 1980, période où il semblerait
plus apaisé, mais pas de cette façon. Et son écriture
apporte vraiment. Et je ne peux pas ne pas penser à la France d'aujourd'hui
qui s'est américanisée dans ce que ce pays avait de pire.
"Ma vie aux États-Unis fut un cauchemar" a-t-il
dit. Et il y a vécu 25 ans. J'ai souri à la lecture des
fantasmes de Jakob en me demandant si aujourd'hui un auteur occidental
oserait l'écrire, malgré leur réalité ;
cela nous change de l'insupportable politiquement correct attendu du masculin
qui règne aujourd'hui. La description de sa sexualité d'homme
jeune si difficile à assouvir au vu de ses conditions de vie est
très éclairante, cela vaut pour son époque, comme
pour la nôtre. Il nous décrit son rapport à l'écriture
qui lui redonne l'énergie de vivre, contrairement à Semprun
dans L'écriture
ou la vie, et différemment de Primo Levi qui avait trouvé
dans l'écriture de quoi apaiser sa mémoire. Grâce
à l'écriture, il redevient homme et bande. Il nous parle
également de son rapport à la langue allemande lorsqu'il
retourne finalement vivre en Allemagne : "Je me balade dans les
rues. Partout, on parle ma langue. Quoiqu'il en soit, cela me fait du
bien. J'essaie de ne pas penser aux 6 millions." Il a toujours
écrit en langue allemande, la langue de son enfance, à laquelle
il est resté fidèle. C'est pourtant aux États-Unis
qu'il réussira à publier son premier roman Nuit (ce
sont les conditions de rédaction de ce livre considéré
comme son chef-d'uvre qu'il nous livre dans Fuck America)
car en Allemagne les éditeurs ne l'avaient édité
qu'à 1000 exemplaires, craignant qu'on ne les accuse d'antisémitisme.
J'ai lu très rapidement ce roman de cet auteur qui était
dans ma bibliothèque mais que je n'avais pas encore lu. Il m'a
donné de la sympathie pour cet écrivain dont j'ai très
envie de lire ses autres romans. J'ouvre aux ¾.
- Edgar
Hilsenrath (1926-2018), rire tragique, France Culture, 4 juin
2022 - Entretien d'Antoine Spire avec Hilsenrath, France Culture, 10 août 2017 - Terminus Berlin : l'ultime roman d'Edgar Hilsenrath, romancier atypique de l'holocauste, France Tvinfo, 12 février 2019 - Terminus Berlin, un avertissement face au retour des extrémismes", France Culture, 28 mars 2019 - Programme de l'adaptation théâtrale Fuck America, mise en scène de Laurent Maindon, 2017. |
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens