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"Thomas
Bernhard aspirait les gens, il les avalait"
Propos recueillis par Brigitte Salino, Le
Monde, 12 janvier 2012
Le metteur
en scène Claus Peymann a créé presque toutes les
pièces de l'écrivain autrichien. Alors qu'il monte à
Paris "Simplement compliqué", il livre un portrait inédit
d'un créateur de tous les excès.
A l'automne
2012 paraîtront chez Gallimard deux nouveaux livres de l'écrivain
autrichien Thomas Bernhard (1931-1989) : un recueil de nouvelles, l'autre
de textes théoriques. Ils viendront compléter une uvre
parmi les plus importantes de la seconde moitié du XXe siècle,
née avec Gel (1963). Pourfendeur de l'hypocrisie et des
bassesses de son pays, maniaque du désastre, artisan unique d'un
style obsédant, Thomas Bernhard fut un infatigable faiseur de scandales,
tant sur la scène littéraire que sur celle du théâtre.
Claus Peymann, le directeur du Berliner Ensemble, fut le premier à
créer une de ses pièces : Une fête pour Boris,
en 1970, à Hambourg. Depuis, ce metteur en scène, qui est
devenu une star des scènes allemandes et autrichiennes en dirigeant
plusieurs grands théâtres, dont le Burgtheater de Vienne,
a créé presque toutes les pièces de Bernhard (publiées
à L'Arche), jusqu'à la fameuse Place des Héros,
qui, en 1989, a suscité un scandale dans l'Autriche du chancelier
social-démocrate Franz Vranitzky et du président conservateur
Kurt Waldheim, boycotté par la plupart des pays occidentaux pour
avoir menti sur son passé dans la Wehrmacht.
Entre Thomas Bernhard et Claus Peymann, ce fut une longue histoire de
théâtre, et "une histoire d'amour", selon le metteur
en scène, qui présente à Paris Einfach Kompliziert
(Simplement compliqué). Un samedi de décembre 2011,
dans son bureau à Berlin, Claus Peymann a livré un portrait
personnel et ému de Thomas Bernhard.
En juin 1970, vous créez "Une fête pour Boris",
la première grande pièce de Thomas Bernhard, au Schauspielhaus
d'Hambourg. Comment avez-vous découvert cette pièce ?
Personne n'en voulait. Beaucoup de théâtres célèbres
l'avaient lue, mais tous ont dit : "Non, non, non, ce n'est pas
possible de présenter cette pièce." A l'époque,
j'étais un très jeune metteur en scène. Suhrkamp,
l'éditeur de Thomas Bernhard, m'a donné le texte. Je l'ai
trouvé formidable, et j'ai aussitôt décidé
de le mettre en scène.
Pourquoi ?
Par intérêt pour la littérature. Depuis mes débuts,
elle est à la base de mon travail. J'ai toujours été
lié à des auteurs - Elfriede Jelinek, Peter Handke, Werner
Schwab, Peter Turrini... De Thomas Bernhard, j'avais lu un roman, Gel,
quand j'ai eu Une fête pour Boris entre les mains. Comme j'étais
enthousiasmé, j'ai décidé de le rencontrer. J'ai
pris le train, puis un taxi jusqu'à Ohlsdorf, où il s'était
acheté une ferme fortifiée. Quand je suis arrivé,
c'était le soir. J'ai frappé à la porte, toc-toc-toc.
Personne n'a répondu. Alors j'ai marché jusqu'à une
auberge, et j'ai demandé une chambre pour la nuit. Au bar-restaurant,
il y avait un petit téléviseur, qui passait Les Trois
Mousquetaires. J'ai regardé le film avec les gens du village
qui étaient là. Ils étaient exactement comme dans
Gel !
A 3 heures du matin, quelqu'un a toqué à la porte de ma
chambre : "Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Pourquoi
êtes-vous venu chez moi ? Levez-vous !", m'a-t-il demandé,
en criant. C'était Thomas Bernhard. Il m'a emmené dans une
usine de papier où une cantine était ouverte toute la nuit.
On a parlé jusqu'au matin, et continué le jour suivant.
En fait, c'était lui qui parlait, et moi j'écoutais. Dès
le début, ça s'est passé exactement comme dans ses
pièces : il y en a toujours un qui parle et l'autre qui écoute.
Donnait-il des indications pour la mise en scène ou le choix des
acteurs ?
Non, il n'aimait pas le faire. Comme beaucoup d'auteurs, il ne voulait
pas expliquer la pièce, quelle qu'elle soit. Il fallait toujours
batailler pour obtenir des informations. Que pensez-vous de cette phrase
? De ce personnage ? Toutes les questions qu'un metteur en scène
peut poser à un auteur, il les refusait. Avant chaque pièce,
je faisais plusieurs voyages chez Thomas Bernhard. Et il essayait toujours
de fuir les discussions : "On pourrait sortir, marcher un peu,
aller manger." Avec le temps, il est devenu très amical.
Au début, il était très tendu, et isolé. Quand
on avait rendez-vous et qu'on arrivait cinq minutes en retard, il était
déjà parti. Il n'attendait pas, et il fallait reprendre
un rendez-vous pour le jour suivant.
On s'est approchés petit à petit, par un processus d'acquisition
de la confiance. Il a fallu des années avant que j'aie le droit
d'entrer dans sa ferme. Au début, je dormais par terre, devant
la salle de bains. La ferme, qui aujourd'hui est devenue un musée,
était en cours d'aménagement. Thomas Bernhard vivait dans
deux pièces, et le reste ressemblait à un vaste chantier.
Peu à peu, c'est devenu un quatre-étoiles, avec une vingtaine
de pièces. Bernhard était dur en affaires et il aimait beaucoup
l'argent. Il avait un côté propriétaire foncier. Il
achetait des terrains et des propriétés pour se rassurer,
et il donnait un ordre absolument rigoureux à sa vie, peut-être
pour mettre des limites à son chaos intérieur. Mais, même
quand il a été riche, il vivait un peu comme un paysan pauvre,
d'une manière assez austère et réglée.
Tout en soignant son élégance vestimentaire et son goût
des chaussures...
Oui. Il avait 70 à 80 paires de chaussures dans chacune de ses
maisons. Il portait aussi des pantalons autrichiens typiques, en cuir.
Mais c'était une sorte de déguisement qu'il avait adopté
pour accéder aux couches hautes de la société. Il
était très souvent en compagnie du président de l'Assemblée
nationale autrichienne, d'un arrière-neveu de l'empereur François-Joseph,
d'un cardinal romain et du président de la Deutsche Bank. Je me
souviens d'un déjeuner dans un de ces petits restaurants délicieux
qu'on trouve dans la campagne autrichienne. Le téléphone
du directeur de la Deutsche Bank sonne : "Excusez-moi, nous dit-il,
c'est M. Kohl (chancelier allemand, de 1982 à 1998). Mais
il attendra, on mange la soupe." Un autre jour, j'étais
à côté du cardinal, qui avait été nonce
à La Havane pendant dix ans. Il nous dit : "Ah mon Dieu
! C'est l'anniversaire de Fidel, et j'allais l'oublier." Le voilà
qui appelle Castro. "Bonjour, comment allez-vous ?"
Ce sont des anecdotes, mais elles sont révélatrices de la
vie de Thomas Bernhard. Peut-être parce qu'il venait d'un milieu
simple, d'une famille pas très claire et sans beaucoup d'argent,
il aimait être dans la "high society", mais c'était
pour la comprendre et la décrire, comme il le fait dans La Société
de chasse ou Place des Héros. Dans toutes ses pièces,
il y a une base psychologique que j'ai sentie aussitôt en lisant
Une fête pour Boris. Les personnages sont toujours un peu à
la marge. Ce sont des gens un peu fous, des grands clowns. Je les vois
comme des personnages de Molière ou de Tchekhov - deux auteurs
dont les pièces sont des sortes de danses macabres qui racontent
la fin d'une époque. Chez Bernhard, c'est la danse macabre de la
société bourgeoise.
Comment travaillait-il ?
Comme beaucoup d'écrivains, il recherchait la solitude pour ne
pas se laisser distraire de l'écriture. Dans les dernières
années de sa vie, il a fait beaucoup de séjours à
l'étranger, pour être dans une enclave de la langue. Il allait
en Yougoslavie, en Espagne, au Portugal. Il écrivait rapidement.
Les pièces mûrissaient dans son esprit, puis elles sortaient,
comme si elles étaient dictées. Ce n'est pas rare. Goethe
a écrit Clavigo en une semaine, et Büchner Léonce
et Léna en sept jours. Mais j'étais épaté
par une écriture aussi rapide. J'allais chercher les manuscrits,
puis je repartais là où j'habitais. Dès mon arrivée,
je devais dire si je montais la pièce. Bernhard voulait une réponse
immédiate : "Alors, tu le fais ?"
Après "Une fête chez Boris", vous avez créé
pratiquement toutes ses pièces. Oui. Je suis déçu
de n'avoir pas créé la dernière, Elisabeth II,
mais je ne pouvais pas, parce que, cette année-là, je créais
Place des Héros. Il m'était impossible de faire deux
mises en scène par an de pièces de Bernhard. Je serais devenu
fou, car j'étais totalement plongé, presque enfermé,
dans son monde. Quand on était dans sa campagne, à Gmunden
ou Ohlsdorf, et qu'on voyait tous les malades et les débiles décrits
dans son uvre, j'avais l'impression de devenir moi-même un
figurant de son cosmos. C'était à la fois effrayant et drôle.
Quand je suis devenu directeur du Burgtheater de Vienne, en 1986, ça
a été un peu différent : je me sentais plus fort,
le rapport n'était plus le même. Mais, au début, j'avais
peur : Bernhard aspirait les gens, il les avalait, à cause du pouvoir
d'attraction qu'il exerçait. Je ne veux pas dire qu'il avait des
pouvoirs magiques, mais il était tellement obsessionnel ! Il vivait
dans l'excès, il avait des phases où il était extrêmement
vorace de la vie, puis il disparaissait pendant des mois, dans sa maison.
Il fermait tout, il n'ouvrait pas le courrier, plus personne n'avait accès
à lui.
Quel
rôle jouait "la tante", Hedwig Stavianicek, de trente-sept
ans son aînée, qu'il a rencontrée au sanatorium, en
1950, et qui a partagé sa vie jusqu'à sa mort, en 1984 ?
Je la connaissais très bien. C'était une femme âgée
formidable. En Autriche, les femmes âgées sont formidables,
et les plus jeunes, insupportables. Hedwig Stavianicek était très
cultivée. Elle a adopté Bernhard comme un fils, et comme
un compagnon. Mais ils n'avaient pas de relations sexuelles. Ni l'un ni
l'autre n'auraient imaginé en avoir. Ils ont beaucoup voyagé
ensemble, et il l'a soignée très longtemps. Entre eux, c'est
une longue histoire, compliquée. Bernhard est enterré dans
sa tombe, et celle de son mari.
Entre lui et vous, comment ça se passait ? Comme dans une histoire
d'amour. J'étais un peu dépendant de lui. Quand je faisais
une mise en scène d'une de ses pièces, j'attendais sa réaction,
en espérant qu'il apprécierait. À la première
de Place des héros, il a pleuré. Il était
heureux.
Cette pièce, qui est la dernière créée du
vivant de Thomas Bernhard, a suscité un scandale jusqu'au sommet
de l'Etat. C'est vous qui l'aviez commandée ?
Non.
C'est toute une histoire. En 1988, l'Autriche célébrait
le cinquantenaire de l'Anschluss, l'annexion par l'Allemagne nazie. Le
chancelier autrichien, Franz Vranitzky, m'a dit : "M. Peymann, vous
êtes un homme de Thomas Bernhard. Dites-lui qu'il écrive
une pièce pour ce jubilé." "Vous êtes fou
?, m'a répondu Bernhard. Dites à Vranitzky que je ne le
ferai jamais." Mais il avait une idée, très bonne,
sur ce que devaient faire les Autrichiens pour le jour du repentir : mettre
une étoile jaune sur toutes les boutiques prises aux juifs pendant
le nazisme. Des centaines de boutiques. Quand j'en ai parlé à
Vranitzky, il a explosé : "Il est fou, ce Bernhard !"
D'une certaine manière, on peut dire que c'est le chancelier qui
a soufflé l'idée de Place des héros. Parce
que, quelques mois après sa proposition, Bernhard m'a dit : "J'ai
écrit une pièce."
Cette pièce met en scène des juifs exilés pendant
le nazisme, qui reviennent en Autriche et récupèrent l'appartement
dont ils avaient été spoliés, sur la Heldenplatz,
la place des Héros, où 250 000 Autrichiens ont acclamé
Hitler, après l'Anschluss. Les Autrichiens ont toujours "coloré"
l'Histoire à leur avantage. Ils ont absolument refusé de
voir leur relation au nazisme et se sont posés en victimes, en
disant qu'ils étaient le premier pays occupé et en refoulant
ce qui s'était passé.
Dans Place des Héros, Bernhard a mis au jour cette vérité
refoulée. Il a montré qu'il y avait toujours de l'antisémitisme
en Autriche, et le désir de retrouver un "homme fort"
- Hitler était autrichien, et la pièce a été
écrite au moment où s'imposait le populiste Jörg Haider.
C'est ce qui a déclenché le scandale. Les scandales, dans
l'art, sont toujours déclenchés par des vérités.
Quand Picasso peint Guernica, on dit qu'il crée un scandale. Non.
Le scandale, c'est que les Allemands ont bombardé Guernica. Avec
Place des Héros, c'est pareil. Bernhard a hurlé une
vérité que le peuple ne pouvait plus continuer à
cacher.
Les attaques ont été très violentes ?
On s'est fait cracher au visage, dans la rue, Bernhard et moi. Il n'a
pas eu peur. Au contraire. Il a durci sa pièce. Si on veut tirer
une leçon positive, on peut dire que c'est formidable qu'il existe
encore un pays comme l'Autriche où le théâtre puisse
déclencher une telle émeute. À l'époque, Jack Lang
m'a dit qu'en France Mitterrand n'aurait pas laissé jouer une pièce
attaquant aussi frontalement le chef de l'Etat.
Thomas Bernhard meurt quelques mois plus tard, le 12 février 1989.
Dans quelles conditions ?
Quand on regarde les photos de la première de Place des Héros,
on voit qu'il a le masque de la mort. À l'époque, je ne m'en rendais
pas compte, parce qu'on était très souvent ensemble. Quand
on est avec quelqu'un au quotidien, on ne le voit pas. Je savais que Bernhard
était très malade. Mais je ne m'attendais pas à sa
mort, parce qu'il ne parlait que de ça. C'est un peu comme le berger
qui appelle à l'aide en disant que le loup arrive. On vient, il
n'y a pas de loup, on repart. Un jour, on ne vient pas, et le loup arrive.
Un lundi matin, j'étais à mon bureau, et le Kronen Zeitung,
un tabloïd autrichien, m'appelle : "Pouvez-vous confirmer
que Bernhard est mort ?" "C'est n'importe quoi, ai-je
répondu, je lui ai encore téléphoné la semaine
dernière."
Comme le journal continuait à appeler, j'ai téléphoné
à Peter Fabjan, son demi-frère, qui m'a dit : "Il
ne va pas bien, mais il est vivant." Nous sommes convenus que,
le lundi suivant, j'irais à Ohlsdorf pour me disputer avec Bernhard.
C'était ma méthode : quand il allait mal, on "disputait",
ça lui faisait du bien. Le mercredi matin, à 6 heures, Fabjan
m'a appelé pour me dire que, s'il arrivait malheur, il ne faudrait
pas mettre de drapeau noir sur le Burgtheater ni faire de grandes déclarations.
"Mais pourquoi me parlez-vous de ça ?" "Je
n'ai pas le temps, il faut que je parte pour Vienne." Alors je
me suis dit qu'il se passait vraiment quelque chose. J'ai fait téléphoner
au cimetière de Vienne pour savoir s'il y avait un enterrement.
Et j'ai appris qu'à 10 heures, il y avait celui de Bernhard.
J'ai pris ma voiture et suis allé au cimetière. Quand je
suis arrivé, c'était terminé, il pleuvait, il n'y
avait plus personne. En fait, ils avaient avancé l'enterrement
d'une heure. Seuls son demi-frère et sa demi-sur y ont assisté,
et un passant qui était là par hasard. Je voulais lui rendre
hommage, je savais où était la tombe, je pleurais. Un couple
est arrivé, et m'a dit : "Regardez ça, le gouvernement
autrichien n'est même pas capable de donner un enterrement officiel
à ce grand homme." Je pense que Bernhard avait tout organisé.
La semaine précédente, il m'avait téléphoné,
très tôt. D'habitude, c'était toujours moi qui l'appelais,
avant 9 heures, parce qu'après il écrivait. Les seules fois
où il appelait, c'était pour m'engueuler, parce qu'il était
en colère contre moi.
Ce matin-là, j'étais encore au lit. Il a plaisanté
: "Alors, est-ce que tu es tout nu au téléphone
?" On a parlé une demi-heure. Il a fait la même
chose avec une dizaine de personnes. En fait, c'était pour dire
adieu. Il avait un problème grave d'eau qui montait jusqu'au cur.
Son frère, qui est médecin, le soignait. À la fin, Bernhard
ne laissait aucun autre médecin l'approcher. Fabjan et lui avaient
deux grands appartements, l'un à côté de l'autre.
C'est là qu'ils étaient la dernière nuit. J'imagine
la scène. Un enfer. L'évacuation de l'eau ne se faisait
plus. Vers 2 heures du matin, Bernhard était sur un canapé.
Son frère lui a dit : "Je retourne dans mon appartement,
je reviens dans un moment." Quand il est revenu, Bernhard était
mort. Fabjan ne dira jamais si c'est la vérité ou pas mais
je pense qu'ils s'étaient mis d'accord. Bernhard voulait mourir
seul.
Dans son testament, Bernhard a demandé que, pendant les cinquante
années suivant sa mort, aucune de ses pièces ne soit jouée
en Autriche, et aucun texte publié. Ce testament n'a pas été
respecté. Qu'en pensez-vous ?
Au Burgtheater, nous avons continué à jouer trois pièces,
en dépit de l'interdiction : Déjeuner chez Wittgenstein,
Place des Héros, et Le Faiseur de théâtre.
Je considérais que j'avais un contrat avec Bernhard, qui aimait
beaucoup ces mises en scène, et que c'était à moi
de décider. Juste avant de mourir, il avait durci son testament,
probablement parce qu'il savait qu'il allait disparaître, et qu'il
en était désespéré. Il a dû éprouver
un sentiment que je comprends : après moi, il ne doit rien rester.
J'avais dit à son frère de ne pas suivre ce testament :
"Imaginez que les amis de Kafka aient brûlé ses écrits,
comme il l'avait demandé. Il ne serait rien resté. Qui connaîtrait
Kafka aujourd'hui ?"
Kafka n'avait presque rien publié, ce qui n'est pas le cas de Bernhard...
C'est vrai, mais il faut se mettre dans le contexte. Bernhard avait une
relation d'amour et de haine envers l'Autriche. Il haïssait le système
et ceux qui le font et, en même temps, c'était un vrai patriote,
qui aimait son pays. Je pense qu'il a voulu le punir, cracher dessus,
en interdisant qu'on joue ses pièces et qu'on publie ses romans.
Fabjan a respecté le testament de son frère pendant dix
ans. Puis il a considéré que cela n'avait plus de sens.
Il a créé une Fondation Thomas Bernhard, et levé
les interdictions. Comme Mozart, Bernhard avait peur d'être récupéré,
de devenir un héros national dans son pays, qui l'avait détesté
de son vivant. Pour ses compatriotes, il était celui qui "salit
le nid". Même le chancelier avait dit qu'il devrait être
interné en hôpital psychiatrique. L'Autriche a une attitude
paradoxale : elle produit beaucoup de génies, en musique, en littérature
et en pâtisserie. Mais, tant qu'ils vivent, elle a du mal à
reconnaître des êtres aussi géniaux que Thomas Bernhard.
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