Cyrill GELY, La forêt aux violons, Points, 192 p.

Quatrième de couverture :

Dans l’Italie du XVIIe siècle, Antonio, jeune luthier de Crémone, entreprend cinq voyages dans la région des "Montagnes roses" dans le but d’acheter du bois pour ses violons. Ces voyages le mèneront à une histoire d’amour passionnelle, mais aussi à la quête d’une vie. Car là-bas, au lever du soleil, une jeune fille lui inspirera le plus magnifique des instruments. Et Antonio deviendra le célèbre Stradivarius.

Cyril Gely est romancier, auteur de théâtre plusieurs fois nommé aux Molières, et scénariste. Il est notamment l’auteur de la pièce de théâtre Diplomatie récompensée par le César de la meilleure adaptation, et de Prix, disponible chez Points.

 

      

 

 

Cyril Gely
La forêt aux violons

Le nouveau groupe a lu ce livre pour le 28 juin 2024.

Margot
J'ai proposé ce livre. C'est une amie qui me l'a fait connaître. Je l'ai trouvé absolument magique. Ça m'a fait beaucoup penser à Soie d'Alessandro Baricco. Par rapport à toutes ces lectures un peu "lourdes" de cette année, je me suis dit que ce serait plus léger.
Sur Internet, j'ai vu la forêt de Paneveggio : elle est sublime ! D'ailleurs il y a des concerts de violoncellistes avec des violoncelles fabriqués à partir des épicéas de cette forêt.
Pour ce soir, j'ai relu le livre. Il m'a paru beaucoup plus pragmatique : on sent le corps qui jouit, qui aime, qui souffre. Également j'ai vu clairement les scansions qui rythment les chapitres : celle des voyages, celle des violons, celle des femmes du luthier… Et puis j'ai vu que le violon était véritable héros de cette histoire non pas les différents personnages. Oui, ce violon passe par plusieurs générations de violons qui aboutissent à la confection du Stradivarius. L'écriture sous les apparences de la simplicité est très élaborée.
Finalement bien que lu et relu en un court intervalle de temps, le livre m'est apparu très différent. J'en suis la première surprise !
Je l'ouvre en grand ! Certes, ce n'est pas un chef-d'œuvre, mais il mérite d'être lu.
Audrey
En fait j'ai eu l'impression de plonger dans la quête du beau. La façon qu'a Gély d'épurer son écriture est remarquable : à travers elle, il nous montre comment le luthier va chercher le bon geste, travailler sa pâte, rechercher le son juste. On retrouve tout au long du livre cette sorte de progression à partir d'une même base. Par exemple, quand il décrit la montée des marches, il emploie à peu près les mêmes mots mais avec de légères variations. C'est pareil avec les lumières qui suivent le rythme des saisons : le rose du crépuscule, les couleurs éclatantes du printemps, la fin de l'été… De la même façon Gély nous présente le luthier à travers sa façon de travailler ses différents violons. Il y a une adéquation entre sa vie et son œuvre. Tout converge vers la beauté non seulement de l'objet accompli, mais aussi des lieux (que révèle la lumière) et du rapport au temps. Tout est important, tout prend du temps : dix ans de séchage pour le bois du violon, de longs déplacements pour apporter une pièce à chaque client, un jour à se mettre les pieds dans l'eau pour se reposer de sa peine !
Je l'ouvre aux ¾.

Margot
C'est génial l'épisode de la bibliothèque : il cherche la solution en vain. Finalement il ne comprend qu'en voyant sa fille faire une boucle avec ses cheveux !
Anne
Il y a de l'amour partout. Cet amour vient des liens que le luthier tisse. Avec la jeune fille, il cherche à établir un langage. Avec Giuseppe, il cherche à le faire parler. Avec son maître, il lie une relation de grande affection. Tout converge, tout prend sens. Ce qu'il vit, ce qu'il sent, ce qui le traverse. Tout alimente ce vers quoi il tend. Sa capacité à percevoir l'instant…. Quelle grâce ! C'est l'inverse de nos vies numériques. Ça m'a fait un bien fou ! Je l'ouvre en grand !
Monique M         
Livre envoutant, écrit comme un conte, un conte initiatique où l'adolescent élève du maître luthier Amati devient Maître à son tour et crée le fameux stradivarius. C'est le récit très prenant de ce parcours. Je l'ai d'abord lu très vite, prise par l'histoire, tout en pensant en lisant au livre de Quignard "Tous les matins du monde" qui se situe à la même époque, le même thème, et dont j'avais le souvenir d'une écriture plus ensorcelante ; et puis je l'ai relu et toute la légèreté, la grâce, la spiritualité de ce livre me sont apparues de façon évidente. C'est un livre où l'on apprend plein de choses sur la fabrication des violons, les bois, les colles, les vernis, les essences et les origines de ces bois, la façon d'assembler les 71 pièces du violon, les lieux où poussent les bois : Vosges et Tyrol pour l'épicéa, Balkans pour l'érable, le moment de les abattre, les outils pour les façonner… On côtoie tous les maîtres luthiers italiens célèbres de l'époque, leurs commanditaires, tout ça est passionnant. Et puis, il y a aussi les longues marches d'Antonio entre Crémone et les montagnes roses, que l'on suit par la pensée, sur les chemins de l'Italie du 17e siècle, on ressent bien l'atmosphère de l'époque, la rudesse du parcours, les embuscades… jusqu'à la forêt de Paneveggio, où poussent les fameux épicéas centenaires dont il fera ses violons ; et enfin le hameau avec, comme un leitmotiv qui revient à la fin des chapitres, un effet de loupe indiquant au lecteur que c'est là que tout se joue : "les quatre baraques en bois, côte à côte, nichées au creux de la vallée". J'ai beaucoup aimé les liens qui unissent les personnages, faits de respect mutuel, de confiance, de considération. Entre Antonio et son Maître Amati qui le chasse de son atelier parce qu'il brise les violons dont il juge la sonorité imparfaite, mais en fait qui estime qu'il n'a plus rien à apprendre à son élève et qui le suivra et le protégera de loin dans son parcours
Entre Antonio et Guiseppe le silencieux, qui parle plus avec Antonio en un jour qu'en une année, Guiseppe le bucheron, qui lui abat les arbres, à la lune décroissante, fin janvier, lorsque la sève se retire dans les racines, puis les garde 6 mois, le temps qu'ils sèchent. On sent bien la complicité entre les deux hommes, leur connaissance des arbres, leur sobriété, leur façon d'aller à l'essentiel, la vie paysanne aussi, la frugalité des repas produits du cru : soupes de lentilles, bol de myrtilles, une poule le dimanche. Entre Antonio et ses trois femmes : la mère, vue le dos nu dans la chambre du vieux Maître à qui elle l'a confié ; aussitôt enfuie, mais toujours présente en lui. L'épouse Francesca la solide, la fidèle, la confiante. Silvia, la muse, l'inspiratrice. Il y a entre Silvia, le chat sauvage et Antonio une relation instinctive, un peu animale qui rejoint son âme d'artiste. Elle traverse ce passage du livre comme une allégorie de l'inspiration artistique. Il dessine le dos nu de Silvia qui signifie forêt à l'intérieur duquel il fait apparaître des violons par milliers. Il y a entre eux un lien artistique, charnel et spirituel. Il l'éveille à l'inconnu du monde et à l'autre, elle lui ouvre la voie vers la création de son Stradivarius. Il y a ce passage magnifique où, après avoir fabriqué le violon à l'image de la jeune fille, le troisième promis à Giuseppe en échange des arbres, il le place entre les bras de la jeune fille, et se met à jouer ; elle le regarde étonnée puis sent en elle une vibration qui remonte à son cœur, et se met à pleurer.
Le symbole du dos nu en forme de violon m'a évidemment fait penser au violon d'Ingres de Man Ray, mais Cyril Gely a su en magnifier l'image, le symbole, de façon extrêmement élégante avec une grande érudition ; une tendresse, une gravité dans les rapports à l'autre, que je trouve très belles. J'ouvre en grand.
David   
Vous savez le numérique, il est souvent décrié pour ses méfaits que je ne conteste pas. En fait il repose aussi sur de la créativité ! Ici dans le livre, la notion de création va de pair avec celle de méditation.
Est-ce que c'est de la littérature complexe ? Non ! Mais on ne va pas bouder son plaisir, non plus ! Là, on ne tire pas la langue, on se trouve porté par l'histoire. C'est comme si on faisait une randonnée. On s'arrête, on prend le temps de savourer l'instant.
Et puis, c'est un livre qui nous rappelle à quel point notre vie tient à l'amour. C'est cette magie que Gély convoque.
Cela ressemble plutôt à une légende. C'est une histoire qui nous dépasse. Je l'ouvre en grand !

Margot
D'ailleurs c'est assez violent pour le lecteur de faire mourir le luthier.

Anne
Oui c'est comme Le Petit Prince. C'est un texte qui dépasse la littérature.

Audrey
Et on apprend énormément de choses !

Margot
Dans la même lignée, il y a la vision dans le lac.

Monique
C'est à la fois très charnel et très spirituel !

Margot
Le deuxième violon, il est géométrique et ce n'est pas un hasard. Le nombre d'or, la perspective ce sont les principes sur lesquels est bâtie la Renaissance.

David
On a l'impression de voir ces générations de violons comme une lignée d'humains aux différents âges de la vie !
Leen
Ce livre, je l'ai lu très vite, en quelques heures. Le livre m a séduit par les connections muettes, profondes et riches qu'il recèle. Et Gély les fait passer avec très peu de dialogues. J'ai beaucoup aimé le processus de la recherche de beauté comme celle qui motive les grands maîtres. Ce n'est pas une lecture cérébrale mais c'est très plaisant. Je l'ouvre aux ¾.

Jean-Paul
Une bulle de fraîcheur ! Je ne m'attendais pas à être aussi charmé. L'écriture n'est pas si simple. En peu de mots, on ressent les odeurs - celle du vernis, celle des arbres -, on ressent les couleurs et les sons. Il fait chanter les violons ! D'un chapitre à l'autre, on retrouve les mêmes variations à propos des personnages féminins : sa mère, son épouse, Sylvia qui l'inspire… C'est une quête de perfection en vérité. Il veut se rapprocher du divin.

David
C'est du divin païen !

Monique
L'écriture est très élégante !
Jean-Paul     
Et puis c'est magnifique ces différents voyages en Italie. En si peu de pages, on découvre beaucoup de choses. C'est envoutant et cela n'apparaît pas comme un conte philosophique. Je l'ouvre en grand !

David
Quand même, les personnages sont angéliques. Ils sont pétris de bons sentiments de A à Z !

Audrey
Ça fait du bien en ce moment !

Jean-Paul
Il trompe quand même sa femme !

François
Il la trompe pour la bonne cause !
Antoine         
Le style est magnifique. C'est une littérature un peu "à l'os". C'est le style "anti-Proust . C'est un livre très conceptuel dans le bon sens du terme. Juste avant, j'avais lu Âme brisée de Akira Mizubayashi. Ce livre est uniquement dans le descriptif, il ne fait passer aucune émotion ! Ici Gély arrive à faire passer tellement d'idées et pleins de trucs. Tu te dis : "Ok c'était comme ça l'Italie !". Et c'est ancré dans le temps. L'histoire dure quand même dix ans … De A à Z, ce livre est magnifique ! Et la petite pirouette freudienne à la fin, je l'ai trouvé délicieuse ! Je l'ouvre en grand !

Margot
C'est une belle boucle !

Anne
Le dos est important mais on s'en doute. C'est quand même proche de Proust, le fait de retrouver toutes les sensations possibles à partir de la disparition d'un objet (le dos de la mère). Tout ce que vous avez dit, je l'ai ressenti aussi. C'est en même temps un livre à propos duquel on a du mal à dire ce qu'on a ressenti pendant sa lecture. Il fait écho à ma vie doublement. D'une part, j'ai animé un atelier de bijouterie et le livre me rappelle tout le cheminement par lequel passaient les apprentis pour parvenir à quelque chose qui prend sens. Et puis je suis née dans un milieu de création. Mon père était un peintre. Il était plutôt figuratif mais faisait aussi de l'abstrait. Ce livre représente vraiment bien tout le processus créateur. Voyez le luthier avec la jeune fille muette comme il parvient à la faire naître à elle-même. Ce n'est pas de l'amour "mou", c'est un état fondamentalement transformateur et créatif. Voyez aussi comme il donne du sens aux choses les plus simples de la vie. On n'a pas besoin d'une écriture à la Proust pour le comprendre. Cette lecture m'a transformée. C'est un livre profondément émouvant. C'est toujours juste, c'est musical. Les contes de Grimm sont comme ça.
Lahcen        
J'ai quelques bémols à faire. L'écriture est simple mais apaisante, belle et lyrique. J'aime beaucoup Guiseppe. J'aime cette forêt. Mais j'ai trouvé que c'était très scénarisé. Regardez ! On se croit dans une série de Netflix : l'apprentissage du langage, l'amour de Sylvia et la mort, la répétition avec le dos de la mère… Il y a beaucoup de naïveté dans ce livre. D'ailleurs l'auteur est scénariste. Néanmoins, cette simplicité d'écriture m'a fait beaucoup de bien. Je l'ouvre à moitié.

David
Tu as raison, il n'y a pas une once de négativité dans ce livre.

Anne
Il y a un processus de transformation.

Margot
Il s'inspire beaucoup de la Renaissance.

David
Je ressens un peu la même chose que Lahcen. Mais ce n'est pas antinomique avec quelque chose de profond, avec une musicalité du monde.

Anne
Il ne faut pas confondre le déni de la haine et la capacité à transformer un sentiment négatif en un bon sentiment. On fait souvent cette confusion à notre époque.

David
C'est un conte philanthropique !

Margot
Mais on est à l'époque de la Renaissance et sa recherche de l'harmonie par le biais de la géométrie. C'est avant le sac de Rome qui met à bas cet idéal.
La dureté je la vois dans les difficultés que le luthier traverse. Ses fils il ne les voit pas, sa femme elle meurt tôt…

Audrey
Ce n'est pas un monde édulcoré !
François         
Je suis un peu partagé. Ça me rappelle un ami luthier en Corse comment il travaillait. Ici dans ce livre, son objet c'est l'objet du désir : le dos de la mère et le violon. On n'est pas obligé d'aimer les grands romans. Quand même, je me sens sec. J'admire votre capacité d'émerveillement. C'aurait été un bon roman japonais. Je n'ai pas envie de casser l'ambiance. Du reste, c'est assez intéressant avec sa maîtresse-muse, est-ce la vie de Stradivarius ?
Je l'ouvre à moitié.

Antoine
Apparemment oui.

François
Il y a une certaine précision dans la description des paysages, de la forêt… Il y a une certaine naïveté. L'écriture est assez composée mais ça manque un peu de souffle. Paradoxalement, il y a de l'inconnu.

Antoine
Parfois, il y a de petites fautes de style. C'est la preuve que c'est un bon livre.

Anne
C'est un livre sur l'empathie.

Monique
C'est un livre sur le pacte entre Giuseppe et lui-même.

François
Il n'y a pas de négativité. Il n'a qu'à voir les relations du luthier avec ses femmes.

Leen
Et ce pacte dure, il n'y a pas de rebondissement. Au moins là, on ne peut pas faire le parallèle avec une série de Netflix !

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

 

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