Il n'y a pas de Ajar, Grasset, 96 p. Quatrième de couverture : Dans ce monologue, un homme mystérieux affirme être le fils d'Emile Ajar, pseudonyme sous lequel Romain Gary a écrit notamment La vie devant soi. Cet enfant de père inventé demande à celui qui l'écoute : es-tu le fils de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ? En interrogeant la filiation et le poids des héritages, il revisite l'univers de l'écrivain, celui de la Kabbale, de la Bible, de l'humour juif... mais aussi les débats politiques d'aujourd'hui, enfermés dans les tribalismes d'exclusion et les compétitions victimaires. Et si Gary/Ajar étaient les meilleurs antidotes aux obsessions identitaires et mortifères du moment ? Vivre avec nos morts, Grasset, 234 p. Quatrième de couverture : Être rabbin, c'est vivre avec la mort :
celle des autres, celle des siens.
Un essai lumineux et intime. Libération Une réflexion éblouissante. LObs Un puissant hymne à la vie. Le Monde PRIX BABELIO NON-FICTION 2021
Quatrième de couverture :
|
Delphine HORVILLEUR (née en 1974)
|
COTES D'AMOUR
POUR 3 LIVRES LUS PAR LES DEUX GROUPES
|
Il
n'y a pas de Ajar (23 lecteurs)
|
Laura |
Vivre avec nos morts (13
lecteurs)
|
Livre
hors champ Brigitte |
L'angoisse
du roi Salomon d'Émile
Ajar (11 lecteurs)
|
Anne
Antoine
Nathalie B
Romain |
Cotes d'amour
de l'ancien groupe
pour les deux livres |
Il
n'y a pas de Ajar (17 lecteurs)
|
Laura Denis était présent à l'écran mais sans avoir pu lire |
Vivre avec nos morts (13
lecteurs)
|
Livre
hors champ Brigitte |
Rozenn (avis chancelant transmis)
Trop grippée, je n'ai lu que Ajar, que je n'ai pas aimé.
J'aurais voulu lire le deuxième. Mais
Bon, j'ouvre Ajar un quart.
Désolée pour ce soir, car même pas en zoom, je retourne
au lit...
Sabine (avis transmis entre deux portes)
Évidemment, je n'ai pas relu le livre...
Mon avis (plat et peu argumenté) : j'ai beaucoup aimé. J'ai
entrepris la lecture avec un a priori positif : D.H. est la rabbine qui
a fait la bat-mitzvah de la fille de mon meilleur ami... J'aime ce qu'elle
dit dans ses interviews, sa position sur les femmes et Israël.
Sa "rencontre" avec Ajar/Gary est subtile. J'aime les rapprochements
qu'elle fait avec les mots entre le français et l'hébreu.
J'ai moins aimé l'utilisation du registre familier au début
du livre. Mais j'ouvre en grand !
Etienne
(avis transmis)
Un petit livre plaisant : j'ai trouvé le sujet très intéressant ;
ce thème de l'identité, elle l'a assez bien senti. La plume
est sympathique, elle doit évidemment bien apprécier Albert
Cohen. J'imagine que mes critiques vont rejoindre celles d'autres lecteurs,
mais on reste évidemment sur sa faim : c'est beaucoup trop
court et pas assez développé malheureusement, un peu comme
si elle avait tout dit dès les premières pages et qu'elle
ne plongeait pas véritablement dans le sujet. Le format est donc
assez bancal pour moi et aurait mérité ou d'être plus
ramassé pour en faire un article satirique ou plus long et en faire
un véritable roman.
Néanmoins j'ai enchaîné avec Séfarade
(que je trouve fabuleux pour le moment) et il me semble en être
(hasard du calendrier ?) un formidable tremplin.
Je l'ouvre à moitié.
Christelle (avis transmis)
Les écrits de Delphine Horvilleur sont une découverte pour
moi ses écrits. J'ai lu Il n'y a pas de Ajar, non pas d'une
traite, comme je m'y attendais compte tenu de sa faible épaisseur,
mais par petits morceaux, n'ayant cessé d'être interrompue
(volontairement ?) ; j'ai donc eu une impression d'écriture
décousue, qui ne m'a pas emportée. Je regrette de n'avoir
pas plutôt entendu la
pièce, cela aurait probablement changé ce sentiment.
Les sujets m'ont pourtant beaucoup intéressée, introduits
avec originalité : le "couple" Gary/Ajar bien entendu,
les détails étymologiques et les interprétations
de l'auteure, les références bibliques et aux traditions
juives, et aussi la part dans la construction de l'être humain de
l'hérédité génétique, épigénétique
et littéraire ("les
fils, les filles des histoires qu'on a lues ou entendues")
! Cette dernière phrase est un bel hommage aux livres, en plus
d'être certainement vraie.
Sa façon d'interroger le repli identitaire, le manque d'ouverture
et l'appauvrissement qui en découlent, est également originale ;
j'aurais aimé qu'elle développe plus et éventuellement
ébauche des solutions. Au final, le fil de l'ensemble du livre
m'a paru trop discontinu, mais les différentes pistes abordées
par Delphine Horvilleur m'ont interpellée et m'ont, en plus, donné
envie de re-lire Gary/Ajar et Vivre avec nos morts dont le sujet
m'intéresse a priori davantage. Hâte de lire vos avis !
J'ouvre à moitié.
Fanny (avis transmis)
et
J'ai commencé par Il n'y a pas de Ajar. Je n'ai pas pu me
départir de l'impression qu'elle surfe sur son côté
médiatique pour faire une sorte de buzz.
Certes ce livre a le mérite de l'originalité en mêlant
religion et littérature. En ce sens c'est créatif et je
pense unique. Mais sur le contenu en tant que tel, à mon sens,
rien qui n'ait déjà été écrit et débattu
en philosophie, sociologie et psychologie. Soi-même comme un autre,
la part de l'hérédité, le déterminisme sociologique...
Ce qui m'a le plus intéressée c'est le prologue qui doit
d'ailleurs représenter la moitié de l'écrit et je
dois dire que j'ai éprouvé une forme d'agacement sur la
suite. J'ouvre ¼
Je me suis ensuite plongée dans Vivre avec nos morts. Et
là ça fonctionne. J'en suis à Moïse, et plus
j'avance plus je suis embarquée. Elle réussit, je trouve,
le pari d'écrire un livre qui fait du bien sur un sujet douloureux.
À aucun moment, elle ne verse dans le pathos, prenant soin de se
tenir malgré tout du côté des vivants.
La construction est à chaque fois identique : présentation
des personnes, détour par la religion juive, retour aux funérailles.
Je craignais une forme de lassitude due à un effet catalogue, mais
il n'en n'est rien, car chaque portrait, chaque histoire qu'elle narre,
est unique. C'est plein d'humanité, de clinique de l'accompagnement
et aussi d'humour. Ses propos sonnent justes, on sent qu'elle se tient
au plus près des vivants et des morts, dans la singularité
et le respect de chacun.
J'aime bien ce qu'elle dit aussi de ses rituels pour retrouver son monde
à elle après les enterrements, peut-être comme une
manière de prendre aussi soin d'elle et de ses proches.
J'ouvre en grand. J'ai hâte de vous lire.
ClaireET
entreet
J'ai commencé par Ajar, séduite, a priori, par l'oratrice,
le sujet correspondant au sous-titre ("Monologue
contre l'identité") et la référence
littéraire. J'ai apprécié ce je qui nous
parle avec humour voire fantaisie ("l'hébreu
c'est la langue des trans"), avec familiarité aussi,
avec une prise en compte assez neutre, sans combattre a priori, du point
de vue pourtant choquant de l'autre sur un sujet pénible et important
("Comprend-on le racisme
sans être noir, la lutte contre l'antisémitisme sans origine
juive, le combat féministe sans utérus ?").
J'ai été étonnée par la vivacité des
qualificatifs "un nom
vraiment dégoutant : l'identité", "cette
saloperie d''identité'", par le refus de l'assignation
de l'âge entraînant une nouvelle forme de transition (hihi),
ainsi que par le nouveau sens positif de "Qu'un
sang impur abreuve nos sillons". J'ai aimé des
variations synonymiques qui donnent un aspect psalmodie "[au
sujet de la loi] Aucune
récompense n'est prévue pour celui qui l'observe scrupuleusement,
aucune rémunération n'est énoncée pour celui
qui s'y soumet."
Malheureusement, mon vif intérêt a décru soudainement
quand apparaît le deuxième je. Il y a 62 pages de
texte et la partie 35-66, soit la moitié exactement, m'a paru chiantissime.
Ça se recentre un peu après, mais je déplore une
sorte d'enfantillage fictif, qui ne marche pas du tout pour moi. Dans
un petit livre ça ne pardonne pas. J'aurais préféré
qu'elle continuât sur la lancée de ce qui est nommée
"Préface" et qui est pour moi le corps du texte
: mais avait-elle davantage à dire... et je rejoins là Fanny.
J'ouvre au ¼.
J'ai trouvé tout à fait autre chose à me mettre sous
la dent avec Vivre avec nos morts : est-ce un livre pour le groupe
lecture ? Oui, car on m'y raconte des histoires, avec un art de narrer,
il y a des personnages attachants, un sens de la formule ("mon
rôle me protégeait un peu et m'obligeait beaucoup")
et des variations de registres, des scènes fortes, des alternances
relevant d'une construction soignée, les émotions sont là
(larmes, sourire, étonnement - l'histoire de Myriam digne des Marx
Brothers est grandiose...), on s'instruit, on est forcément concerné
(renvoyé à sa propre vie) et on est invité à
la réflexion (par exemple faut-il vraiment respecter les souhaits
du mort alors que les funérailles sont pour les vivants). Les histoires
de ses personnages sont mêlées subtilement à l'Histoire
et à l'histoire de l'auteure, discrètement. J'ajouterai
que D. Horvilleur créé un "genre", certainement
difficile à ranger en librairie. Ma seule réserve concerne
les références religieuses parfois trop longues ; ainsi
le chapitre Moïse m'a-t-il barbichonnée. J'ouvre aux ¾
voire plus, très contente qu'on ait programmé ce livre-là,
sur insistance de Geneviève et Annick L.
Catherine, entreet
ET
J'avais lu Vivre avec les morts quand il est sorti ; le thème
m'avait beaucoup intéressée. Je suis confrontée moi
aussi fréquemment à la mort, aux familles qui perdent un
de leurs proches, même si mon rôle n'a pas de dimension spirituelle.
J'ai trouvé qu'elle en parlait de façon très juste,
avec beaucoup d'empathie et d'humanité, mais en gardant une distance ;
quand on accompagne, on ne pleure pas, on ne peut pas, on ne doit pas
pleurer. Elle ne pleure que quand elle joue un double rôle, lorsqu'elle
accompagne l'enterrement de son amie. J'ai été touchée
par les portraits qu'elle fait, sans tomber dans le pathos, en particulier
celui d'Ismaël, l'histoire de Myriam. J'ai été très
intéressée par les références religieuses.
J'aime son écriture, elle a le sens des formules et c'est plein
d'humour.
Je l'ai relu en diagonale et j'ai à nouveau été beaucoup
touchée. C'est un livre très consolant. Je trouve que c'est
un livre à lire. Pour le groupe lecture, je ne sais pas
J'ai été par contre déçue pour Ajar.
Le thème de l'identité, du communautarisme, me paraissait
intéressant et tout à fait d'actualité. J'ai surtout
aimé la préface, les références à Romain
Gary et Émile Ajar. Je n'ai lu que La
promesse de l'aube et La vie devant soi mais j'ai adoré
les deux. J'ai aimé aussi le thème du dibbouk. J'ai ensuite
trouvé la deuxième partie du livre un peu vide, même
s'il y a toujours de jolies formules et beaucoup d'humour : Vatican
1, Vatican 2, par exemple, ça m'a fait rire. Elle surfe peut-être
un peu sur son image, son succès. Je l'ai sans doute lu un peu
vite. J'ai surtout aimé la première partie, puis, après,
ça part en eau de boudin...
Jacquelineet
J'avais beaucoup
aimé Vivre avec les morts que j'avais lu peu après
sa parution. Je ne l'aurais pas proposé au groupe. Pour moi, il
remplissait son rôle de petit traité de consolation (son
sous-titre) et cette approche de la mort me convient.
J'étais très curieuse de lire Il n'y pas de Ajar
: le point de vue de Delphine Horvilleur sur l'écriture m'intéressait
beaucoup. La première fois que je l'ai lu je n'ai pas compris :
le livre me paraissait beaucoup moins fluide que Vivre avec les morts
! Je retrouvais bien Ajar et des fragments de ses livres, mais j'attendais
un livre sur la littérature !
Je suis revenue à Vivre avec les morts. Puis revenue à
Ajar. Il y a des thèmes communs, notamment l'identité
(j'aurais dû, là aussi, prêter plus d'attention au
sous-titre "monologue contre l'identité" !). Je
me suis mise à m'attacher à Il n'y a pas de Ajar
et à ce qu'elle dit sur nos filiations par rapport aux récits
et aux livres : je me suis amusée de l'invention d'Abraham, ce
fils symbolique ; mais il m'a fallu la deuxième lecture.
J'ai bien apprécié ce qu'elle raconte de la religion juive
et son positionnement qui me paraît d'une grande liberté
de pensée. J'ouvre les deux aux ¾ et Vivre avec les morts
je pourrais l'ouvrir en grand.
Renée (à
l'écran) et
Le fils d'Émile Ajar écrit sur les Juifs, l'héritage
culturel, la bible, l'identité.
J'ai été excessivement déçue par la lecture
de ce livre, Il n'y a pas d'Ajar : comment une femme aussi brillante à
la télé ou la radio, peut-elle écrire dans une langue
aussi relâchée ?
Impression qu'elle écrit dans un langage jeune qui me semble absolument
artificiel : "le daron", "ni vu ni connu",
"tu veux un cachou", etc.
Lorsque je n'adhère pas à l'écriture DU TOUT, j'ai
tendance à ne pas m'attarder sur les idées.
Donc, à part les quelques pages sur l'héritage des livres
qui nous construisent et sur celles concernant l'appropriation culturelle,
ce livre m'exaspérait.
Je n'étais pas loin de vous maudire pour avoir choisi ce livre :
Delphine avait bu en écrivant ? Ou est-ce qu'elle l'a écrit
en trois jours pour un besoin d'argent urgent ?
C'est alors que j'ai reçu Vivre avec nos morts... Quel livre
magnifique ! Quelle émotion à la lecture du petit garçon
qui veut savoir où chercher son petit frère mort, pendant
que ses parents "exilés "sur une île de douleur
sont incapables de lui répondre.
La puissance des mots, leur violence dans le paragraphe sur la construction
d'Israël, est une démonstration magnifique : comment
ces mots, étant "bourrés de sens" se retournent
contre l'utopie humaniste première. C'est lumineux.
J'ai adoré également le passage sur "le panier des
générations", panier tressé dont chaque génération
est une rangée. Cependant, lorsqu'il y a un accident de la vie,
il se produit "une béance intressable".
J'ai tout aimé dans ce livre, même les histoires juives.
À la suite de cette lecture, j'ai feuilleté à nouveau
Il n'y a pas d'Ajar pour lequel j'ai peut-être été
trop sévère. J'ouvre au ¼ Ajar mais en entier
Vivre avec nos morts.
Monique L
Il n'y a pas de Ajar, c'est brillant, intelligent, cultivé
bien écrit. J'ai aimé les jeux de mots inattendus, j'ai
par exemple ri à son "Hors d'Ur" par exemple.
J'ai trouvé la préface émouvante et passionnante.
Elle y rend un hommage tendre et respectueux à ce père en
littérature que représente pour elle Romain Gary. Il a écrit
pour elle, lui semble-t-il, et elle nous relate toutes les corrélations
qui l'ont amenée elle-même à l'écriture.
La suite est un monologue d'Abraham Ajar. C'est un traité sur la
tolérance et sur l'acceptation des identités multiples de
chaque être humain et de soi-même. Pourquoi chercher à
entrer dans des cases, à se conformer à un moule ?
Pourquoi se restreindre à un seul état et ne pas s'accepter
comme un être complexe et multiple, ce qui ne peut que nous enrichir.
Un grand nombre de possibles s'offrent à nous. Je trouve cette
réflexion très salutaire et stimulante. Elle dénonce
à la fois l'identité figée et fantasmée et
l'assignation à l'identité ethnique, religieuse, sexuelle
ou raciale. C'est également une réflexion sur les dérives
vers l'identitaire, le communautarisme, l'appropriation culturelle (qui
amène à vérifier que l'auteur a le droit de se mettre
dans la peau d'un autre).
C'est vraiment important d'aller voir ailleurs pour élargir notre
horizon et aussi de voir ce que les autres traditions ont à nous
dire.
Quelques passages que j'ai principalement appréciés
:
- l'image qu'elle utilise pour souligner que notre "identité"
ne se construit pas de façon génétique, mais à
l'aune des influences comme celles de nos lectures : "On
est tous conçus par procréation littérairement assistée"
;
- le glissement d'Abraham sur le sens du "Trou juif" : au départ
la cave dans laquelle s'était réfugiée sa mère,
avec une interprétation freudienne ;
- une phrase agréable à mes oreilles de lectrice "nous
sommes tous les enfants des livres que nous avons lus".
J'ai aimé l'érudition, la bienveillance et l'humour de l'auteur
et son écriture fluide. C'est une réflexion que je trouve
bienvenue en ces temps de repli identitaire et de repli sur soi. J'ai
lu ce petit livre rapidement, avec beaucoup de plaisir et il m'a invitée
à une forme d'introspection. J'ouvre aux ¾.
En plus d'être très instructif pour ceux qui (comme moi)
ne sont pas familiers du judaïsme, Vivre avec les morts est
intellectuellement passionnant. L'auteur est une conteuse hors pair et
une personne érudite, sensible, bienveillante, d'une grande ouverture
d'esprit et d'une intelligence très fine et dotée d'humour.
Ce texte, d'une profonde humanité, est émouvant mais sans
pathos. C'est un hommage au langage et au pouvoir du verbe consolateur.
J'ai ressenti une proximité avec l'auteure. J'ai apprécié
ses précieux apartés sur l'étymologie et la traduction
des mots.
J'ai trouvé très intéressante la manière dont
elle retransmet l'histoire du défunt à ses proches, de façon
à ce qu'ils puissent retrouver le fil de leurs propres vies et
pour qu'ils puissent vivre avec cette mort. J'ai particulièrement
aimé le récit allégorique de Moïse.
Ce qui m'a frappée dans cet ouvrage, c'est l'ouverture d'esprit,
l'absence de prosélytisme et l'humilité de dire qu'on ne
sait pas ce qu'il y a après. Humaniste, tolérant et universel,
c'est le genre de livre qui pourrait me réconcilier avec la religion.
J'ouvre aux ¾.
Muriel et
J'ai bien connu Delphine Horvilleur...
Je l'ai rencontrée une fois.
J'ai de longues années chanté en quatuor pour les fêtes
juives de Rosh Hashana et Kippour que le MJLF (Mouvement juif libéral
de France) organisait à la salle de la Mutualité avec le
rabbin Daniel Farhi
; elle officiait avec lui et était venue nous saluer (on chantait
cachés) et m'avait paru extrêmement sympathique (et belle
!).
J'avais lu il y a un moment déjà Vivre avec les morts
que j'ai relu et beaucoup plus aimé qu'à la première
lecture.
Le livre m'a beaucoup plu, c'est tout à fait intéressant.
Je pense à son amie morte, tout le récit est très
touchant. Et il y a de l'humour : mi
fa sol la mi ré ré mi fa sol sol sol ré do. J'ai
préféré à Ajar, bien qu'adorant Romain
Gary.
Annick Aet
Je suis fan de Romain Gary et de son humour depuis l'âge de 15 ans.
Je suis en train de lire Les
racines du ciel, prix Goncourt en 1956, très écologique.
Il dénonçait déjà à cette époque
la destruction de la nature et avait prévu ce qui se passe actuellement.
J'ai préféré la première partie d'Il n'y
a pas de Ajar. Comme Delphine Horvilleur j'ai le sentiment que Romain
Gary s'adresse à moi. Il est mon dibbouk !! Sa mélancolie
me parle, car il prend ses distances avec elle par son humour débordant.
La dénonciation des enfermements identitaires est bien d'actualité
et nécessaire. La seconde partie me plaît moins, mais son
idée de bâtir ce monologue sur l'enfantement littéraire
est originale. L'auteure joue beaucoup sur les mots et c'est parfois tiré
par les cheveux. Elle utilise un style parlé et familier très
différent de celui de Vivre avec les morts qui illustre
son non-enfermement dans une identité littéraire. Je n'ai
lu que quelques chapitres de Vivre avec les morts mais je vais
bien sûr le continuer. C'est un livre d'une grande humanité.
Sa façon d'aborder la mort avec naturel est apaisante, et remarquable
sa capacité à faire surgir chez les endeuillés les
mots qui vont donner vie au mort et leur permettre de le porter intérieurement.
J'ouvre Il n'y a pas de Ajar à moitié et Vivre
avec nos morts en grand.
Brigitte (à l'écran)
Je me souviens que la seule personne que
je connaisse à avoir deviné qu'Ajar était Romain
Gary, c'est Christian Avenel, le fondateur de Voix au chapitre
(que j'ai rejoint en 1986), un fin lecteur. J'ai justement écouté
avant-hier sur France Culture Paul
Pavlowitch : l'homme qui a joué Émile Ajar pour Romain Gary.
J'ai lu assez jeune Les
racines du ciel, lu bien trop tôt, je n'avais pas su l'apprécier.
J'ai aussi beaucoup aimé La
promesse de l'aube, lu avec le groupe lecture. En ce qui concerne
Émile Ajar, j'ai admiré La vie devant soi, en revanche,
je n'ai pas compris Pseudo,
ni Gros-câlin.
Delphine Horvilleur m'a ouvert des pistes pour ces deux derniers livres.
Elle est brillante, intelligente
pleine de qualités, mais
elle est avant tout rabbin. Ses références sont uniquement
dans le monde juif. Alors que, si on ouvre le Nouveau Testament, on trouve
aussi de nombreux passages qui vont dans le même sens qu'elle. Cet
épisode d'Émile Ajar me fait penser à Pessoa, Horvilleur
aurait pu parler de ses hétéronymes. Je suis sûre
qu'on pourrait enrichir ses propos sur l'identité dans la littérature,
mais ce n'était pas son objectif. Elle est rabbin jusqu'au bout
des ongles. Pour Il n'y a pas de Ajar, j'ouvre à ½.
Vivre avec les morts, je n'ai pas terminé, mais j'en ai
quand même lu 100 pages et je suis très contente de les avoir
lues. C'est très bien fait, certains passages sont vraiment émouvants.
Elle s'adresse tout à fait à nous ses contemporains, et
nous la recevons parfaitement. Son but est atteint.
Comme le fait remarquer Fanny, chaque chapitre suit exactement le même
plan, je les reçois comme des fiches consacrées chacune
à un type de situation. Comme je n'ai pas l'intention de devenir
rabbin, ce livre ne s'adresse pas vraiment à moi ! Ce n'est pas
un livre pour le groupe lecture, mais un livre pour rabbin. Je ne propose
donc pas de degré d'ouverture pour ce livre, il est hors champ.
Je voudrais ajouter que j'ai entendu récemment JMG Le Clézio
expliquer que la littérature sert à "se connaître
et à se reconnaître". Chacun de nous peut effectivement
se reconnaître dans le texte de Delphine Horvilleur, c'est vraisemblablement
la raison de son succès. Mais la littérature est-elle seule
à pouvoir assurer cette fonction ?
Selon moi, elle peut (et même devrait) l'être aussi par la
religion, l'art, la culture, etc.
Annick Let
Il n'y a pas de Ajar : monologue contre l'identité est un
livre insolite par son dispositif : un narrateur nous interpelle et nous
finissons par comprendre que ce narrateur s'appelle Abraham Ajar, fils
fictif de l'alter ego, tout aussi imaginaire, de Romain Gary. Ce monologue,
plein de références culturelles à la tradition juive
(qui m'échappent souvent) prend le ton de l'humour et de l'autodérision.
C'est assez réjouissant et on comprend pourquoi ce texte a été
porté au
théâtre.
J'aime beaucoup les romans de Romain Gary - et ceux signés par
Emile Ajar - en particulier La
promesse de l'aube et La Vie devant soi, que j'ai largement
partagés avec mes amis et mes élèves, quand j'étais
professeure de français. J'ai donc été touchée
par l'hommage indirect rendu à cet auteur, qui a parfaitement réussi
sa seconde carrière sous une autre identité, au point de
recevoir un second Prix Goncourt !
On sent que Delphine Horvilleur est très attachée à
la figure complexe de Romain Gary (un expatrié juif aux attaches
multiculturelles), en particulier par son besoin vital de changer d'identité
littéraire : "Es-tu
l'enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ?".
Une question forte pour moi.
Pour autant, DH veut brasser, à mon goût, trop de sujets :
on y dénonce tour à tour le nationalisme et les revendications
identitaires, le sionisme dans sa forme messianique actuelle, l'appropriation
culturelle, etc. J'ai perdu le fil. J'ouvre à moitié.
J'avais, bien sûr, lu des articles sur elle, écouté
des entretiens avec cette femme rabbin tout à fait remarquable
par sa liberté d'esprit (malgré sa fonction religieuse ?)
et l'originalité percutante de ses analyses. Ma curiosité
était éveillée.
Mais cela ne me préparait pas à ce que j'ai éprouvé
en lisant Vivre avec nos morts : une vraie rencontre, forte, avec
un livre et son auteure. Sur un sujet aussi douloureux, qui nous renvoie
à nos drames personnels (j'appréhendais un peu !),
son approche, nourrie de son expérience professionnelle, apporte
un éclairage bienfaisant.
J'aime sa vision tolérante, loin des certitudes dogmatiques, elle
qui se demande si on peut être "un
rabbin laïc ?",
sa façon d'aborder des questions graves avec humour, à distance,
y compris par rapport à sa propre tradition culturelle : "Quel
Dieu 'grand'devient si misérablement petit qu'il a besoin que des
hommes sauvent son honneur. Grand est le Dieu de l'humour".
J'aime son recours aux histoires transmises par nos anciens pour accompagner
et "consoler" ceux qui restent, les vivants. Bien sûr,
cette érudite puise d'abord dans le répertoire qu'elle connaît
le mieux, celui de la Bible et de la Torah, plus que dans les contes et
légendes européennes, mais son message est universel. L'un
des thèmes intéressants qui court tout au long de ce livre
est d'ailleurs celui de l'identité juive : "L'identité
juive repose elle aussi sur une vacance [...] parce qu'elle peine à
formuler ce qui la fonde. Nul ne sait vraiment ce qui fait un juif et
encore moins un 'bon juif'".
J'aime sa capacité à poser des mots choisis, nouveaux, sur
le sentiment douloureux de la perte (a priori indicible), des mots hébreux
ou français : il y est beaucoup question de tissage, de tressage,
de fruits coupés à des branches
des images simples
et parlantes.
Je trouve également le découpage de son livre remarquable,
autour de cas concrets, de personnes (proches ou inconnues, célèbres
ou anonymes) qu'elle a rencontrées et accompagnées, qu'elle
sait incarner et qui nous touchent. Même principe donc mais qui
varie au fil des chapitres grâce à son choix des thèmes
qu'elle veut aborder et des histoires personnelles qu'elle évoque,
y compris la sienne propre, familiale et identitaire, dans son lien avec
Israël.
J'ouvre en très grand.
Françoise D
Bête et disciplinée, j'ai commencé par Il n'y a
pas de Ajar. Je n'avais rien lu d'elle. Et je fais partie des exceptions
car je n'ai pas aimé La vie devant soi, je suis complétement
passée à côté, alors que j'ai beaucoup aimé
La
promesse de l'aube.
Son projet m'a intéressée et je n'ai pas boudé mon
plaisir. J'ai ri du début à la fin. C'est drôle. Ce
monologue contre l'identité, c'est un sujet de plain-pied avec
un problème de société actuel. Je pourrais citer
nombre de phrases à la fois drôles et pertinentes, comme
"Moïse, Jésus
ou Lacan, des types dont l'existence n'a jamais été démontrée"
(p. 39 en poche)
ou sur les slogans publicitaires (p. 65)
ou encore sur les tests ADN (p.
76) et
sur l'"appropriation culturelle" (p.
81) de
Gary/Ajar dans La vie devant soi. Je l'ouvre entièrement.
Vivre avec les morts a fait un tel tabac - il est déjà
en
poche moins d'un an après sa parution - je voulais le lire.
Vivre avec les morts, ce n'est pas le même ton, ce qui prouve
qu'elle peut en changer. C'est fort intéressant. J'ai eu une éducation
catholique, ai viré agnostique et la religion, j'en ai jusque-là
! Mais la façon dont elle parle de la sienne, qui plus est en tant
que rabbine, m'a fascinée : elle a une distance, et toujours un
humour, qu'on souhaiterait à beaucoup, quelle que soit leur religion
d'ailleurs, car je crains bien qu'elle ne soit assez isolée. À
mon enterrement, j'aimerais bien qu'elle soit invitée.
Claire
Comme nous irons à ton enterrement, c'est super, car ainsi on la
rencontrera !
Françoise
Toutes ces histoires sont son vécu de femme juive ET de rabbine,
chacune selon sa sensibilité et toujours émouvantes. Le
passage avec Rabin, c'est très fort ; avec ce poème juste
avant d'être assassiné. Cela nous mène à ce
qui se passe en ce moment en Israël.
Elle écrit bien et le livre est presque un page-turner.
Je suis très contente d'avoir lu ces deux livres que j'ouvre tous
les deux en grand. Je voulais aussi souligner l'importance des sous-titres
"Petit traité de consolation" pour Vivre avec les
morts, et "Monologue contre l'identité" pour Il
n'y a pas de Ajar. C'est tellement ça !
J'ai écouté il y a peu une émission vraiment passionnante
sur France Culture : Écrire
la mort, dialogue entre Vinciane Despret et Adèle Van
Reeth, sur leur livre respectif : je vous la recommande.
Claire
Originale, cette religion sans au-delà...
Muriel
Woody Allen disait que si les Juifs croyaient en un au-delà, ils
auraient beaucoup plus de succès...
Genevièveet
Comme plusieurs d'entre vous, j'avais lu auparavant et beaucoup apprécié
Vivre avec nos morts.
Il n'y a pas de Ajar m'a laissée perplexe. La confrontation
avec Ajar est intéressante, puis j'ai perdu le fil. Par moment,
j'ai eu l'impression d'un manque de naturel. J'ai été assez
déçue. C'est dommage d'en rester là. Je vais peut-être
le relire. Pour l'instant j'ouvre ¼.
Vivre avec nos morts ? Ce qui m'intéresse, correspond juste
à ce qui gêne Brigitte et qui moi ne me gêne pas du
tout. Si c'est un livre pour le groupe lecture ? Pour moi, c'est une non-question
Elle fait preuve d'une plasticité pour changer de point de vue.
Claire
Quand on a des réserves sur un roman, parfois elles ont trait aux
personnages qu'on trouve peu attachants, qui n'existent guère.
En fait son empathie, sa faculté à s'approcher au plus près
de l'autre, qui correspond à sa compétence professionnelle
de rabbine, rejaillit sur sa compétence littéraire pour
rendre extrêmement vivants les personnes, les personnages qu'elle
choisit.
Laura ET
entre et
J'ai lu Il n'y a pas de Ajar assez rapidement et sans y porter
un grand intérêt. J'ai tout de même pris des notes,
mais j'ai l'impression, après coup, d'avoir été dans
la rébellion tout au long de la lecture, à noter tout ce
qui ne me plaisait pas, tous les petits détails qui m'ont semblés
ridicules, tout ce qui m'a semblé ne pas avoir sa place dans un
"bon livre"
Il y avait d'abord cette insupportable tournure
orale, qui incite à se sentir proche de l'auteure ou familier avec
elle, mais qui de mon côté me rebute plus qu'autre chose,
alors je prends mes distances. Exemple : "Allo
Abraham ? C'est Dieu !", ce comique ne m'a pas paru comique,
j'ai été plutôt sceptique (mon avis sur la tournure
orale s'est adouci quand j'ai tenté de le lire à haute voix,
et après avoir écouté Horvilleur à France
Inter dire elle-même qu'écrire de telle manière avait
été difficile pour elle). Puis, il y a eu les liens que
l'autrice faisait, ces coïncidences montées de toutes pièces,
comme le fait de plaquer le nom hébreux Ah'ar sur Ajar,
alors même qu'elle affirme que Romain Gary aurait refusé
Quant au fond du texte, mon avis ne change pas non plus. Même si
la réflexion peut parfois être fine, je ne peux m'empêcher
de voir des contradictions, ce qui a été plutôt problématique
pour ma lecture. Horvilleur s'attaque à l'identité, celle-ci
doit disparaître ou du moins être plurielle, il ne faut pas
s'enfermer dans un seul soi. Bien, j'accepte. Mais alors dans ce cas,
pourquoi mentionner l'épigénétique et l'héritage
de traumatismes à travers les générations ?
Si nous ne sommes pas seulement un passé, une histoire, une couleur,
pourquoi alors sans cesse ramener Romain Gary au judaïsme ?
J'ai dû rater quelque chose dans le livre, manquer d'une grille
de lecture
Évidemment je ne comptais pas lire Vivre avec nos morts
après cette première expérience désastreuse
Mais je l'ai par hasard trouvé abandonné dans un hall d'immeuble,
c'était un signe... Je ne l'ai pas terminé et ne le terminerai
pas, car je n'aime pas du tout la langue d'Horvilleur, bien que le fond
du texte m'ait plus intéressé en me permettant de découvrir
certaines traditions juives. Mais c'est tout.
Ajar, fermé. Nos morts, entre ¼ et ½.
L'angoisse
du roi Salomon d'Émile
Ajar (11 lecteurs)
|
Anne
Antoine
Nathalie B
Romain |
Il
n'y a pas de Ajar (6 lecteurs)
|
Nathalie
B (Il n'y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur)
Ce livre m'a excédée quoique je sois d'accord
avec les idées sur l'identité et quoique le prologue soit
supportable. L'idée d'inventer un fils à Émile Ajar
n'est pas mauvaise mais sans intérêt, avec un style prodigieusement
agaçant et un ton dérangeant à prendre à partie
et pas drôle, par exemple "le cachou". Elle est présomptueuse
voire narcissique, à voir des coïncidences partout qui sont
excessivement tirées par les cheveux.
Nathalie
B(L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
J'ai adoré cette histoire de bonté, la gentillesse
des personnages dans leur simplicité et dans leur humanité.
On reconnaît Romain Gary dans le style et dans les thèmes,
particulièrement celui de la souffrance humaine, son universalisme
et déjà il est antispéciste dans cette obsession
qu'il a et qu'on retrouve souvent chez lui de vouloir "réparer
le monde".
Le style m'a plu : quelle inventivité langagière avec des
innovations syntaxiques par l'intermédiaire de la narration de
Jean qui a des phrases et des répliques qu'on retient, tellement
elles sont drôles et intelligentes. Les images sont simples mais
profondes.
Antoine
Je me demande ce que signifie l'image du goëland englué.
Nathalie
Au premier degré, elle ancre la fiction dans la réalité
de l'époque, celle de la marée noire, mais au second degré
elle représente aussi cette catastrophe qui détruit le vivant
et dont l'homme est directement responsable : c'est Romain Gary/Émile
Ajar qui aimait "en général" tout le vivant et
refusait la souffrance sous toutes ses formes.
Anne
C'est la vie qui est engluée quand on est angoissé, quand
les années passent.
Catherine
Le goëland c'est Cora.
Audrey(L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
Dans
ce texte de Romain Gary, j'ai vu un conte rose sur fonds gris, c'est-à-dire
un entrecroisement entre un récit heureux plein d'espoir (à
l'eau de rose ?) Et la vraie vie... bien plus sombre ! Ce fond de
vraie vie revêt même les allures dégueulasses :
1. d'un monde de guerre, où l'on peut prendre le risque de laisser
crever son ancien amour quatre ans dans une cave
2. d'un monde de solitudes qui appellent au secours par téléphone
nuit et jour
3. d'un monde de catastrophes écologiques
4. d'un monde où l'on vit à quatre dans une chambre entassés,
etc. etc.
Ça vous fait pas penser à quelque chose ?
De cette vraie vie, nous passons vers le conte à travers le langage
de ce personnage (Momo, j'avais envie de l'appeler ainsi, comme si mon
inconscient avait enregistré ce langage depuis ma lointaine adolescence
à la lecture des premiers livres de Gary). Bref, ce Momo, Jeannot,
Marcel Kermody, utilise des mots qui disent son envie d'un monde élargi,
d'un monde "expliqué" et accessible à tous, un
monde curieux des mots encore inconnus. Ses mots disent aussi son envie
de partage, d'enrayer les maux, d'inventer son propre phrasé. Plus
enthousiasmant ce monde-là, non ?
Son langage poétique restructure la grammaire, transforme l'usage
des verbes, recrée un langage pour entrer dans un monde proche
du conte, dans lequel on pourrait devenir Dieu le supplanter, puisqu'il
n'a pas fait ses preuves.
Et dans cet univers, ce monde de conte, un homme consacre par exemple
sa fortune à payer les loyers d'une femme qui l'a gentiment laissé
moisir dans une cave plusieurs années ; les protagonistes
de ce monde se préoccupent et s'inquiètent les uns des autres.
Dans ce monde aux teintes roses, on fait preuve d'une immense tendresse,
on cherche à se comprendre on y arrive parfois aussi - même
au téléphone et même dans les silences (avec Aline
par exemple). Dans ce monde, on se dépose des fleurs, des paniers
de fruits, juste pour le plaisir que le monde se porte mieux.
Et pourtant toujours en toile de fond une humanité suspecte, des
questions inhérentes à nos sociétés : au fond
qui soigne-t-on quand on soigne l'autre ? Qui aide-t-on quand on aide
et pour éliminer quelle solitude ? Et apportons-nous vraiment du
mieux : un homme mourra d'émotion en apprenant que Salomon paierait
son loyer à vie... Quoi qu'il en soit, ces tendres, ces Salomon,
Chuck, Aline, Jeannot font au mieux et tentent des formes de solidarité
et de tendresse improbables :
- il y insultent un gardien raciste et abruti pour qu'il ne se déteste
pas lui-même et déplace sa haine...
- ou encore se sentent soulagés d'apprendre que la marée
noire a tué tous les oiseaux - ainsi la situation est réglée,
ce sera plus léger pour eux, ils se sentiront moins coupables...
- et puis enfin, Jean couche avec une vieille femme parce que la façon,
dans notre culture, dont on ne regarde plus les vieux, dont on ne considère
plus les vieilles femmes, lui paraît dégueulasse, insupportable.
Et puis pour lutter contre le dégoût programmé et
défendre "pour l'amour en général".
En conclusion, ce récit pourrait être un conte à l'eau
de rose, un peu trop léger ou un peu mièvre, mais il se
pare et s'enrichit de questions profondes, d'un regard cru, voire cruel,
sur nos sociétés et sait dépeindre en creux un monde
qui pourrait être désespérant s'il n'était
sauvé par ces personnalités splendides.
Et moi je ne peux m'empêcher en écrivant ces lignes, d'évoquer
ici le souvenir de mon père mort récemment et de lui rendre
ici un hommage - lui qui s'inscrivait profondément parmi ces êtres
tendres, ces sauveurs, qui savaient faire basculer la vie du gris au rose.
Ces êtres rares et précieux.
Audrey (Il
n'y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur)
Delphine Horvilleur aussi tisse des liens entre réel et irréel,
entre Dieu et les hommes. À sa façon. Puis entre le Gary
qu'elle a lu, le Ajar qu'elle a inventé créé recréé
et trouvé dans les livres et la Torah, suivant un fil personnel.
J'ai trouvé très beaux les liens fait entre les noms de
Ajar et ce personnage biblique Ben Abouya, homme pieux, déçu,
désespéré, qui se voit renommer A'Har = l'autre.
De même la traduction de Gary en hébreu = "l'étranger
en moi" et Abraham rattaché à son père Magali
ou encore ce Dieu que l'on ne peut nommer.
Je me suis laissé volontiers porter par ces associations. J'ai
apprécié cette lecture personnelle empreinte de poésie
et d'un humour qui m'a fait beaucoup rire. J'ai adoré les cachous
!
Son texte s'ancre dans son époque et se teinte d'une dimension
politique : très anti woke par essence, puisqu'il est question
tout au long du texte, de ne pas s'appartenir complètement ; d'interroger
ce qui fait - ou défait - l'identité ; d'être
capable de détecter en soi les multiples, c'est-à-dire ce
qui s'inscrit ailleurs que dans le Nom et l'ADN (un passage passionnant
sur l'épigénétique).
Aussi, pas question aux yeux d'Horvilleur d'accepter que des communautés,
quelles qu'elles soient, aient le monopole de leur défense identitaire.
Elle défend la complexité des identités et son texte
me fait penser à la créolisation de Glissant, à la
construction des cultures par le biais des rencontres, des croisements
et des métissages.
Mais là je m'aperçois que j'ai oublié mes Cachou
et je m'arrête net.
Françoise H (L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
Un
livre dont l'histoire et les personnages et l'intrigue ont quelque chose
des films de Claude Sautet : cet aspect subtil qui fait la vie quand elle
est vécue dans l'instant, qu'elle apparaît très spontanément
ou plutôt qu'elle émerge de la contingence lorsqu'à
plusieurs, solidairement, on l'affronte, on fait face et on se démène
courageusement, en y mettant du cur. C'est-à-dire une histoire
d'une vie vécue vraiment dans l'instantané : on rencontre
une difficulté dans la vie qu'on prend à bras-le-corps,
de suite et ensemble, on s'entraide. Une histoire de ce type qui me paraît
bien éloignée de nos vies d'aujourd'hui.
J'ai aimé ce roi Salomon qui oscille entre le vieux sage et le
vieux fripon, anticonformiste tellement il connaît bien la norme.
Je l'ouvre à fond. Je n'ai pas lu le livre de Delphine Horvilleur.
Antoine
(Il n'y a pas de Ajar
de Delphine Horvilleur)
Je
ferme Delphine Horvilleur car je l'ai détesté ce livre qui
donne l'impression d'avoir été écrit en trois jours.
J'ai trouvé étrange qu'elle revienne toujours à l'identité
juive dans un livre où elle est justement critique contre ceux
qui résument tout à l'identité. Ce que j'ai le moins
aimé, c'est son style.
Antoine
(L'angoisse du roi Salomon d'Émile Ajar)
J'ai déjà lu La promesse de l'aube
et j'ai adoré celui-là, ça se lit tout seul.
Je me suis poilé, à rire tout seul en le lisant dans le
métro.
C'est un grand style : chaque phrase est une pépite qui fait rire
ou réfléchir.
J'ai aimé l'absurdité de Cora : les femmes abusent ! (?)
Je l'ouvre entièrement.
Julien (L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
La double relation amoureuse de Jean, je l'ai trouvée bien décrite
et intéressante et je comprends bien comme on peut se perdre.
Jean est à la recherche de son identité, cette identité
qu'il perd dans le don de lui-même dans le bénévolat
pour l'association SOS.
Le personnage du Roi Salomon est dans un rôle qui nous fait réfléchir
sur la vieillesse : on a l'impression qu'elle le cristallise dans son
être, qu'il n'est qu'une version figée de lui-même,
il est en retrait, n'acceptant pas les conseils des autres.
Je l'ouvre aux ¾. Je n'ai pas lu Delphine Horvilleur.
Anne
(L'angoisse du roi Salomon d'Émile Ajar)
Il
a tué son père et couché avec sa mère, oui
mais voilà dans L'angoisse du roi Salomon il rend à
sa mère le père, et le père l'a même payé
pour ça, on le devine assez vite. C'est un livre où la tendresse
est reine et le pathétique plein d'humour. Jeannot Lapin, dit aussi
Marcel Kermody (Romain Gary aime les doubles identités c'est bien
connu), est d'emblée pris dans le désir d'un couple qui
ne parvient pas à se retrouver et, quelque peu manipulé,
il vit une aventure avec Cora la vieille chanteuse, ce qui va l'amener
après maintes tribulations amoureuses
à finir par
être père et pour cela il faut une dame jeune, bien sûr.
Un roman à l'eau de rose ? Que nenni, tout est pathétique,
complexe, irrationnel, parlant des plus profondes conflictualités
universelles, et des états confusionnels que provoque l'amour.
L'amour lorsqu'il n'est pas taillé dans les conventions. Elle est
vieille mais elle est belle et surtout émouvante et c'est là
que le jeune homme est attrapé. Ça commence par de l'intime,
il entre dans la chambre de la vieille dame et se trouve dans la chambre
d'une femme de théâtre presque encore adolescente, pleine
de poupées étranges. À mon sentiment, il s'y trouve
comme un enfant qui entre dans l'armoire secrète, intime et interdite,
d'une mère, où reposent sensuellement des vêtements
de femme coquette et des odeurs particulières. Il découvre
celle qui, à ce moment précis, n'est plus une mère,
mais lui fait connaître le féminin adressé à
un autre, avec au sein de son narcissisme un homme, un amant, et non plus
le petit gamin. Dans l'histoire, Jeannot, prénom d'ailleurs infantile,
ne sait pas que le roi du pantalon, Salomon, l'a envoyé chez elle
car il ressemble à un amant de jeunesse, ce qui fera de lui un
objet, et qu'il va servir au retour dans le passé de Cora. Il va
en effet voyager avec elle dans le temps des souvenirs et dans ses sentiments,
à lui et à elle aussi bien sûr. Pour les supporter,
ces sentiments, il prétextera qu'ils sont des sentiments "en
général", non pas pour cette femme, mais pour les espèces
en voie d'extinction, car ses désirs pour la dame d'un autre âge
le tourmentent au plus haut point. Il est au début de la vie et
elle à la fin !! En vérité l'dipe réalisé
n'est plus un fantasme, il est plus proche de l'inceste, et ce livre peut
déranger ; seulement, il est tellement humain, plein d'humour,
de tournures de phrases étonnantes, qu'on l'aime profondément.
Je dis "on" pour ne pas dire moi, pour mettre un peu de distance
vis-à-vis de ce délicieux récit à scandale
que j'ai lu avec un plaisir intense. Il se peut d'ailleurs que Romain
Gary ne pouvait se permettre de l'écrire que sous un autre nom,
Émile Ajar, que celui accepté conventionnellement par les
médias, car Gary rêve ses livres, éveillé,
et ne peut pas se censurer, il lui faut écrire. Ce ne sera pas
le premier mais le dernier sous ce nom, après quoi il fait sa révérence.
Tout dans ce livre pourrait faire penser qu'il lançait un SOS pour
lui-même, mais il dit dans une interview, cinq ans auparavant :
"je m'anime dès
que l'on parle de la mort, je me sens chez moi, j'ai de très bons
rapports avec la vie, et d'excellents rapports avec la mort".
Décidemment les sentiments humains sont contradictoires, conflictuels,
confus, et les romans d'Ajar/Gary les racontent avec passion. Il y aurait
encore bien des pages à écrire pour rendre compte de ce
livre époustouflant. Alors "au-delà de cette limite
mon ticket est toujours valable" car je ne peux m'arrêter
d'ouvrir ce livre 100%.
Anne
(Il
n'y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur)
J'ai apprécié son introduction. Elle fait une analyse intéressante,
parmi d'autres, du choix de Romain Gary pour un "autre" nom.
Gary, ayant été à l'origine un nom trouvé
avec l'aide de sa mère. Ajar est donc un nom dégagé
de la relation maternelle et le sépare d'elle, le rend "autre".
Par contre, je n'ai pas compris la seconde partie de ce livre que j'ouvre
au ¼, dans la mesure où sa démarche d'auteure ne
fait pas le poids par rapport à l'homme choisi pour son travail
qui manque d'humilité et m'a ennuyée.
Valérie
(L'angoisse du roi Salomon d'Émile Ajar)
Je suis très attachée à Romain Gary, mais je leur
trouve une différence avec Émile Ajar, que ce soit dans
La vie devant soi ou L'angoisse du roi Salomon, me paraissant
peut-être un peu mineurs par rapport à La promesse de
l'aube.
De lire L'angoisse du roi Salomon m'a rappelé l'adaptation
que j'ai vue au Théâtre Saint-Martin : je trouve d'ailleurs
que le roi Salomon est un bon personnage de théâtre et j'y
ai retrouvé et aimé cette dimension pathétique, par
ce choix de raconter l'histoire de gens simples et ordinaires et qui souffrent
mais courageusement.
J'y ai aimé l'hommage à la mémoire et j'ai été
touchée par le thème de la vieillesse avec cette scène
centrale du cabaret quand Cora retrouve son éclat et sa jeunesse.
J'ai pensé parallèlement à cette nouvelle de Simone
de Beauvoir L'âge
de discrétion où, comment à 60 ans, des choses
s'en vont, on regarde de moins en moins loin comme le roi Salomon qui
est un personnage que j'ai adoré, lui, le désabusé,
mais qui s'entretient et qui se fait comme "passeur" du comment
vivre bien.
Je l'ouvre à moitié. Je n'ai pas lu Delphine Horvilleur.
Romain
(L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
J'ai aimé les personnages et particulièrement Jean, simple
et bon dans son rôle de Christ, plein d'empathie : il m'a semblé
être le bon idiot (comme celui de Dostoïevski). On le dirait
absolument ouvert, il reçoit des autres et il donne après
avoir réfléchi, fait le bilan en lui-même, que ça
vienne de Chuck ou du Roi Salomon. Même de Tapu, il apprend des
choses. C'est comme si l'histoire commence à un moment de sa vie
où les dictionnaires ne suffisent plus et qu'il lui faut vivre
avec les gens. Il va se découvrir une grande l'intelligence d'autrui,
celle du cur humain. Je l'aime bien car c'est la sagesse populaire
attachante qui nous en apprend beaucoup, mine de rien, qui est légère
et drôle : "La
France des tartines ou des croissants". Il est naïvement
profond avec des expressions très intelligentes : "C'est
impardonnable de ne pas pardonner" ; "Il faut s'attendre
à tout surtout à l'inattendu". Il y a de
la "décence ordinaire"
chez lui que Georges Orwell a défendu, lui qui croyait à
l'existence d'un sens moral inné chez les gens ordinaires.
J'ai
aimé le Roi Salomon et Cora qui incarnent bien l'angoisse et ce
roman est la preuve qu'il vaut mieux une petite histoire qu'un grand essai
de philosophie pour y réfléchir.
J'ai eu l'impression que l'angoisse était contagieuse : avec ce
cercle vicieux qu'à vouloir calmer la sienne en venant en aide
à d'autres angoissés, on l'attrape aussi. Face à
l'angoisse, c'est beau comme l'amour est le meilleur remède, et
sous ses différentes formes : avec les amis, avec la femme, avec
l'humanité.
Cette histoire nous parle de la famille avec des personnages n'en ayant
pas et qui paraissent d'autant plus angoissés qu'ils sont seuls
et même s'ils en ont fait le choix et s'ils l'assument, ils se cherchent
encore, Salomon et Cora, par exemple.
Et comme j'ai tout aimé, j'ai aimé aussi le style qui sert
très bien l'intrigue. Je l'ouvre à fond.
Romain
(Il n'y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur)
J'ai reconnu que c'était très intelligent et que c'est une
idée que d'inventer un personnage qui est le fils d'Ajar dont elle
a aussi éclairé ma lecture dans le prologue "Il
en va ainsi des uvres qui nous marquent comme des auteurs qui les
ont offertes au monde : ils font toujours un peu de nous leurs enfants".
J'ouvre ¼.
Margot
(Il n'y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur)
(avis transmis)
Comme je ne suis ni célèbre comme Horvilleur, ni grand écrivain
comme Gary/Ajar, mais seulement grand lecteur devant l'Éternel,
je m'interviouve je/moi et moi-même :
- Question : qu'as-tu appris de l'essai de Delphine Horvilleur,
auteure sur le phénomène Ajar ?
- Réponse : Sur Ajar et ses relations avec Gary, rien. Sur l'autrice
: j'ai vu se profiler l'orgueil incommensurable d'une femme de pouvoir
qui se met au centre d'un texte quand elle parle d'un autre (et de quel
autre ! Un insaisissable...) et se sert d'un anniversaire littéraire
comme d'un marchepied vers l'édition, le théâtre,
la radio et la télé pour la promotion de sa production.
J'ai aussi appris que la cheffe religieuse (1),
comme tout chef religieux d'une chapelle quelle qu'elle soit n'est pas
à une contradiction près : elle fustige l'identitaire ;
elle clame l'extrême liberté de Gary de devenir un autre
et, sans coup férir, elle l'enferme dans une légende du
Talmud pour éclairer le pseudo choisi... A une lettre près,
tout de même, dit-elle. A une lettre près, il peut y avoir
aussi P.O.I.S.S.O.N ou P.O.I.S.O.N... Passons. Enfin, j'ai constaté
que l'autrice ne cite pas ses sources, ni un des romans majeurs de l'auteur
sur lequel elle écrit son essai (2).
- Qu'est-ce que tu conclus de l'essai de D. Horvilleur ?
Quel besoin Gary aurait-il eu de la redondance d'une signification quand
changer de nom d'auteur était déjà échapper
à lui-même pour devenir un autre ? Et puis, Gary n'était-il
pas déjà un pseudo, le deuxième ou troisième
depuis que Romain/Émile écrivait ?
À quoi bon prétendre que Gary ne connaissait pas la légende
du Talmud avancée ? Personne ne pouvant la contredire. Ce faisant,
l'autrice n'a-t-elle pas réduit son propre rôle à
celui d'une cheffe religieuse qui rabbinise et ramène dans son
giron ce grand insaisissable de Romain/Émile Gary/Ajar ?
Gary ne veut-il pas aussi dire "feu", en russe ? Et Ajar "braise",
toujours en russe, langue quasi maternelle de l'auteur au-delà
de toute identité ? Mais cessons là : tout ceci fut décliné
en son temps dans l'émission
d'Apostrophes à la mort de Gary/Ajar ; toutes
les hypothèses de D. Horvilleur évoquées et balayées
d'un revers de main. Qui s'en souviendrait ? D. Horvilleur pleure Gary/Ajar
qui eut le mauvais goût de se flinguer sans l'attendre. L'essentiel
n'est-il pas dans le fond que D. Horvilleur ait pu s'épargner
le risque de rencontrer Gary/Ajar, personnage rude à ses heures
et cinglant même avec la gente féminine ? En bref, son
essai n'illustre-t-il pas une pensée chère à Oscar
Wilde : deviens célèbre et tu seras publiée.
Ce que Roman Kacew invente est ni plus ni moins l'auteur comme être
fiction ! Avec des rebondissements successifs dans l'histoire Gary/Ajar/
Pavlowitch, autant d'êtres réels que fictifs. Un ou des auteurs
personnages, un insaisissable, un trublion génial et goguenard
: c'est la plus grande création littéraire après
le Quichotte. Un rire inextinguible.
Le Quichotte avait fait du livre un objet du réel qui entre dans
la fiction et la modifie (Livre II), Gary, lui, injecte la fiction de
l'auteur dans le réel qu'il va ainsi manipuler comme un théâtre
d'ombre et de marionnettes. Il inverse les paradigmes, gomme toutes les
frontières et nous tend le miroir de notre propre vanité.
Détesté des critiques et des mondains, très aimé
des lecteurs, un des plus grands écrivains français : Gary
le matin, Ajar l'après-midi et dans la même année,
un roman de l'un et un roman de l'autre, pendant presque 5 ans.
(1) J'ai retiré le terme de "La
Rabbine" pour ne heurter aucune sensibilité, ni créer
de polémique sur ce terme.
(2) - "Le Dibbouk" dont parle D.H. n'est rien
moins qu'un personnage clé dans La danse de Gengis Cohn,
roman signé Gary, paru en 1967, soit juste à l'issue d'un
procès retentissant en Allemagne sur les hommes ordinaires qui
ont réalisé l'extermination des juifs de Pologne, avant
même la création des camps, avec les constitution des fameux
Einsatzgruppen composés de civils allemands, chargés de
rafler les juifs de village en village, de les balancer dans des fosses
creusées à ciel ouvert et là de les tuer d'une balle
dans la tête, l'un après l'autre.
La Danse de Gengis Cohn est écrit à la suite du voyage de
Gary en Pologne où il prend contact avec ses racines juives et
où il réalise, amer, que l'universalisme à la française
inculqué par sa mère, n'inclut en rien l'universalisme juif.
Pour autant, il lui était insupportable d'être assimilé
et réduit à des racines, quelles qu'elles soient.
- Sur la question de l'attachement délétère à
l'identitaire, là encore D.H ne cite pas ses sources. À
partir de 1939, sous le IIIe Reich millénaire, la psychanalyse
a pu devenir le creuset de l'identité - volonté acharnée
à retrouver son moi profond - grâce à Jung qui, peu
après le départ de Freud de Vienne en 38, est devenu le
président du centre de psychanalyse crée par Goering, neveu
de l'autre, et destiné à promouvoir l'appartenance identitaire
à la race supérieurs des aryens.
Margot (L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
À mon goût le plus fade des romans signé Ajar.
Oui c'est bien écrit, oui c'est souvent attendrissant et très
bienveillant.
Quelques fulgurances aussi, mais un peu trop "conte de fée"
et avec une ingénuité un peu trop forcée. Je comprends
d'autant ce choix pour Ajar que deux romans, l'un de Ajar et l'autre de
Gary (en dehors du Goncourt de chacun d'entre eux) sont des chefs-d'uvre
hors cadre, qui sortent totalement de l'ordinaire :
- Pseudo,
sur le fil du rasoir, décapant, très troublant dans le jeu
des identités, et dans lequel Paul Pavlowitch, qui endosse le prête
nom de Ajar pour le compte de Romain Gary à la ville, tient également
le rôle du personnage qui cristallise toute la folie du roman
- La
danse de Gengis Cohn, d'un humour corrosif qui fait monter le
rouge aux joues. Seul un auteur avec des racines juives pouvait se permettre
cette écriture au vitriol. Jamais rien lu d'aussi décapant
sur la survivance des Juifs exterminés, sur la présence
intense de ceux que l'on a voulu éliminer, sur l'amnésie
de l'Histoire sur la culture qui coiffe de chefs-d'uvre les meurtres
les plus sauvages. Une maîtrise démente des identités
imbriquées les unes sous les fronts des autres, des voix de différents
narrateurs, externes et internes, en autant de sous-conversations délirantes.
Pas un mot sur la fin : seul Gary pouvait en inventer une semblable.
Monique
M (L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)
A la première lecture, lu un peu vite, j'ai trouvé ça
angélique, totalement irréaliste qu'un jeune homme de 25
ans s'éprenne d'une chanteuse de 65 ans totalement défraîchie,
surtout après sa liaison avec Aline. Incrédule aussi que
les trois jeunes associés se laissent embrigader et soient d'emblée
d'accord pour faire des actions de bénévolat chez le roi
Salomon, mais c'est si bien ficelé, avec des situations si cocasses
pleines d'humour, d'ironie, des répliques si drôles et pertinentes,
un regard tendre sur le vieillissement, la perte de repères des
personnes âgées, la solitude, la philosophie et la nostalgie
tendre que l'auteur installe, fait passer dans ces situations un peu rocambolesques
que j'ai bien aimé.
Il y a beaucoup d'humanité dans ce livre. On a l'impression que
Gary repasse en mémoire les souvenirs des rencontres de sa vie.
Les portraits de personnages sont formidables : le roi Salomon très
digne, les traits encore fermes, les yeux noirs, respirant l'élégance
dans son costume prince de Galles, avec nud papillon, illet
à la boutonnière, canne à pommeau d'argent, une voix
qui grondait et des raideurs dans les reins tout de même dû
à son âge. Mademoiselle Cora : "Il
n'y avait pas à discuter, ça se voyait sur son visage, on
voyait bien que les camions de la vie lui étaient passés
dessus." Monsieur Tapu dont Chuck dit que : "si
les loubards n'attaquaient plus les personnes âgées, si les
juifs n'étaient plus là, si les communistes s'évaporaient
et si les travailleurs immigrés étaient renvoyés
chez eux, ce serait pour monsieur Tapu le désert affectif."
Cette beauté des portraits des personnages, le regard acéré
sur la bêtise : le concierge Tapu ou le patron du bistrot où
Jean va boire trois cafés à la file et lui dit en allumant
le transistor du comptoir "Excusez-moi
si je me permets, c'est pour la marée noire. Je suis breton. J'ai
un père là-bas qui est goéland. Et encore un café
s'il vous plaît" (p. 156),
sur l'écologie, la vieillesse, les revers de la vie, la relation
au père (très belle scène où il raconte son
aventure avec Cora, pendant que le père coupe lentement le pain
en tranches régulières pour se réfugier dans qq chose
de sûr et de familier) p. 158. L'incompréhension du
père liée au décalage de génération,
l'amour du fils pour le père dont on sent qu'il a hérité
de cette éducation solide, honnête, comme le pain que tranche
le père ; c'est hyper simple et très juste.
La grande scène du livre est sans doute celle du Slush, Mademoiselle
Cora qui saute, virevolte, claque des doigts sous les projecteurs qui
accentuent l'outrance de son maquillage, les propos moqueurs, l'effet
du champagne, elle chante sous les sifflets, Jean "allonge
un flambard au gars qui lui avait dit j'veux pas t'empêcher de gagner
ta vie mais va le faire ailleurs", l'apothéose
finale du tour de chant sous les applaudissements de Mlle Cora et le retour
à son appartement, sont formidables.
Ce livre est l'un des derniers de Romain Gary et c'est un peu comme s'il
réglait ses comptes, par procuration, avec la vie ; ce qu'elle
a de beau et de moche, ce qui fait rêver et ce qui révolte,
les belles personnes et les salauds ou les irrécupérables
comme Tapu. Cora fait penser à Piaf et ses gigolos. Chuck a des
réparties formidables de justesse sur la vie, mais Jan et Aline
aussi, tous les personnages sont cohérents d'un bout à l'autre
du récit. J'ouvre aux ¾.
Jean-Paul (L'angoisse
du roi Salomon d'Émile Ajar)(avis
transmis)
Un roman à la fois tendre, mélancolique, sensible et parfois
drôle, qui dès la rencontre du narrateur Jean dit "Jeannot
lapin" avec le roi Salomon nous embarque dans son histoire.
Ce chauffeur de taxi, bricoleur en tout genre, autodidacte toujours à
la recherche d'un dictionnaire pour comprendre et appréhender le
monde à travers les mots, rencontre un vieil homme le roi Salomon
"comme il le dénomme" qui lui propose de devenir bénévole
dans son association.
Jeannot se rend à la demande de Salomon auprès de démunis
qui crèvent de solitude et qui, à défaut de sauver
les oiseaux victimes de la marée noire, vient à la rencontre
des êtres que la vie à abîmés et laissés
au bord du chemin, avec empathie, comme s'il remplissait une mission.
Son employeur le met en contact avec une ancienne gloire oubliée,
non par hasard, mais parce que c'est son amour de jeunesse que les événements
a détruit.
À travers leur relation, on perçoit la peur de l'âge
de la vieillesse du temps qui passe et fait perdre le goût de vivre,
mais l'amour reste quand même persistant.
Tout est mélancolie et finesse dans ce roman : comment ne
pas s'arrêter sur le pathétique de Cora prenant le micro
dans une boîte ou Jean l'a emmenée ou voulant aller "canoter"
au bois de Boulogne, voulant lui donner encore la force de rêver.
Roman plein de douceur qui nous amène sur une réflexion
sur le temps et notre condition humaine. À lire et relire, j'ouvre
en grand.
Présentation de Delphine Horvilleur
=> sur wikipedia
De Romain Gary (Emile Ajar) =>
wikipedia
Ouvrages personnels
Contributions à des ouvrages collectifs
Au théâtre
Il n'y a pas de Ajar est
adapté au théâtre : mise en scène Johanna Nizard
et Arnaud Aldigé. Jeu : Johanna Nizard
- en décembre
2022 au Théâtre
du Rond-Point
- en janvier 2024 au Théâtre
de la cité internationale
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